B. PROBABILITÉS DE RÉALISATION DES DIFFÉRENTS SCENARII
Au-delà de l'examen en tendance des facteurs favorisant l'apparition de nouvelles maladies infectieuses, la réflexion peut se poursuivre par la construction ou la description de différents scenarii . Différents exercices ont été menés à grande échelle au Royaume-Uni, en Chine et dans la zone Asie Pacifique, ainsi qu'aux Etats-Unis qui, avec la série des TopOff ayant débuté en 2000, sont à l'origine de cet engouement pour le scenario planning, ou encore Israël qui est à l'initiative de cette méthode dans le domaine de la lutte contre le terrorisme (1987).
La Commission européenne a commencé à s'y intéresser en 2002 avec l'exercice Euratox , qui simule un attentat radiologique. Une douzaine de projets, scénarios et exercices, ont été soutenus par la Commission en 2004 13 ( * ) .
Par ailleurs, s'il est vrai que la France n'est pas en pointe dans ce domaine, on peut néanmoins citer les travaux du SGD(S)N et le Livre blanc sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (2006), lequel consacre l'un de ses sept scénarios à un événement bioterroriste infectieux. Deux organismes se sont néanmoins engagés dans cet exercice : le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) et l'INRA.
1. L'étude du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP)
Pour le Haut Conseil de la Santé Publique 14 ( * ) , sur la base des expériences les plus récentes en France, trois scenarii d'identification et de réponse aux phénomènes infectieux émergents doivent être pris en compte :
a) L'importation d'un agent émergent signalé, voire identifié, depuis un certain laps de temps à l'étranger ou dans des territoires éloignés
C'est le schéma le plus fréquent et le plus probable, à l'exemple du SRAS qui est décrit dans la première partie de ce rapport. La réponse à ce schéma est perfectible mais est relativement confortable en termes de prise de décision, de délai d'action, de risque médiatique et politique.
b) L'émergence sur le territoire national d'une nouvelle maladie inconnue
Ce scénario inclut deux possibilités :
- l'émergence nouvelle d'un agent ou d'une souche, et
- l'introduction d'un agent pathogène, suivie de sa diffusion secondaire, passées inaperçues et détectées tardivement.
Ce dernier scénario « d'émergence autochtone », statistiquement plus rare, représente toutefois celui sur lequel il est indispensable de se pencher pour améliorer nos capacités de détection, d'alerte et de réponse, à l'exemple du Chikungunya à La Réunion en 2005-2006.
c) La réémergence d'agents précédemment connus et jugés maîtrisés sur le territoire national,
L'exemple est celui de la tuberculose ou certaines maladies sexuellement transmissibles.
2. La réflexion prospective par scenarii de l'INRA pour les maladies infectieuses animales
Cette réflexion a fait appel d'abord à l'analyse documentaire, puis à une série d'auditions et enfin à un atelier de prospective selon la méthode « classique » en trois étapes de la prospective. Ce travail a notamment permis à l'INRA de préciser les enjeux de ces nouvelles maladies infectieuses animales et d'adapter par anticipation l'organisation interne et les protocoles de l'Institut.
a) Principales composantes susceptibles d'influer l'occurrence des maladies animales en 2020
(1) Gravité des maladies émergentes et des épidémies ;
(2) Capacités cognitives face aux maladies émergentes et épidémies ;
(3) Gouvernance mondiale en matière de santé des animaux ;
(4) Articulation des rôles, en France, en matière de recherche, d'expertise, d'évaluation et de gestion des risques.
b) Combinaison d'états de ces composantes pour élaborer des scénarios :
(1) Scénario 1. La situation est maîtrisée
Les avancées scientifiques et institutionnelles au plan national et international permettent une maîtrise des maladies émergentes, même dans le cas de pathogènes nouveaux et dangereux. La France y contribue pleinement, dans le cadre européen.
