Audition de M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie
(9 mai 2012)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, nous poursuivons notre ordre du jour de cet après-midi avec l'audition de M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie.
Monsieur Merville, je suis ravi que nous ayons réussi à trouver une date. Je sais que vous avez eu quelques problèmes de santé très délicats. Je suis heureux de constater que vous allez mieux physiquement et que vous pouvez être présent aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation. En même temps, il est obligatoire de se rendre à l'invitation d'une commission d'enquête...
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de manière très officielle de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Denis Merville prête serment .)
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie.
Malheureusement, je ne resterai avec vous qu'un quart d'heure, et mon collègue Jean-Pierre Vial continuera à assurer la présidence de cette réunion.
Le rapporteur Jean Desessard vous a adressé un questionnaire assez complet, de manière à entrer très vite dans le vif du sujet.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse rappeler ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Merville aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur le médiateur, j'ai plusieurs séries de questions à vous poser.
Premièrement, pouvez-vous nous présenter brièvement vos fonctions et tirer un premier bilan du point de vue du consommateur de la libéralisation du marché de l'énergie ? Pouvez-vous également commenter l'évolution des prix de l'électricité facturés au consommateur. A-t-elle subi l'impact de la libéralisation des marchés de l'énergie ?
Deuxièmement, pouvez-vous situer au niveau européen la situation du consommateur français d'électricité. Comment sa situation relative a-t-elle évolué depuis dix ans ? Pouvez-vous rappeler les principales caractéristiques de la consommation d'électricité en provenance des particuliers ? Dans quelle mesure la place semble-t-il relativement importante du chauffage électrique apparaît-elle comme un handicap dans la gestion de la demande, et notamment des pointes de consommation en cas de vague de froid ?
Troisièmement, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ? Doivent-ils envoyer un « signal-prix » aux consommateurs correspondant aux coûts complets de production ou faut-il développer les mécanismes de solidarité, afin d'atténuer l'impact ou la variabilité des évolutions de prix pour les consommateurs ? Dans quelle mesure peut-on concilier tarif social et économies d'énergie ?
Quatrièmement, s'agissant de l'évolution future des prix, que pensez-vous de la communication par la Commission de régulation de l'énergie d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ?
Cinquièmement, les énergies renouvelables sont amenées à se développer en France : l'impact prévisible sur les factures d'électricité via la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, vous paraît-il soutenable ? Ce mécanisme vous paraît-il justifié dans son principe ? Est-il trop ou pas assez développé ou mal ciblé ? On pourrait élaborer des mécanismes de financement reposant non pas sur les consommateurs, mais, par exemple, sur le contribuable ou sur les entreprises. Qu'en pensez-vous ?
M. Denis Merville, médiateur national de l'énergie . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir pensé à auditionner le médiateur national de l'énergie. Il est vrai qu'il a fallu trouver une date en raison de petits problèmes de santé, mais je suis très heureux et très honoré d'être ici aujourd'hui.
Je suis accompagné de M. Bruno Lechevin, délégué général, de M. Stéphane Mialot, directeur des services, et de Mme Katia Lefeuvre, chargée des relations institutionnelles.
Vous nous aviez transmis ces questions, ce qui nous a permis de les préparer et de pouvoir vous répondre avec les éléments qui sont les nôtres.
Le médiateur national de l'énergie est l'expression de la volonté du législateur. C'est la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie qui est à l'origine de sa création, en prévision de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz le 1 er juillet 2007 pour tous les clients résidentiels.
La loi précise les deux missions du médiateur : d'une part, recommander des solutions aux litiges entre les consommateurs et les opérateurs, c'est-à-dire les fournisseurs et les distributeurs ; d'autre part, participer à l'information des consommateurs d'électricité et de gaz naturel sur leurs droits et, plus généralement, sur le nouveau contexte dans lequel ils vivent depuis cette époque.
Par la création, en 2006, d'un médiateur national de l'énergie avec cette double mission, la loi française n'a fait qu'anticiper, dans l'intérêt des consommateurs, les objectifs communautaires de protection des consommateurs définis par les directives européennes du troisième paquet « énergie ».
On peut dire que la France est pionnière en Europe dans le domaine de la protection des droits des consommateurs d'électricité et de gaz.
Depuis ma nomination, au mois de novembre 2007, je constate une multiplication des réclamations et des sollicitations, soit directement par courrier et courriel, soit par le biais de notre centre d'appels, Énergie-info, service d'information des consommateurs que nous gérons et que nous cofinançons avec la Commission de régulation de l'énergie, la CRE. En 2011, nous avons eu 410 000 appels.
En 2011, mes services ont enregistré près de 18 000 réclamations, ce qui correspond à une augmentation de plus de 60 % par rapport à 2008.
J'expliquerai ce nombre élevé de réclamations par les deux principales raisons suivantes : d'une part, les dysfonctionnements et la complexité induits par la séparation fournisseur-distributeur, qui a nécessité une refonte des organisations et des systèmes d'information des groupes EDF et GDF-Suez et, d'autre part, l'augmentation importante du prix de l'énergie, qui a incité les Français à s'intéresser davantage à leurs factures, d'autant plus que le contexte économique et social actuel est difficile.
J'ajouterai peut-être qu'il y a aussi la notoriété du médiateur. Quand il n'y avait pas de médiateur, il n'y avait pas de réclamation. La première année, quand il était peu connu, il y avait beaucoup moins de réclamations. Et maintenant... Mais c'est notre mission d'informer et d'être là pour répondre aux sollicitations des consommateurs.
De ma nomination jusqu'à la fin de l'année 2011, j'ai émis 2 334 recommandations. Le rythme s'accélère, et - je le voyais encore tout à l'heure - nous ne sommes pas loin de 3 000 recommandations.
Il y a des recommandations particulières, ponctuelles, pour traiter des problèmes rencontrés par certains consommateurs avec des fournisseurs ou des distributeurs, et il y a des recommandations génériques.
J'ai toujours pensé que le médiateur était là pour apporter, modestement peut-être, sa contribution à un meilleur fonctionnement des marchés et qu'il fallait, au-delà du traitement des cas particuliers, prévenir les litiges similaires en mettant en évidence des dysfonctionnements. Je me souviens avoir émis, parmi les premières recommandations, celles sur les délais de remboursement de sommes indûment payées ; cela m'avait choqué de voir que les personnes avaient payé parfois 1 500 euros ou 1 600 euros et qu'il fallait neuf mois ou un an pour rembourser. Depuis, on l'a dit, et la loi NOME a modifié ou accéléré les choses.
