INTRODUCTION : GENÈSE ET PRINCIPES DE LA LOI PÉNITENTIAIRE
Mesdames, Messieurs,
Entrée en vigueur le 24 novembre 2009, la loi n°2009-1436 pénitentiaire a entendu marquer un profond renouveau neuf ans après que les commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale eurent dressé un état des lieux très critique des prisons françaises 1 ( * ) . Elle s'imposait aussi au regard du socle de références communes définies en 2006 par les règles pénitentiaires européennes.
Le Parlement et le Sénat en tout premier lieu ont largement contribué, dans un esprit consensuel, à donner à ce texte une ambition dont il était initialement dépourvu. Afin de marquer l'intérêt particulier qu'elles attachent à la mise en oeuvre de cette loi, la commission des lois et la commission sénatoriale pour l'application des lois ont décidé de mener conjointement une première évaluation de son application. Elles ont confié respectivement à M. Jean-René Lecerf et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat la responsabilité de cette mission commune.
Au terme de nombreux entretiens et de plusieurs déplacements (voir annexe 1) vos co-rapporteurs ont souhaité non seulement établir un bilan de l'application de la loi mais aussi présenter plusieurs propositions pour donner un nouvel élan aux objectifs poursuivis par le législateur.
Les résistances rencontrées lors des débats parlementaires par les propositions les plus ambitieuses comme l'absence de programmation des moyens financiers nécessaires pouvaient laisser augurer des difficultés d'application du texte.
De fait, si la loi a fixé pour la première fois un cap clair en matière pénitentiaire sa mise en oeuvre se heurte encore à de nombreux obstacles .
Les interlocuteurs de vos co-rapporteurs se sont, dans leur majorité, accordés pour reconnaître que la loi a déterminé un cadre de référence, jusqu'alors évanescent, pour les acteurs de la chaîne pénale axé autour de l'objectif de réinsertion -à travers la reconnaissance de la dignité et la responsabilisation de la personne détenue - et du développement des aménagements de peine. Dans son titre préliminaire, la loi rappelle le sens de la peine : « Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». De même, la loi a posé le principe de l'aménagement des peines d'emprisonnement ferme qui, elles-mêmes, ne doivent être prononcées, en matière correctionnelle, hors hypothèse de récidive légale, qu'« en dernier recours » (art. 65).
L'effectivité de ces grands principes ne pourra certes pas s'apprécier seulement à l'aune de l'application des différents articles de la loi qui n'en épuise pas en effet toutes les déclinaisons. Elle implique une appropriation par les magistrats, l'administration pénitentiaire et tous ceux qui, à un titre ou un autre, sont appelés à intervenir dans le milieu pénitentiaire. Vos co-rapporteurs sont conscients, à cet égard, des limites du travail auquel ils se sont livrés : une évaluation de la loi pénitentiaire dans toute sa portée supposera encore le recul de plusieurs années.
A ce stade, l'application de la loi pénitentiaire n'est pas à la mesure des espoirs qu'elle avait soulevés. En effet, elle a rencontré faute, sans doute, d'une réelle volonté politique, quatre ordres de difficultés.
En premier lieu, les premiers décrets d'application sont intervenus avec retard -un an après l'adoption du texte par le Parlement- et se sont ensuite échelonnés jusqu'à aujourd'hui (voir annexe 2). Deux décrets importants restent à prendre : le premier sur la mise en place d'une évaluation statistique rigoureuse des taux de récidive par établissement pour peine (art. 7) ; le second sur l'élaboration de « règlements intérieurs types » pour préciser le fonctionnement de chaque catégorie d'établissement pénitentiaire (art. 86).
Ensuite, la loi pénitentiaire s'est heurtée à l'insuffisance des moyens en particulier pour le développement des aménagements de peine. L'étude d'impact accompagnant la loi estimait nécessaire la création de 1 000 emplois supplémentaires de conseillers d'insertion et de probation. Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi moins du tiers de ces postes ont été effectivement ouverts.