(2) Scénario 2. Des risques élevés de maladies à fort impact
Des risques importants liés aux maladies émergentes, face auxquels la recherche est impuissante. Les nations, dont la France, sont incapables de coopérer
(3) Scénario 3. Un « chacun pour soi », générateur de tensions
Face à l'incapacité des Etats à coopérer pour mettre en oeuvre des politiques de prévention, les réponses sanitaires existent, mais sont curatives et ne bénéficient qu'à certains pays ou certaines zones, ce qui crée des tensions fortes
(4) Scénario 4. La France, partenaire peu dynamique
La communauté internationale avance vers des réponses scientifiques et trouve des régulations efficaces, mais la France, par manque d'articulation entre capacités de recherche et bases de données sur les risques, n'est pas en capacité de développer suffisamment des approches épidémiologiques. Elle ne contribue pas autant qu'il aurait été souhaitable à l'affirmation scientifique et géopolitique de l'Europe en ces domaines.
c) Enjeux et rôles pour l'INRA
L'INRA a tiré comme conclusions de cet exercice de prospective qu'il est nécessaire d'avoir une vision globale des risques pour déboucher sur des actions efficaces. Mais cette vision souffre de contradictions institutionnelles qu'il faut résoudre en développant les interactions avec les acteurs de la santé des animaux et en concevant des dispositifs pour construire et résoudre les bonnes questions de recherche.
3. L'exercice de prospective du gouvernement britannique
Cet exercice, qui a été réalisé avec des moyens humains très importants - le projet a fait intervenir plus de 300 experts, acteurs et partenaires de pointe de presque 30 pays, ainsi que de nombreuses organisations internationales - a été construit autour de 19 questions principales qui circonscrivent l'ensemble du sujet :
1. Quelle menace les maladies infectieuses posent-elles à l'heure actuelle ?
2. Quelle vision nos dirigeants mondiaux ont-ils pour les maladies infectieuses à l'avenir ?
3. Comment la menace pourrait-elle évoluer au cours des 25 prochaines années ?
4. Quelles sont les épidémies majeures qui sont susceptibles d'émerger à l'avenir, et quel pourrait être leur degré de sévérité ?
5. Quels sont les facteurs qui détermineront les changements de risque ?
6. Quel impact le changement climatique pourrait-il avoir sur les maladies infectieuses ?
7. Pourquoi est-il probable que les systèmes de détection, d'identification et de surveillance (DIS) seront si importants pour la gestion sanitaire à l'avenir ?
8. Quels sont les avantages en puissance des futurs systèmes de DIS ?
9. Quels sont les facteurs qui ont l'influence la plus marquée sur la mise en place efficace des futurs systèmes de DIS ?
10. Quels sont les choix stratégiques dont dépendent la gestion sanitaire et les systèmes de DIS futurs ?
11. Quels sont les choix en matière de gouvernance et de règlementation ?
12. Quels sont les choix en matière de normes et d'interopérabilité ?
13. Comment pouvons-nous exploiter au mieux les percées exogènes ?
14. Quels sont les choix fondamentaux pour l'Afrique ?
15. Quelles sont les implications pour la science ?
16. Quelles sont les implications pour la technologie et les systèmes ?
17. Quelles sont les implications en termes de capacités et compétences ?
18. Quelles sont les implications en termes de mobilisation du public ?
19. Quelles sont les étapes suivantes ?
Pour ses auteurs, ce projet est original à trois titres :
1. Ce projet a examiné les maladies dans l'ensemble des espèces humaine, animales et végétales ;
2. Il a fait intervenir des experts de diverses disciplines - des sciences sociales à la génomique, et de l'observation de la Terre à l'épidémiologie ;
3. Il a comparé la situation dans les pays industrialisés et ceux en voie de développement - l'Afrique sub-saharienne et le Royaume-Uni ayant servi d'exemples.
S'agissant des grandes tendances sanitaires dans les 10 à 25 années à venir, le rapport estime que les prochaines grandes épidémies seront plus ou moins liées à huit grandes familles de maladies infectieuses. Cette liste n'est assurément pas complète, mais elle a été compilée sur des bases solides et elle illustre la diversité des défis futurs que ces maladies représentent en matière de gestion sanitaire :
1. Nouvelles espèces pathogènes et nouveaux variants ;
2. Agents pathogènes qui acquièrent une résistance ;
3. Maladies qui sont transmises d'espèces animales à l'homme (zoonoses) ;
4. VIH/SIDA, tuberculose et paludisme ;
5. Maladies épidémiques des végétaux ;
6. Infections respiratoires aiguës ;
7. Infections transmises sexuellement ;
8. Maladies animales qui traversent les barrières nationales et qui sont transfrontalières.
Le projet a effectué une analyse détaillée des caractéristiques de quatre classes de systèmes de DIS importantes - dénommées « Défis pour l'usager « (DU) qui sont en fait des leviers d'action :
- utilisation de nouvelles technologies de l'information pour la capture, l'analyse et la modélisation des données pour la détection précoce d'événements pathologiques infectieux ;
- recours à la génomique et à la post-génomique pour la détection et la caractérisation précoces d'agents pathogènes nouveaux ou qui ont nouvellement acquis une résistance/virulence ;
- transfert de la technologie d'identification et de caractérisation de maladies infectieuses humaines à l'échelon individuel par la mise au point de systèmes de prélèvement « intelligents » ou de dispositifs portables à main (par exemple pour la réalisation de tests sur des fluides) ;
- dépistage à haut débit des maladies infectieuses dans les populations humaines et les espèces animales et végétales au moyen de marqueurs de substitution non invasifs (comme les rayons électromagnétiques ou des composés organiques volatils), par exemple dans les aéroports, les conteneurs de transport maritime/routier et les marchés de bétail.
