Audition de MM. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), et Pascal Sokoloff, directeur général des services
( 28 mars 2012 )
M. Ladislas Poniatowski, président . - Mes chers collègues, notre ordre du jour de ce matin appelle l'audition de M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et de M. Pascal Sokoloff, directeur général de cette même fédération.
Comme vous le savez, messieurs, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait ainsi application du « droit de tirage annuel » ouvert à chaque groupe politique du Sénat - afin de déterminer le coût réel de l'électricité.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à MM. Xavier Pintat et Pascal Sokoloff, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Pintat, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Xavier Pintat prête serment .)
Monsieur Sokoloff, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
( M. Pascal Sokoloff prête serment .)
Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment de quelles informations vous avez besoin pour votre enquête, sachant que MM. Pintat et Sokoloff auront ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, et l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourrez leur poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Messieurs, je vais donc rappeler la teneur des questions qui vous ont été adressées par nos soins.
Premièrement, quelles sont les dépenses liées aux réseaux de distribution d'électricité qui incombent, en droit et en pratique, aux collectivités locales ? Comment sont-elles financées ?
Deuxièmement, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien « en ligne » avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?
Troisièmement, quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences qui en résulteraient pour le TURPE, en fonction du niveau de qualité souhaité et du développement futur des sites de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables ?
Quatrièmement, quel doit être le coût du déploiement du compteur « intelligent » Linky chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de la mise en place de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?
Cinquièmement, quelle contribution les collectivités peuvent-elles apporter en matière d'économies d'énergie, afin de réduire la facture électrique des collectivités, mais aussi celle des particuliers ? Quel jugement la FNCCR porte-t-elle sur le mécanisme des certificats d'économie d'énergie en termes de rapport entre le coût du dispositif et les économies d'énergie obtenues ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Avant de vous donner la parole, messieurs, je tiens à vous rappeler que nous n'attendons pas de vous des explications techniques. Par exemple, nous connaissons tous le fonctionnement du compteur Linky et son coût. En revanche, la commission d'enquête souhaite prendre connaissance du point de vue de la FNCCR sur ces questions.
Monsieur Pintat, vous avez la parole.
M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies . - Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir tenu à auditionner des représentants de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Je rappelle que notre fédération regroupe les collectivités et les régies organisatrices des services publics de réseau. Bien sûr, notre coeur de métier à l'origine, au début du XX e siècle, était la distribution d'électricité, mais nos activités se sont étendues ensuite aux autres formes d'énergie, à l'eau, à l'assainissement et, plus récemment, à la fibre optique.
Je répondrai aux questions relatives aux grands enjeux et vous exposerai notre sentiment sur l'évolution du paysage énergétique. M. Pascal Sokoloff, notre directeur général, est un fin connaisseur des problèmes juridiques et techniques et pourra approfondir certains points, si vous le souhaitez.
Pour répondre à votre première question, monsieur le rapporteur, il convient tout d'abord de procéder à un rappel concernant les dépenses incombant aux collectivités locales et leur financement.
Une première catégorie de dépenses à la charge des collectivités concédantes, dont le montant s'élève grosso modo à 1 milliard d'euros par an, correspond, en règle générale, au raccordement au réseau et au renforcement du réseau en basse tension dans les zones rurales, sauf dans treize départements qui ont choisi de conserver le « régime urbain ». Il existe en effet deux régimes en France : le régime rural, où les autorités organisatrices de la distribution d'électricité, les AODE, sont maîtres d'ouvrage ; le régime urbain, où ERDF est maître d'ouvrage délégué pour le compte des communes. À ces dépenses s'ajoutent les travaux d'amélioration esthétique et de sécurisation, en zone rurale et parfois en zone urbaine, en vertu de l'article 8 des cahiers des charges de concessions. J'insiste sur le fait que les travaux de renforcement et d'amélioration réalisés par les collectivités concédantes évitent au distributeur ERDF de renouveler les ouvrages concernés. Les collectivités concédantes participent donc activement, dans une certaine mesure, au renouvellement des réseaux, y compris en régime urbain.
Une deuxième catégorie de dépenses est à la charge des collectivités responsables de l'urbanisme et/ou de la voirie. Il s'agit, d'une part, des contributions versées au maître d'ouvrage des travaux d'extension, adossées à la participation pour voirie et réseaux, la PVR, et, demain, à la taxe d'aménagement - elles peuvent également être prises en charge, si tel est le choix des collectivités concernées, par la fiscalité directe locale, en l'absence de taxe d'aménagement. D'autre part, les collectivités responsables de l'urbanisme doivent également s'acquitter de la participation aux travaux d'enfouissement.
En ce qui concerne la répartition des investissements de raccordement par maître d'ouvrage, les chiffres dont nous disposons sont des approximations, issues du croisement de diverses sources - notre fédération travaille activement à la mise en place d'un observatoire statistique national des autorités organisatrices de la distribution d'électricité, mais celui-ci n'est pas encore opérationnel. D'après ces chiffres, les AODE assument un peu moins d'un cinquième du volume financier de la maîtrise d'ouvrage de l'ensemble des travaux de raccordement. La répartition complète s'établit ainsi : 69 % pour les gestionnaires de réseau de distribution, 17 % pour les AODE et 14 % pour les aménageurs.
Il est important de se faire une idée précise de la répartition des flux financiers. Les autorités organisatrices de la distribution d'électricité bénéficient de deux types de ressources financières : d'une part, celles qui sont issues du TURPE, c'est-à-dire les subventions du Fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACÉ, les redevances de concession ou ce qui leur est assimilé - la contribution prévue à l'article 8 du cahier des charges des concessions, la part couverte par le tarif, ou PCT - et, d'autre part, celles qui sont essentiellement issues des taxes locales sur l'électricité et des recettes liées à l'extension des réseaux. Celle-ci peut en effet faire l'objet soit d'une participation directe des pétitionnaires au titre des équipements propres ou des équipements publics exceptionnels, soit d'une contribution des collectivités chargées de l'urbanisme, via la PVR si elles le souhaitent - c'est une question que connaît bien M. Jean-Claude Lenoir, en tant que président du Conseil supérieur de l'énergie.