C'est, je le crois, une vision de l'intérêt général de la médiation.
Nous le constatons quotidiennement au travers des courriers et des appels de consommateurs, près de cinq ans après l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie, nombre de Français peinent toujours à trouver leurs repères.
D'après les résultats du cinquième baromètre annuel Énergie-info, seuls 42 % de nos concitoyens savent qu'ils peuvent choisir leur fournisseur d'électricité et 37 % leur fournisseur de gaz. Pourtant, et c'est un paradoxe, lorsqu'on les interroge, les consommateurs nous répondent que l'énergie est un sujet de préoccupation important pour les trois quarts d'entre eux.
Cette étude révèle qu'il y a donc un grand pas entre la perception du marché et la réalité. Les deux tiers des personnes interrogées n'ont pas entendu parler des tarifs réglementés de vente. Une grande confusion perdure à propos des fournisseurs historiques. Ce baromètre montre que 30 % seulement des consommateurs savent que EDF et GDF-Suez sont deux entreprises différentes et concurrentes. Et quand on les interroge sur le rôle du distributeur, ils ont du mal à s'exprimer.
Force est de constater que le système s'est complexifié avec l'ouverture à la concurrence. Il convient de simplifier et de clarifier l'organisation des marchés.
Dans les premiers mois de ma prise de fonctions, on a vu le système ; il y avait à l'époque la non-réversibilité. Nous avions certainement un système qui était parmi les plus complexes en Europe, puisque ce qui était possible pour l'électricité ne l'était pas pour le gaz, ou nécessitait un délai de six mois... les gens ne s'y retrouvaient pas. Dès le départ, en tant que médiateur, j'ai dit qu'il fallait insérer de la confiance et permettre cette réversibilité, ce qui est possible aujourd'hui ; je crois que cela va dans le bon sens. Cela a été une avancée importante. Comme je le demande depuis 2008, la possibilité de revenir aux tarifs réglementés, dans tous les cas, sans condition de délai, est désormais acquise.
Je crois qu'il est absolument nécessaire de poursuivre les efforts d'information et même de pédagogie auprès des consommateurs pour faire progresser la connaissance de leurs droits. Car il ne peut y avoir de marché sain et efficace sans confiance, dans l'intérêt des consommateurs, mais également des divers opérateurs.
Les consommateurs français sont d'ailleurs peu nombreux à avoir changé de fournisseur. À la fin du mois de décembre 2011, les fournisseurs historiques restaient omniprésents sur leur créneau avec 94 % des parts de marché pour EDF dans l'électricité et 91 % des parts de marché pour GDF-Suez dans le gaz.
Jusqu'à récemment, et depuis les années quatre-vingt-dix, les prix de l'électricité évoluaient une seule fois par an à un niveau proche ou inférieur à l'inflation. Depuis 2009, des augmentations plus significatives et plus fréquentes ont été observées, essentiellement liées à l'augmentation des charges de service public.
Cette tendance haussière à un rythme plus fréquent, largement médiatisée, suscite une inquiétude compréhensible chez les consommateurs, qui subissent par ailleurs des hausses beaucoup plus importantes encore avec les autres énergies. Je pense au gaz, qui a augmenté de 60 % entre 2005 et 2011, sans parler de l'essence ou du gazole, qui a augmenté de 64 % entre 2001 et 2011.
Si l'ensemble des consommateurs sont impactés par ces augmentations, il est certain que les ménages vulnérables sont les plus touchés : soit ils ont des difficultés à payer leurs factures, soit ils se privent de chauffage. Nous recevons des courriers en ce sens. Des personnes nous disent effectivement avoir renoncé à se chauffer pendant plusieurs mois. Si cela peut être acceptable au printemps ou à l'été, à condition qu'il fasse beau, ça ne l'est pas quand on arrive à des périodes hivernales.
À l'occasion de la mise en place de l'observatoire national de la précarité énergétique en 2011, la ministre de l'écologie indiquait que 6,5 millions de nos concitoyens avaient déclaré avoir souffert du froid durant l'hiver 2010-2011.
Cela étant, la libéralisation des marchés et la loi NOME ont-elles eu un impact sur l'évolution du prix de l'électricité ? C'était la question que vous nous posiez.
Selon moi, à ce jour, la réponse est non. Ces changements n'ont pas eu d'effet direct sur les prix de l'électricité des clients domestiques : les tarifs réglementés - il y a tout de même 94 % des Français qui en bénéficient encore - ont augmenté essentiellement en raison de la hausse des taxes et des contributions ; j'y reviendrai. Quant aux offres de marché pour les clients domestiques, elles sont pour la plupart à un prix inférieur ou égal aux tarifs réglementés, sur lesquels elles sont d'ailleurs indexées.
Il convient toutefois de souligner que la réorganisation du secteur, en particulier la modification des systèmes d'information, a coûté plusieurs milliards d'euros aux fournisseurs et aux distributeurs. Ces coûts n'ont toutefois pas été automatiquement répercutés sur la facture d'électricité, car des économies ont été réalisées, mais parfois au détriment de la qualité de service : réduction des investissements dans les réseaux, fermeture de nombreuses agences, réduction des plages horaires d'ouverture des services à la clientèle...
Dans le rapport que j'ai remis au ministre chargé de l'énergie au mois de décembre 2010 sur les méthodes de facturation des fournisseurs et le traitement des réclamations, je recommandais que les opérateurs du secteur recréent une relation clientèle, sinon de proximité, du moins plus personnalisée. La disparition des accueils physiques et la mise en oeuvre de serveurs vocaux interactifs doivent-elles être considérées comme une évolution inéluctable des relations commerciales dans le secteur de l'énergie ? À mon sens, certainement pas. Je crois qu'il y a une forte demande de proximité. On le voit dans les courriers que nous recevons. On l'a vu dans les enquêtes qui avaient été menées à l'époque. On regrette souvent un peu de la proximité ou de la personnalisation, que ce soit pour les élus ou les associations de consommateurs.
Comment alors expliquer la hausse récente des prix de l'électricité pour les clients domestiques ? Comme vous le savez sans doute, les taxes et contributions représentent aujourd'hui de l'ordre de 30 % de la facture d'électricité.