S'agissant des rapports Nord-Sud, le rapport insiste beaucoup sur la place essentielle de l'Afrique en matière sanitaire . C'est sur ce continent que les leviers d'action peuvent jouer un rôle majeur qui, pour être apprécié, doit faire l'objet d'une balance entre les éléments positifs et les éléments négatifs :
Les éléments positifs :
- l'Afrique supporte le fardeau des maladies le plus lourd tout en possédant probablement les moyens de gestion sanitaire les plus bas du monde . Il est donc nécessaire que les ressources limitées soient ciblées précisément et efficacement, et les systèmes de DIS pourraient à cet égard jouer un rôle crucial ;
- de nouvelles approches pourraient réduire les coûts et rendre les dispositifs de DIS plus simples et plus faciles à utiliser . Par exemple, des bâtonnets diagnostiques de technologie avancée pourraient contribuer à réduire les besoins en personnel hautement qualifié. La télédétection par satellite couplée à une modélisation des maladies pourrait permettre de mieux prédire les flambées sans les difficultés associées à la surveillance sur le terrain ;
- de nouveaux dispositifs diagnostiques pourraient également rendre les échanges commerciaux plus sûrs.
Les éléments négatifs :
- le danger est que les entreprises et organisations qui développent de nouveaux systèmes de DIS axeront leurs efforts sur des maladies plus pertinentes aux pays riches , négligeant de ce fait des pathologies qui sévissent en Afrique ;
- un autre danger est qu'il est possible que les nouveaux dispositifs ne puissent pas fonctionner dans l'environnement de pays en voie de développement - par exemple si une alimentation en courant, une réfrigération ou une formation du personnel sont requises ;
- l'inquiétude qui règne en Afrique est que certains pays pourraient parfois exploiter les maladies à mauvais escient pour imposer ou justifier des barrières commerciales . Il serait important de veiller à ce que les nouveaux systèmes de DIS ne soient pas utilisés à ces fins.
S'agissant des leviers d'action , - c'est-à-dire des choix fondamentaux pour les responsables de l'élaboration de politiques -, l'étude britannique de prospective aboutit à trois conclusions principales :
1. il est essentiel d'adopter une approche réactive - pour la prise en charge des menaces existantes comme de celles imminentes. Il faut une attitude plus proactive et stratégique des décideurs politiques qui doivent mieux prendre en compte les menaces nombreuses et diverses pouvant émerger à l'avenir ;
2. une disparité extrême existe en matière de gestion sanitaire et de capacités de décisions dans différentes parties du globe . Pour pouvoir s'attaquer à des maladies rapidement où qu'elles surviennent, peut-on continuer à laisser cette disparité persister ?
3. les programmes de gestion sanitaire en place dans l'ensemble du monde manquent de cohérence . Il existe trop de programmes verticaux axés sur des maladies uniques. Ne faut-il pas adopter une approche plus unie dans la gouvernance sanitaire mondiale ? Par exemple, l'OMS, l'OIE et la FAO doivent mieux coordonner leur système mondial d'alerte précoce (et de réponse) (GLEWS, pour Global Early Warning System).
4. L'exercice de prospective sanitaire de la Chine
L 'exercice de prospective sanitaire mené par la Chine a reçu le soutien du Foresight britannique . De manière classique, la procédure a consisté à utiliser les facteurs identifiés par l'exercice britannique comme variables explicatives de l'émergence des maladies (sociétaux, économiques, biologiques ou environnementaux), à les adapter aux comportements des maladies et des variables en Chine, mais sans conduire à la construction de scenarii contrastés.
