2. Une succession rapide de réformes brouillant les missions de l'éducation nationale
a) La prolifération des missions imparties à l'école et le déplacement du coeur de métier
Le sens de l'école paraît brouillé pour l'ensemble des acteurs du système éducatif. Les objectifs assignés à l'éducation nationale ne sont plus très clairs notamment au collège, censément unique malgré la réapparition de filières parallèles telles que le préapprentissage et constamment remis en cause. Les référentiels communs à la scolarité de tous les enfants sont réaffirmés en apparence, par exemple à travers la promotion du socle commun de connaissances et de compétences. Mais ils sont en parallèle fragilisés par le leitmotiv de personnalisation et d'individualisation de l'enseignement, maxime qui infléchit les représentations du métier sans déboucher concrètement sur une nouvelle pratique cohérente. Pourtant, sans base commune à tous les élèves, sans une aspiration authentique à l'universel, aucune différenciation des enseignements n'est utile, ni même concevable.
La succession rapide et tous azimuts des réformes (socle commun, aide personnalisée, ECLAIR, etc.) aboutit à une prolifération difficile à articuler des missions imparties à l'école qui vont de la formation du citoyen à la constitution d'une élite, de la démocratisation à la personnalisation, de la concentration sur les fondamentaux à l'ouverture sur la société et la diversité des savoirs. L'appareil administratif produit en conséquence une multitude de textes normatifs, de décrets, de circulaires, d'instructions et de discours, qui ne hiérarchisent et ne clarifient pas les priorités mais formulent et empilent des contraintes irréconciliables. Mais les circulaires qui mettent en avant le travail en équipes, le travail sur les compétences, les projets, les évaluations, etc. paraissent ne pas tenir compte concrètement du maintien nécessaire d'un temps de travail correct et d'une charge de travail acceptable. Beaucoup de réformes se heurtent à la réalité du travail, à un défaut d'expertise local, à des surcharges horaires, à l'absence de consensus au sein même des établissements.
L'inflation des prescriptions en dehors de tout cadre cohérent, conjuguée à la sous-prescription des moyens à mettre en oeuvre pour les respecter, perturbe l'activité des enseignants. Elle est à la racine de ce « travail empêché » constaté par les enquêtes sociologiques. La prolifération des missions et le brouillage du sens de l'éducation sont la source majeure de l'exacerbation des conflits de travail et de la souffrance ordinaire des enseignants.
En outre, l'élargissement des tâches est constant mais ne provoque pas de réaménagement de l'existant, si bien que les responsabilités dévolues aux acteurs du système éducatif s'accumulent sans constituer un ensemble cohérent. Il est demandé aux enseignants en plus de leurs cours d'accroître leur présence dans l'établissement, de préparer l'orientation, de coordonner des projets notamment. Des chefs d'établissement, on exige qu'ils jouent un rôle d'animation pédagogique sans que le pôle administratif de leurs tâches n'ait été allégé.
D'après Anne Barrère 23 ( * ) , face au déplacement du coeur de métier, les réactions sont différentes entre les groupes d'acteurs :
- d'un côté, les chefs d'établissement, dans leur grande majorité, approuvent le surcroît d'importance conféré à leur échelon décisionnel. Ils considèrent généralement leurs nouvelles tâches plus intéressantes et stratégiques et adhèrent au déplacement du coeur de métier vers les fonctions pédagogiques ;
- de l'autre, les enseignants sont très divisés sur l'appréciation de l'élargissement des tâches, son utilité et sa légitimité. Un certain nombre d'enseignants craint que ne soit profondément menacé le coeur de métier, précisément la transmission des savoirs dans la classe, par l'accumulation de tâches périphériques pour lesquelles ils ne se sentent pas compétents, faute de formation, et revendiquent l'intervention de professionnels spécialisés.
Votre rapporteure comprend parfaitement les inquiétudes du monde enseignant à cet égard. C'est pourquoi elle considère qu'il faut repartir de la base en reformulant clairement les missions fondamentales du service public de l'éducation qui en définissent le sens et doivent orienter toute décision. Sur ces fondations et dans la concertation pourront ensuite être précisées et adaptées aux nouvelles exigences les tâches des enseignants et des chefs d'établissement.
b) L'invisibilité du travail réel des enseignants et des conditions concrètes de mise en oeuvre des réformes
L'accumulation des réformes provoque une diversification des tâches et une intensification du travail des enseignants mal maîtrisées. Françoise Lantheaume 24 ( * ) a relevé devant les membres de la mission que paradoxalement, les décideurs politiques avaient tendance à considérer que les enseignants résistaient aux réformes ou les appliquaient, alors que, du côté des enseignants, celles-ci étaient vécues comme un empêchement à travailler, une pression accrue et une transformation non négociée du coeur du métier et de l'identité professionnelle.