Le développement des énergies renouvelables et la péréquation tarifaire dans les zones insulaires contribuent à l'envolée de la contribution aux charges de service public de l'électricité, la CSPE, payée par tous les consommateurs : celle-ci a augmenté de 66 % en 2011. De nouvelles hausses sont déjà prévues - au 1 er juillet prochain, ce sera une hausse de 1,50 euro par mégawatt - ou sont à prévoir.
Voilà pour la première série de questions que vous posiez, monsieur le rapporteur.
Vous m'avez également interrogé sur la situation du consommateur français d'électricité au niveau européen.
Les statistiques dont nous disposons sont celles qui sont publiées par Eurostat pour 2009. Ce n'est pas le médiateur lui-même.
Selon la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, le prix de l'électricité payé par les consommateurs français est inférieur de près de 40 % en moyenne à celui qui est payé par les autres consommateurs européens. Les consommateurs allemands paient leur électricité près de 85 % plus cher. Ainsi, en France, la facture moyenne annuelle d'électricité est de 700 euros environ contre 1 250 euros en Allemagne.
Rappelons pour mémoire que la consommation moyenne annuelle d'électricité d'un ménage français est de 5 mégawatts et de 8,5 mégawatts en cas de chauffage électrique.
Ainsi, en 2010, un ménage français consacrait en moyenne 2 900 euros à l'énergie. Ce budget se répartissait grosso modo de la manière suivante : 1 600 euros pour l'énergie domestique et 1 300 euros pour les carburants.
Selon une enquête de l'Institut national de la consommation, le budget moyen annuel consacré à l'électricité et au chauffage a augmenté - je dirais presque « bondi » - de 32 % en dix ans, entre 2000 et 2010, la facture énergétique mensuelle passant de 115 euros à 150 euros. Sur la même période, l'inflation a augmenté de 18 %.
Selon Réseau de transport d'électricité, ou RTE, et la CRE, lorsque la température baisse d'un degré Celsius, la consommation électrique française à la pointe augmente de 2 300 mégawatts, soit la puissance d'un peu plus de deux réacteurs nucléaires. Cette hausse de consommation représente à elle seule la moitié de la hausse totale observée en Europe dans ce cas.
La pointe de consommation d'électricité lors de vagues de froid telles que celle de l'hiver dernier croît très fortement et fragilise le réseau électrique. La pointe s'explique par le fait que le tertiaire s'additionne au domestique. L'équipement en radiateurs électriques des logements français participe largement à cette très forte thermosensibilité. Certaines régions sont plus touchées que d'autres. Vous savez qu'il y a des appels aux économies d'énergie et au civisme lancés par l'Association des maires de France pour faire en sorte que les collectivités et les bâtiments publics réduisent leur consommation aux heures où nos concitoyens sortent des bureaux.
Le chauffage électrique est un mode de chauffage plus sensible aux problèmes de pointe et d'extrêmes pointes. Il n'est pas nécessairement critiquable en lui-même. Le problème majeur provient essentiellement du fait qu'il a souvent été installé dans des habitations mal isolées, pour des raisons de moindre coût d'investissement. Équiper de chauffage électrique des logements qui sont de véritables « passoires énergétiques » n'est pas efficace et conduit en réalité à augmenter la facture d'électricité des ménages les plus démunis. Se pose alors la question de la précarité énergétique, que j'évoque régulièrement et qui nécessitera des investissements très importants. Mais j'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques instants.
Ajoutons à cela que les politiques publiques d'incitation à l'isolation thermique sont difficilement lisibles pour nos concitoyens, car elles changent fréquemment au gré des lois de finances. D'où un effet relativement limité sur l'amélioration de l'habitat. Nous sommes à une époque où nos concitoyens doivent remplir leur déclaration d'impôts ; quand on regarde ce qui est déductible ou ce qui l'a été ces dernières années, il y a tout de même des changements qui sont très fréquents, et il n'est pas facile parfois, pour les élus que vous êtes, de pouvoir conseiller nos concitoyens.
Vous avez posé une autre série de questions pour savoir si les tarifs actuels de l'électricité paraissaient refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité.
En tant que représentant d'une autorité administrative indépendante, je ne peux pas concevoir que les tarifs réglementés de l'électricité ne reflètent pas le coût réel de l'électricité, ainsi qu'en dispose la loi. ( Sourires .) Toujours est-il que je n'ai, en tant que médiateur, aucun moyen de le vérifier, mais ce sujet dépasse le cadre de mes missions.
En revanche, nous savons, notamment d'après les calculs de la CRE, que le niveau de la contribution aux charges de service public de l'électricité ne couvre pas les coûts réels.
Vous savez comme moi que la CSPE a été instaurée en 2003, qu'elle a connu une évolution notable en 2011, avec une augmentation de 66 %, qu'elle s'élève actuellement à 9 euros par mégawatt et passera à 10,50 euros par mégawatt au 1 er juillet prochain et jusqu'au 31 décembre. Reconduite automatiquement par la loi à 4,50 euros par mégawatt depuis 2006, la CSPE ne permet plus depuis 2009 de couvrir les charges qu'elle est censée financer, c'est-à-dire le soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les zones insulaires et les dispositifs sociaux en faveur des clients en situation de précarité.
La compensation intégrale des charges prévisionnelles 2012 - elle est de 5,2 milliards d'euros, dont 4,3 milliards d'euros correspondent aux charges prévisionnelles au titre de 2012 et environ 0,9 milliard d'euros à la régularisation de l'année 2010 - nécessiterait une contribution unitaire de service public de l'électricité estimée par la CRE à 13,70 euros par mégawatt. La loi de finances pour 2011 limite toutefois la hausse de la CSPE d'une année sur l'autre à 3 euros par mégawatt. Il en résulte pour EDF un défaut de compensation au titre de l'année 2010 de l'ordre de 1 milliard d'euros, qui s'ajoute à ses charges 2012.
Selon la CRE, le retard accumulé sera rattrapé d'ici à 2016 sous réserve que les hausses maximales possibles soient mises en oeuvre chaque année. La CSPE serait alors de 19,50 euros par mégawatt, ce qui représenterait une augmentation de plus de 10 % de la facture globale par rapport à aujourd'hui, sans compter les hausses qui interviendront par ailleurs sur les autres composantes de la facture d'électricité.