Les facteurs retenus ont été les suivants :
- déplacements de populations humaines, d'animaux et de produits d'origine animale d ans l'ensemble du pays et à l'étranger ;
- migrations intérieures ;
- évolution du tourisme - de et vers la Chine ;
- évolution du volume de déchets animaux - causant des problèmes d'élimination ;
- modification des styles de vie sexuelle - en théorie d'une manière qui augmentera le risque de contracter et de transmettre des maladies ;
- changement des attitudes du public - l'acceptation des risques associés aux maladies infectieuses diminuera significativement, en conjonction avec une augmentation des exigences du public en matière de sécurité et de protection ;
- évolution de l'uniformité génétique des cultures et des animaux ;
- progression globale des niveaux de prospérité et d'éducation .
Les évolutions en Chine de ces grandes familles de facteurs ont été décrites grâce à des interviews menées avec des experts chinois indépendants. Ces évolutions ont tenu compte non seulement des tendances négatives portant sur les cas humains ou animaux, mais aussi sur les opportunités offertes par des méthodes innovantes de surveillance et de nouvelles utilisations des hôpitaux, des antimicrobiens ou des vaccins. Il a été constaté qu'un grand nombre de ces facteurs sont similaires à ceux identifiés en ce qui concerne le Royaume-Uni et l'Afrique.
Il est apparu également que certaines tendances des comportements humains ou sociaux en Chine pourraient augmenter les risques de développement de certaines maladies infectieuses (en particulier celles qui sont sexuellement transmissibles ou qui résultent des conditions d'hygiène) tout en tenant compte des progrès dans la prise de conscience des risques par la population. Les résultats de cette réflexion prospective a montré que certaines régions en Chine pourraient rencontrer des difficultés à l'avenir, comme un nombre plus importants d'affections liées aux conditions d'hygiène, aux zoonoses ou d'autres formes de maladies infectieuses notamment celles transmises par voies sexuelles (comme le Sida).
La méthode ne conduisait pas à des prédictions précises. Mais le travail a identifié les groupes de maladies principales qui exigeraient une surveillance particulière et la mise en oeuvre de mesures de précaution . Il a aussi conduit à des recommandations portant sur le renforcement de la surveillance sanitaire et la définition des mécanismes de réponse à une pandémie d'origine animale non anticipée et d'autres menaces d'émergences infectieuses.
Les experts chinois ont ensuite examiné les tendances affichées par les facteurs déterminants susmentionnés et évalué leurs implications pour la menace infectieuse future. Ils en ont conclu que si les tendances escomptées se matérialisent et en l'absence de contre-mesures, il est probable que l'incidence des maladies qui suivent augmentera :
- infections nosocomiales (acquises durant un séjour hospitalier ou une consultation à un centre de soins) ;
- infections par des organismes résistants aux antimicrobiens ;
- infections transmises sexuellement , y compris l'infection à VIH ;
- infections à virus hématogènes associées aux soins de haute technologie (hépatite B et C) ;
- certaines infections d'origine alimentaire ;
- zoonoses en général ;
- infections importées et exotiques .
Cette expérience de prospective chinoise confirme le fait que , si l'évolution future des principaux facteurs influant sur l'émergence des maladies infectieuses peut être décrite avec suffisamment de précisions et de vraisemblance, en revanche la construction de scenarios est quasiment impossible, sauf à écrire des scenarii de science fiction.
5. L'exercice de l'organisation de coopération économique de la zone Asie-Pacifique
C'est précisément cette méthode de scénarios littéralisés de science fiction qui a été retenue par une réflexion prospective menée en 2007 par la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) dans le cadre d'un projet de prospective portant sur la convergence des technologies permettant de combattre les maladies infectieuses émergentes .
L'APEC est un forum économique intergouvernemental visant à faciliter la croissance économique, la coopération, les échanges et l'investissement de la région Asie Pacifique. L'origine de ce travail a été une déclaration des dirigeants des pays de la zone au regard des conditions de préparation pour faire face à une épidémie de grippe. Après une série d'interviews , le projet a réuni plusieurs séminaires au Japon et à Taïwan afin d'élaborer des recommandations pour les gouvernements des Etats de la zone Asie Pacifique en vue d'utiliser les nouvelles technologies dans trois domaines particuliers : les systèmes de surveillance en matière de bioterrorisme, l'observation de la terre, les outils de détection, diagnostic et identification des maladies.
Le recours à la méthode des scénarios littéralisés était justifié dans ce projet par le fait que, par définition, ceux-ci permettent de représenter des évolutions possibles alternatives aux évolutions en tendance, qu'ils autorisent des ruptures, qu'ils permettent de porter de nouveaux regards sur les phénomènes observés, qu'ils rendent possibles de nombreuses approches d'évènements complexes à travers des récits et enfin qu'ils ouvre la réflexion vers des stratégies permettant de modifier les évolutions prises en compte.