Pour compléter cette présentation des financements, il est également intéressant d'identifier si ceux-ci proviennent de la péréquation nationale ou des ressources locales. En effet, plus la péréquation nationale est faible, plus il faut faire appel aux ressources locales. La péréquation nationale, en matière d'électricité, repose sur le TURPE, qui alimente le FACÉ et les redevances de concession perçues par les AODE. Les autres ressources sont locales : il s'agit de la taxe sur l'électricité, des contributions d'urbanisme et, en dernier recours, des impôts directs locaux, si aucun autre dispositif n'est prévu. Le débat sur le niveau du TURPE a donc des implications directes sur le degré de péréquation nationale du système électrique, car un niveau insuffisant risque de provoquer un transfert de charges vers les collectivités locales, qui se traduira par une hausse des contributions d'urbanisme - comme on l'a constaté dans les zones urbaines lorsque le dispositif a été mis en place - ou une augmentation du taux de la taxe sur l'électricité, si celui-ci n'a pas déjà été fixé au maximum.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous venez de nous indiquer qu'un coût n'est pas intégré aujourd'hui dans le prix de l'électricité, celui qui correspond au financement, par les collectivités locales, des réseaux de distribution. Si le TURPE baisse, les collectivités sont davantage mises à contribution. Estimez-vous, oui ou non, qu'il s'agit bien d'un élément du coût de l'électricité ?
M. Xavier Pintat . - Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est un élément qui n'est pas facturé au consommateur !
M. Xavier Pintat . - Non, mais il participe du coût de l'électricité, parce que les raccordements sont obligatoires ! Quand le financement de ces travaux n'est pas entièrement couvert par les tarifs de l'électricité, il faut trouver d'autres ressources : elles sont fournies soit par le pétitionnaire, soit par la collectivité chargée de l'urbanisme.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Ce coût n'est pas supporté directement par le consommateur, mais il incombe malgré tout à la collectivité ?
M. Xavier Pintat . - Il est un peu payé par le pétitionnaire si la PVR est perçue, mais M. Sokoloff pourra vous répondre plus précisément sur ce point.
M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies . - Il s'agit en effet d'un sujet important auquel nous souhaitons vous sensibiliser. Le système électrique a un coût global dont on n'appréhende souvent qu'une seule composante, le TURPE, en ignorant complètement que les collectivités organisatrices assument localement une part importante de son financement. Dans certains départements, le niveau d'investissement de la collectivité, assuré sur ses propres ressources, est supérieur à celui du concessionnaire ERDF. Il faut le savoir !
Il serait donc opportun de revenir à une vision globale du coût de fonctionnement et d'investissement du système, en tenant compte de la part qui échoit aux collectivités locales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Première observation, nous sommes au coeur du sujet. Deux notions doivent être prises en compte : le prix de l'électricité et son coût - d'où l'intitulé retenu pour cette commission d'enquête.
Seconde observation, nous sommes en train de démontrer que certains coûts ne sont pas pris en compte dans le prix de l'électricité. Or nous sommes sous la surveillance des autorités européennes, qui, au vu de certaines déclarations, n'hésiteront pas à souligner que le prix payé ne reflète pas pleinement une partie des coûts. Je me tourne donc vers ceux de nos collègues qui ont pris l'initiative de demander la constitution de cette commission d'enquête : cette démonstration va réjouir les autorités européennes, qui cherchent depuis longtemps à mettre en évidence ce qui n'est pas pris en compte dans la facture d'électricité, c'est-à-dire dans le prix.
Un certain nombre d'éléments, tel que celui que nous venons d'évoquer, font l'objet d'un débat. Reste à savoir ce qui doit relever du prix et ce qui doit relever du coût !
M. Xavier Pintat . - Vous avez anticipé sur notre propos, monsieur le sénateur. Nous n'aborderons cet aspect que dans le cadre de notre réponse à la deuxième question.
Lorsque nous évoquons la répartition approximative du financement des investissements dans les réseaux de distribution publics, nous nous fondons sur des sources remontant à 2009. Je le précise, parce que la situation a considérablement évolué depuis. Mais je laisse la parole à M. Sokoloff sur ce point.
M. Pascal Sokoloff . - Il me semble important d'attirer votre attention sur le fait que les chiffres que nous nous permettons de produire ont un caractère d'illustration et que nous ne pouvons pas en garantir l'exactitude statistique. Nous souffrons d'un véritable déficit d'informations consolidées au niveau national sur l'ensemble de ces flux. La FNCCR travaille par recoupements : elle essaie de mobiliser le maximum d'informations et de les mettre en cohérence.
En ce qui concerne les investissements dans le réseau de distribution, les chiffres dont nous disposons reflètent la situation en 2009. Or celle-ci a considérablement changé depuis cette date, comme l'a souligné M. Pintat, puisqu'un certain nombre de paramètres ont été modifiés, en particulier s'agissant du financement des raccordements : on a introduit la notion de réfaction tarifaire, les règles ayant été modifiées pour les producteurs. Les chiffres ont donc probablement substantiellement évolué.
M. Xavier Pintat . - J'ai évoqué tout à l'heure la mise en place d'un observatoire statistique, je n'y reviens pas. Par ailleurs, M. le président le sait bien, nous organisons actuellement des conférences départementales pour recenser les besoins d'investissement et obtenir ainsi une vision précise de ce qui se passe dans l'ensemble de notre pays.
M. Ladislas Poniatowski, président . - L'Eure a été le premier département à organiser cette conférence !
M. Xavier Pintat . - Vous avez été exemplaires ! Maintenant, il faut que ces conférences aient lieu dans l'ensemble des départements. Votre commission d'enquête, mais aussi la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, pourront ainsi disposer d'une vision assez exacte de la situation sur le terrain.
Les chiffres que nous vous présentons ont le mérite d'illustrer les enjeux de la péréquation, en détaillant le mode de financement de l'ensemble des travaux sur les réseaux de distribution publique : les ressources locales, hors TURPE, finançaient en 2009 un peu moins du quart de ces travaux, et nous pensons que cette proportion est beaucoup plus importante aujourd'hui.