Ces retards ont incontestablement favorisé une certaine inertie administrative . Comme l'a relevé M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lors de son audition le 13 juin dernier, par vos deux commissions 2 ( * ) , si les dispositions qui consacraient différentes expérimentations -bilan individualisé pour les arrivants, parcours d'exécution de la peine- ont été généralisées, celles qui marquaient une novation par rapport aux pratiques habituelles -consultation des personnes détenues, fouille, droit à l'image- ont fait l'objet d'une interprétation restrictive au point, parfois, de rester lettre morte. Néanmoins, l'entrée en vigueur de la loi a permis des avancées sur certains sujets : les fouilles corporelles internes -désormais strictement encadrées- n'ont plus cours ; la présence d'un assesseur extérieur au sein des commissions de discipline est jugée de manière très positive -malgré les difficultés de recrutement signalées dans certains ressorts.
Au demeurant, la lenteur avec laquelle la loi est mise en oeuvre n'est pas le seul fait de l'administration pénitentiaire. L'application des dispositions relatives à l'emploi, la formation professionnelle ou encore l'aide sociale suppose l'intervention d'autres acteurs -publics ou privés. Or la dynamique partenariale souhaitée par le législateur tarde à s'enclencher.
L'augmentation du nombre des personnes détenues au cours de la période récente -au 1 er juin 2012, les prisons françaises accueillaient 66 915 détenus écroués contre 64 971 au 1 er juin 2011 et 61 656 au 1 er juin 2010- a également contrarié les orientations de la loi pénitentiaire. La surpopulation carcérale qui touche exclusivement les maisons d'arrêt entraîne la dégradation des conditions de détention, multiplie les tensions au sein des établissements entre les détenus et les personnels et aussi entre détenus eux-mêmes. Elle complique davantage le développement des activités et de l'emploi en détention. Enfin, elle éloigne encore la réalisation de l'encellulement individuel.
Les évolutions législatives conjuguées à une politique pénale tendant à ramener à exécution toutes les peines d'emprisonnement ferme , y compris les plus courtes, expliquent pour une large part cette situation. Elles ont contribué à brouiller les objectifs poursuivis par le législateur en 2009. L'une des avancées de la loi pénitentiaire, d'ailleurs voulue alors par le gouvernement -l'extension de un à deux ans du quantum des peines prononcées susceptibles de donner lieu à un aménagement- a été menacée à plusieurs reprises lors de l'examen de nouveaux textes pénaux. La fermeté du Sénat a permis de sauvegarder cette disposition. La loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines a contredit les orientations de la loi pénitentiaire, notamment quant à l'aménagement des courtes peines d'emprisonnement. Quant au programme de construction d'établissements pénitentiaires appelé à succéder au programme « 13 200 places » actuellement en cours d'achèvement, il repose pour l'essentiel sur la construction d'établissements de 600 à 800 places. Or les structures d'une telle dimension ont déjà montré leurs inconvénients et ne sont pas adaptées à une prise en charge qualitative de la vie en détention.
Vos co-rapporteurs estiment que l'heure est venue de redonner souffle aux principes fondateurs de la loi pénitentiaire, non seulement en permettant une application plus satisfaisante de ses dispositions mais aussi en la complétant dans l'esprit et la logique qui avaient animé le législateur en 2009.
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I. L'ORGANISATION DU SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE
A. LE DÉVELOPPEMENT DU CONTRÔLE ET DE L'ÉVALUATION
1. La mise en place progressive des conseils d'évaluation (art. 5)
La loi pénitentiaire a prévu l'institution auprès de chaque établissement de conseils d'évaluation en remplacement des commissions de surveillance dont l'inefficacité avait été depuis longtemps dénoncée par les commissions d'enquête parlementaire. Le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 en a fixé la composition (art. 16).