Votre rapporteure est convaincue que l'engagement constant des enseignants auprès de leurs élèves et le souci qu'ils manifestent toujours de ne pas les pénaliser en cas de changement de l'organisation ou des prescriptions prouvent qu'ils n'ont pas nécessairement d'hostilité de principe au changement. Leur réticence naît plutôt de leur sentiment que le « bout de la chaîne » éducative n'est pas pris en compte lors de la conception des réformes, comme si la réalité de leur travail et leur expertise étaient niées.
Les réformes ne peuvent réussir que si les enseignants en voient le sens et l'intérêt pour leurs pratiques et pour le coeur de métier au sein de la classe. Il est essentiel pour votre rapporteure que les réformes, dont personne ne conteste la nécessité a priori , ne soient pas vécues sur le mode de la sanction d'un groupe professionnel qui n'aurait pas correctement fait son travail.
Toute réforme dont le sens global est peu lisible aux yeux des enseignants tend potentiellement les relations entre collègues et avec les personnels de direction. Ce principe fondamental se vérifie par exemple dans la mise en place du socle commun de connaissances et de compétences. Bien qu'elle paraisse familière et intuitivement appréhendable, la notion même de compétences demeure peu stabilisée scientifiquement et sa dissociation avec les savoirs et les connaissances est plus ambiguë qu'il n'y paraît à première vue.
Opérationnellement, au-delà des réflexions théoriques, le socle commun est comme plaqué sur les programmes, auquel il se rajoute, sans que l'articulation entre les deux instruments de définition des contenus de l'enseignement ne soit pensée. Lorsqu'on se préoccupe de la réalité du travail, occultée par la superposition de circulaires et de normes définissant des situations idéales et désincarnées, on constate que le socle commun est réduit à des procédures bureaucratiques : il se transforme et devient un livret de compétences où l'on fait cocher des croix aux professeurs. La mise en oeuvre en arrive à être totalement opposée à l'esprit de la réforme.
Les textes normatifs sont à la fois détaillés et lacunaires ; ils ne portent pas en eux-mêmes les conditions de leur traduction concrète et de leur adaptation aux différents environnements. Les séquences d'ajustement perpétuel, de réglage fin par essai et erreur échappent au regard du public. Cette tâche d'adaptation des normes nationales aux attentes locales, déléguée aux enseignants, reste invisible alors qu'elle est cruciale. L'accompagnement demeure trop souvent défaillant si bien que les enseignants se retrouvent souvent seuls, parfois rassemblés en groupes informels, pour répondre à la question centrale : que faire de telle ou telle mesure avec mes ressources et mes contraintes ?
L'exemple de l'aide personnalisée, étudiée par Françoise Lantheaume, permet de se rendre compte que la notion même d'application des réformes ne rend absolument pas compte des dynamiques en jeu sur le terrain, dans les établissements et dans les classes. Les enseignants se retrouvent face à cette injonction nouvelle. Il n'y a pas eu d'opposition massive de principe et la mesure est plutôt bien acceptée initialement. Mais en même temps, il n'est pas facile de discerner ce que la réforme implique véritablement, la traduction en termes de pratiques de classe n'est pas aisée. Privés de temps de formation et sans soutien, les enseignants se sont retrouvés seuls à bricoler progressivement, si bien que la mise en oeuvre de l'aide personnalisée est caractérisée par de très importantes variations d'un lieu à un autre, d'une classe à une autre. Souvent, l'aide personnalisée est utilisée comme un temps de respiration dans la vie de la classe ou orientée vers l'amélioration des relations avec les élèves et familles, mais elle est rarement centrée sur les apprentissages.
Travailler pour les enseignants n'est pas appliquer mais traduire, ajuster les dispositifs et s'ajuster au contexte sans perdre le cap. Il faut reconnaître la créativité des enseignants, leur capacité d'adaptation et d'invention de solutions chaque jour mise à l'épreuve. C'est ce qui fait à la fois la grandeur et la servitude de la vie enseignante, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas décisivement renforcer la formation continue pour leur permettre de travailler avec sérénité et en disposant des résultats de la recherche en sciences de l'éducation.