En ce qui concerne les investissements pour le raccordement, c'est-à-dire le branchement et les extensions, les ressources locales - fiscalité, contributions d'urbanisme, vente de parcelles - les financent à hauteur du tiers.
M. Pascal Sokoloff . - En 2012, nous pensons que la part des investissements financée par des ressources locales est substantiellement supérieure au tiers, parce que, depuis 2009, a été introduit le mécanisme dit de « réfaction tarifaire » : une partie du coût des raccordements est couverte par le tarif, dans une proportion fixée par voie réglementaire à 40 %. Pour le consommateur, 60 % des coûts de raccordement sont couverts non pas par le tarif, mais par des ressources locales. Nous avons beaucoup de mal à parvenir à un chiffre précis, parce que divers éléments rétroagissent. En particulier, un gros travail a été réalisé pour préciser dans quelle mesure le tarif couvrait ou non les renforcements associés aux raccordements - M. Lenoir connaît bien ce sujet -, mais nous ne disposons d'aucun élément de bilan : ces chiffres doivent donc être considérés avec beaucoup de précautions.
M. Xavier Pintat . - Par sa deuxième question, M. le rapporteur demande si le niveau actuel du TURPE est « en ligne » avec les investissements dans les réseaux de distribution.
Nous tenons à souligner l'existence de trois anomalies dans la gouvernance du système électrique.
En premier lieu, la CRE a prévu une remontée des investissements sur la période tarifaire - ce qui est une bonne chose ! -, mais la trajectoire d'investissement retenue au titre du TURPE 3 pour ERDF ne sera pas respectée sur cette période.
En deuxième lieu, en ce qui concerne les renouvellements, les cahiers des charges prévoient que les concessionnaires doivent constituer des provisions, mais la CRE ne les a jamais prises en compte dans les charges couvertes par le TURPE 3 : elles doivent donc être couvertes par la rémunération du concessionnaire - je rappelle que le taux de rémunération s'établit à 7,25 % des investissements.
En troisième lieu, le distributeur ERDF est contractuellement chargé des travaux de renouvellement, pour lesquels il est rémunéré, mais les AODE, par leurs travaux d'enfouissement et de sécurisation, participent elles aussi directement à la fonction de renouvellement. Dans ces conditions, l'investissement de l'autorité organisatrice devrait engendrer une couverture tarifaire équivalente à celle dont bénéficie ERDF, or tel n'est pas le cas : la couverture tarifaire des investissements réalisés par les AODE est moindre. M. Sokoloff va vous apporter des explications plus détaillées à cet égard.
M. Pascal Sokoloff . - Comme nous le faisait observer tout à l'heure M. Lenoir, cette question révèle l'existence de « coûts cachés », tout du moins de coûts que le régulateur national, la CRE, n'a pas pris en compte correctement dans la construction tarifaire du TURPE 3. Quelques précisions techniques vous permettront de mieux comprendre la logique de notre position.
Schématiquement, la construction tarifaire de la CRE est la suivante : quand un investissement est concédé, il produit une couverture tarifaire. Lorsqu'un équipement est mis en concession par ERDF, les dotations aux amortissements sur la durée du bien - quarante ans est la durée la plus souvent retenue - sont couvertes par le tarif ; en outre, ERDF perçoit une rémunération au taux de 7,25 % sur la valeur nette comptable du bien, cumulée sur l'ensemble de la période. En revanche, lorsque l'AODE, maître d'ouvrage, met celui-ci en concession, si le même mécanisme est appliqué, la CRE soustrait des charges en capital couvertes par le tarif la valeur de l'ouvrage remis par la collectivité.
Nous avons un peu de mal à comprendre le raisonnement de la CRE, mais je vais néanmoins essayer de vous l'expliquer. La CRE considère que lorsque ERDF est maître d'ouvrage, il expose des débours, en payant des entreprises, en contrepartie de sa rémunération. En revanche, lorsque l'autorité organisatrice remet un équipement à ERDF, il s'agit d'une remise gratuite et il faut retrouver l'équivalent des débours qu'aurait supportés ERDF s'il avait été maître d'ouvrage. Cet équivalent est obtenu par la soustraction de la valeur de l'ouvrage remis des charges en capital. Dans ce raisonnement, la CRE oublie que l'autorité organisatrice a elle-même supporté des débours, puisqu'elle a réalisé les travaux. Le compartiment du service public local, qui relève de la collectivité maître d'ouvrage, est actuellement ignoré par le régulateur national dans sa construction tarifaire.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est un peu complexe, mais nous commençons à y voir clair !
M. Xavier Pintat . - Nous en arrivons à la troisième question, portant sur les scénarios envisageables.
Il est important de rappeler, au préalable, qu'il existe une relation de causalité entre le bas niveau des investissements réalisés par EDF entre 2000 et 2004 et l'augmentation de la durée moyenne de coupure. Par ailleurs, les investissements délibérés de renouvellement et d'amélioration d'EDF, puis d'ERDF, ont été divisés par trois entre le début des années quatre-vingt-dix et 2003. Cette chute a été à peine freinée par le maintien des investissements obligatoires, c'est-à-dire les raccordements. La CRE a fini par se rendre compte de cette situation et a prévu, depuis 2009, début de l'application du TURPE 3, une remontée des investissements qui va dans le bon sens.
Il convient également de rappeler les conclusions du rapport Piketty, qui préconisait, au début des années 2000, un investissement de sécurisation de 395 millions d'euros par an pendant quinze ans. Dans la réalité, en matière de sécurisation, aucun investissement n'a été réalisé les premières années, puis on a investi moins de 200 millions d'euros par an entre 2005 et 2008, une remontée timide étant constatée à partir de 2009. Nous restons donc bien au-dessous de ce qui avait été préconisé au début des années 2000.
M. Ladislas Poniatowski, président . - À partir de ces chiffres, pouvez-vous distinguer les investissements dans la qualité de desserte des investissements de sécurisation ?
M. Xavier Pintat . - Les investissements de sécurisation du réseau portent sur l'éradication des fils nus et la sécurisation des ouvrages de moyenne tension.
