2. La « culture de la faille »

Les travaux de la commission ont conduit à s'interroger sur les profils et les motivations des personnes recourant à des procédés d'évasion fiscale mettant ainsi en lumière la complexité du phénomène non seulement du point de vue technique mais également culturel.

a) Les mille visages de l'évadé

S'agissant des personnes morales 479 ( * ) , le Conseil des prélèvements obligatoires avait déjà noté en 2007 que « les grandes entreprises fraudent peu mais se retrouvent souvent dans des situations d'irrégularité et d'optimisation. » 480 ( * )

En revanche , le risque de fraude est plus présent chez les PME en raison de leurs caractéristiques économiques. L'accès aux cabinets de conseil et aux schémas légaux d'optimisation leur est notamment moins ouvert.

En ce qui concerne les particuliers, votre rapporteur tient à insister, à titre liminaire, sur la complexité d'établir un profil tant du fraudeur, que de l'optimisateur « abusif », compte tenu des difficultés d'évaluation du phénomène, rappelées par M. Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint des finances publiques chargé de la fiscalité 481 ( * ) :

« Bien sûr, nous n'avons pas à interroger les gens sur les motifs de leur départ. Dès lors, pour caractériser une personne qui partirait pour des motifs fiscaux, nous avons choisi la définition suivante : il s'agit d'un contribuable, assujetti à l'ISF en tant que résident français en année n , qui décide de quitter le territoire en année n+1. ».

Cette définition a été complétée par M. Bernard Petit, sous-directeur, contrôleur général de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financières à la direction centrale de la police judiciaire. Il a déclaré :

« Les personnes visées appartiennent toutes à une classe plutôt aisée - même si certains bénéficiaires de minima sociaux 482 ( * ) peuvent percevoir, à l'étranger, des biens extrêmement importants . Il s'agit rarement de jeunes adultes : nous avons toujours affaire à des individus d'âge moyen, voire avancé.

Ce sont majoritairement des hommes : bien souvent, les femmes sont simplement associées au titre d'épouse, parfois bénéficiaires des comptes. Il s'agit majoritairement de personnes ayant assumé des activités commerciales déclarées, dont elles ont détourné une partie des revenus 483 ( * ) . »

De manière plus générale, les auditions ont permis de mettre l'accent sur une certaine « démocratisation » 484 ( * ) de l'évasion fiscale . M. Christian Chavagneux, journaliste à Alternatives économiques a ainsi observé 485 ( * ) : « Hier, s'agissant des particuliers, seules quelques riches ou très riches personnes entraient par la petite porte de leur banquier, tard le soir, pour avoir accès aux paradis fiscaux... Aujourd'hui, comme de nombreuses études l'ont montré, aussi bien aux États-Unis qu'en Europe, des personnes aisées aux revenus assez élevés, patrons de PME ou hauts cadres d'entreprise, sont aussi directement démarchées par de grands cabinets d'avocats et d'audit ou par des banques . »

Le cycle d'auditions ainsi que la poursuite des travaux auprès des différentes administrations en charge du contrôle fiscal a révélé l'ensemble du spectre des motivations de l'évasion fiscale allant de la négation subjective du devoir fiscal à l'affirmation d'un pragmatisme objectif.


* 479 Certaines auditions ont pu mettre en lumière le rôle des banques telle que celle de M. Xavier Harel le 6 mars 2012. Néanmoins, la durée limitée des travaux de la commission n'a pas permis de disposer d'informations suffisantes afin d'établir avec exactitude le rôle du système bancaire dans les Etats et territoires non coopératifs.

* 480 Cf rapport du CPO de 2007 page 31 : « Les résultats des contrôles font apparaître un constat assez convergent en ce qui concerne les comportements d'irrégularité et de fraude des plus grandes entreprises. D'abord, on observe un niveau très élevé d'irrégularités aussi bien au niveau fiscal que social. A la DVNI, près de 86 % des dossiers contrôlés contiennent au moins un redressement au titre des irrégularités. Dans le réseau des URSSAF, la fréquence des redressements suite à contrôle de grandes entreprises atteint 88 %. »

* 481 Cf . audition du 27 mars 2012. M. Fenet a estimé à 809 les sorties du territoire en 2009 et à 343 les  retours suivant la définition précitée. Toutefois, M. Parini, directeur général des finances publiques, a précisé cette évaluation en faisant valoir qu'aucun dispositif n'imposait à une personne de donner les raisons pour lesquelles elle souhaitait quitter le territoire. Il a ajouté : « ce chiffre est très subjectif puisqu'il présuppose que l'on ne part que pour échapper à l'ISF, ce qui n'est pas avéré de manière absolue . »

* 482 Cette remarque a également été relevée par M. Eric de Montgolfier, procureur général auprès de la cour d'appel de Bourges lors de son audition le 22 mai 2012 : « J'ai été surpris de constater, [...] que des personnes dégageant des profits qui se retrouvaient dans leurs comptes suisses, propriétaires, par exemple, d'appartements à Paris, émargeaient au RSA ».

* 483 Audition de M. Bernard Petit, sous-directeur, contrôleur général de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financières à la direction centrale de la police judiciaire, le 27 mars 2012.

* 484 Cf . audition de M. Xavier Harel du 6 mars 2012.

* 485 Cf . audition du 17 avril 2012.

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