Les variables soumises à la réflexion de quatre groupes de réflexions portaient sur le social (santé, augmentation de la population, urbanisation, partage insuffisant des connaissances), la technologie (difficultés de transposition, nanotechnologies, modifications génétiques, suivi des évènements), l'économie (traités de libre-échange, économies auto-suffisantes, écart de richesses) et l'environnement (changement climatique, changements de comportement des vecteurs, modification dans l'usage des sols, modification des habitudes de consommation de viandes sauvages, terrorisme, brevets des pays développés, erreurs politiques).
Les incertitudes prises en compte concernaient des catastrophes naturelles majeures (tremblements de terre, éruptions volcaniques, etc...), la sécurité globale (catastrophes d'origine humaine, espèces inconnues, chocs technologiques), paniques locales ou globales, crise économique, partage insuffisant des connaissances, technologies non anticipées ou non planifiées.
a) Scénario 1 : « la malaria à Miami en 2017 »
Ce scenario imaginaire décrit l'évolution de la malaria importée à Miami par une famille d'Amérique latine. Le changement climatique conduit à des inondations et à des cyclones poussant les populations vers des zones où sévissent les moustiques. Dans les quartiers déshérités des banlieues de Miami se répand le virus de la malaria venu d'Amérique latine. A l'occasion d'un nouveau cyclone dévastateur, les transports et les services publics essentiels sont désorganisés. Le manque d'infrastructures ne permet plus de lutter contre les moustiques. Des souches résistantes apparaissent. Les réfugiés commencent à quitter Miami et à transporter l'épidémie en dehors de la Floride.
b) Scenario 2 : « 20 000 personnes mortes d'une maladie inconnue »
Ce second scenario commence par une situation chaotique à Bangkok où en deux semaines 20 000 personnes meurent et 50 000 sont malades d'un mal mystérieux. Les services médicaux sont débordés. Les affaires s'effondrent faute de personnels. Les transports sont désorganisés. Les gens commencent à constituer des stocks de nourriture, d'eau et de médicaments. Or on a découvert un millier de canards morts dans un élevage situé à 50 kilomètres de la ville et aussi quelques canards morts à Bangkok. Les analyses montrent que tous ont été victimes d'un flavivirus qui s'est attaqué à cet élevage parce qu'il hébergeait des canards génétiquement modifiés pour résister au virus H5N1 et rendus sensibles à certains virus transportés par les moustiques. Et ce sont aussi les moustiques qui se sont développés à Bangkok et qui ont transmis la maladie parce que le manque d'eau potable résultant de la trop forte progression démographique avait conduit les habitants à faire des réserves d'eau de pluie dans des jarres devant leurs maisons. Les autorités ont gardé la situation sous contrôle en faisant appel aux forces armées.
c) Scenario 3 : « des morts mystérieuses »
On apprend en octobre 2017 par un représentant de l'APEC que 5 000 personnes sont mortes d'une maladie mystérieuse avec un taux de mortalité de 20 %, un taux de 60 % de personnes en situation critique et 10 à 20 % de personnes échappant à la mort. Des scientifiques de France, Thaïlande, Canada et Taïwan découvrent que le virus baptisé « Archaea virus » est un virus d'origine animal datant de la période du Jurassique. En raison du réchauffement climatique, ce virus qui était emprisonné dans le sol gelé du Groënland a contaminé des animaux, puis des habitants du Groënland. Les scientifiques de la mission envoyés sur place se sont eux-mêmes contaminés au contact des populations. Le virus mutant, une transmission interhumaine a démarré. A l'occasion d'une conférence internationale de biotechnologie organisée à Paris, les scientifiques infectés ont transmis le virus à leurs collègues au cours d'un dîner. Ceux-ci ont alors transporté le virus dans leurs capitales respectives créant une situation épidémique mondiale.
d) Scenario 4 : « Syndrome émergeant des forêts humides »
Première hypothèse : la maladie est contenue
En 2009, une épidémie fait 600 morts dans dix pays différents sans qu'on en connaisse les raisons. Après investigation, on remonte à une rencontre entre scientifiques dans un pays de la zone tropicale humide. A l'époque 20 cas avaient été mentionnés présentant des symptômes similaires à ceux de la grippe, suivis de problèmes gastro-intestinaux conduisant à une issue fatale pour 20 % des malades dans les deux semaines suivant l'apparition des symptômes. Les survivants ont ensuite transmis la maladie autour d'eux. Un comité international de scientifiques pour combattre le syndrome des forêts humides (CISCSFH) mis en place en 2009 a commencé par donner des informations et des recommandations à la population conduisant notamment à cesser de perturber l'écosystème des forêts humides et d'éviter des contacts avec des vecteurs non identifiés. Après que le virus a été isolé, en 2013 le CISCSFH trouve un vaccin et des antiviraux permettant de démarrer une politique de vaccination en 2015. En 2017, on ne constate plus de cas de la maladie dans les six derniers mois.