Je souhaite également attirer votre attention sur une autre taxe qui figure sur la facture de tous les consommateurs d'électricité, la contribution tarifaire d'acheminement, la CTA, dont le niveau ne couvrirait pas non plus le coût réel. Cette contribution, qui a été instaurée en 2004 et qui représente environ 1 milliard d'euros par an, a pour vocation de financer les droits spécifiques du régime de retraite des agents des industries électriques et gazières dans les activités en monopole.
Au mois de septembre 2010, la Cour des comptes faisait état dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de plusieurs préconisations relatives au régime de ces industries. Elle relevait alors : « L'organisation de la protection sociale dans les industries électriques et gazières se caractérise par une complexité excessive, manquant de cohérence et souvent porteuse de déséquilibres financiers au détriment de la collectivité. Le surcoût supporté par le régime général de sécurité sociale atteint au moins 500 millions d'euros par an ». Afin d'assurer l'équilibre financier, la Cour des comptes recommandait une augmentation de la CTA, qu'elle estimait inéluctable à court terme. On nous dit qu'il manquerait environ 100 millions d'euros par an.
En tout état de cause, et nous y reviendrons, je ne vois que des perspectives d'évolution à la hausse des prix de l'électricité.
Dans ce cadre, il convient, de mon point de vue, de ne pas opposer le fait de faire payer le vrai prix au consommateur en général et l'accompagnement spécifique des consommateurs les plus vulnérables. On peut même aller encore plus loin : seule une aide significative au paiement des factures des plus précaires permettrait d'obtenir une acception sociale des hausses de prix à venir.
Il ne faudrait pas non plus opposer tarif social ou aide au paiement des factures avec les économies d'énergie. L'énergie la moins chère, c'est celle qui n'est pas dépensée. La réduction de la précarité énergétique repose sur deux piliers : d'une part, les aides au paiement des factures et, d'autre part, des aides à la rénovation de l'habitat.
N'accorder que des aides au paiement des factures, ce serait creuser un puits sans fond pour la collectivité. Se contenter des aides à la rénovation de l'habitat alors que des millions de logements doivent être rénovés - dans le plan bâtiment Grenelle, il y a tout de même 800 000 logements qui sont particulièrement énergivores -, ce qui demandera de nombreuses années et des budgets importants, plongerait nombre de concitoyens dans des situations difficiles, voire dramatiques.
Pour l'un comme pour l'autre, il convient d'éviter le « saupoudrage » et de mettre en oeuvre des politiques publiques ambitieuses et sur le long terme.
Dans un premier temps, nous proposons d'améliorer significativement les aides au paiement des factures d'énergie.
Certes, des mesures ont été mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics. Je pense d'abord au tarif de première nécessité, le TPN, et au tarif spécial solidarité, le TSS, à leur récente revalorisation et à leur attribution automatique, dans le cadre de la loi NOME. Tout cela va dans le bon sens. Mais je crois que ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Je rappellerai que le TPN est possible uniquement pour les consommateurs qui sont chez le fournisseur historique. Et on voit des consommateurs dénoncer les alternatifs alors que, en définitive, c'est le texte actuel.
Avec l'automatisation qui a pris un peu de retard, cela concerne environ 1 million de foyers alors que 3,2 millions de ménages sont en situation de précarité d'après les chiffres officiels, un chiffre qui pourrait atteindre les 4 millions vu le contexte économique et social.
Les coûts de gestion et de distribution sont également supérieurs à 10 % des sommes alloués, un ratio qui n'est pas au niveau d'une aide sociale efficace : 10 % de frais de gestion, c'est lourd pour la distribution d'une telle aide.
Afin d'élargir le nombre de bénéficiaires, les sommes qui leur sont allouées et en simplifier la distribution, nous avons proposé de substituer aux tarifs sociaux un « chèque énergie ». Cela mérite bien sûr d'être précisé, au sein des groupes de travail qui avaient été mis en place par Mme la ministre de l'écologie.
Pour nous, ce chèque serait distribué par un organisme spécial, par exemple la caisse d'allocations familiales, la CAF. Cela éviterait les démarches pour ces consommateurs en difficulté. Cela apporterait un appui financier plus important. Et on pourrait évidemment tenir compte des besoins de chauffage de la famille, du foyer, en fonction de sa situation géographique, car il est évident qu'il y a des écarts dans la facture d'énergie selon les régions dans lesquelles nos concitoyens vivent.
Nous sommes favorables à inciter l'ensemble des consommateurs, vulnérables ou pas, à faire des économies d'énergie. Je l'ai évoqué tout à l'heure, et je crois que là-dessus, il y a aussi beaucoup à faire.
Et nous avons plaidé, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, pour que tous les consommateurs aient accès gratuitement à une information en temps réel sur leur consommation, dans le lieu de vie, lors de la mise en place des compteurs évolués. Vous savez que le principe en a été décidé, il y a des expériences, mais si votre compteur se trouve dans votre garage ou dans votre cave, vous n'êtes pas informé de votre consommation. Et cela doit être sur le lieu de vie, ce qui vous permettrait à ce moment-là de pouvoir régler et donc éventuellement consommer moins. Moi, je prends souvent l'image de l'ordinateur que nous avons dans notre voiture : si vous roulez plus vite, votre consommation augmente ; si vous avez une consommation plus écologique, votre consommation baisse et c'est affiché. Donc, aller voir dans son garage ou dans sa cave, je crois que ça n'irait pas dans le sens des économies d'énergie.
Sur l'évolution future des prix et la communication par la Commission de régulation de l'énergie d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs réglementés, je crois que nous partageons l'avis de bien des experts du secteur. L'augmentation du prix de l'énergie est inéluctable, et ce dans ses trois composantes : la fourniture, l'acheminement et les taxes. En effet, quel que soit le scénario d'évolution du « mix énergétique » qui sera décidée, l'augmentation continue de la demande énergétique et le vieillissement des réseaux vont nécessiter des investissements importants qui se retrouveront inévitablement sur les factures d'énergie.
Je crois que la question n'est donc pas de savoir si les prix augmenteront, mais comment, dans quelle proportion et à quel rythme.
J'évoquais tout à l'heure les multiples changements intervenus ces dernières années, les évolutions à plusieurs périodes de l'année. Nous préconisons, dans un souci de simplicité et de pédagogie, que les évolutions soient regroupées une seule fois par an, afin de ne pas donner le sentiment aux consommateurs d'un système incontrôlé, avec des hausses à répétition, qui sont souvent, je le disais, fort médiatisées.