M. Pascal Sokoloff . - Les investissements dans la qualité de desserte portent plutôt sur les renforcements, qui permettent de suivre l'évolution des besoins et de garantir la tenue de tension. Les investissements de sécurisation comprennent les mesures spécifiques qui ne seraient pas délibérément mises en oeuvre par ERDF s'il n'était pas incité à s'engager dans un programme de sécurisation tendant à répondre à la problématique de l'aggravation du risque climatique.
Le rapport Piketty fait directement suite aux tempêtes de 1999 et à la prise de conscience du fait que nous entrons dans un monde nouveau, marqué par un accroissement du risque climatique : il faut donc absolument remédier à la vulnérabilité des réseaux. Nous avons pris soin de vous indiquer ces chiffres parce que, dans la scénarisation des investissements à venir que nous proposerons tout à l'heure, les risques climatiques représentent un paramètre important à prendre en compte si l'on veut garantir la capacité des réseaux à assurer une fourniture de qualité.
M. Xavier Pintat . - En outre, on peut difficilement mettre en place des compteurs intelligents sur des réseaux vétustes, surtout lorsque ceux-ci représentent un sixième de l'ensemble du système !
Le rapport Piketty fixait différents objectifs intéressants : éradication de 6 000 kilomètres par an de fils nus en moyenne tension et de 8 000 pour le réseau en basse tension. Ces objectifs n'ont été atteints qu'à hauteur d'environ 50 %.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En ce qui concerne l'éradication des fils nus sur le réseau à basse tension, elle incombe aux AODE, et non pas à ERDF, car ce réseau relève de la responsabilité des autorités concédantes.
M. Pascal Sokoloff . - Compte tenu de l'inaction d'ERDF, les collectivités ont fini par investir dans ce domaine.
M. Xavier Pintat . - On trouve aussi des fils nus en zone urbaine. Grosso modo , dans notre pays, les fils mal isolés représentent 100 000 kilomètres sur un total de 600 000. Les conférences départementales permettront de fixer des objectifs, mais nous pouvons déjà dire qu'un sixième du réseau est concerné. En haute tension A, il reste environ 93 000 kilomètres de fils mal isolés, à enfouir ou en zone boisée.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Qu'appelez-vous exactement « fils nus » ?
M. Xavier Pintat . - Il s'agit de fils qui ne correspondent plus aux normes européennes, que nous sommes le seul pays à utiliser encore et qui ont en général plus de soixante-dix ans.
M. Ladislas Poniatowski, président . - En basse tension, on les repère très facilement sur le terrain : ils comportent trois fils, alors que le fil renforcé ne compte qu'un seul brin, torsadé en général.
M. Philippe Kaltenbach . - Qu'entendez-vous par « haute tension A » ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - Il s'agit de la moyenne tension. Elle relève du réseau d'ERDF, et non de celui de RTE.
M. Xavier Pintat . - Les collectivités locales ne sont propriétaires que de réseaux en moyenne tension, inférieure à 50 000 volts, et en basse tension, inférieure à 1 000 volts.
Nous avons élaboré deux scénarios alternatifs, fondés l'un sur l'hypothèse d'un maintien de l'effort d'investissement actuel, l'autre sur celle d'une accélération du rythme d'investissement : il faut garder à l'esprit que, en 2017, le réseau de transport devra être définitivement sécurisé ; il serait logique que la sécurisation du réseau en moyenne et en basse tension soit elle aussi effective à cette échéance.
Le premier scénario traduit une inquiétude quant à la mise en place du compteur Linky : nous craignons que son financement ne soit prélevé sur les sommes destinées à l'entretien et à la sécurisation des réseaux. Dans ces conditions, un niveau acceptable de sécurité ne pourra pas être atteint avant 2030 : il nous semble donc souhaitable d'accélérer le rythme de la mise à niveau.
Le second scénario vise à établir une cohérence avec l'échéance fixée pour la sécurisation du réseau de transport. Sa mise en oeuvre suppose d'enfouir 93 000 kilomètres de lignes HTA d'ici à la fin de 2017, de réaliser les travaux annexes, notamment d'automatisation, et de sécuriser les 100 000 kilomètres de fils nus du réseau basse tension. Nous estimons le coût de ces opérations à 8 milliards d'euros...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Comment répartissez-vous cette somme entre les différentes opérations que vous avez mentionnées ?
M. Pascal Sokoloff . - Je ne dispose pas du détail, mais nous pourrons vous le communiquer ultérieurement.
M. Xavier Pintat . - Il s'agit d'une estimation globale qui remonte déjà à plusieurs années.
S'il était décidé d'accélérer les investissements pour terminer la sécurisation d'ici à 2017, nous estimons l'effort financier supplémentaire à fournir à 1 milliard d'euros par an sur huit ans, ou à 1,3 milliard d'euros par an sur cinq ans. Aujourd'hui, le TURPE correspond à un effort d'investissement réel de 2,8 milliards d'euros ; si on ajoute 1,3 milliard d'euros, il faudrait donc pouvoir disposer de 4,1 milliards d'euros pour les investissements. Ces chiffres ne prennent évidemment pas en compte le financement de la mise en place du compteur Linky.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est totalement hors de portée !
M. Xavier Pintat . - Oui, mais le TURPE est « surdimensionné » aujourd'hui par rapport à ce qui est réellement consommé. Il ne faudrait pas que les sommes disponibles soient utilisées à d'autres fins, notamment pour financer Linky.
Grosso modo , l'objectif de sécurisation correspond à l'enfouissement de 50 % des lignes en moyenne tension ; il peut être atteint en 2017, si notre proposition est retenue, ou en 2030, si l'on maintient simplement le rythme actuel. Il en va de même pour l'éradication des 100 000 kilomètres de fils nus.
La troisième question de M. le rapporteur portait également sur les investissements à effectuer dans les dix prochaines années et leurs conséquences sur le niveau de la production décentralisée d'électricité. Même si nous ne disposons que de peu de chiffres, ce sujet est important, en raison de la modification du sens des flux de circulation de l'énergie induite. Jusqu'à maintenant, nous étions habitués à ce que ces flux circulent du transport, c'est-à-dire de la haute tension, vers la basse tension en passant par la moyenne tension, mais aujourd'hui ils peuvent remonter vers la moyenne tension lorsque l'installation de production est raccordée au réseau en basse tension : les panneaux solaires placés sur les toits des maisons sont un exemple typique à cet égard. En conséquence de cette évolution, la chaîne de sécurisation ne peut plus être réduite à la seule sécurisation descendante. En outre, la production décentralisée d'électricité peut concourir à la sécurisation grâce à des procédures particulières d'îlotage à définir et à développer, mais qui nécessitent des réseaux en basse tension de bonne qualité. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'effort à réaliser dans ce domaine. Nous rencontrons des difficultés pour évaluer le coût des investissements spécifiques à prévoir à ce titre, parce qu'il s'agit d'un secteur nouveau, encore en expérimentation.
