Audition de M. Fabien Choné, directeur général de Direct Énergie et président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie
(14 mars 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je tiens à remercier nos collègues présents bien que le Sénat ne siège pas en cette période. Je me permets de faire observer très amicalement à notre rapporteur que l'opposition sénatoriale est beaucoup plus représentée aujourd'hui que la majorité - j'enfonce le clou ! ( Sourires .)
Monsieur Choné, je vous remercie de suppléer M. Xavier Caïtucoli, dont j'excuse bien volontiers l'absence. Je sais qu'il tenait à être entendu et je suis sûr que vous le remplacerez parfaitement.
Je procéderai tout d'abord à un rappel sur les raisons de votre présence devant cette commission d'enquête. Le groupe écologiste a utilisé son « droit de tirage » pour créer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité dans notre pays et son imputation aux différents acteurs économiques et a choisi de confier à un de ses représentants le poste de rapporteur. Celui de président est donc revenu à un membre de l'opposition sénatoriale.
Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Choné, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Choné, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Fabien Choné prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie, monsieur Choné.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse le soin de préciser ce qu'attend notre commission, sachant que M. Choné aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, et l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourrez lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Choné, comme l'a rappelé M. le président, je vous ai adressé six questions, que je vais résumer.
Premièrement, les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent-ils actuellement, selon vous, les « coûts réels » complets de production, de transport, de distribution et de fourniture ?
Deuxièmement, quelle forme pourrait prendre demain, d'après vous, un mix électrique compétitif, et comment se traduirait-il en termes de prix de l'électricité ?
Troisièmement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, selon lesquelles les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ?
Quatrièmement, quel commentaire faites-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France et sur sa « pointe » particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ?
Cinquièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ?
Sixièmement, Direct énergie a déjà pris des parts dans le secteur de la distribution d'électricité. Quels seront les investissements nécessaires en ce domaine dans les années à venir ? Leur coût dépendra-t-il des choix opérés en matière de production d'électricité ?
Telles sont les six questions que nous vous avons adressées.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Fabien Choné.
M. Fabien Choné, directeur général de Direct Énergie et président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir invité un représentant de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, l'ANODE, à venir témoigner devant votre commission d'enquête. M. Xavier Caïtucoli, président-directeur général de la société Direct Énergie, membre de l'ANODE, ne pouvait être présent parmi vous aujourd'hui et vous prie de bien vouloir l'en excuser.
L'intitulé de votre commission d'enquête nous semble très judicieux, notamment en raison de la nécessité de déterminer l'imputation des coûts réels de l'électricité aux différents agents économiques. En effet, on s'interroge souvent sur le niveau de ces coûts, mais plus rarement sur la manière de les imputer aux agents économiques. Or vous pourrez constater, en prenant connaissance des questions posées par l'ANODE et des solutions qu'elle propose, que cette problématique est vraiment centrale de notre point de vue.
Permettez-moi tout d'abord de présenter en quelques mots l'ANODE. Cette association a été créée en septembre 2006, sous le nom d'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité, dans le contexte du débat parlementaire sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, qui a notamment abouti à la création du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TARTAM, afin de promouvoir la création, en France, d'un marché libéralisé de l'électricité qui permette au consommateur de bénéficier pleinement de la concurrence, d'une part, et des avantages de la politique énergétique française, d'autre part. Autrement dit, l'ANODE a été créée pour faire en sorte que les Français puissent bénéficier du développement de la concurrence ainsi que des avantages résultant de la politique française en faveur de l'énergie nucléaire. L'ANODE est devenue l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie en 2010, date à laquelle elle a également accueilli des opérateurs actifs dans le secteur du gaz. Elle réunit aujourd'hui Altergaz, Gaz de Paris, Direct Énergie, Planète Oui et Poweo, c'est-à-dire les fournisseurs qui alimentent près de 90 % des clients ayant quitté les deux opérateurs historiques, EDF et GDF-Suez.
Je vais répondre à vos questions, monsieur le rapporteur, en essayant de les relier à un certain nombre de sujets qui nous préoccupent particulièrement.
La première porte sur l'évolution de la concurrence face aux tarifs réglementés de vente et sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Je procéderai tout d'abord à un rappel historique. En 2006, lors de la création de l'ANODE, nous étions en présence d'un « effet de ciseaux » tarifaire. De nombreuses voix se sont élevées pour dire que cette situation était due à l'existence de tarifs réglementés calés sur le coût de production de l'énergie nucléaire. Telle n'a pas été la position adoptée par l'ANODE à l'époque. En effet, nous considérons, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, que le consommateur doit pouvoir bénéficier, en France, de la concurrence dans le domaine de la fourniture d'électricité, mais aussi de l'avantage résultant du choix politique national de créer un parc de centrales nucléaires. Pour cette raison, l'ANODE a proposé, dès 2006, la création d'une « offre de gros nucléaire ». En effet, en présence d'un effet de ciseaux, on peut essayer d'agir sur la branche supérieure ou sur la branche inférieure : beaucoup déclaraient que les tarifs réglementés étaient trop bas, nous estimions quant à nous que le problème était dû à l'absence d'une « offre de gros » représentative de la politique nucléaire.
Cette proposition n'a malheureusement pas été retenue en 2006. Toutefois, à la suite de la publication du rapport Champsaur et de la promulgation de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME, cette « offre de gros nucléaire » existe désormais, sous la forme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, que vous connaissez bien. La question principale est de savoir si le niveau de l'ARENH et celui des tarifs réglementés permettent à la concurrence de se développer.
Tout d'abord, il faut bien comprendre que le législateur - du moins, c'est ainsi que nous l'interprétons - a décidé d'intégrer à terme dans le prix de l'électricité nucléaire, et donc dans les tarifs réglementés de vente, des éléments qui n'avaient pas été retenus initialement, notamment les coûts futurs résultant de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. À cet égard, nous ne disposons que de très peu d'informations, qu'il s'agisse des conséquences de cette décision sur le niveau des prix ou des méthodes de calcul employées. Le tarif de 42 euros par mégawattheure est-il satisfaisant ? Nous ne sommes pas capables de répondre à cette question, parce que nous ne disposons pas des paramètres qui nous permettraient d'évaluer ce prix et que nous ne connaissons pas non plus la méthode de calcul utilisée. Je rappelle que la loi NOME prévoit qu'un décret en Conseil d'État définira celle-ci, mais pour l'heure nous ne la connaissons pas, non plus que les paramètres retenus, et nous pouvons seulement affirmer - cela a été souvent répété - que ce niveau de prix, aujourd'hui, toutes choses égales par ailleurs, ne permet pas le développement de la concurrence sur le « segment bleu » : cela est très clair !
La loi NOME a posé le principe de la convergence du prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique et des tarifs réglementés - à l'horizon de 2015 -, auxquels s'ajoute le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE. Le niveau de ces trois éléments va déterminer l'espace économique où les opérateurs fournisseurs pourront se développer.
Plusieurs dispositions de la loi sont très rassurantes pour nous. En effet, celle-ci prévoit de confier à terme à la Commission de régulation de l'énergie la responsabilité de fixer les trois éléments que je viens d'évoquer : elle le fait déjà pour le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, elle le fera bientôt, à la fin de 2013, pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et, à la fin de 2015, pour les tarifs réglementés de vente. Aujourd'hui, pour l'ANODE et les producteurs alternatifs, il importe avant tout de rendre très rapidement cohérents ces trois éléments, afin que la concurrence puisse se développer - puisse survivre, ai-je envie de dire. Par conséquent, il est essentiel que les évolutions à venir du TURPE et de l'ARENH permettent d'atteindre cet objectif le plus rapidement possible.
J'insiste particulièrement sur cette notion de cohérence : pour nous, depuis que nous avons obtenu ce que nous souhaitions, à savoir une offre de gros nucléaire, la cohérence est désormais prioritaire. Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, à ce que le prix de l'ARENH soit plus élevé que ce que l'on pouvait espérer l'année dernière, pour permettre d'accroître la sûreté du parc nucléaire. Maintenant, il faut assumer les conséquences des choix relatifs au développement du parc nucléaire, à la fois dans la fixation du prix de l'ARENH et dans celle des tarifs réglementés. Si ces choix ne sont pris en compte qu'au travers du prix de l'ARENH, on ne donne pas à EDF les moyens de réaliser les investissements correspondants, puisque les tarifs réglementés sont aujourd'hui malheureusement très largement majoritaires sur notre marché.