Afin de permettre à chacun d'anticiper les hausses à venir, peut-être faudrait-il un calendrier prévisionnel pluriannuel. Un tel calendrier serait possible dans l'électricité, contrairement au gaz, car les prix sont moins sensibles aux variations des cours mondiaux et davantage liés à des investissements de long terme.
Enfin, comme je le soulignais, il convient d'accompagner ces hausses de mesures d'aide pour les plus démunis et de donner à chaque consommateur les moyens d'économiser l'électricité, que ce soit au travers d'incitations fiscales à l'amélioration de l'habitat, au déploiement massif de services gratuits permettant de suivre ses consommations, comme devrait le proposer le projet Linky, ou de grandes campagnes de sensibilisation conduites par des organismes publics ou parapublics ; je pense par exemple à l'ADEME.
Votre dernière série de questions concernait les énergies renouvelables.
La CRE a estimé les charges dues aux énergies renouvelables en 2020 avec l'hypothèse que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements seront atteints pour l'ensemble des filières et dépassés pour le photovoltaïque. Les charges sont estimées à 7,5 milliards d'euros, soit 110 euros sur la facture d'un client résidentiel moyen et 200 euros sur la facture d'un client qui se chauffe à l'électricité.
Comme je le soulignais en réponse à la question précédente, les aides au paiement des factures devront nécessairement être revalorisées avec de telles hausses. Si nous prenons l'exemple d'un ménage qui se chauffe à l'électricité, sa facture moyenne annuelle est de 1 500 euros. Si ce même ménage est éligible au TPN, le montant du rabais sur sa facture ne peut excéder 136 euros, ce qui est inférieur à sa contribution à la CSPE.
Pour rendre soutenables les hausses de la CSPE, comme de l'acheminement et de la fourniture, il faudra nécessairement renforcer l'effort de solidarité nationale. Rappelons que les aides au paiement de factures ne représentent actuellement que 2 % de la CSPE.
On pourrait également s'interroger sur l'opportunité de maintenir en l'état une solidarité nationale sur les prix de l'électricité qui ne soit pas fondée sur des critères sociaux. Je pense à la péréquation tarifaire dans les zones insulaires. Cela coûte chaque année à l'ensemble des consommateurs français plus de 1 milliard d'euros, un chiffre en forte hausse. Il s'agit de surcoûts de production à base d'énergies fossiles. Ne serait-il pas plus efficace de financer des chauffe-eau solaires thermiques dans les zones insulaires, qui s'y prêtent pour la plupart d'entre elles, plutôt que d'encourager l'installation de chauffe-eau électriques en heures creuses, alors même que les moyens de production ne s'y prêtent pas ? Il faut, me semble-t-il, y réfléchir.
Au-delà de l'évolution de la CSPE, son mécanisme actuel mérite aussi réflexion. Comme je le demandais tout à l'heure, est-il justifié de faire reposer l'essentiel du financement du soutien au développement des énergies renouvelables sur le seul consommateur d'électricité ?
Ne serait-il pas plus équitable, comme le recommande d'ailleurs la Cour des comptes, que le financement du soutien au développement des énergies renouvelables soit partagé par l'ensemble des consommateurs d'énergie, avec une contribution élargie a minima au gaz naturel, voire aux autres énergies ?
On peut également s'interroger sur le mécanisme d'incitation à la production d'électricité d'origine renouvelable, qui est aujourd'hui entièrement fondée sur une « collectivisation » des surcoûts. Un consommateur qui le souhaite, qu'il soit domestique ou entreprise, ne peut pas en pratique contribuer individuellement au développement des énergies renouvelables en payant plus cher de l'électricité dite verte. En effet, les mécanismes d'obligation d'achat n'ont pas permis le développement d'une offre crédible en France dans ce domaine : la plupart des consommateurs se sont détournés des offres d'électricité dites « vertes », car elles revenaient à leur faire payer deux fois l'électricité d'origine renouvelable.
Inciter à l'autoconsommation les petits producteurs serait également souhaitable. L'Allemagne est en train, avec des dispositions, de prendre un peu cette orientation. Aujourd'hui, en effet, une toiture photovoltaïque s'apparente davantage, pour le consommateur-producteur concerné, à un placement financier qu'à une mesure d'efficacité énergétique. Il y a même des campagnes d'information et de communication qui vont en ce sens.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je dirais que la hausse des prix de l'électricité semble aujourd'hui inéluctable. Les Français le savent, et ils s'y attendent. Il serait vain de penser qu'il est possible d'y échapper.
Les pouvoirs publics doivent donc mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour permettre aux foyers les plus vulnérables de faire face à la hausse de leur facture et des politiques publiques favorisant la maîtrise des consommations par l'évolution des comportements et l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Et là, il y a beaucoup à faire ; je parle non seulement des logements, mais aussi de beaucoup de bâtiments publics. J'ai le sentiment que nombre de nos concitoyens, notamment élus, sont aujourd'hui favorables à des économies d'énergie, que ce soit pour des raisons environnementales ou pour des raisons financières.
( M. Jean-Pierre Vial remplace M. Ladislas Poniatowski à la présidence de l'audition .)
M. Jean-Pierre Vial, président . - Monsieur le médiateur, je vous remercie de cette présentation.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou . - Je souhaite poser une question et en même temps dresser un constat.
Il y a tout de même quelque chose de surréaliste. Nous sommes la cinquième puissance mondiale, et vous nous expliquez que, pour de multiples raisons, l'évolution quasi « exponentielle » des tarifs de l'énergie est une fatalité. Certes, elle est un peu moins importante pour l'électricité que pour le gaz et les carburants. Notons au passage que, dans les trois cas de figure, les augmentations sont pour une large part liées aux taxes.
J'aurais aimé vous entendre parler des difficultés incommensurables dans l'accès au tarif social. C'est un véritable maquis. Un nombre non négligeable de nos concitoyens, soit par ignorance, soit pour d'autres raisons, sont passés totalement à côté du dispositif. J'ose affirmer que la puissance publique n'a pas dû trop les encourager ou leur faciliter l'accès.