Les enseignants sont des concepteurs à part entière et non de simples exécutants. Il est impératif de le reconnaître et en conséquence de les associer en amont à la définition même des dispositifs qu'ils devront utiliser dans leurs classes. Leur expertise fait défaut aux réformateurs institutionnels trop prompts à se contenter de schémas trop abstraits et sans prise sur l'activité concrète.
c) L'exemple de la réforme de la voie professionnelle
(1) Une généralisation brutale après des expérimentations peu concluantes
La voie professionnelle a subi depuis 2008 une refonte extrêmement profonde qui n'a quasiment rien épargné de la carte des formations, de la construction des parcours et des modalités pédagogiques d'enseignement. A titre personnel, votre rapporteure n'était pas opposée par principe à la réduction à trois ans de la durée du parcours menant au baccalauréat professionnel pour les meilleurs élèves. En revanche, elle a toujours plaidé pour le maintien en parallèle de l'ancienne voie via le BEP, parce qu'elle s'inquiétait du sort des élèves les plus fragiles et craignait l'accroissement des sorties sans qualification.
La réforme de la voie professionnelle fut le premier laboratoire de la politique du précédent gouvernement avant sa généralisation à l'ensemble du système éducatif. Le nouveau mode de gestion de l'éducation nationale, initié par la rénovation du lycée professionnel, se retrouve en particulier dans l'évolution de la politique d'éducation prioritaire. Ainsi, l'expérimentation CLAIR (Collèges et lycées pour l'innovation, l'ambition et la réussite), qui devait initialement rester restreinte et soumise à une évaluation rigoureuse, est d'une année sur l'autre étendue aux écoles, puis généralisée brutalement à tous les établissements pour reconfigurer de facto les réseaux ambition réussite aux mépris des objections de la communauté éducative. Retrait de l'échelon central, faiblesse de l'évaluation, autonomie des établissements sans cadrage national solide sont devenus les maîtres-mots.
Dans le cas de la réforme de la voie professionnelle, construite pour éliminer les parcours en quatre ans via le BEP, la première phase présentée comme expérimentale a surtout permis de contourner plus facilement les inquiétudes légitimes des personnels quant au bien-fondé des nouveaux dispositifs. Il n'a pas été tenu compte des éléments de bilan des expériences antérieures de parcours en trois ans jusqu'au baccalauréat professionnel, qui n'étaient pas pleinement concluantes, comme le relevait déjà avec acuité l'IGEN, en septembre 2005 :
« Si le bac professionnel en trois ans constitue une première réponse à la flexibilité des parcours, ce dispositif n'y répond que partiellement et de manière trop rigide. En effet, il est nécessaire de donner une réponse adaptée à la diversité des publics accueillis en baccalauréat professionnel. Le parcours en trois ans n'est donc qu'un élément de réponse qui ne concerne qu'une faible partie des publics. [...] il faudrait laisser davantage d'initiative aux établissements pour adapter les parcours en fonction des publics, plutôt que d'imposer une seule alternative : le bac pro en quatre ans ou le bac pro en trois ans. Ainsi, dans chaque établissement pourraient être organisés des parcours différenciés pendant, un trimestre, un semestre, une année, deux, trois ou quatre années selon les besoins, afin d'amener chacun à la réussite au rythme le plus adapté.
Enfin, il y a lieu encore de souligner qu'une grande majorité d'élèves ne peut pas suivre un parcours vers un baccalauréat professionnel en trois ans au terme du collège et à ce titre ils ne doivent pas être oubliés. » 25 ( * )
(2) Une augmentation prévisible des inégalités sociales et territoriales
Le principe même de la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans était donc pour le moins discutable car elle risquait surtout de pénaliser les élèves les plus fragiles qui n'auraient plus le temps de reprendre pied après des années de collège difficiles, comme le permettait le passage par le BEP. Sans conclure la phase expérimentale par aucune véritable évaluation globale et publique, le ministère a pourtant procédé à une généralisation brutale sans inflexion des mesures initiales et sans cadrage national fort.