Vous posez la question de l'incidence du niveau de l'ARENH sur les tarifs réglementés. Effectivement, à partir du moment où le coût de la production nucléaire augmente, les tarifs réglementés en subissent les conséquences, mais leur hausse devrait être limitée à 10 % pour les cinq ans qui viennent. Si cette augmentation doit permettre à la fois de sécuriser davantage le parc nucléaire et de prolonger de dix ou vingt ans le bénéfice économique que les Français tirent aujourd'hui de l'existence d'un parc nucléaire performant, nous estimons qu'elle est évidemment tout à fait souhaitable. Pour que cela fonctionne, il faut des évolutions tarifaires - je viens d'évoquer une augmentation de 10 % en cinq ans uniquement pour la part de la production nucléaire, j'évoquerai plus tard les autres parts. L'important est de ne pas rater les premières marches, car si nous attendons trop, les suivantes seront d'autant plus élevées et nous aurons du mal à les franchir.
Cette augmentation tombe mal, parce qu'elle se conjugue avec l'évolution des tarifs réglementés de vente rendue nécessaire par celle des autres composantes de ces derniers, à savoir l'accès au réseau, la contribution au service public de l'électricité, ou CSPE, et le coût de la commercialisation, qui doit évoluer significativement pour tenir compte du mécanisme d'économies d'énergie.
Pour répondre à votre question sur notre estimation de ces trois éléments, monsieur le rapporteur, j'indiquerai qu'elle est relativement cohérente avec celle qu'a présentée le président de la Commission de régulation de l'énergie. On pourrait ouvrir un débat sur la hausse des tarifs réglementés : celle-ci devrait s'établir autour de 20 %, plutôt que de 30 %, sur les cinq prochaines années, parce que la CSPE n'est pas incluse dans les tarifs réglementés, dans la mesure où elle s'applique à toutes les offres, libres et réglementées. Pour nous, l'essentiel n'est pas de savoir si les prix vont augmenter ni de combien ; nous en aurons une idée à mesure que nous obtiendrons des informations, notamment sur les investissements dans le réseau ou sur les investissements effectifs en vue de la prolongation de la durée de vie du parc de centrales nucléaires. En revanche, il est capital de savoir qui doit payer et selon quelles modalités - c'est la question judicieuse qui est posée par votre commission d'enquête - et comment rendre la facture le plus acceptable possible. Je rappelle que le montant de cette facture dépend de deux éléments : le prix et la consommation ; nous devons nous intéresser non seulement au niveau de cette dernière, mais aussi à sa forme.
De notre point de vue, la tendance haussière des prix de l'énergie, notamment de l'électricité, justifie plus encore que l'on développe la concurrence. La concurrence est source de modération tarifaire ; j'ai bien dit « modération tarifaire », et non pas « baisse des prix » - toutes choses égales par ailleurs, on peut souhaiter que les prix baissent grâce à la concurrence, mais vous savez que la conjoncture est telle que cela ne sera pas possible. La concurrence doit aussi favoriser les innovations en matière d'offres et de services, pour consommer moins et pour consommer mieux. Dans la situation où nous sommes, nous estimons que la concurrence doit plus que jamais être encouragée.
À cet égard, nous craignons énormément que cette conjoncture très défavorable n'incite à une « politisation des tarifs », c'est-à-dire au maintien des tarifs à un niveau très bas. Telle est la situation actuellement en Belgique. L'Espagne a aussi choisi de recourir à cette politique, il y a plusieurs années : pour information, elle connaît aujourd'hui un « déficit tarifaire », c'est-à-dire une dette de l'État espagnol envers les opérateurs énergétiques, de 23 milliards d'euros environ, ce qui contribue évidemment aux difficultés budgétaires que rencontre le gouvernement de ce pays. Pour régler le problème, les Espagnols devraient augmenter leurs tarifs non pas de 30 % sur les cinq prochaines années, mais de 37 % dès maintenant ! Ils se trouvent donc dans une situation très inconfortable, que la France doit à tout prix éviter de connaître.
Ces mauvaises nouvelles nous obligent à nous poser un certain nombre de questions sur la manière dont on consomme l'énergie en France. En particulier, la précarité énergétique augmentant forcément avec la croissance des prix, nous devons refonder globalement notre vision de cette problématique, et je vous présenterai les propositions de l'ANODE sur ce point. Par ailleurs, la maîtrise de la demande devient un enjeu de plus en plus important ; je distinguerai la maîtrise de la demande d'énergie de la maîtrise de la demande de puissance.
En ce qui concerne la précarité énergétique, nous pensons qu'il faut revoir de fond en comble les tarifs sociaux, notamment en termes de périmètre - la hausse des prix provoque une augmentation du nombre de clients en situation de précarité énergétique, c'est-à-dire qui consacrent plus de 10 % de leur budget au paiement de leurs factures d'énergie - et en termes de niveau. Il faut sans doute coupler ces tarifs sociaux à des politiques de soutien à une meilleure maîtrise de la consommation ; j'y reviendrai.
Les membres de l'ANODE demandent avec insistance qu'on les autorise, comme les opérateurs historiques, à proposer à leurs clients le tarif social de l'électricité, ce que la loi ne permet pas actuellement. Il est fort regrettable que les clients en situation de précarité ne puissent pas bénéficier à la fois des avantages du tarif social de l'électricité et de ceux des offres compétitives des opérateurs alternatifs, alors que cela est possible dans le secteur du gaz, par exemple. Cette demande a donné lieu à une polémique dans le cadre de la préparation du décret en vue de l'automatisation des tarifs sociaux : l'Autorité de la concurrence et la Commission de régulation de l'énergie, dans leurs avis respectifs, ont estimé qu'il était urgent de faire évoluer le tarif social de l'électricité pour que l'ensemble des fournisseurs puissent le proposer à leurs clients, dans l'intérêt même des consommateurs concernés.
En ce qui concerne la maîtrise de la demande d'énergie, je voudrais tout d'abord exposer notre vision du dispositif des certificats d'économie d'énergie, dont les objectifs étaient louables mais que nous estimons aujourd'hui très insatisfaisants.
À l'heure actuelle, sur le marché des certificats d'économie d'énergie, le prix du mégawattheure cumulé actualisé est d'environ 4 ou 5 euros, ce qui représente plusieurs centaines de millions d'euros pour l'ensemble du dispositif. Nous estimons qu'à peine 20 % de cette dépense revient effectivement à ceux qui investissent dans les systèmes destinés à améliorer l'efficacité énergétique. Le reste est capté, par pur effet d'aubaine, par des intermédiaires ou par de nouveaux opérateurs créés en réponse à la lourdeur administrative du dispositif. Cette organisation n'est absolument pas efficace, d'autant que le dispositif est très peu sélectif : il oriente les obligés que nous sommes vers les actions qui rapportent le plus de mégawattheures cumulés actualisés, et pas forcément vers les actions les plus rentables du point de vue de celui qui investit dans l'efficacité énergétique. La raison en est simple : ce dispositif est très opaque. Nous n'avons pas fait de sondage, mais je pense que les consommateurs français ne le connaissent quasiment pas, voire pas du tout, ce qui est regrettable.
L'autre motif d'inquiétude tient à nos yeux au financement du dispositif. Aujourd'hui, il est prévu, notamment dans le contrat de service public, que les tarifs réglementés de vente doivent intégrer le coût du dispositif pour les opérateurs historiques, or tel n'est manifestement pas le cas. Aucune des évolutions tarifaires récentes n'a répercuté ce coût qui, pour nous, pourrait être à l'origine d'un effet de ciseaux tarifaire très inquiétant. En effet, il va croissant et fait partie des éléments qui vont entraîner une augmentation des tarifs réglementés, si l'on suit le contrat de service public et la logique consistant à faire payer au consommateur, par le biais du prix de l'énergie, le coût du dispositif d'efficacité énergétique. Nous pensons que ce n'est pas une bonne chose, parce qu'il n'y a pas de corrélation, aujourd'hui, entre la quantité d'énergie électrique consommée et l'efficacité énergétique : un foyer qui dispose d'une habitation très bien isolée et a fait le choix d'avoir une voiture électrique pour des raisons écologiques aura une consommation d'électricité importante et sera amené à verser une contribution très élevée au dispositif d'économies d'énergie, alors qu'il est déjà très vertueux dans ce domaine.
