(2) L'affirmation du pragmatisme fiscal

Indépendamment de tout rapport subjectif face à l'impôt, la motivation la plus courante réside dans l'affirmation d'un certain pragmatisme face à une concurrence fiscale ouvertement affichée.

L'optimisation devient systématique, comme l'a montré remarquablement bien M. Marco Monsellato, auditionné avec beaucoup d'intérêt par notre commission.

La norme de minoration du taux effectif d'imposition peut surprendre. Ainsi en témoigne l'audition de M. Maurice Lévy.

Elle ne fait pourtant que prolonger le soin apporté à maximiser le retour sur fonds propres.

Pour autant, outre que se situer sur le fil du rasoir n'est pas sans danger pour l'intégrité du protagoniste, on doit se demander si l'argument de compétitivité macroéconomique a le poids qu'on lui prête (n'est-ce pas dans un jeu purement financier ?), tandis que la question de la cohérence macroéconomique de l'ensemble des décisions individuelles se pose sérieusement, comme souvent.

M. Christophe de Margerie, président directeur général de Total, a ainsi déclaré « S'agissant de la stratégie fiscale du groupe, si vous m'entendiez soutenir, monsieur le rapporteur, que notre but est de payer le plus d'impôt possible, vous seriez sans doute surpris [...] Le cas de Total est très clair à cet égard : notre implantation dans les paradis fiscaux n'est pas motivée par des motifs fiscaux et ne change en rien les impôts que nous payons. Cela est vrai pour la plupart des très grandes sociétés comme Shell, Exxon ou BP, qui représentent la plus grosse partie des flux mondiaux. Peut-on dire la même chose de toutes les sociétés internationales ? La réponse est non ! »

Ce pragmatisme est encouragé par l'existence d'un « marché fiscal » à l'origine de la confusion entre l'optimisation légitime et celle abusive. Confronté à l'absence de trace de mutation d'un bien en France en raison de la vente de parts d'une fondation liechtensteinoise à un tiers, M. Renaud Van Ruymbeke avait été offusqué par les propos d'un avocat franco-américain ayant déclaré : « on vit dans un monde où mon client est parfaitement libre d'aller au Liechtenstein, de créer une fondation et de céder ses parts à qui il veut, sans payer le moindre impôt nulle part ». 493 ( * ) .

C'est pourquoi, M. Eric de Montgolfier avait souligné devant votre commission 494 ( * ) que « [...] dans certaines situations, la morale ne trouve pas son compte, d'où l'expression que j'ai utilisée lors de mon installation : « Le cercle de la morale est beaucoup plus large que celui de la loi ». La loi dans le droit, ce n'est pas tout. Certaines situations sont manifestement immorales [...] .

Cependant, les magistrats ne peuvent qu'être spectateurs. Vous n'allez pas nous demander d'élargir le cercle de la loi que vous avez circonscrit, au motif que la morale n'y trouverait pas son compte ! C'est vous qui passez de la morale au droit ; ne nous demandez pas de passer du droit à la morale ».

Votre rapporteur en construisant sa réflexion sur les analyses de la nouvelle économie géographique, qui met au centre la notion de rente d'agglomération comme justification profonde à l'impôt et sur la vieille théorie du passager clandestin qui est la figure même de « l'évadé fiscal », pense que l'évasion fiscale doit être vue comme un double problème, éthique mais aussi économique, puisque de son fait les bases mêmes du développement économique sont minées.


* 493 Cf . audition du 22 mai 2012.

* 494 Cf . audition du 22 mai 2012.

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