La mise en oeuvre de la réforme au pas de charge a justifié toutes les inquiétudes que votre rapporteure formulait dès 2009 dans son avis sur le budget de l'enseignement professionnel. Comme pour de nombreux autres dispositifs laissés plus ou moins à leur discrétion par le retrait volontaire de l'administration centrale, les recteurs ont développé alors des politiques académiques très différentes. L'autonomie accrue des établissements a encore accentué cette disparité de traitement. Lorsqu'à l'été 2012, la première cohorte nationale d'élèves issus d'un parcours en trois ans devra finalement valider le baccalauréat et entrer sur le marché du travail, il est fort à craindre que les taux de réussite et d'insertion professionnelle montreront un accroissement des inégalités territoriales et sociales.
En mettant en segment conjointement l'enseignement professionnel, et l'éducation prioritaire, segments très fragiles du système scolaire, la politique menée dans les dernières années pénalise surtout les enfants de milieu populaire qui sont concentrés dans ces établissements. Parallèlement, l'enseignement supérieur et le lycée général, qui s'adressent à des élèves plus favorisés ont connu une préservation de leurs ressources. La contrainte budgétaire s'est donc mécaniquement traduite par des arbitrages au détriment des plus faibles. Ce sont ceux-là même qu'on stigmatisait parallèlement au nom de la lutte contre la violence scolaire et le décrochage.
(3) Une accumulation de points de crispation pénalisant la conduite de la formation en lycée professionnel
A l'épreuve des faits, malgré la mobilisation intacte de l'ensemble des personnels, enseignants, administratifs et chefs d'établissement, force est de constater que la réforme ne parvient pas à répondre à de nombreuses inquiétudes.
Le risque de « déprofessionalisation » de l'enseignement professionnel ne peut encore être totalement écarté. Sa concrétisation serait particulièrement néfaste puisque seraient alors minées les possibilités d'insertion sur le marché du travail aux niveaux V et IV, alors même que les poursuites d'études dans l'enseignement supérieur restent très fragiles, même en BTS. L'accès au BTS n'a pas été pensé et préparé convenablement.
La structuration de l'offre de formation, en particulier l'équilibre entre CAP et baccalauréat professionnel, demande encore à être ajustée pour lutter contre le déterminisme géographique et pour éviter la reformation interne d'un parcours de relégation par dévalorisation du niveau V. Parallèlement, l'effectivité des passerelles tant entre les différentes voies, qu'au sein de la filière professionnelle, qui devaient fluidifier les parcours et contrebalancer le poids des orientations par défaut, demeure très incertaine.
En outre, le diplôme intermédiaire et le contrôle en cours de formation (CCF) cristallisent une grande partie des écueils de la réforme et mettent en évidence simultanément toutes ses failles. Le statut, les modalités d'obtention et la place dans le cursus des BEP rénovés et rebaptisés « certifications intermédiaires » 26 ( * ) demeurent flous. La certification intermédiaire devait servir de filet de sécurité pour les élèves fragiles qui engagés dans un parcours menant au bac professionnel ne parviendraient finalement pas à l'obtenir. En réalité, un échec à la certification intermédiaire décourage les élèves qui risquent alors de décrocher définitivement. L'incohérence et la complexité de la mise en oeuvre pratique du dispositif de certification intermédiaire l'ont déjà vidé de sa substance, comme le soulignent unanimement les acteurs de terrain.
De plus, les modalités de réalisation du CCF ne sont pas satisfaisantes. Insuffisance du cadrage national, manque de lisibilité, complexité d'organisation, difficulté d'articulation avec le cursus du baccalauréat, réduction du temps proprement dévolu à la formation, les reproches ne manquent pas. La progression pédagogique est perturbée, la charge de planification et d'organisation est démesurée, le processus de certification au cours de l'année est illisible pour les élèves, la fiabilité des évaluations est parfaitement aléatoire, l'articulation avec les dispositifs d'accompagnement personnalisé et avec les périodes de formations en milieu professionnel (PFMP) est déficiente. Tout cela donne le sentiment de beaucoup d'énergie gaspillée vainement, sans que les élèves en profitent. L'urgence plaide au moins pour une simplification et une harmonisation des procédures.
Dans la refonte de la voie professionnelle, les logiques organisationnelles et administratives finissent par l'emporter au détriment du pédagogique, ce que votre rapporteure regrette. Le même tropisme réapparaît dans toutes les réformes récentes, qu'elles touchent le 1 er degré, le collège ou le lycée, qu'il s'agisse du socle commun, des évaluations nationales, de l'aide personnalisée, de l'éducation prioritaire ou de la refonte des filières technologiques.