L'ANODE propose donc de modifier radicalement le système, puisqu'il n'est pas satisfaisant. Notre première suggestion est de faire supporter le coût du dispositif par les responsables de l'inefficacité énergétique de l'habitat, qui sont également les décideurs en matière d'investissements, à savoir les propriétaires - je ne m'intéresse pas à la partie du dispositif relative aux transports -, et non par les locataires qui acquittent les factures d'électricité. Notre proposition est simple : il s'agit de créer une contribution, payable avec la taxe foncière, établie en fonction d'un diagnostic de performance énergétique, qu'il faut généraliser et sans doute améliorer. Ce dispositif serait assez lourd, mais, de notre point de vue, les enjeux sont colossaux en France, notamment du fait du niveau de développement du chauffage électrique : il faut faire évoluer la situation.
Nous pensons que la mise en oeuvre du dispositif que nous préconisons aurait des effets vertueux, parce que le propriétaire disposera de tous les éléments lui permettant de faire évoluer son bien et pourra rentabiliser les investissements consentis en matière d'amélioration de l'efficacité énergétique de trois manières : premièrement, il pourra réduire le montant de la taxe dont il doit s'acquitter, selon un schéma similaire à celui de la taxe écologique pour les voitures, s'il améliore le diagnostic de performance énergétique de l'habitat ; deuxièmement, il pourra répercuter sur le loyer une partie du coût de ces investissements, comme le prévoit la loi, dans la mesure où le locataire bénéficie de ces derniers sous forme d'une réduction de sa facture d'électricité ; troisièmement, il pourra bénéficier du fonds qui sera alimenté par cette contribution.
Nous proposons que les fournisseurs restent au centre du dispositif, parce qu'ils sont en mesure de définir ce que le locataire va pouvoir économiser sur sa facture électrique, en termes à la fois de consommation et d'offres tarifaires. Les fournisseurs ont donc un rôle important à jouer. Je n'entrerai pas davantage dans le détail, mais il me semble que traiter ce sujet est crucial pour permettre enfin une évolution dans le domaine de l'efficacité énergétique de l'habitat en France.
La maîtrise de la demande en pointe et en puissance constitue un enjeu majeur pour la France. Je rappelle que la surconsommation de notre pays due à sa « thermosensibilité » représente la moitié de celle de l'Europe, avec environ 2 300 mégawatts de consommation électrique supplémentaire pour une baisse de température de 1°C, soit deux fois la consommation d'une ville comme Marseille. Cela oblige à mobiliser des moyens de production utilisés assez rarement et en outre particulièrement polluants : l'enjeu est donc crucial tant sur le plan économique que du point de vue écologique.
L'ANODE a sensibilisé très tôt les différentes parties prenantes à la question de la pointe électrique, notamment le Sénat dans le cadre de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, lors d'une audition en date du 22 février 2007. Depuis sa création, l'ANODE est favorable à l'instauration d'un dispositif de rémunération de la capacité de production : nous pensons qu'un marché qui ne rémunère que l'énergie n'est pas efficace pour rentabiliser les moyens de production de pointe, mais surtout - et c'est le plus important - pour valoriser à leur juste niveau les effacements de consommation qui permettront de lisser cette dramatique pointe de consommation en période de froid.
À cette fin, nous soutenons la mise en place de deux dispositifs fondamentaux. Le premier est d'ordre économique : il s'agit du mécanisme de capacité, qui est prévu par la loi NOME. Le second est d'ordre technique : il s'agit du « compteur intelligent », c'est-à-dire du projet Linky.
En ce qui concerne le dispositif économique, des discussions ont lieu en ce moment même sur un projet de décret qui sera présenté par l'administration au Conseil supérieur de l'énergie la semaine prochaine. Ce projet nous inquiète assez fortement, parce que nous estimons que le mécanisme prévu n'est pas cohérent avec l'objectif visé, à savoir permettre une rentabilité correcte des moyens de production d'énergie ou d'effacement, en complément de ce que ces moyens de production vont rapporter sur le marché de l'énergie. Sur ce marché, lorsqu'il y a des tensions dues à des sous-capacités de production, les prix sont élevés, donc la rémunération de la capacité doit être faible pour que le complément se fasse de manière constante. A contrario , en présence d'une surcapacité de production, il n'y a pas de tensions sur les prix, donc les producteurs ne récupèrent pas de « valeur puissance » : il est alors nécessaire que la rémunération de la capacité soit importante.
Nous estimons donc que la rémunération de la capacité doit être inversement corrélée avec les tensions du système. Je reconnais que ce raisonnement est contre-intuitif, mais le mécanisme qu'il sous-tend permettrait d'assurer une rentabilité stable aux producteurs d'énergie et d'effacement. Il est également nécessaire pour garantir le financement des investissements correspondants, qui sont assez lourds.
Or tels ne sont pas les principes qui fondent le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, car il opère une corrélation directe entre la rémunération de la capacité et les tensions du système, donc les périodes de sous-capacité. Cette perspective nous inquiète, parce que les producteurs seront clairement incités à maintenir une sous-capacité. Ils récupéreront ainsi beaucoup d'argent sur le marché de l'énergie grâce à la fois aux pointes de prix et au mécanisme de rémunération des capacités. Il ne nous paraît pas souhaitable de mettre les opérateurs en situation de maintenir une sous-capacité de production en France, or le mécanisme aggrave fortement la volatilité du prix de la capacité et de la rémunération des producteurs d'énergie et d'effacement. Cette forte volatilité n'étant pas favorable à l'investissement, il convient de l'éviter. Par ailleurs, en cas de sous-capacité effective, le consommateur va payer très cher l'énergie complémentaire à l'énergie nucléaire en cas de pointe de prix, de même qu'il paiera très cher la rémunération de la capacité, parce que la loi NOME prévoit de l'intégrer aux tarifs réglementés : il va subir les conséquences de l'insuffisance des moyens de production...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Permettez-moi de vous interrompre un instant, monsieur Choné. Un élément ne me semble pas clair : un certain nombre de membres de l'ANODE sont devenus également producteurs, donc votre raisonnement n'est plus tout à fait logique. Vous ne pouvez plus défendre les membres de l'ANODE comme s'ils étaient des intermédiaires vendant de l'électricité produite par d'autres opérateurs : vous êtes devenus des acteurs, notamment Direct Énergie, c'est pour cela que nous vous auditionnons.
M. Fabien Choné . - Ce que je viens de dire est très important pour les nouveaux entrants que nous sommes : pour développer de nouveaux moyens de production, il faut pouvoir les financer. Lorsque nous présentons un plan d'affaires à une banque en vue de la création d'un nouveau moyen de production, elle examine deux points : le niveau de rémunération - nous souhaitons que le dispositif de rémunération de la capacité nous permette d'atteindre un seuil acceptable - et la stabilité de cette rémunération, son degré de risque. Or le dispositif de rémunération de la capacité qui nous est proposé aujourd'hui va entraîner une volatilité très forte des prix de l'énergie et des prix des capacités : il n'est pas acceptable par une banque, c'est donc une mauvaise chose.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Si je vous ai bien compris, monsieur Choné, pour les opérateurs investisseurs, le fait de laisser filer les prix en période de tension, où les capacités de production sont insuffisantes, peut être intéressant ponctuellement, mais il est compensé par une très grande incertitude en période de surcapacité, où l'on ne sait pas ce que sera le prix de l'énergie ? Vous voulez donc une régulation...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Non, il ne s'agit pas de cela. Cette question est l'un des « dadas » de notre collègue Jean-Pierre Vial. L'inquiétude est que cet arrêté ne favorise les producteurs nouveaux entrants. Or la loi NOME était bien précise : il fallait favoriser les investissements en capacités de production, mais aussi l'effacement. Cet arrêté oublie un peu l'effacement ou ne le favorise pas de la même manière...
M. Fabien Choné . - Non ! Notre inquiétude tient au fait que le dispositif proposé ne va pas favoriser les investissements - à cet égard, la production et l'effacement sont logés à la même enseigne -, parce que sa mise en oeuvre aboutira à une rémunération très volatile. Cela n'est pas souhaitable pour les nouveaux entrants, en particulier, parce qu'ils ne pourront pas financer de nouveaux moyens de production. En effet, cette organisation des rémunérations incitera globalement les producteurs à rester en situation de sous-capacité : c'est ce que l'on constate aujourd'hui avec ce que l'on appelle le marché energy only . Avec un tel système, les nouveaux entrants ne sont pas incités à venir concurrencer les producteurs déjà installés, parce qu'alors le marché basculerait de la sous-capacité vers la surcapacité et tout le monde y perdrait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je crois que M. Jean-Pierre Vial souhaiterait obtenir une précision.
