M. Lilian Thuram, Président de la Fondation
Éducation contre le racisme
Invité-témoin sur le lien
entre l'enseignement de l'histoire coloniale et la nécessité de
l'éducation contre le racisme
Mme Françoise Vergès . - La parole est enfin à Lilian Thuram, président de la Fondation éducation contre le racisme.
M. Lilian Thuram . - Notre fondation « Éducation contre le racisme » se rend dans les écoles, en particulier, pour recueillir la parole des enfants sur le racisme. À cette occasion, nous constatons qu'ils ont intégré de façon inconsciente un discours sur l'existence de races, définies par la couleur de la peau et disposant de caractéristiques propres. Pour eux, spontanément, par exemple, les Noirs chantent bien et sont sportifs. Ils sont déjà conditionnés. Pourtant, on ne naît pas raciste, on le devient. Il faudrait rappeler sans cesse l'idée simple selon laquelle la couleur de la peau, le genre ou la religion d'une personne ne définissent en rien ni ses qualités ni ses défauts.
Mais cette idée n'est pas intégrée dans la société, beaucoup voyant l'histoire au travers de leur couleur de peau ou de leur genre. Notre travail est d'expliquer que, de générations en générations, nous nous sommes enfermés dans une identité et qu'il convient de déconstruire ce processus pour sortir de ces prisons identitaires. Nous apprenons aux enfants que l'esclavage n'est pas un rapport entre les Noirs et les Blancs mais une construction économique et politique, la matrice de toutes les inégalités étant le rapport inégal entre hommes et femmes comme le rappelle si bien Françoise Héritier. Il y a un lien entre la colonisation, l'esclavage et la Shoah, le point de croisement de toutes les mémoires étant l'injustice qui a frappé les uns et les autres. Il faut être capable de reconnaître l'injustice et de dire non. De voir que derrière elle se cache toujours la même idéologie d'une race supérieure.
Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre comment des personnes en viennent à accepter l'inacceptable, à fermer les yeux lorsqu'on vient chercher un Juif pour le déporter. Depuis dix ans s'est diffusé en France un discours ouvertement xénophobe et islamophobe... Il faut comprendre que l'histoire des Antillais ou celle des Juifs n'appartient pas seulement à l'un ou l'autre groupe, mais à nous tous. Tous, hommes et femmes, nous sommes capables de dénoncer l'injustice. Je connais des personnes qui s'indignent des discriminations envers les Noirs, mais pas envers les homosexuels. Pourtant, c'est la même chose ! Lorsqu'on l'aura compris, un certain discours politique ne sera plus admis. ( Applaudissements )