Composition du conseil d'évaluation Sous la présidence du préfet et les vice-présidences du président du tribunal de grande instance et du procureur de la République, le conseil réunit : - le président du conseil général ; - le président du conseil régional ; - les maires des communes sur le territoire desquelles est situé l'établissement pénitentiaire ; - le président et le procureur de la République des juridictions, autres que celle dans le ressort de laquelle est situé l'établissement concerné, compétentes pour traiter des situations des justiciables pris en charge par l'établissement ; - les juges de l'application des peines ; - le cas échéant, le juge des enfants ; - le doyen des juges d'instruction ; - l'inspecteur d'académie ; - le directeur général de l'agence régionale de santé ; - le commandant de groupement de la gendarmerie du département ; - le directeur départemental de la sécurité publique ; - le bâtonnier de l'ordre des avocats ; - un représentant de chaque association intervenant dans l'établissement ; - un représentant des visiteurs de prisons ; - un aumônier agréé de chaque culte. Le directeur de l'établissement pénitentiaire, le directeur départemental du service pénitentiaire d'insertion et de probation, le directeur interrégional des services pénitentiaires et, le cas échéant, le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse, assistent aux travaux du conseil d'évaluation. |
Le conseil d'évaluation se réunit au moins une fois par an. Il peut aussi être réuni sur un point précis à la demande du chef d'établissement ou du tiers de ses membres au moins.
Il n'est pas sûr néanmoins que cette nouvelle instance dont la composition est encore plus lourde que celle de la commission de surveillance -qui ne comprenait « que » vingt-quatre membres, joue un rôle efficace.
Les interlocuteurs de vos co-rapporteurs se sont d'ailleurs montrés sceptiques sur l'organisation du conseil. A l'évidence, et contrairement au souhait du législateur, le pouvoir exécutif n'a pas tiré les enseignements de l'échec des commissions de surveillance en donnant à ces nouvelles structures une composition allégée qui leur permette d'exercer à la fois un rôle d'évaluation et de proposition.
2. La place déterminante du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (art. 4)
Le législateur avait jugé inconcevable que la loi pénitentiaire ne mentionne pas le Contrôleur général des lieux de privation de liberté -même si cette autorité avait été déjà instituée par la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007- compte tenu du rôle qui lui est imparti dans le contrôle des conditions de détention. La loi de 2009 a précisé que la correspondance entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues ne pouvait être ni contrôlée ni retenue -garantie utile compte tenu des pratiques parfois constatées dans certains établissements.
L'application de la loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté justifierait sans doute à elle seule un rapport spécifique. Vos co-rapporteurs souhaitent souligner, dans le cadre de leur mission présente, le rôle devenu essentiel, grâce à l'action déterminée de M. Jean-Marie Delarue et de ses équipes de contrôleurs, que joue cette autorité dans le contrôle des conditions de détention.
Au 15 mars 2012, le Contrôleur général a réalisé 138 visites d'établissements ou structures pénitentiaires dont 13 dans des établissements hospitaliers accueillant des personnes détenues (7 unités hospitalières sécurisées interrégionales -UHSI-, 4 chambres sécurisées, un centre hospitalier spécialisé, l'établissement public de santé national de Fresnes EPSNF-), un portant sur le transfert de la maison d'arrêt de Nancy au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville et un contrôle sur les locaux de la « souricière » au Palais de justice de Paris. Il a procédé à une contre-visite dans sept établissements pénitentiaires. Sur 138 visites, 67 rapports de constats ont été transmis au ministère de la justice auxquels il a été répondu.
L'inspection des services pénitentiaires vérifie dans les six mois suivant la réponse du ministre si les engagements du garde des sceaux sont respectés et, dans le cas contraire, les arguments avancés par les responsables de l'établissement. Les rapports de contre-visite sont transmis au Contrôleur général.
Par ailleurs, le nombre de saisines individuelles augmente chaque année (165 en 2008-2009, 567 en 2010, 634 en 2011). Depuis sa création, le Contrôleur général aura ainsi été saisi de 1 429 requêtes de la part des personnes détenues.
Le Contrôleur général a publié au journal officiel huit avis thématiques 3 ( * ) et cinq recommandations 4 ( * ) .
Les personnes détenues sont informées de l'existence du Contrôleur général par le guide « je suis en détention » qui doit leur être remis à leur arrivée dans l'établissement. L'administration pénitentiaire s'est engagée à garantir la confidentialité de la correspondance ainsi que des échanges téléphoniques qui ne sauraient faire l'objet d'aucun enregistrement ou écoute.