M. Jean-Pierre Vial . - J'ai bien suivi votre logique en ce qui concerne l'effacement, monsieur Choné. Je partage d'ailleurs votre avis jusqu'à un certain point, mais c'est un point de rupture. Je ne parlerai pas du prix de l'énergie pour ne pas donner l'impression d'être partial dans mon analyse. Vous nous expliquez que la rémunération de la capacité devrait être faible en période de pointe et plus importante en période basse, soit exactement l'inverse de ce qui est prévu.
Excusez-moi de revenir à des données de base, mais je n'ai jamais vu de marché où l'on essaie d'accroître l'offre alors qu'il n'y a déjà pas suffisamment de clients ! À l'inverse, sur un marché où l'offre est insuffisante au regard de la demande, les prix augmentent et il faut essayer d'élargir l'offre pour satisfaire les clients et faire baisser les prix.
Très sincèrement, je ne comprends donc pas votre argumentation sur la nécessité de mieux rémunérer les producteurs en période basse qu'en période de pointe. Certes, en période de basse consommation, on constate depuis peu que de l'électricité est disponible à très bas prix - moins de 20 euros le mégawattheure -, parfois même à prix négatif, c'est-à-dire qu'il faut payer les utilisateurs !
En ce qui concerne la rémunération de l'effacement, le mécanisme que vous proposez m'étonne, parce qu'il va tout à fait à l'encontre de ce qui est aujourd'hui étudié et mis en place.
M. Fabien Choné . - J'ai bien conscience que ce raisonnement n'est pas du tout intuitif. Je vais donc essayer de mieux m'expliquer.
Quand j'évoque le niveau plus ou moins élevé de la rémunération de la capacité, je ne parle pas de sa variation dans le courant de l'année, pour une bonne et simple raison : la rémunération de la capacité s'évalue de manière annuelle, puisque le dispositif a prévu des certificats annuels. Je ne dis donc pas que la rémunération de la capacité doit être forte quand les prix, à une heure donnée, sont bas, voire négatifs - vous avez raison de souligner que cette situation peut se produire -, et faible quand les prix, à une période de grand froid, sont élevés ; je dis simplement que, en moyenne, certaines années présentent des pointes de prix caractéristiques d'une situation de sous-capacité, alors que d'autres ne connaissent aucune pointe de prix, ce qui peut refléter une situation de surcapacité.
Encore une fois, ce que je dis est valable pour les producteurs d'énergie comme pour les fournisseurs d'effacement. Je tiens d'ailleurs à souligner que Direct Énergie et les autres membres de l'ANODE souhaitent investir dans les capacités d'effacement. Pourquoi avons-nous défendu depuis le départ la rémunération de la capacité ? Ce n'est pas uniquement pour pouvoir développer de nouveaux moyens de production ! En France, le bon sens voudrait que l'on renforce les effacements, notamment dans la situation actuelle, où le chauffage électrique est très développé, plutôt que les moyens de production de pointe.
Pour qu'un investissement puisse être réalisé, qu'il s'agisse de production ou d'effacement, il est crucial que sa rémunération soit la plus stable possible, évidemment à un juste niveau, c'est le principe même de la rémunération la capacité. Il faut également que cette rémunération soit la plus légitime possible.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je voudrais poser une question non pas au président de l'ANODE, mais au directeur général de Direct Énergie. Vous avez investi dans deux centrales, pour le moment...
M. Fabien Choné . - Nous en sommes maintenant à trois.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Lesquelles sont déjà entrées complètement en fonction ?
M. Fabien Choné . - Aucune centrale à cycle combiné gaz n'est dans ce cas. En revanche, notre filiale Poweo a investi dans une centrale, à Pont-sur-Sambre, qui a fonctionné cet hiver...
M. Ladislas Poniatowski, président . - J'ai assisté à son inauguration. Gagnez-vous ou non de l'argent avec cette centrale ? Vous ne pouvez pas en même temps demander l'instauration d'un marché libre et attendre une garantie de rémunération des investissements !
M. Fabien Choné . - Je n'ai pas parlé de garantie de rémunération. Je dis simplement que, pour que le marché libéralisé fonctionne, notamment dans le domaine de la production, qui est compliqué, il faut que son organisation permette de traiter correctement la question du prix de l'énergie et celle de la rémunération de la capacité de production.
L'exemple de Pont-sur-Sambre est intéressant. Avant-hier, la société Poweo Pont-sur-Sambre Production a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, parce qu'elle perd énormément d'argent et ne peut plus assumer ces pertes, alors même que le fonctionnement de cette centrale, qui a fourni plus de 400 mégawatts pendant les pointes de consommation, a permis de surmonter les pics de demande de cet hiver. Nous nous trouvons dans une situation aberrante, car cette centrale est absolument nécessaire pour la sécurité d'approvisionnement et dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements. Les centrales à cycle combiné gaz sont des moyens de production qui jouent un rôle important, notamment par la flexibilité de leur fonctionnement, sachant que les deux piliers de la politique énergétique française, les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire, n'offrent pas cette souplesse. La centrale de Pont-sur-Sambre, qui est l'une des toutes premières de sa catégorie en France et que tout le monde reconnaît comme absolument nécessaire, est aujourd'hui en faillite !
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est vrai !
M. Fabien Choné . - Nous sommes donc dans une situation dramatique ! Pour répondre à une de vos questions sur le coût de production de l'électricité, on peut estimer qu'il s'établit, pour une centrale à cycle combiné gaz, à environ 75 euros par mégawattheure, or les prix de l'électricité sur le marché se situent entre 50 et 55 euros par mégawattheure. Nous avons donc absolument besoin d'un mécanisme de rémunération des capacités.
Supposons maintenant que ce mécanisme soit mis en place comme il est envisagé aujourd'hui et que survienne une reprise économique, entraînant un besoin important en moyens de production, sans que les investissements nécessaires aient été réalisés, comme nous le craignons : dans ce cas, les prix de l'électricité vont s'envoler, des pics apparaîtront très régulièrement, on atteindra même les 3 000 euros par mégawattheure à plusieurs reprises. Les producteurs vont alors bénéficier, outre de ce niveau élevé de prix, d'une rémunération de la capacité attrayante, corrélée avec les tensions du marché. Ce serait aberrant ! Nous sommes aujourd'hui en situation de surcapacité par rapport à la demande, celle-ci étant très faible parce que l'activité industrielle a beaucoup baissé depuis la crise de l'année dernière : si ce mécanisme de rémunération de la capacité fonctionnait déjà aujourd'hui, on peut estimer que la centrale de Pont-sur-Sambre serait quand même en faillite. J'espère avoir été clair.
M. Jean-Pierre Vial . - Vous nous présentez, dans un même modèle, un dispositif qui doit répondre à la demande en régime ordinaire annuel et un autre qui doit permettre de faire face aux pointes de consommation. La centrale que vous évoquez est un outil de production qui a été effectivement utile dans la période de pointe. Dans le cadre de l'élaboration de la loi NOME, l'Assemblée nationale avait réalisé une étude d'impact montrant que le recours à de tels équipements devait être rémunéré à un prix plus fort, d'environ 250 euros ou 300 euros par mégawattheure, dans la mesure où ils ne fonctionnaient que peu de temps dans l'année, pendant les périodes de pointe.
J'ai le sentiment que vous préconisez que ces investissements soient rémunérés toute l'année, et pas seulement pendant les périodes de pointe. Or les équipements en question ont précisément vocation à fonctionner durant ces seules périodes !
Prenons l'exemple de l'énergie hydraulique. Les propriétaires de certaines petites installations, plutôt que de turbiner toute l'année pour une rémunération basse, préfèrent concentrer leur production sur les périodes de pointe, où elle est mieux rémunérée. Quand on investit dans un équipement, il faut savoir à quelle demande on choisit de répondre : la demande en régime de croisière ou la pointe ; c'est l'une ou l'autre !
M. Fabien Choné . - La centrale à cycle combiné gaz de Pont-sur-Sambre - mais c'est aussi le cas des autres projets de Direct Énergie dans l'est de la France ou en Bretagne - est un moyen de production de semi-base, pas de pointe. La production de base est assurée par les centrales nucléaires, la production de semi-base par les centrales à cycle combiné gaz, la production de pointe ou d'extrême pointe par les turbines à combustion ou les centrales hydroélectriques. Vous avez plutôt évoqué des moyens de pointe, ce que l'on appelle des turbines à gaz ouvertes.