J'en viens à la quatrième question, portant sur le coût du déploiement de Linky.
Le coût initial admis, annoncé par le ministre, s'élève à 4,3 milliards d'euros, hors modernisation des réseaux. Pour mémoire, ERDF décompose comme suit cette enveloppe : 2 milliards d'euros environ pour la pose des compteurs et des concentrateurs, un peu moins de 2 milliards d'euros pour la fabrication du matériel et 100 millions d'euros pour les développements informatiques nécessaires. Je rappelle que l'on attend de la mise en oeuvre de ce dispositif la suppression de 5 460 postes, chiffre à rapprocher de celui de 5 900 départs à la retraite prévus.
Nous éprouvons malgré tout une légère inquiétude quant au coût réel de Linky, puisque M. Proglio a annoncé le 9 novembre dernier, dans Le Parisien, un coût unitaire de 200 à 300 euros. Dans ce cas de figure, le coût global devrait être estimé non plus à 4,3 milliards d'euros, mais entre 8 milliards et 10 milliards d'euros. Puisque les gains de productivité annoncés s'élèvent à 1,2 milliard ou 1,3 milliard d'euros, le besoin de financement devient très important.
Par ailleurs, les surcoûts de production potentiels en zone rurale nous semblent minorés. Le plan de développement validé par la CRE indique un temps de pose de 30 minutes, mais on constate, sur les territoires d'expérimentation, qu'il est en fait proche de 47 minutes en zone urbaine et de 60 minutes en zone rurale. Les techniciens responsables du projet nous disent qu'ils s'arrangeront pour que ce temps de pose soit bien de 30 minutes, même si cela ne correspond pas à la réalité du terrain !
Nous tenons à vous rappeler nos convictions quant au principe d'imputation des coûts afférents à Linky : il est très important de considérer Linky comme un « bien de retour » appartenant à l'autorité concédante, pour deux raisons...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous n'allons pas recommencer ce débat ! Permettez-moi de vous rassurer : Mme Michèle Bellon a bien réaffirmé devant nous que les compteurs seraient la propriété des collectivités locales...
M. Xavier Pintat . - Certes, mais ni la loi de 2004 ni le cahier des charges des concessions ne le prévoient : il faut donc modifier ces textes.
Grâce aux lois dont vous avez été le rapporteur, monsieur le président, nous avons pu maintenir un certain consensus, notamment sur le monopole de la distribution dans notre pays. Mais si l'on se met à « détricoter » la priorité dans ce rapport concédant-concessionnaire ainsi que le régime de propriété, la situation va devenir illisible pour les autorités européennes, qui reviendront à la charge afin d'imposer ce que nous souhaitons éviter, c'est-à-dire que la distribution soit soumise à la concurrence.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Vous souhaitez que les compteurs appartiennent à la collectivité locale ?
M. Xavier Pintat . - C'est ce qui a été décidé, M. le président vient de le rappeler.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Restons dans le sujet ! Je sais bien qu'il s'agit de l'un de vos chevaux de bataille, mais vous avez rempli votre rôle et obtenu satisfaction : les compteurs Linky resteront la propriété des collectivités territoriales.
M. Xavier Pintat . - Autre sujet de préoccupation, il nous semble souhaitable que le financement du déploiement de Linky soit assuré par l'emprunt, ce dernier pouvant être amorti de trois manières : grâce aux gains de productivité - mais on a vu qu'ils seront réduits par rapport à l'investissement -, par la majoration du TURPE si les gains de productivité sont insuffisants...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Ces questions ont été tranchées ! Avançons !
M. Xavier Pintat . - En ce qui concerne les bénéfices concrets attendus, Linky sera un outil de contrôle de la qualité de l'électricité, qui fournira une information détaillée aux usagers sur leur consommation, permettra l'intervention à distance des gestionnaires de réseau de distribution et l'adaptation de la production et de la consommation d'électricité dans une perspective d'équilibre et d'économie.
Pour sa part, la FNCCR regrette que l'on ne transmette pas aux AODE des informations sur la qualité de l'électricité et estime que le client devrait être destinataire d'un certain nombre d'informations sur sa consommation.
M. Jean Desessard, rapporteur . - C'est une demande des représentants des associations de consommateurs.
M. Jean-Claude Lenoir . - Et des deux co-présidents du comité de suivi du compteur Linky !
M. Xavier Pintat . - Enfin, il serait souhaitable qu'une analyse technico-économique soit réalisée de manière indépendante et transparente.
J'en arrive à la cinquième question, relative à la contribution des collectivités locales aux économies d'énergie des collectivités et des particuliers.
Nous sommes convaincus que les collectivités locales peuvent jouer un rôle d'entraînement formidable et que des économies importantes peuvent être réalisés dans trois domaines : les bâtiments, l'éclairage public et la consommation énergétique des flottes de véhicules.
Les AODE jouent leur rôle en diffusant des conseils très appréciés en matière d'audit énergétique ; la plupart des syndicats d'électricité développent une compétence dans ce domaine : ils font appel à un intervenant extérieur pour les audits les plus « pointus » et vont même jusqu'à mettre en place les programmes définis. Cette action permet de mutualiser les moyens, de réduire la consommation et les factures pour le patrimoine bâti - en synergie avec l'ADEME, en général -, de favoriser le bon usage de l'énergie, par la publication de guides et l'organisation de campagnes médiatiques communes. Nous menons également une action sociale de lutte contre la précarité énergétique, en préconisant des économies d'énergie adaptées à la précarité et en contrôlant l'application du tarif de première nécessité. Une dynamique est en train de se créer, il ne faut pas l'entraver.