Deuxième hypothèse : un problème majeur de santé publique
L'épidémie d'origine se propage jusqu'en 2011 par manque d'informations partagées. Elle fait 10 000 morts. Pendant que se tiennent des réunions internationales qui ne donnent lieu à aucun suivi ou recommandations, la pandémie continue. Aucun comité n'est créé pour gérer l'épidémie. Les mesures techniques restent sans succès. Le virus mute rapidement et alors qu'aucun génome du virus n'est isolé, celui-ci gagne en virulence. Aucun diagnostic, aucun antiviral, aucun vaccin, aucune mesure ne sont prises pour alerter les populations d'éviter un contact avec les vecteurs. Le résultat est que, en 2017, le syndrome des forêts humides est devenu le plus grave des problèmes de santé publique dans le monde.
6. L'appréciation de la méthode des scenarii pour le sujet
Même si les scenarii littéraires de l'exercice de l'APEC ont le mérite d'attirer l'attention sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, il n'en reste pas moins que l'examen des exercices menés jusqu'à présent, en France comme à l'étranger, conduit à penser que la méthode des scenarios est inadaptée pour traiter le sujet des maladies infectieuses émergentes .
L'explication réside avant tout dans le fait que les maladies infectieuses émergentes sont très nombreuses (plusieurs centaines recensées à l'heure actuelle), que les mécanismes d'émergence sont extrêmement variés selon les combinaisons intervenant dans l'apparition d'un virus , que les situations sanitaires sont très hétérogènes selon les zones climatiques , les mécanismes sociaux ou institutionnels des pays , que les conditions de diffusion épidémiques des maladies diffèrent très nettement les unes des autres avec des temps d'incubation spécifiques allant de quelques heures à plusieurs années, que les modes de transmission sont eux-mêmes multiples, etc...
Aucune matrice ne pourrait rendre compte de cette multiplicité des possibles et il faut reconnaître avec humilité notre impuissance et notre ignorance comme nous invite d'ailleurs le professeur Didier Raoult. Les paroles de Charles Nicolle résonnent toujours à nos oreilles : « Il y aura donc des maladies nouvelles. C'est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Elles apparaîtront comme Athéna parut, sortant toute armée du cerveau de Zeus. Comment les reconnaîtrons-nous, ces maladies nouvelles, comment soupçonnerions-nous leur existence avant qu'elles n'aient revêtu leurs costumes de symptômes ? Il faut bien se résigner à l'ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes et ce n'est qu'après une longue période de tâtonnements que l'on dégagera le nouveau type pathologique du tableau des affections déjà classées . » 15 ( * )
Source : HCSP d'après Plowright et al 2008
En revanche, il est certain aussi que le fatalisme n'est pas la bonne réponse à ce constat de notre ignorance .
L'homme et la société, les savants et les politiques peuvent agir sur les facteurs que nous connaissons comme étant des variables de la mécanique d'apparition et de diffusion des maladies émergentes. Ces facteurs sont stables, connus ; leur évolution en tendance est parfaitement décrite par les spécialistes des disciplines concernées . C'est donc sur ces facteurs qu'il est possible d'intervenir pour anticiper des évènements dont le déroulement nous échappe maintenant et qui se manifesteront nécessairement un jour ou l'autre sans prévenir. Il sera alors trop tard pour faire ce qui aurait pu être fait avant.
Le tableau ci-après résume quatre évolutions potentielles des principaux facteurs impliqués dans l'émergence des maladies infectieuses ; évolution volontariste, évolution satisfaisante, évolution tendancielle, évolution négative . C'est donc dans le cadre de chacun des facteurs qu'il est envisageable d'intervenir avec des leviers d'action à définir pour orienter l'évolution de manière à limiter le rôle de chaque facteur dans le déclenchement d'une pandémie.