Pour être précis, nous estimons qu'un moyen de production doit être rémunéré sur le marché de l'énergie uniquement quand il fonctionne ; on ne peut pas envisager de le rémunérer quand il ne tourne pas. On doit additionner à cette rémunération, qui est déjà corrélée avec les tensions du système, une rémunération de la capacité de production, qui est annuelle et que l'on ne peut pas figer sur une période donnée de l'année - mais si l'on devait le faire, ce serait plutôt l'extrême pointe, où se manifeste le plus fort besoin de puissance et de capacité, qu'il faudrait prendre en considération. À partir du moment où les investissements dans les moyens de production sont fixes, si l'on veut que la rentabilité soit stable, la rémunération de la capacité doit être « anti-corrélée » avec la rémunération sur le marché de l'énergie. Je vous concède que ce raisonnement n'est pas intuitif, mais si l'on veut faire en sorte que le marché de l'énergie soit correctement organisé, il convient de traiter cette question importante.
M. Ladislas Poniatowski, président . - D'un point de vue macroéconomique, votre demande ne me choque pas. La France a besoin d'un certain nombre de centrales à cycle combiné gaz pour répondre aux périodes de pointe et elle n'en a pas assez, cela est très clair ! Nous étions bien contents de pouvoir compter sur trois centrales à cycle combiné gaz, me semble-t-il, le 8 février dernier, jour du pic extrême de consommation.
L'anomalie serait de rémunérer à un prix très élevé l'électricité d'origine solaire ou éolienne - ce message s'adresse aussi à M. le rapporteur ! -, qui ne pourra vraisemblablement pas assurer l'appoint nécessaire en période de pointe ; il est heureux que l'on puisse s'appuyer alors sur l'hydraulique et les centrales à cycle combiné gaz ! Mais il est normal, même si l'on paie cher l'électricité produite aux heures de pointe, que ceux qui investissent dans ces centrales puissent tabler sur un amortissement sur un certain nombre d'années. Il n'est donc pas choquant de rechercher un équilibre : nous sommes bien contents que des groupes privés aient investi dans des centrales à cycle combiné gaz.
M. Fabien Choné . - Je voudrais souligner deux aspects qui me semblent importants, monsieur le président.
Tout d'abord, les certificats qui pourront ouvrir droit à rémunération de la capacité seront octroyés aux différentes filières de production. Il est clair qu'accorder des certificats de capacité à un producteur d'électricité photovoltaïque, alors que le pic de consommation en France se situe plutôt vers 19 heures en hiver, à un moment où il fait nuit, peut sembler problématique.
Ensuite, M. Vial a posé une question très intéressante, celle de l'obligation d'achat, qui rémunère très basiquement le producteur en fonction de ce qu'il produit, quel que soit le moment de l'année. On est en droit de se demander s'il ne faudrait pas revenir sur ce système pour inciter les acteurs concernés, de plus en plus nombreux, à produire au moment où l'on en a le plus besoin, c'est-à-dire lors des pics de consommation.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Les turbines à gaz comme les centrales hydrauliques peuvent produire de l'électricité à n'importe quel moment, alors que le vent ne se stocke pas, pas plus que le soleil !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Choné, vous avez évoqué un prix de 75 euros par mégawattheure, à quoi correspond-il ?
M. Fabien Choné . - Il s'agit du coût de production par une centrale à cycle combiné gaz standard, en semi-base.
Pour pouvoir développer des offres qui permettent d'obtenir des avancées en matière de maîtrise de la demande en puissance de la part des consommateurs, il est nécessaire de disposer de compteurs qui mesurent efficacement les consommations lors des périodes de pointe. Il est évident que, pour tous les membres de l'ANODE, la réalisation du projet Linky est éminemment souhaitable. Il faut faire évoluer le comptage en France, afin d'envoyer aux consommateurs les bons signaux tarifaires, correspondant à la réalité des coûts de la production électrique et reflétant notamment leur horosaisonnalité. Cette évolution est fondamentale pour rationaliser la consommation des clients et même « effacer » la demande liée au chauffage électrique. Je lisais récemment dans la presse, et notre association souscrit à cette appréciation, que le chauffage électrique est aujourd'hui un boulet pour le système français de production électrique ; il pourrait représenter demain un atout si l'on était capable de maîtriser correctement cette consommation grâce au système de comptage. L'ANODE a donc présenté trois propositions sur ce sujet.
La première concerne l'évolution des tarifs réglementés de vente. Nous estimons que le déploiement de Linky, qui va coûter 5 milliards d'euros à la collectivité, doit être l'occasion de remettre en question, non pas en termes de niveau, mais de structure, la construction des tarifs réglementés de vente. Il serait aberrant d'investir une telle somme dans le déploiement d'un compteur intelligent permettant de proposer des offres qui incitent à consommer lorsque les coûts sont les plus faibles et de maintenir un tarif réglementé de vente dit « de base », le tarif bleu, à un niveau identique toute l'année. Or ce tarif concerne vingt millions de consommateurs français, dont environ cinq millions utilisent un chauffage électrique. Nous pensons qu'il est important de remettre en cause la structuration des tarifs réglementés et de faire disparaître ce tarif de base qui ne constitue absolument pas une bonne option dans la perspective du déploiement de Linky. Vingt millions de clients concernés, c'est important : il faut donc traiter ce sujet le plus rapidement possible ; cela figurait d'ailleurs parmi les préconisations du rapport Poignant-Sido, synthétisant les conclusions du groupe de travail sur la gestion de la pointe de consommation électrique de 2009. Nous souhaitons qu'un débat s'engage très rapidement sur la structure des tarifs réglementés de vente à la suite du déploiement de Linky.
Deuxièmement, l'arrêté relatif aux dispositifs de comptage du 4 janvier 2012 prévoit que Linky enregistre des index de consommation conformément au cahier des charges établi par la CRE en 2007. Or, depuis cette date, la loi NOME a instauré, ce qui était souhaitable, des dispositifs fondamentaux, à savoir l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique et la rémunération de la capacité. Le projet Linky, tel qu'il est prévu aujourd'hui, et l'arrêté relatif aux dispositifs de comptage, tel qu'il a été publié le 4 janvier 2012, ne prévoient pas que le nouveau compteur enregistre les consommations qui permettent d'évaluer, d'une part, les droits d'allocation au titre de l'ARENH, et, d'autre part, la participation du consommateur aux obligations en matière de capacité. Cela est fort regrettable ! On met en place deux dispositifs, l'un économique, l'autre technique, pour gérer la pointe, mais ils ne sont pas en cohérence.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous auriez voulu un compteur qui coûte quatre fois plus cher ?
M. Fabien Choné . - Non ! Il faut simplement organiser les index de consommation de manière à pouvoir mesurer les éléments pertinents. Aujourd'hui, les droits d'allocation au titre de l'ARENH sont construits en fonction de la consommation sur certaines périodes de l'année. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais il s'agit en fait des périodes creuses. Les compteurs Linky ne sont pas conçus pour mesurer les consommations durant ces périodes en particulier.
De la même manière, le projet actuel de décret sur les mécanismes de capacité prévoit la définition d'une période dite « PP1 » où la consommation sera mesurée pour évaluer les obligations de capacité des fournisseurs. Linky ne comporte pas, aujourd'hui, d'index d'enregistrement des consommations qui permette de faire ressortir ces éléments...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous voulez dire que l'on ne va pas jusqu'au bout de la logique ?
M. Fabien Choné . - Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous ne sommes pas là pour relancer le débat sur Linky. Monsieur Choné, vous remettez en cause un instrument qui va donner beaucoup plus d'informations aux consommateurs et, par ailleurs, permettre, dans les périodes de pointe, de mieux régler la production pour éviter que des régions entières subissent des ruptures d'alimentation. L'amélioration est évidente ! Ne critiquez pas cet instrument de manière caricaturale !
Vous êtes président de l'ANODE. On connaît votre opposition aux prix régulés, mais soyez prudent : reconnaissez que Linky apporte des améliorations ! Votre manière de présenter les choses est excessive !
M. Fabien Choné . - Si c'est ce que vous avez compris, monsieur le président, alors je me suis mal exprimé, car tel n'est pas le message que je souhaite faire passer. Soyons bien clairs : le dispositif Linky est absolument nécessaire, il est fondamental pour le système électrique français, on ne fera rien sans lui ! On peut mettre en place un dispositif de rémunération de la capacité, mais si l'on est incapable de mesurer la consommation, il ne servira à rien.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Très bien ! Je suis heureux de vous l'entendre dire !