Au fond, c'est la triple peine. Déjà, ceux qui ont du mal à se chauffer sont les mêmes que ceux qui ont du mal à se déplacer ; et, en plus, on a inventé un terme très pudique : « précarité énergétique ». Vous l'avez d'ailleurs évoqué : en France, dans - je le répète - la cinquième puissance mondiale, certains n'ont pas pu se chauffer ! Voilà ce que signifie la « précarité énergétique ».
Et, à l'autre bout de la chaîne, on nous parle du compteur Linky. En clair, des personnes qui sont relativement prémunies contre les risques liés à la qualité de l'habitat et qui, cerise sur le gâteau, ont souvent une voiture hybride sauront désormais, grâce au compteur Linky, qu'il vaut mieux faire marcher la machine à laver à dix-neuf heures quarante-huit plutôt qu'à vingt-deux heures quinze !
Dans certains quartiers populaires, par exemple dans le canton que je représente, il y a encore un habitat type années soixante, avec des cloisons aussi épaisses que du papier à cigarette et des grille-pain en guise de radiateur, parce que c'est la solution de facilité pour celui qui met l'appartement en location.
Lorsque vous concluez votre intervention en expliquant que l'augmentation des tarifs va se poursuivre, car c'est une fatalité, moi, cela m'alarme tout de même un peu.
Cela me rappelle les propos du président-directeur général de Total, qui justifie le tarif du litre de super, 2 euros, en expliquant « mobiliser » ses bénéfices - ce n'est tout de même pas une bagatelle ; cela représente quelques milliards d'euros ! - pour répondre à des besoins d'investissement. Que lui le fasse - après tout il est un peu émancipé de la tutelle de l'État -, mais nous, nous devrions, me semble-t-il, pouvoir offrir une autre perspective à nos concitoyens sur les tarifs de l'électricité.
Certes, vous n'êtes pas responsable, monsieur le médiateur. Mais vous êtes par définition le réceptacle des mécontentements.
M. Jean Desessard, rapporteur . - En voici un ! ( Sourires .)
M. Jean-Jacques Mirassou . - Vous ferez passer le message, mais il va falloir faire vite quand même ! ( Nouveaux sourires .)
J'ai apprécié ce que vous avez dit, notamment sur le chèque. Mais ne serait-il pas finalement plus simple d'avoir une modulation des prix de l'énergie ? Certes, c'est très compliqué. La consommation énergétique n'a rien à voir selon que l'on habite dans les Pyrénées-Orientales ou au fin fond de l'est du pays. C'est donc plus une opinion qu'une interrogation, hormis sur le cas du tarif social, que je souhaitais exprimer. Le constat que vous avez dressé est exhaustif et très précis, mais la situation est drôlement injuste pour ceux qui la subissent depuis la nuit des temps.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch . - Monsieur le médiateur, vous nous avez fait un bilan très complet et très complexe de ce qui existe aujourd'hui.
Nous sommes un peu effarés en effet de constater que près de 4 millions de ménages - vous l'avez souligné - sont en situation de précarité énergétique. En même temps, vous nous dépeignez avec justesse la complexité des systèmes d'aide, la complexité aussi du paiement de la facture pour les énergies renouvelables. Peut-être faudra-t-il aussi revoir notre système de péréquation avec nos collègues des îles.
Toutefois, je voudrais vous interroger très tranquillement. N'est-il pas temps aujourd'hui de réfléchir à un pôle public de l'énergie ? Vous avez souligné qu'il n'était pas juste de faire payer la facture du soutien aux énergies renouvelables aux consommateurs d'électricité. Même si cela ne relève pas vraiment de vos compétences, j'aimerais connaître votre sentiment sur la création d'un tel pôle public.
Votre exposé très complet met bien en lumière la complexité des choses. Nos concitoyens n'arrivent pas à régler leurs factures et n'arrivent même pas à accéder aux aides.
Voilà pourquoi nous pourrions réfléchir à un pôle public de l'énergie. Nous sommes au pied du mur pour le renouvellement de nos centrales et pour savoir s'il faut ou non continuer avec l'énergie nucléaire. N'est-il pas temps de réunir les salariés, les usagers, les chercheurs et les opérateurs historiques autour d'une table pour construire un système plus clair, plus transparent ? Et s'il y a des hausses, il faut qu'elles soient acceptables, donc avec une belle harmonisation entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne peuvent pas. Il nous faut un système plus simple.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Ma question s'adresse à l'observateur avec un peu de recul que vous êtes, mais elle fait écho à ce qui vient d'être dit.
L'organisation est assez étonnante : finalement, la distribution et le transport, qui sont par ailleurs en situation de monopole, se retrouvent filiales du principal fournisseur, doivent financer la maison-mère et servent même de garantie financière pour le démantèlement de demain.
Cela ne vous semble-t-il pas totalement aberrant ? Ne trouvez-vous pas que cela ne va pas du tout dans le sens de la rationalité de l'action publique ? En plus, cela a un coût pour le consommateur : les filiales, qui sont porteuses d'intérêt général, doivent verser des dividendes à la maison-mère, qui est le producteur, mais qui n'est même pas le plus gros employeur de l'ensemble.
J'aimerais donc entendre votre point de vue sur cette organisation assez étonnante.
Par ailleurs, pouvez-vous développer un peu votre propos sur les offres vertes, qui m'a beaucoup intéressé ? Le consommateur se retrouve à payer deux fois avez-vous dit. Avez-vous des suggestions sur le sujet, par exemple sur l'autoconsommation ? Voilà qui nous permettrait de dépasser le stade du constat et de formuler des propositions.
M. Jean-Pierre Vial, président . - Puisqu'il s'agit d'un tir groupé ( Sourires ), je vais également poser une question.
Vous avez évoqué tout à l'heure la facturation du ménage moyen et le cas particulier des ménages ou des familles en situation de précarité, notamment au regard de leur logement. Avez-vous des chiffres plus précis sur le coût de la facturation moyenne pour ces ménages qui viendraient illustrer votre propos ?
M. Denis Merville . - Je vais essayer de faire face à ce tir groupé, même si beaucoup de questions dépassent les compétences du médiateur national de l'énergie. ( Sourires .)
Je reçois beaucoup de courriers sur l'augmentation des tarifs ; nous sommes largement interpellés sur le sujet. Comme vous le savez, la fixation des tarifs relève de la CRE et des pouvoirs publics, et non du médiateur.