EVOLUTIONS POTENTIELLES DES PRINCIPAUX FACTEURS
IMPLIQUÉS
DANS L'ÉMERGENCE DES MALADIES
INFECTIEUSES
Facteurs |
Evolution volontariste |
Evolution satisfaisante |
Evolution tendantielle |
Evolution négative |
|
Démographie et urbanisation |
Adaptation continue des stratégies vaccinales en parallèle du mouvement d'urbanisation (adaptation des logements, approvisionnement en eau de qualité), stratégie capable d'intégrer l'hétérogénéité des villes. |
Urbanisation rapide qui se traduirait par un contrôle des maladies infectieuses urbaines. Stratégie dont l'efficacité serait toutefois limitée par une insuffisante prise en compte du caractère « ouvert » des villes |
Urbanisation très rapide, les autorités sanitaires sont débordées. Contrôle insuffisant qui se concentrerait sur les maladies chroniques et dégénératives, et négligerait les MIE. Fortes densités de population. |
Urbanisation très rapide, absence de politique d'aménagement, fortes concentrations de populations rassemblées de façon anarchique, absence de contrôle sanitaire, aucune prise en compte de l'hétérogénéité intra-urbaine. |
|
Précarité des conditions sanitaires |
Politique du logement et de réhabilitation volontariste encourageant à la destruction des logements insalubres et améliorant le parc immobilier existant (notamment les logements sociaux). |
Politique de réhabilitation ciblée de certaines zones d'habitation, persistance de quelques endroits à risque. |
Politique de réhabilitation insuffisante, efforts ponctuels mais trop espacés dans le temps pour conduire à une amélioration tangible des conditions sanitaires (réémergence de tuberculose) |
Absence de politique de réhabilitation, existence et accroissement de zones de relégation, phénomènes de ségrégation sanitaire. |
|
Evolution des agents pathogènes |
Développement conjoint de pathogènes dont le mode de transmission peut être simple ou complexe, moyens de prévention et de traitement adaptés à ces deux types de pathogènes. Mise en place de politique de contrôle de l'usage des antibiotiques. |
Développement conjoint de pathogènes dont le mode de transmission peut être simple ou complexe, moyens de prévention et de traitement satisfaisants pour un seul type de pathogène au détriment de l'autre. |
Développement de virus hautement contagieux, incubation longue, virulence modérée, moyens de prévention et de traitement développés |
Développement de virus hautement contagieux , incubation courte, virulent (létalité élevée), moyens de prévention et de traitement limités |
|
Voyages et échanges intercontinen-taux |
Renforcement des contrôles sanitaires dans les lieux d'échange (services médicaux des aéroports, les ports, les gares, les autoroutes...), Développement d'un réseau international de coopération sanitaire entre aériens Information claire et efficace des voyageurs en matière de vaccinations. |
Renforcement des contrôles sanitaires dans certains lieux d'échanges stratégiques mais subsistance de « trous noirs » (ex : réseaux routiers intra-UE) |
Développement sporadique t des contrôles sanitaires à la suite de crises puis relâchement progressif dans certains secteurs |
Sous-contrôle sanitaire des migrations de population et surveillance minimale ou inexistante de la santé des voyageurs. |
|
Interactions santé animale santé humaine |
Rapprochement des spécialistes en santé humaine et en santé animale (création de formations communes) inspiré par l'idée d'une santé unique (one health) |
La communauté internationale parvient à trouver des réponses scientifiques et des régulations efficaces, mais la France est à la traîne (absence d'articulation entre recherche et base de données sur les risques) |
Pas de coopération entre les Etats, réponses curatives et limitées à certains pays ou à certaines zones, réponse génératrice de tensions entre Etats |
Risques élevés de maladies à fort impact, impuissance de la recherche, absence de coopération internationale |
|
Organisation du système sanitaire |
organisation efficace et efficient du système de santé, pleine et entière intégration des professionnels de santé, par exemple, les médecins généralistes (valorisation de leur rôle dans la veille sanitaire) Efforts constants de coordination entre les acteurs (professions médicales, patients, industrie..) |
Une organisation du système de santé globalement satisfaisante, mais des tensions ponctuelles viennent en réduire la portée (tensions entre l'Etat et les médecins) |
Des acteurs performants mais souvent isolés (notamment les hôpitaux), peu de coordination, absence d'une base épidémiologique unique alimentée et consultée par les différents acteurs. |
Persistance voire creusement de failles dans le système sanitaire, gestion inefficace de l'organisation des soins et de l'approvisionnement en produits de santé, suivi lacunaire des informations épidémiologiques. |
|
Recherche |