M. Fabien Choné . - Si l'ANODE vous présente aujourd'hui ces remarques, c'est parce qu'elle entend être constructive : elle ne veut pas que l'on investisse 5 milliards d'euros dans un dispositif certes nécessaire, mais qui ne serait pas optimal.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Le dispositif sera évolutif : il y aura trois générations de compteurs. Le premier appel d'offres ne portera que sur une partie des compteurs à déployer en France, de manière à permettre, lorsque des compteurs plus performants seront disponibles, de les installer au fur et à mesure. Mais il est sûr que le consommateur qui recevra son nouveau compteur dans un an disposera d'une information moins complète que celui qui obtiendra le sien dans cinq ans, parce que la première version sera moins « intelligente ».
M. Fabien Choné . - Pour abonder dans votre sens, je soulignerai que notre proposition d'enregistrer les deux types de consommation que j'évoquais serait très simple à mettre en oeuvre dans le cadre de l'évolution du compteur et ne représenterait pas de surcoût. Nous estimons simplement qu'il est dommage de ne pas paramétrer correctement les compteurs avant de procéder à leur déploiement : quatorze index d'enregistrement sont prévus dans Linky, c'est largement suffisant pour faire ce que nous proposons. Dix index sont réservés à l'offre du fournisseur : c'est trop ! Est-il raisonnable d'envisager qu'un fournisseur propose à un consommateur lambda dix postes tarifaires par mois, soit cent vingt postes par an ? Ce n'est pas souhaitable ! C'est pourquoi nous avons suggéré à l'administration qui, malheureusement, ne nous a pas suivis, qu'un certain nombre des index d'enregistrement déjà prévus soient réservés aux mesures relatives à l'ARENH et au mécanisme de capacité.
Nos propositions sont donc vraiment constructives et, je le répète, leur mise en oeuvre n'entraînerait aucun coût supplémentaire.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Message reçu !
M. Fabien Choné . - Une troisième observation relative à Linky nous paraît également très importante. Ce dispositif est fondamental pour véhiculer l'information sur le coût réel de l'électricité vers le consommateur, mais sera-t-il suffisant, notamment pour assurer une meilleure maîtrise de la consommation du chauffage électrique ? Nous pensons que tel n'est pas le cas !
Si l'on veut que les Français agissent sur leur consommation, notamment au titre du chauffage électrique, il faut que le signal tarifaire arrive jusqu'à l'installation de chauffage. Autrement dit, une fois que le nouveau compteur sera posé, il faudra mettre en place des asservissements des radiateurs électriques en fonction des signaux tarifaires de Linky, de manière que les chauffages électriques s'effacent, en suivant exactement le modèle déjà mis en place pour les chauffe-eau électriques : onze millions de chauffe-eau électriques sont déjà ainsi asservis.
Pour aller au bout de la logique d'efficacité du dispositif de maîtrise de la demande en pointe, nous pensons qu'il est nécessaire d'asservir le chauffage électrique. Notre proposition exacte, puisque la mise en place de cet asservissement coûte très cher, notamment du fait de la nécessité de faire appel à un professionnel, consiste à coupler la pose du compteur à l'installation facultative simultanée du dispositif d'asservissement du chauffage électrique. Cet aspect est essentiel, parce que le coût de la mise en place de l'asservissement peut être évalué à 150 euros : si l'on arrive à associer les deux opérations, il sera réduit des deux tiers.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces auditions sont intéressantes parce que nous sortons toujours du sujet... ( Sourires .) Je pense toutefois qu'une explication complémentaire est peut-être nécessaire pour certains de nos collègues.
Vous parlez de l'effacement chez le particulier. Ce débat a été très important et les associations de consommateurs ont défendu leurs mandants. Il ne faut pas instaurer d'effacement automatique pour les consommateurs, puisque le système d'effacement qui a été mis en place pour les industriels repose sur l'adhésion : certains industriels, en fonction de leur activité ou de leurs besoins, s'engagent par contrat à effacer leur consommation dans des périodes de pointe, mais ils ne souhaitent pas le faire à d'autres moments. Le même principe doit s'appliquer pour les particuliers : il ne faudrait pas que le fournisseur, au moment d'une pointe de consommation, puisse couper d'autorité le chauffage chez les particuliers pendant dix minutes, un quart d'heure, voire davantage. Le consommateur doit être libre d'adhérer ou non à cet effacement.
Je suis tout à fait d'accord avec l'idée d'équiper, dans l'avenir, les logements pour permettre la mise en oeuvre du système que vous avez décrit, car c'est indéniablement une solution intelligente, mais soyez prudent dans votre manière de présenter les choses !
M. Fabien Choné . - Encore une fois, si je n'ai pas été suffisamment clair, veuillez m'en excuser. Il est évidemment inenvisageable qu'un tel dispositif soit imposé de manière autoritaire. D'ailleurs, en ce qui concerne les chauffe-eau électriques, le consommateur dispose d'un relais qui lui permet de rester maître de son utilisation. C'est évidemment fondamental !
Simplement, si l'on veut aller au bout de la logique, il faut asservir le chauffage électrique, chez les particuliers qui le souhaitent, afin de réduire les pics de consommation, voire de compenser l'intermittence des énergies renouvelables - on peut d'ailleurs imaginer que, demain, cela soit fait indépendamment des pics de consommation. Le coût de la mise en place de cet asservissement chez cinq millions d'utilisateurs du chauffage électrique, lié au déplacement d'un professionnel, peut être évalué entre 500 millions et 600 millions d'euros. Cette somme est déjà payée au travers de la mise en oeuvre de Linky : si l'on veut rentabiliser davantage ce projet et aboutir à un résultat effectif, il faut envisager l'application de notre proposition. Telle est notre réponse à votre question : « Sur quels leviers préconisez-vous d'agir afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ? »
M. Ladislas Poniatowski, président . - Proposition pertinente !
M. Fabien Choné . - J'en viens à votre question sur les coûts de distribution et leur couverture.
Les coûts des infrastructures de réseaux connaissent aujourd'hui une évolution très sensible, qui aboutit à envisager une hausse du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité d'environ 10 % d'ici à 2015, si je reprends les chiffres du président de la CRE, qui est forcément bien placé pour les évaluer. Cette hausse est comparable à celle résultant de la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire ; c'est un élément très important de la hausse attendue.
Deux types d'investissements nouveaux doivent être couverts : ceux qui concernent la qualité d'alimentation et ceux qui ont trait aux énergies renouvelables.
Sur le premier point, on nous explique aujourd'hui qu'il faut surinvestir dans les réseaux, notamment le réseau de distribution, pour retrouver le niveau de qualité moyen atteint en 2000, niveau qui s'est dégradé depuis. Mais de quel optimum économique parle-t-on ? Le niveau de qualité atteint en 2000 est-il celui qui était souhaité à cette époque ? Est-il celui que l'on attend aujourd'hui ? Nous ne disposons pas d'informations dans ce domaine. Quelle méthode permet de trouver le meilleur compromis entre les investissements réalisés, qui ont une incidence importante sur les coûts et donc sur les tarifs réglementés, et le niveau de qualité souhaité ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Vous parlez de la dégradation du réseau de distribution, pas du réseau de transport ?
M. Fabien Choné . - Je parle des réseaux de distribution.
La Commission de régulation de l'énergie, qui propose les tarifs d'accès au réseau, estime que des programmes d'investissement très importants doivent être engagés. Ces programmes sont également proposés par les gestionnaires de réseaux en fonction du besoin affiché d'améliorer le niveau de qualité. Tout le monde est favorable à l'augmentation du niveau de qualité : en tant que fournisseurs, nous estimons que cette démarche est dans l'intérêt de nos clients. Mais, dans le contexte haussier actuel de l'évolution des prix de l'électricité, nous nous demandons si le compromis entre le niveau des investissements lourds et le niveau de qualité a été correctement envisagé. Nous ne disposons d'aucune information sur ce point et nous aimerions savoir si ce compromis a été judicieusement évalué.
J'ajoute que l'impression qui se dégage des contacts que nous avons avec nos clients et l'ensemble des parties prenantes est que le problème ne se pose pas en termes de niveau de qualité moyen, mais en termes de disparités régionales. Certaines régions bénéficient d'une qualité de service excellente, alors que dans d'autres elle est exécrable...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Dans quelles régions la qualité est-elle excellente ?