Cela étant, je me fie aussi aux experts. Tout le monde dit que le prix de l'énergie va augmenter.
D'abord, en dépit des efforts, la demande mondiale augmente et continuera d'augmenter.
Ensuite, il y a quand même des investissements importants à réaliser, quel que soit le « mix énergétique ». Il y a un audit sur nos centrales nucléaires, et il y aura des milliards d'euros d'investissements à mobiliser. Sur les réseaux aussi, des investissements seront nécessaires.
Enfin, je suis interpellé aussi sur la qualité dans certaines régions. Lorsqu'on installe de la géothermie, il arrive que le réseau ne suffise pas pour certains hameaux isolés. Là aussi, ça coûte très cher.
Par conséquent, j'ai toujours dit que les tarifs - je n'ai pas donné le chiffre fourni par la CRE - allaient augmenter.
En revanche, nous disons qu'il faut faire un effort pour les plus vulnérables, afin de rendre ces hausses acceptables pour nos concitoyens.
Il est vrai que la mise en place des tarifs sociaux, même si elle est relativement récente, est certainement insuffisante.
D'abord, et je l'ai souligné tout à l'heure, pour avoir accès au TPN, il faut être chez EDF, et pas chez les alternatifs ou même chez le grand historique GDF.
Ensuite, la remise est la même que vous vous chauffiez ou non à l'électricité.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument.
M. Denis Merville . - Cela pose un problème.
Mme Mireille Schurch . - Tout à fait.
M. Denis Merville . - La facture moyenne est de 600 euros ou de 650 euros ; si vous êtes chauffé à l'électricité, c'est 1 600 euros. Nous avions préconisé une augmentation. Le ministre chargé de l'énergie a pris des dispositions, je l'ai dit, qui vont dans le bon sens ; il n'empêche que cela reste modeste.
En plus, il y a un gros écart. D'après les estimations, les ayants droit TPN et TSS, c'était 2 millions de foyers. Il faut faire des démarches. Nos travailleurs sociaux sur le terrain, que ce soit ceux des centres communaux d'action sociale, les CCAS, - nous avons passé une convention avec l'union nationale des CCAS - ou ceux des conseils généraux, ne peuvent pas tout connaître. Et il y a des démarches à accomplir.
Une enquête a été faite. Je suis allé dans le département de l'Aube, qui s'était penché là-dessus. Souvent, dans l'habitat dégradé, il y a des boîtes aux lettres où les noms ne figurent pas toujours ; il y a une déperdition considérable.
Aussi, l'automatisation prévue par la loi NOME, même si ça peut poser des problèmes, par exemple par rapport à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, va dans le bon sens. Cela évite les démarches et les déperditions que je viens d'évoquer.
Mais cela reste tout de même modeste. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est 2 % de la CSPE, alors que les énergies renouvelables ou la péréquation représentent quand même des sommes beaucoup plus importantes.
Sur la précarité énergétique, les chiffres officiels donnent effectivement 3,2 millions. Mais, et je l'ai indiqué, nous ne sommes sûrement pas loin de 4 millions.
Vous m'avez également interrogé - cette question dépasse largement les compétences du médiateur - sur l'idée d'un grand pôle public de l'énergie. Pour ma part, j'ai entendu dire qu'il y aurait un grand débat sur l'énergie.
Mme Mireille Schurch . - Vous êtes favorable à un grand débat, déjà ! ( Sourires .)
M. Denis Merville . - Ce sera l'occasion d'en discuter et de prendre des positions sur le sujet. Mais je ne peux pas vous répondre en tant que médiateur.
Vous avez parlé de « complexité ». Ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, la mission du médiateur - cela surprend parfois - est double : il doit recommander des solutions aux litiges et informer. Lorsque d'autres médiateurs me demandent si je suis chargé d'informer, je leur réponds : « Avec d'autres. »
En fait, nous avons été seuls au moment de l'ouverture des marchés. Votre collègue Jean-Claude Lenoir a été nommé médiateur en 2007, puis je lui ai succédé au bout de quelques mois. Au début, je me suis retrouvé sans équipe. Notre première campagne d'information a été beaucoup plus tardive, avec les moyens qui nous ont été donnés par les pouvoirs publics. Mais nous avons été un peu seuls lorsqu'il s'est agi d'informer. Toutes les études - je vous ai donné les chiffres - montrent qu'il y a encore un gros effort de pédagogie et d'information à faire, notamment entre distributeurs et fournisseurs.
Vous m'avez interrogé sur les offres vertes. Aujourd'hui, il est possible pour un consommateur d'avoir de l'énergie verte, mais c'est effectivement plus cher. Et à travers la CSPE, il participe déjà au soutien des énergies renouvelables.
Prenons le cas du moratoire sur le photovoltaïque. On a quand même assisté à l'explosion du photovoltaïque. Je pense que vous avez vu fleurir dans nos villages, dans nos communes, éventuellement dans nos champs, des toitures pour faire du photovoltaïque ; ça rapportait plus que l'agriculture. Mais cela pose quand même des problèmes. Il y a donc eu un moratoire. Il n'empêche que cela figure dans la CSPE.
Par conséquent, celui qui veut de l'énergie verte paie deux fois. Il paie plus cher sur sa facture et, ensuite, il paie plus cher par la CSPE, pour la solidarité.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué qu'il faudrait peut-être réfléchir - certains pays semblent s'engager un peu dans cette voie - à l'autoproduction et à l'autoconsommation. À une époque, on a parlé du solaire thermique. Aujourd'hui, il faut passer par un prix de rachat, alors que cela pourrait être un moyen de réduire la facture énergétique.
Vous m'avez aussi demandé si j'avais des chiffres précis sur la précarité.
Certes, ce n'est pas la vocation première du médiateur de traiter ces problèmes-là. Mais si nous sommes sollicités, si j'ai dû mettre plusieurs collaborateurs ou collaboratrices à répondre à nos concitoyens les plus en difficulté pour payer leur facture, c'est souvent qu'il y a des problèmes de contact, de dialogue avec le terrain, avec les fournisseurs. En plus, il y a parfois la perte de proximité, que j'évoquais tout à l'heure.