Pour parvenir à une régulation globale, un certain nombre d'outils sont développés : les plans climat-énergie territoriaux, les schémas régionaux climat-énergie, les bilans d'émissions de gaz à effet de serre, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme.
Je n'oublie pas non plus les certificats d'économie d'énergie, dispositif qui commence à prendre forme : certains départements ont bien mis au point la procédure. Il serait donc dommage de le modifier, d'autant qu'il est peu coûteux pour l'État, puisque sa gestion n'occupe qu'une quinzaine de collaborateurs au pôle national et que, le marché se constituant, une massification des dossiers est envisageable. Le dispositif actuel permet d'obtenir des certificats d'économie d'énergie à un moindre coût et fonctionne bien. Nous sommes donc favorables au maintien de l'éligibilité des collectivités locales à cette mesure qui nous paraît créer un bon effet d'entraînement, sans trop de coûts induits. Enfin, le dispositif pourrait être étendu à la part d'énergies renouvelables utilisée par les fournisseurs, en instaurant le même système de certificats négociables, en lieu et place de l'obligation d'achat. Cette idée nous paraît mériter d'être peaufinée et encouragée.
Nous en avons terminé avec les différents points sur lesquels vous souhaitiez connaître les positions de la FNCCR. Nous sommes prêts à répondre à vos éventuelles questions complémentaires.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Nous vous remercions de ces éclaircissements, monsieur le président.
Si je puis me permettre de tirer une conclusion de votre présentation, il me semble que, quel que soit le coût du réseau de distribution et le niveau d'investissement des collectivités locales, ce coût risque encore d'augmenter, puisque vous souhaitez que l'on engage davantage de moyens pour moderniser le réseau, avec toutes les conséquences que cela emporte sur le niveau des prix.
Avant de donner la parole à nos collègues, je souhaite vous poser une dernière question. Vous nous avez présenté une simulation prévoyant l'achèvement de la sécurisation du réseau en basse et en moyenne tension en 2017 : êtes-vous bien conscient qu'il n'est pas possible de faire disparaître à si brève échéance les fils nus ni d'enfouir les lignes en moyenne tension ? Vous vous êtes fondés sur cette date parce que RTE aura alors entièrement sécurisé son réseau de transport, mais cet objectif n'a jamais été annoncé ni fixé par qui que ce soit : personne n'a décidé qu'il faudrait relever le TURPE ou toute autre catégorie de recette pour permettre l'accélération de ces travaux de sécurisation. En revanche, il est intéressant de relever que vous avez indiqué que, à niveau d'investissement constant, cette sécurisation ne sera atteinte qu'en 2030. En évoquant l'échéance de 2017, vous avez donc simplement formulé un souhait ?
M. Xavier Pintat . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, si j'ai bien lu vos questions, vous nous avez demandé de proposer un scénario : nous en présentons donc un, qui est cohérent. Il est dommage que les efforts entrepris par RTE depuis plusieurs années pour rendre le réseau en haute tension particulièrement performant et sécurisé à l'échéance de 2017 ne coïncident pas avec la modernisation du réseau en moyenne tension. Ce décalage aura certainement des incidences sur la qualité du courant distribué.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Exactement !
M. Pascal Sokoloff . - Nous avons signalé que, par rapport à la trajectoire d'investissement assignée à ERDF par la CRE dans le cadre du TURPE 3, les objectifs ne sont pas atteints. J'ai calculé le total des écarts observés entre 2009 et 2012 : il s'élève à près de 500 millions d'euros. La construction tarifaire de la CRE aurait donc dû permettre à ERDF, depuis 2009, d'investir cette somme, ce qui n'a pas été fait.
Les objectifs que nous vous avons présentés sont certes ambitieux, mais nos deux scénarios ménagent des situations intermédiaires...
M. Xavier Pintat . - Une partie du coût de ces travaux est déjà incluse dans les tarifs !
M. Pascal Sokoloff . - Nous souhaitons insister sur deux points : premièrement, la CRE a intégré la nécessité d'accroître substantiellement les efforts d'investissement - 1 milliard d'euros supplémentaires chaque année à partir de 2012 ; deuxièmement, le concessionnaire, ERDF, ne s'acquitte pas de ses obligations d'investissement à la hauteur fixée par le régulateur.
M. Ladislas Poniatowski, président . - C'est mal parti ! L'enveloppe allouée par le FACÉ pour l'élimination des fils nus en basse tension n'a pas augmenté pour 2012 par rapport à l'année dernière. Je me permets de vous le dire, monsieur Pintat, puisque vous êtes également président du FACÉ.
M. Xavier Pintat . - L'enveloppe consacrée à la sécurisation est en légère augmentation...
M. Ladislas Poniatowski, président . - Bien sûr, mais la part consacrée à l'éradication des fils nus est pratiquement constante.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Je souhaiterais soulever deux questions.
Messieurs, vous nous avez livré beaucoup de ratios fort intéressants, mais jamais de chiffres bruts, or il est important que nous puissions disposer d'ordres de grandeur. Pourriez-vous nous les fournir en complément des documents que vous nous avez présentés ?
Par ailleurs, je ne rouvrirai pas le débat sur Linky, mais vous nous avez parlé de simulations portant sur les usages : j'aimerais savoir où vous en êtes à cet égard. En effet, Linky fait l'objet d'une présentation très comptable, mais on attend aussi de ce compteur qu'il contribue à modifier les habitudes des consommateurs. Si Linky sert simplement à prendre connaissance du montant des factures, cela ne justifie pas un investissement de 4 milliards d'euros !
M. Pascal Sokoloff . - Je peux vous indiquer deux chiffres parmi bien d'autres : nous estimons que le volume global des investissements des collectivités concédantes s'élève à 1 milliard d'euros, montant à comparer aux investissements d'ERDF, qui sont de l'ordre de 2,5 milliards à 3 milliards d'euros. On peut donc retenir que les collectivités concédantes assument le quart de l'effort d'investissement sur les réseaux.