M. Fabien Choné . - Plutôt dans les zones urbaines...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Effectivement, il s'agit plus d'une opposition entre la France rurale et la France urbaine que d'une véritable disparité géographique. Nous évoquerons ce sujet lors de l'audition de Mme Bellon.
M. Fabien Choné . - La question du compromis entre coûts et qualité me paraît donc importante.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Quelle est votre estimation du coût de la distribution ?
M. Fabien Choné . - Aujourd'hui, le tarif d'accès au réseau doit se situer aux environs de 40 euros par mégawattheure, soit environ 45 % de la facture hors taxes reçue par les clients.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Il s'agit simplement de la distribution, pas du transport ?
M. Fabien Choné . - Contrairement au gaz, pour l'électricité, le coût de la distribution inclut celui du transport, puisque c'est le distributeur qui paie l'accès au réseau de transport.
M. Ladislas Poniatowski, président . - M. Maillard, que nous avons auditionné hier, indiquait un coût de 10 euros pour la partie transport, ce qui voudrait dire que celui de la partie distribution s'élèverait à 35 euros par mégawattheure.
M. Fabien Choné . - Ces chiffres me paraissent tout à fait raisonnables. Il faut les entendre hors taxes et contributions.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous constatons que leurs promoteurs paient le raccordement au réseau, mais pas le renforcement de celui-ci. Or le coût du renforcement du réseau de distribution, qui est très important et représente des centaines de millions d'euros, voire des milliards d'euros à l'horizon de 2020, est supporté par les consommateurs. Au regard de l'objectif affiché par votre commission d'enquête, nous estimons qu'il est légitime d'imputer ce coût aux agents qui l'induisent, à savoir les promoteurs des énergies renouvelables ; c'est la meilleure manière de le limiter.
Nous sommes donc favorables à la proposition de la Commission de régulation de l'énergie, qui procède actuellement à une consultation sur le prochain tarif d'accès au réseau, de mettre en oeuvre un « timbre d'injection » pour traiter cette question. Il faut que vous sachiez que le tarif d'utilisation des réseaux, aujourd'hui, est payé par les seuls consommateurs. Les producteurs ne paient rien, ou quasiment rien : ils acquittent une participation au titre du système électrique européen.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ils ne paient pas pour les renforcements nécessaires...
M. Fabien Choné . - Non. Est-ce une bonne chose que les producteurs ne paient rien ? Nous ne le pensons pas, notamment au regard de votre interrogation sur la bonne imputation des coûts aux agents économiques.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Grâce au Sénat, un changement est intervenu : les producteurs supportent au moins les coûts de raccordement ! Auparavant, même le raccordement était mis à la charge du distributeur. En revanche, le producteur ne supporte effectivement pas le coût du renforcement du réseau : c'est le distributeur, autrement dit les consommateurs français.
M. Fabien Choné . - Et c'est tout à fait regrettable, parce que si le producteur assumait ce coût, il choisirait les sites les plus adaptés pour implanter ses installations...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ce débat a été tranché. D'ailleurs, sur cette question, le vote du Sénat avait été unanime. Nous n'allons pas refaire les lois tous les deux ans. On n'avance pas beaucoup avec des remises en cause permanentes de la loi. J'entends le même discours chaque année !
M. Fabien Choné . - Une nouvelle fois, je me suis mal exprimé : il est hors de question pour nous de remettre en cause la loi sur ce point ! La CRE propose aujourd'hui, dans le cadre de ses attributions, de mettre en place un « timbre d'injection » différencié géographiquement pour inciter les producteurs à s'installer là où leur arrivée entraîne le moins de besoins en matière de renforcement du réseau. Notre approbation de cette proposition ne remet pas du tout en cause ce qui a été voté par le Parlement...
M. Jean Desessard, rapporteur . - Pourriez-vous expliquer ce qu'est un « timbre d'injection » ?
M. Fabien Choné . - Cela consiste à faire payer par les producteurs le coût de l'injection de leur production dans le réseau électrique. Cela correspond en fait au tarif d'accès au réseau pour les producteurs...
M. Jean-Pierre Vial . - Par analogie avec le timbre de soutirage !
M. Fabien Choné . - Exactement ! Je suis désolé de devoir recourir à ce jargon technique !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce tarif est-il calculé en fonction de la quantité injectée ou de la situation géographique ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cela reviendrait à remettre en cause tout le schéma éolien français ! Ce schéma est à peu près équilibré - certains l'acceptent, d'autres le refusent. Selon votre logique, monsieur Choné, on rejetterait tout projet éolien là où le raccordement entraînerait des investissements trop importants en matière de renforcement !
M. Fabien Choné . - Il ne s'agit pas de faire payer les investissements de renforcement, il s'agit de créer pour les producteurs un tarif d'accès au réseau qui tienne compte de critères géographiques, de manière à orienter les investissements vers les zones où ils sont le plus efficaces pour la collectivité. Il ne s'agit pas de faire payer des renforcements au cas par cas : ce sujet est dépassé, nous sommes bien d'accord.
Nous soutenons la proposition de la CRE, parce que nous estimons qu'elle a vocation à imputer correctement aux agents économiques les coûts de leur activité pour le système électrique. Nous regrettons que l'ensemble des charges du réseau soient supportées par les consommateurs, parce qu'il serait beaucoup plus efficace d'en faire payer une partie aux producteurs. L'explication est simple : en matière de consommation, un système de péréquation tarifaire existe en France, sur lequel personne ne souhaite revenir, alors qu'en termes de production, tel n'est pas le cas. Or les producteurs, par la localisation de leurs équipements et leur programme de fonctionnement, influent directement sur la structure des coûts du réseau, mais également sur l'importance des pertes. Vous savez que le plan de pertes dépend aujourd'hui directement du plan de production : s'il existait une tarification de l'accès au réseau pour les producteurs, on pourrait influer sur le plan global de production du parc français, et donc réduire les pertes dans notre pays. En imputant correctement aux agents économiques le vrai coût des pertes, on pourrait diminuer celles-ci, ce qui correspond à l'intérêt général !
Vous avez également posé une question sur le mix énergétique idéal pour la France et sur les coûts dans dix ans ou vingt ans. Je n'entrerai pas dans le détail de ces sujets, car je pense que l'ANODE n'est pas la mieux placée pour vous donner des éléments d'information. Je souhaite simplement rappeler que nous sommes en phase avec la politique énergétique française actuelle, qui favorise les énergies décarbonées. Aujourd'hui, notre système électrique est très décarboné : il faut continuer d'en profiter, effectuer les substitutions nécessaires au bénéfice de l'électricité, par exemple avec le véhicule électrique, ce qui signifie qu'une augmentation de la consommation française électricité ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle en termes d'efficacité économique et écologique.
Pour cela, il faut s'appuyer sur les deux piliers de la politique énergétique française, à savoir le développement des énergies renouvelables, d'une part, et la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, d'autre part. Ces deux objectifs ne paraissent nullement contradictoires : bien au contraire, ils sont complémentaires. Nous pensons que l'avantage économique que représente le nucléaire historique permet de rendre acceptables les efforts que nous devons consentir pour développer les énergies renouvelables jusqu'à ce que ces filières deviennent matures.
Il est donc tout à fait cohérent de conserver ces deux piliers, maintenus par une clé de voûte, le développement des cycles combinés gaz. En effet, sans ces centrales qui assurent la flexibilité du système électrique, l'ensemble ne fonctionnera pas. La clé de voûte est une toute petite pierre par rapport à l'ensemble de l'édifice, mais elle lui permet de tenir debout : le développement des cycles combinés gaz nous paraît donc absolument nécessaire. Enfin, on l'a évoqué tout à l'heure, il faut que les obligations d'achat participent le plus possible aux efforts visant à faire évoluer notre consommation.
Pour conclure, j'ajouterai un dernier mot sur la situation du marché français : nous pensons que de nombreuses évolutions sont nécessaires pour tenir compte du contexte économique général, notamment de l'évolution des prix des matières premières. La concurrence a selon nous un rôle important à jouer, en termes à la fois de modération tarifaire et d'innovation, notamment dans les services. Aujourd'hui, la concurrence est critiquée : certains estiment qu'elle n'a rien apporté. Il faut le reconnaître, la concurrence n'a pas apporté beaucoup, mais elle a été étouffée jusqu'à maintenant, pour ne pas dire asphyxiée. Il est donc nécessaire de lui permettre de trouver très rapidement un espace économique, afin qu'elle puisse apporter tout ce qu'elle doit aux Français, notamment en termes d'innovation. Il convient également de la rendre compatible avec les dispositifs de précarité énergétique, parce qu'il faut absolument éviter que les évolutions que nous proposons ne laissent au bord de la route des Français en difficulté.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur Choné, je vous remercie de cet exposé très complet. Monsieur le rapporteur, avez-vous obtenu toutes les réponses que vous souhaitiez aux questions que vous avez posées ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument, monsieur le président.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial . - Je me garderai bien d'ouvrir à nouveau le débat sur le compteur dit « intelligent ».