3. Les délégués du Défenseur des droits : certaines incertitudes liées à une période de transition (art. 6)
La loi pénitentiaire avait consacré le rôle du Médiateur de la République représenté en principe auprès de chaque établissement pénitentiaire. Depuis la mise en place du Défenseur des droits 5 ( * ) au cours de l'année 2011, ces délégués poursuivent leur mission en qualité de délégué du Défenseur des droits. Selon les éléments communiqués par la direction de l'administration pénitentiaire, près de 150 délégués du Défenseur des droits auraient une permanence régulière ou au cas par cas auprès de 164 sites pénitentiaires.
Vos co-rapporteurs ont pu constater que cette période transitoire avait conduit certains délégués à s'interroger sur la pérennité des fonctions qui leur étaient confiées et à suspendre leur activité, situation souvent dommageable pour les personnes détenues qui perdent alors un relais très utile pour leur permettre de régler leurs différends avec les administrations.
4. L'évaluation indépendante de données statistiques : le chaînon manquant (art. 7)
La faiblesse des données statistiques concernant le devenir des personnes sous main de justice interdit une évaluation fiable et objective du système pénitentiaire français. Aussi, à l'initiative du Sénat, la loi pénitentiaire (art. 7) a prévu de confier à un observatoire indépendant le recueil et l'analyse des données relatives aux infractions, à l'exécution des décisions de justice en matière pénale, à la récidive et à la réitération. Elle lui assigne la responsabilité d'élaborer un rapport annuel « comportant les taux de récidive et de réitération par établissement pour peines ». Ce rapport annuel doit aussi présenter le taux de suicide par établissement.
Dans l'esprit du Parlement, il ne s'agissait pas de créer une nouvelle structure mais de rattacher ces missions à l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) institué par le décret en Conseil d'Etat n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 6 ( * ) .
Plusieurs des interlocuteurs de vos co-rapporteurs ont souligné la difficulté technique d'établir de telles statistiques (suivi de cohortes dans le temps...) et les risques liés à une interprétation déformée des résultats qui seraient produits. L'intention du législateur n'a jamais été d'établir on ne sait quel « palmarès » des établissements pénitentiaires mais seulement de mieux mesurer l'influence des conditions de détention sur la récidive et la réinsertion et d'éclairer la politique pénitentiaire, en particulier dans l'élaboration des programmes immobiliers sur la base de données plus objectives.
Dans cette perspective, une évaluation des taux de récidive assortie des réserves de méthodologie et d'interprétation nécessaires, demeure pertinente.
Vos co-rapporteurs ne peuvent que regretter que les services n'aient pas été en mesure de mettre en oeuvre le travail interministériel nécessaire pour appliquer un des volets importants de la loi du 24 novembre 2009 ( recommandation n° 1 ).
* 1 Prisons : une humiliation pour la République, commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France : MM. Jean-Jacques Hyest, président, et Guy-Pierre Cabanel, rapporteur : rapport du Sénat n° 449 tome 1, tome 2 : annexes (1999-2000) ; La France face à ses prisons, commission d'enquête sur les prisons françaises ; MM. Louis Mermaz, président, et Jacques Floch, rapporteur : rapport de l'Assemblée nationale, n° 2521, onzième législature ; Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, commission présidée par M. Guy Canivet, mars 2000, Documentation française.
* 2 Compte-rendu consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120611/lois.html#toc4.
* 3 Ces avis ont porté sur l'exercice du droit des personnes détenues à la correspondance, la gestion des biens des personnes détenues, la situation des personnes détenues faisant état de troubles de l'identité sexuelle, l'usage du téléphone par les personnes privées de liberté, l'exercice du culte dans les lieux de privation de liberté, l'accès à l'informatique des personnes détenues, la supervision des personnels de surveillance et de sécurité, le nombre de personnes détenues.
* 4 Ces recommandations ont porté sur la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône -24 décembre 2008- la maison d'arrêt de Nice -30 avril 2009- la maison d'arrêt de Mulhouse -23 février 2010- la maison d'arrêt de Majicavo -30 juin 2010- et le centre pénitentiaire de Nouméa -6 décembre 2011-.
* 5 Institué par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
* 6 L'Observatoire est rattaché à l'Institut National des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du Premier ministre.