(4) Une hétérogénéité croissante des publics d'élèves pesant sur les pratiques des professeurs de lycée professionnel
Tous les représentants des professeurs de lycée professionnel (PLP), de même que les chercheurs, insistent sur la progression de l'hétérogénéité des classes. C'est pour partie un effet de la multiplication des lycées des métiers intégrant l'apprentissage et la formation continue, dont les conséquences pédagogiques n'ont pas été pleinement tirées, si bien qu'il revient largement aux enseignants de s'adapter à des publics dont les attentes, les degrés de maturité et les parcours antérieurs divergent grandement. Mais c'est surtout le fait du passage au bac professionnel en trois ans et du discours de revalorisation de la voie professionnelle qui a porté symboliquement auprès des familles.
Aux profils traditionnels des élèves de lycée professionnel, souvent plus âgés, avec une fraction importante de redoublants, sont venus s'adjoindre des élèves plus jeunes sans retard scolaire et d'un meilleur niveau dans les matières générales. Ainsi dans la cohorte d'élèves suivie en Loire-Atlantique, par Vincent Troger 27 ( * ) (Université de Nantes), on compte désormais 3 % d'élèves de moins de quinze ans alors qu'avant la réforme, ils étaient extrêmement rares. Ces derniers auraient davantage trouvé leur place naguère dans l'enseignement technologique, éventuellement général. Un déversement des filières STI vers les lycées professionnels est très probable même s'il est difficile d'estimer son ampleur.
Les écarts d'âge et de niveau scolaire au sein des lycées professionnels ont commencé à s'accroître. L'hétérogénéité croissante des publics auxquels ils s'adressent complique encore la tâche des enseignants, qui doivent déjà fournir un lourd travail d'ajustement de la réforme tant sur le plan organisationnel que pédagogique. Plus spécifiquement, les moins de 15 ans posent problème pour leur admission en entreprise dans le cadre des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP), ce qui complexifie à nouveau la gestion du déroulement de leur formation. Votre rapporteure souhaite particulièrement saluer, chez les PLP, leur rigueur dans la conduite de la classe et la structuration, leur attention aux gestes professionnels et leur culture pédagogique très enracinée qui leur permettent de gérer au mieux cette diversification des publics de lycée professionnel.
D'après Vincent Troger, au coeur de l'identité professionnelle des PLP réside le travail avec les élèves en difficulté, avec lesquels ils se sentent fréquemment en empathie et qu'ils veulent sauver de l'échec. De là naît leur sentiment de devoir être aussi bien des éducateurs que des formateurs, ce qui est aussi souvent le cas des formateurs de CFA et des enseignants de collèges RAR. Au-delà des difficultés pratiques, l'arrivée d'élèves plus familiers des codes scolaires et d'un meilleur niveau dans les disciplines générales met quelque peu les PLP en porte-à-faux. D'un côté, cela remet en question pour partie leur culture professionnelle et le sens de leur engagement au fur et à mesure que la part des élèves en difficulté décroît dans les parcours de bac professionnel. De l'autre, les PLP sont tout de même séduits par les meilleurs élèves et la perspective de les emmener jusqu'au BTS. Du fait de l'hétérogénéité des publics accueillis, les PLP, dont l'identité est traditionnellement marquée par la prise en charge et la remobilisation des élèves les plus faibles, se trouvent pris dans un dilemme : à rebours de leur mission initiale, ils doivent désormais choisir entre pousser les meilleurs ou aider les plus en difficultés.
Il est visible sur cet exemple que toute réforme éducative agit aussi sur la représentation de leur métier que se font les enseignants. De telles transformations symboliques peuvent être source de malaise et justifier des résistances qu'on ne peut balayer simplement avec l'accusation infondée de conservatisme. Il convient de ne pas négliger les déplacements possibles d'identité professionnelle au moment de concevoir de nouveaux dispositifs, si l'on veut s'assurer de leur appropriation par les enseignants et de leur succès pour les élèves.
* 23 Audition du 7 février 2012 (A. Barrère).
* 24 Audition du 7 février 2012 (F. Lantheaume).
* 25 IGEN, Préparation du baccalauréat professionnel en trois ans , Rapport n° 2005-102, septembre 2005, p. 10.
* 26 Le décret n° 2009-145 du 10 février 2009 prévoit que « tout jeune inscrit dans le cycle conduisant au baccalauréat professionnel [...] se présente au cours de ce cycle à un brevet d'études professionnelles ou un certificat d'aptitude professionnelle dans les conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de l'éducation. »
* 27 Audition du 31 janvier 2012 (V. Troger).