Autre chiffre intéressant, le produit global de la taxe locale sur l'électricité - le sujet est d'actualité, eu égard à la transposition en cours de directives européennes - s'élève à 1,4 milliard d'euros, et il est réparti comme suit : les départements perçoivent quelque 500 millions d'euros, les communes 600 millions d'euros et les syndicats d'électricité environ 300 millions d'euros. Il convient de rappeler que lorsque la taxe est perçue par les syndicats d'électricité, elle est affectée : en effet, le syndicat ne peut la percevoir que si on lui a attribué la compétence pour investir dans les réseaux. A contrario , la partie du produit de la taxe perçue par les départements et les communes n'est pas obligatoirement réinjectée dans l'amélioration du système électrique, mais peut financer des dépenses générales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je vous remercie d'apporter cette dernière précision, monsieur Sokoloff, parce que vous adressez ainsi un message important aux parlementaires que nous sommes. Légalement, le produit de la taxe locale sur l'électricité peut être utilisé pour financer n'importe quel type de dépenses, il n'y a aucune obligation de l'affecter à des travaux de renforcement du réseau électrique. Il faut le savoir !
M. Jean-Pierre Vial. En ce qui concerne la sécurisation du réseau, j'ai fait un rapide calcul : la mise en oeuvre du scénario que vous nous avez présenté supposerait que l'on éradique 200 kilomètres de fils nus par an et par département, ce qui est matériellement irréaliste. Pourriez-vous nous indiquer des chiffres correspondant à ce que les départements peuvent véritablement réaliser chaque année ?
M. Pascal Sokoloff . - Une précision me paraît importante : les fils nus correspondent à des réseaux extrêmement anciens qui ont largement dépassé leur durée de vie théorique. EDF, puis ERDF, ont manqué à leurs obligations de renouvellement des réseaux et les ont laissés vieillir. Aujourd'hui, certains réseaux ont soixante-dix ans, voire quatre-vingts ans !
Pour accélérer l'élimination des fils nus, les collectivités locales ont commencé à prendre en charge des programmes de sécurisation, mais ERDF peut et doit continuer de prendre une part active à cet effort, au titre de sa mission de base de renouvellement des ouvrages. Le cahier des charges du concessionnaire prévoit une obligation de renouveler les ouvrages lorsqu'ils arrivent au terme de leur durée de vie : si ERDF l'assumait correctement, l'éradication des fils nus serait autant, sinon plus, le fait du concessionnaire que celui des collectivités locales. Dans le cadre du renouvellement du réseau, le rythme d'éradication des fils nus évoqué par M. Vial ne me paraît pas du tout irréaliste, à condition qu'ERDF fasse son travail !
M. Xavier Pintat . - Vous nous avez demandé des chiffres globaux, nous vous les avons fournis. Cependant, les conférences départementales devront établir l'inventaire des travaux déjà réalisés, coordonner les actions d'investissement et définir une stratégie comprenant un recensement des besoins, des objectifs communs et des délais, quitte à mobiliser d'autres acteurs, comme les conseils généraux. Ce travail doit être réalisé département par département, parce que les calculs de moyennes ne reflètent pas la réalité. C'est la raison pour laquelle nous organisons ces conférences départementales.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir . - Vous avez souligné que RTE serait en mesure, dans un avenir assez proche, d'offrir un réseau d'une qualité optimale. Je ne veux pas diminuer les mérites de RTE, mais sa mission consiste à mettre en oeuvre les directives de la CRE avec les moyens que celle-ci lui assigne. En clair, la CRE détermine le montant des investissements et affecte à RTE une ressource, financée par le TURPE, ce qui n'est pas le cas pour ERDF. Souhaitez-vous que, pour cet opérateur également, la loi donne à la CRE le pouvoir de déterminer le montant et la nature des investissements à réaliser ?
Je formulerai maintenant deux observations.
Premièrement, en ce qui concerne Linky, j'assume la paternité, avec Ladislas Poniatowski, d'un rapport favorable au déploiement de ce compteur. Réduire les fonctionnalités de Linky à l'indication en temps réel de leur consommation aux usagers, c'est ignorer les conclusions de ce rapport. Je suggère que la commission d'enquête nous auditionne, M. Poniatowski et moi, sur cette question... ( Sourires .)
Deuxièmement, je ne souscris pas aux observations du président de notre commission d'enquête relatives à la taxe locale sur l'électricité. En effet, en tant que maire d'une commune qui n'est pas membre d'un syndicat maître d'ouvrage, je veux bien que l'on rapporte la ressource que représente cette taxe au montant global des investissements réalisés, car je ne veux pas juger de ce que font les autres collectivités, mais je souhaiterais que les critiques sur l'utilisation du produit de la taxe soient plus modérées, parce qu'elles ne correspondent pas à la réalité vécue par de nombreuses communes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach . - Je saisis cette occasion pour évoquer une difficulté que je rencontre en tant que maire. Depuis quelque temps, on demande aux villes de financer des renforcements de réseaux à la suite d'opérations de construction de logements, parfois modestes. Ces demandes me paraissent assez scandaleuses, et je souhaiterais connaître la position de la FNCCR sur cette question.
Nous rencontrons également des difficultés avec ERDF, en termes de délais pour le raccordement d'immeubles ou d'équipements. Ces délais occasionnent une perte pour les acteurs économiques concernés, car ceux-ci ont besoin que le raccordement soit effectué rapidement pour pouvoir mettre les logements qu'ils ont construits en location, par exemple.
Il est tout à fait louable de vouloir améliorer les réseaux, mais comment faire pour que l'opérateur soit plus réactif et que l'on cesse de solliciter les communes pour financer des renforcements ? La création de vingt ou trente appartements supplémentaires, en région parisienne, n'est pas à l'origine d'une saturation du réseau justifiant des investissements non négligeables, du moins si l'on en croit les montants facturés !
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Desessard, rapporteur . - Je tiens tout d'abord à remercier MM. Pintat et Sokoloff de la qualité de leur intervention.
Les travaux de renforcement et d'amélioration effectués par les collectivités concédantes évitent à ERDF de renouveler les ouvrages concernés, nous a-t-il été indiqué. Cet aspect me paraît important, parce que j'ai parfois l'impression que l'on compte deux fois les investissements réalisés.