Orientation dans le cadre d'une gouvernance mondiale de la recherche vers la mise au point de vaccin pour les maladies les plus répandues et non pas en fonction de la solvabilité des populations |
Recherche décidée oar les grands laboratoires en fonction de la rentabilité des médicaments, mais avec un souci de soin aux populations insolvables |
Priorité aux recherches débouchant sur des médicaments à fort profit |
Incapacité des laboratoires privés à produire de nouveaux médicaments ou vaccins en fonction des nouvelles maladies émergentes |
|
Usage des sols |
Développer des investissements agricoles «responsables » respectueux de l'environnement et des droits des populations Mise en place de politiques publiques d' « intensification écologique » (gestion de l'eau dans l'ensemble d'un écosystème, utilisation de la biodiversité...) Sanctuarisation de certains espaces naturels |
Basculement technologique de l'agriculture sous l'effet du changement climatique mais l'essor de la demande alimentaire a accéléré la convergence d'espaces naturels (perte de biodiversité, réduction de la capacité de stockage de carbone) |
Nourrir la planète en privilégiant la croissance économique mondiale (intensification de l'agriculture, disparition des petites exploitations au profit d'exploitations mécanisées et industrielles) Prédominance de firmes multinationales |
Absence de politique foncière conduisant à un pilotage des terres agricoles disponibles insuffisant, ce qui se traduit par une aggravation des crises alimentaires, politiques et sociales dans les pays en développement. Convergence des régimes alimentaires vers le modèle occidental. |
|
Changement climatique |
Transition « post-carbone », inflexion radicale des modèles de développement (consommation, aménagement du territoire, technologies) Développement continu des énergies renouvelables, essor des bâtiments à basse consommation énergétique |
Prise de conscience d'un « tournant climatique », engagements multilatéraux sur les émissions de GES (450 ppm de CO²) Mais conduite discontinue d'une politique climatique qui déçoit les ambitions affichées. |
Augmentation du changement climatique et de la fréquence des événements climatiques extrêmes (désertification/fonte des glaces/inondations/ déforestation) Risques accrus de non-soutenabilité Inflexions marginales des modèles de développement |
Non-maîtrise voire augmentation des émissions des gaz à effets de serre, franchissement d'un tipping poin t (un point de basculement climatique irréversible) Doublement de la consommation d'énergie et d'émissions à l'horizon 2050 |
Pour autant, il ne faut pas exclure de prendre en compte quelques cygnes noirs qui, venant d'un coin de la planète tel l'un des quatre cavaliers de l'Apocalypse, faucheraient une grande partie de l'humanité. D'ailleurs, Le bioterrorisme est l'élément moteur, tant en Amérique du nord qu'en Europe de l'intérêt grandissant pour le scenario planning depuis 2002-2003.
Quel pourrait être ce scénario catastrophe 16 ( * ) qu'il faut toujours garder présent à l'esprit parce qu'il est loin d'être impossible ? Par exemple un acte de bioterrorisme 17 ( * ) associant dans un tryptique infernal le SRAS et la grippe pandémique ? Ce même tryptique est d'ailleurs souvent à la base de tous les développements, plus ou moins bien fondés, des scénarios "catastrophe".
Sommes-nous bien préparés à ce scénario catastrophe ?
Hélas non comme l'a souligné dès 2003 le Professeur Didier Raoult dans son rapport au ministre de la Santé : « Notre préparation face à ces événements chaotiques est faible ; ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que l'époque ne prête pas à la prévision d'événements catastrophistes (Cassandre est toujours ridicule !). Les besoins sociaux relayés par la presse sont des besoins immédiats ; ils répondent à des peurs spontanées qui sont rapidement chassées par d'autres peurs ou inquiétudes . Dans ces conditions, mettre en place un système qui permette d'éviter les conséquences dramatiques d'événements improbables et à long terme est extrêmement difficile . Il est même vraisemblable que cela soulèverait dans la presse des commentaires extrêmement négatifs dénonçant le catastrophisme, la paranoïa, voire le gaspillage. Pourtant, le coût des réactions en urgence est bien supérieur à celui de la prévention ».
* 13 COM(2004)72 final, 3 février 2004
* 14 Haut Conseil de la santé publique intitulé « Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives » La Documentation Française Paris 2010
* 15 Charles Nicolle : Le destin des Maladies Infectieuses Paris 1926 et 1935
* 16 Voir notamment Cass Sunstein, "Worst-Case Scenarios" (2008) et le rapport du Professeur Didier Raoult sur le Bioterrorisme 2003
* 17 Voir aussi : Andremont. SRAS et bioterrorisme : au risque de la mondialisation. In: Politique étrangère N°3-4 - 2003 - 68e année pp. 679-688