Nous sommes donc sollicités en désespoir de cause par des gens dont la facture moyenne s'élève, je le rappelle, à 1 900 euros. Et 1 900 euros quand on est aux minima sociaux, c'est un peu difficile ! On n'a pas de pouvoir particulier, mais, par les contacts que l'on entretient avec les fournisseurs, et après analyse des dossiers, on essaie, si c'est justifié bien sûr, d'obtenir des délais, qui n'ont pas toujours été accordés sur le terrain ou alors, les procédures n'ont pas été suivies.
En hiver, en période de grand froid, j'ai remarqué qu'il n'y avait pas de trêve des coupures. Certains m'ont dit : « On ne peut pas imaginer une trêve des coupures pour vingt millions de consommateurs ». Certes, mais il y a tout de même des maladresses. Couper l'énergie à une famille le 24 décembre ou le 31 décembre, ce n'est quand même pas très heureux ! On ne peut pas imaginer que nos concitoyens en difficulté ne puissent pas se chauffer, préparer leur repas ou celui de leurs enfants ces soirs-là. Donc, je crois qu'il y a quand même une réflexion à mener.
En tout cas, aujourd'hui, environ 15 % de nos sollicitations concernent des consommateurs en difficulté de paiement. C'est tout de même important, et c'est allé en augmentant incontestablement au cours de ces dernières années. Certes, des dispositions ont été mises en place par les opérateurs. Il y a des instruments pédagogiques - vous voyez peut-être ça sur le terrain, avec les conseils généraux, avec les associations de maires parfois - pour rappeler certaines règles : un degré en plus ou en moins, c'est 7 % ; quand on quitte une pièce, on peut éteindre l'électricité.
Des efforts sont faits, mais cela reste tout de même difficile.
Je vous ai donné le chiffre de 1 900 euros. Parfois, ça va encore plus loin.
M. Jean-Pierre Vial, président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.
M. Alain Fauconnier . - Je voulais avoir votre avis sur les problèmes de location. Aujourd'hui, quand on loue un logement, il y a une sorte de bilan énergétique du logement, avec un classement : A, B, C, D, etc.
Puisqu'on parle parfois de mieux réguler les loyers à la relocation, ne pourrait-on pas imaginer que, sur trois ans ou deux relocations successives, il soit impossible de mettre sur le marché de la location des logements aussi énergivores ? Certains logements sont des passoires, et c'est même quasiment affiché. C'est absolument scandaleux !
Y a-t-il des pistes pour contraindre les propriétaires ? On peut aussi envisager des aides. Car on sait que ce sont les plus pauvres qui vont dans ces logements-là !
M. Denis Merville . - Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, ce point a notamment été soulevé.
J'évoquais tout à l'heure le plan bâtiment Grenelle avec les 800 000 logements les plus énergivores. C'est vrai que les aides de l'Agence nationale de l'habitat, l'ANAH, doivent vraiment être réorientées, me semble-t-il, en ce sens. C'est vrai qu'il y a des aides des départements et des régions, ou des crédits d'impôt.
Le problème, c'est qu'il faut que ce soit peut-être un peu stabilisé. En tant qu'élus, vous voyez des administrés qui ont déduit de leur feuille d'impôts une facture parce qu'ils ont fait tels ou tels travaux et qui ont eu un rappel d'impôts ensuite. Les gens ne comprennent plus, et ils n'ont plus confiance.
Et puis, il y a celles et ceux qui ne sont pas imposables. Et là, il y a des travaux à faire. Et vous savez comme moi - cela a été souligné aussi - qu'il n'y a pas eu de prêt particulier ou d'aide particulière pour inciter les bailleurs sociaux ou les collectivités à faire des travaux.
Et pourtant, je crois que c'est important pour la facture. C'est important aussi, permettez-moi de le dire, pour l'emploi : il s'agit de travaux dans un secteur, le bâtiment, qui n'est pas délocalisable, et cela peut contribuer à relancer un peu l'emploi dans notre pays.
Sur les obligations nouvelles aujourd'hui, je pense qu'il faudra donc avancer tout de même dans les années à venir. Les logements sont effectivement classés. Vous voyez cela en mairie ; aujourd'hui, dès lors qu'il y a une vente chez le notaire, il faut donner la consommation du logement. Alors, il n'y a pas de moyens, sauf des incitations. On a vu dans les 800 000 logements les plus dégradés. C'est souvent à la campagne, contrairement à ce que certains pensent. Des petits propriétaires ou des propriétaires âgés ne connaissent pas trop les aides possibles. Il faut les inciter à faire des logements.
L'autre jour, je voyais le locataire d'une maison ancienne, avec des hauteurs sous plafond de trois mètres, qui avait une consommation d'énergie extraordinaire. Il n'y avait aucune isolation. Et la propriétaire de ce logement était une veuve de quatre-vingt-dix ans. Comment faire pour l'inciter à faire des travaux ? Ce n'est pas évident, d'autant que les démarches administratives sont parfois lourdes...
Certes, il y a les points Énergie-info qui existent sur le terrain. Les élus font des études, par exemple sur la thermographie. Vous avez des gens pour renseigner. Mais ensuite, il y a l'aide de l'État, l'aide de la région, l'aide du département... il faut monter un dossier, quand ce n'est pas plusieurs.
Une personne de quatre-vingt-dix ans, qui est propriétaire d'un logement vétuste, n'est pas forcément incitée à faire des travaux. Les locataires en subissent les conséquences, et c'est la faute du propriétaire. Mais comment faire dans ces cas-là ?
M. Jean Desessard, rapporteur . - Monsieur Merville, je vous remercie de cette présentation très complète, avec des exemples très précis, notamment sur ce qu'on appelle la « précarité énergétique ». Lorsque cela se traduit par des coupures de chauffage, ça prend une dimension tout de suite dramatique pour les personnes concernées.
Auriez-vous un recensement de l'ensemble des impayés qui peuvent exister en France ?
M. Denis Merville . - Comme je vous le disais, on a fait des statistiques sur les personnes ayant des difficultés de paiement. Quel est le montant de leur dette ? En moyenne - le chiffre est cité dans le rapport d'activité -, c'est 1 900 euros. Dans les cas extrêmes, ça peut monter à 4 000 euros, à 5 000 euros. Parfois, c'est beaucoup moins. Mais réclamer des sommes de 300 euros, 400 euros ou 500 euros à des personnes qui sont à la couverture maladie universelle complémentaire sans leur accorder de délai, cela pose évidemment des problèmes.
M. Jean-Pierre Vial, président . - Je vous remercie.