Par ailleurs, j'observe que la pose de panneaux solaires sur le toit d'une maison n'exige pas un renforcement du réseau, car il n'est pas nécessaire de passer à la moyenne tension. À partir de quelle taille la mise en place d'un nouvel équipement impose-t-elle de passer à la moyenne tension ?
M. Ladislas Poniatowski, président . - La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat . - M. Jean-Claude Lenoir a évoqué deux sujets importants.
Nous pensons qu'une régulation nationale est nécessaire, mais il faut également une régulation locale, que seules les autorités organisatrices de la distribution d'électricité peuvent assurer. La CRE ne peut pas réguler le branchement du boulanger, d'un lotissement, etc. : cette régulation de proximité incombe au maire de la commune.
Dans le cadre de l'organisation actuelle, comment concilier régulation et efficacité, comme c'est le cas avec RTE ? La CRE peut difficilement être directive, car elle ne peut exercer de tutelle sur les collectivités concédantes. Cependant, la loi a prévu l'organisation de conférences départementales : si celles-ci fonctionnent bien, on saura vraiment ce que font le distributeur et les autorités concédantes. La loi devrait prévoir que les conclusions des conférences départementales soient communiquées à la CRE, qui n'aurait alors qu'à « ramasser les copies » et pourrait ainsi disposer d'une vision très exacte de la réalité lui permettant d'influer, par sa dotation, sur l'efficacité des investissements. Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus, parce que l'on ne va pas démultiplier la CRE, comme cela avait été fait pour le Médiateur, en créant des délégués départementaux. La CRE doit rester une structure nationale et elle assure très bien la régulation du service public national ; pour le service public de proximité, qu'elle collecte les données, département par département, et tout sera transparent. Telle est notre position.
En ce qui concerne la taxe affectée, vous avez raison, monsieur Lenoir : il ne faut pas caricaturer la situation dans les communes. D'ailleurs, si les engagements sont respectés, notamment pour la mise aux normes de l'éclairage public, les besoins seront nettement supérieurs au produit de la taxe affectée !
En revanche, il faudrait que les départements réinjectent une partie du produit de la taxe locale sur l'électricité qu'ils perçoivent, dans la limite de 20 % ou de 30 %, dans le système électrique, peut-être selon des objectifs ciblés. La sécurisation des réseaux pourrait faire l'objet d'une contractualisation entre les départements, ERDF et les autorités concédantes.
Monsieur Kaltenbach, pour répondre à votre question, il convient de rappeler qu'un raccordement électrique comporte trois parties : le branchement, payé par le pétitionnaire ; l'extension du réseau et les travaux de génie civil, financés par la collectivité responsable de l'urbanisme, qui peut soit répercuter la dépense sur le pétitionnaire via la taxe d'aménagement, soit la prendre en charge ; enfin, le renforcement du réseau nécessaire pour garantir la qualité de la distribution du courant, qui relève, à mon sens, de la mission du service public de l'électricité - sur ce point, vous avez raison. Ce renforcement devrait donc être pris en charge au travers de la péréquation. Comme vous l'avez dit, le dernier abonné raccordé n'est pas nécessairement responsable de la perturbation d'un réseau : le renforcement est une véritable mission de service public.
M. Jean-Claude Lenoir . - Le groupe de travail que j'ai présidé a rendu des conclusions en ce sens. En principe, ce problème est réglé, et j'ai été surpris de cette question.
M. Xavier Pintat . - M. Kaltenbach a raison : sur le terrain, la situation n'est pas toujours conforme aux principes.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Cette question est réglée juridiquement. La FNCCR remplit tout à fait son rôle : elle a engagé un dialogue avec le ministère parce que, dans certains départements, les directives nationales sont parfois interprétées de manière particulière.
M. Xavier Pintat . - Pour éviter qu'une collectivité chargée de l'urbanisme ne rencontre un problème dans l'instruction des dossiers de raccordement, il faudrait que nos syndicats créent, avec ERDF, un pôle commun d'instruction des dossiers. En zone rurale, par exemple, les communautés de communes et les syndicats de communes sont bien au fait des questions d'urbanisme, mais les agents d'ERDF connaissent parfois mal la réglementation des permis de construire. La mise en place d'un pôle commun d'instruction des dossiers permettrait de régler les cas particuliers et d'éviter des erreurs.
M. Ladislas Poniatowski, président . - Je suis ravi que M. Kaltenbach ait posé cette question, parce que le problème n'est pas réglé. La FNCCR joue tout à fait son rôle en nous défendant.
Je crois qu'une question n'a pas encore reçu de réponse.
M. Pascal Sokoloff . - Reste en effet la question de M. le rapporteur sur l'incidence du développement de la production d'électricité photovoltaïque sur le renforcement des réseaux.
Tout d'abord, l'électricité produite par un panneau solaire installé sur le toit d'une habitation est certes revendue, mais elle est, en général, réinjectée dans la maison : il s'agit en fait, sur le plan technique, d'une autoconsommation. Dans ce cas de figure, il n'y a pas de charge supplémentaire pour le réseau.
La situation devient en revanche problématique, en raison du fort développement du photovoltaïque et de l'effet de masse qui en résulte, si, compte tenu du niveau d'ensoleillement, la production est forte et la consommation faible. Ces décalages posent un problème au gestionnaire du réseau, qui doit garantir en permanence un équilibre entre les injections et les soutirages.
Ces phénomènes ont une incidence sur le dimensionnement des réseaux, mais la véritable difficulté, de notre point de vue, est liée à l'évolution de la régulation du réseau de distribution. Au niveau des réseaux de transport d'électricité, des mécanismes extrêmement complexes existent : RTE a développé tout un arsenal d'outils, comme le mécanisme d'ajustement, les responsables d'équilibre, etc. Pour la FNCCR, la question qui se pose, et qui n'est pas encore réglée, est de savoir si les gestionnaires de réseaux de distribution disposeront également d'outils de contractualisation avec les producteurs et les consommateurs pour assurer, à leur niveau, cette mission d'équilibrage. Ce chantier est devant nous, et nous ne disposons pour l'heure que de peu d'éléments !
M. Jean Desessard, rapporteur . - Absolument !
M. Ladislas Poniatowski, président . - Messieurs, vous avez su être à la fois synthétiques et, quand il le fallait, plus techniques et précis : je vous en félicite !