Monsieur Choné, vous avez dit tout à l'heure que les bénéfices de la mise en oeuvre des énergies nouvelles n'étaient revenus qu'à hauteur de 20 % dans la poche des investisseurs réels et que les 80 % restants avaient nourri la spéculation. Pouvez-vous nous fournir des éléments plus précis sur ce point, y compris les noms des entreprises qui auraient bénéficié indûment de cette manne ?
M. Fabien Choné . - J'ai évoqué ces chiffres à propos non pas des énergies renouvelables, mais des certificats d'économie d'énergie. Représentant des opérateurs qui ne sont pas dominants en France, je ne saurais garantir leur exactitude.
Globalement, quand nous payons 4 ou 4,5 euros par mégawattheure cumulé actualisé un certificat d'économie d'énergie, nous avons le sentiment qu'une part importante de ce montant revient aux installateurs et une autre aux intermédiaires, ceux qui coordonnent les installateurs et mettent en place les procédures administratives liées aux certificats d'économie d'énergie. On peut estimer que ces intermédiaires créent des emplois, mais ces emplois, compte tenu de l'efficacité globale du système, ne créent pas beaucoup de valeur pour la France, de notre point de vue. C'est pourquoi nous souhaitons remettre en cause le dispositif.
En fait, 20 % seulement de la dépense globale liée au dispositif revient au consommateur qui isole son logement ou change ses fenêtres, sous forme de ristourne sur sa facture. Pourquoi le retour est-il aussi faible ? Parce que le consommateur ne connaît absolument pas le dispositif des certificats d'économie d'énergie et n'est pas responsabilisé. Il ne sait pas exactement à quoi il pourrait prétendre, quel est le coût du mégawattheure cumulé actualisé ni à combien de mégawattheures cumulés actualisés il aurait droit en fonction de son isolation. Le dispositif est tellement opaque que le consommateur n'a pas les moyens de négocier à armes égales avec celui qui lui propose d'en bénéficier, en général l'installateur. Pour nous, il est urgent, a minima , de communiquer très largement sur ce dispositif pour que les consommateurs sachent à quoi ils pourraient prétendre pour financer leurs investissements, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui. Demandez autour de vous qui sait ce qu'il pourrait récupérer en changeant ses fenêtres : je vous mets au défi de trouver une seule personne capable de répondre !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Je n'ai pas pu assister au début de cette audition, mais j'en lirai le compte rendu avec une grande attention.
Vous avez annoncé tout à l'heure un coût de production du mégawattheure en cycle combiné gaz de 75 euros. Aujourd'hui, sur le marché spot , en dehors des pics de consommation, le prix du mégawattheure s'élève à 50 euros environ. D'ici au milieu de la décennie, donc dans très peu de temps, nous pourrons disposer d'une production d'énergie renouvelable européenne beaucoup plus forte - environ 10 mégawatts supplémentaires l'année prochaine pour la seule Allemagne - et l'interconnexion se développe rapidement, comme nous l'avons vu hier. Je me pose donc la question suivante : si le coût de production du mégawattheure en cycle combiné gaz reste de 75 euros et si, en dehors des périodes de très grande pointe, l'Europe connaît une surcapacité de production électrique, notamment d'origine renouvelable, votre mégawattheure ne risque-t-il pas de ne pas être compétitif, hormis en cas d'extrême pic de consommation ? Quel est le modèle économique d'un tel investissement ? Prenons l'exemple de la centrale de Landivisiau, que je connais un peu : pour obtenir un retour sur investissement satisfaisant, faut-il qu'un équipement de ce type fonctionne 60 % du temps, voire 80 %, ou peut-il ne fonctionner qu'à la demande ?
Par ailleurs, avez-vous réfléchi au fait que vos centrales à cycle combiné gaz pourraient s'insérer dans un modèle de stockage de l'énergie, y compris de méthanation, en produisant à certains moments de l'hydrogène ou du méthane que vous réinjecteriez ensuite dans le cycle ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces deux questions s'adressent plus au directeur général de Direct Énergie qu'au président de l'ANODE. En ce qui concerne la première d'entre elles, monsieur Choné, ne revenez pas sur tout ce que nous avez dit tout à l'heure avant que M. Dantec n'arrive.
M. Fabien Choné . - Soyons clairs : un cycle combiné gaz, aujourd'hui, n'est pas rentable. Nous le disions tout à l'heure, la société qui gère la centrale de Pont-sur-Sambre a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde avant-hier : elle se trouve donc dans une situation dramatique.
Vos questions recouvrent deux sujets essentiels : la rémunération de la capacité de production, qui est nécessaire notamment pour financer la participation des équipements à la sécurité d'approvisionnement, et la meilleure participation au système électrique des moyens de production sous obligation d'achat. Aujourd'hui, les promoteurs de ces derniers se moquent éperdument de l'incidence de leurs installations sur le système électrique, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques pour ceux qui sont soumis aux règles du marché concurrentiel, notamment les exploitants des centrales à cycle combiné gaz.
En ce qui concerne la durée de fonctionnement d'une centrale à cycle combiné gaz, que nous définissons comme un moyen de production de semi-base, un tel équipement a vocation à tourner entre 3 500 et 4 000 heures par an, soit environ 40 % de l'année.
Enfin, vous avez évoqué l'idée de coupler des moyens de production avec des systèmes de stockage de l'énergie. Les enjeux en matière de stockage de l'électricité sont effectivement cruciaux - cela ne concerne d'ailleurs pas seulement les cycles combinés gaz, mais aussi les énergies renouvelables et, plus globalement, tous les moyens de production du système électrique. J'attire votre attention sur le fait que les chauffe-eau électriques - je reviens sur la question des effacements diffus - pourraient être envisagés, demain, comme des dispositifs de stockage de l'énergie si l'on parvenait à les piloter plus efficacement qu'aujourd'hui. Le chauffage électrique pourrait également très bien participer à l'équilibrage global du système, à condition de gérer convenablement son asservissement.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je souhaiterais poser une dernière question.
Selon vous, monsieur Choné, une incertitude demeure quant aux décisions d'investissement pour l'amélioration du réseau de distribution. Si je vous ai bien compris, il existe une demande pour revenir au niveau de qualité de l'année 2000, mais vous ne comprenez pas exactement ce qu'elle recouvre ?
M. Fabien Choné . - Nous devons effectuer des choix économiques : si l'on réalise tous les investissements prévus, il en résultera des hausses de prix très importantes. Il nous paraît essentiel que les choix politiques entraînant des investissements, des coûts et des évolutions de prix soient clairement assumés et optimisés. En matière d'investissements dans les réseaux pour augmenter la qualité moyenne, nous ne disposons d'aucun élément pour déterminer quel est l'optimum. Or de tels investissements auront des conséquences très importantes sur l'évolution des tarifs réglementés à l'horizon de 2015, puisqu'ils représentent un tiers de la hausse envisagée par le président de la CRE.
Nous souhaitons donc que la doctrine technico-économique qui amène à décider ces investissements très lourds soit clarifiée, rendue plus transparente. Nous voulons connaître les paramètres pris en compte, notamment le niveau de qualité souhaité - le fameux « critère B », c'est-à-dire la durée moyenne annuelle de coupure. Ils doivent faire l'objet d'un choix assumé par tout le monde, ce qui ne nous paraît pas être le cas aujourd'hui. En tout cas, nous ne disposons d'aucune information.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cette demande de qualité correspond aussi à une attente des élus. Pendant dix ans, on a cessé d'investir dans le réseau de distribution en France. Les investissements ont repris depuis 2008, le rattrapage est important, mais un terrible retard s'est accumulé ! Les élus, notamment tous les présidents de syndicat d'électricité de France, demandent qu'ERDF fasse preuve d'une plus grande transparence dans ses choix. Monsieur le rapporteur, nous recevrons prochainement Mme Bellon : vous aurez l'occasion de lui poser votre question directement !
Monsieur Choné, je vous remercie de la précision de vos réponses.