C. DES POINTS DE VUE QUI MANQUENT DE COHÉRENCE
Il existe plus que des nuances entre les deux projets envisagés. Mais, surtout, chacun d'entre eux comporte en soi sous cet angle des défauts et traite par prétérition des problèmes particulièrement aigus posés par le développement agricole.
Assez curieusement, la vision de la FAO ressort comme nettement plus conforme au modèle de développement d'inspiration libérale que celui de la Banque mondiale. Pour le dire d'un mot il s'inscrit étroitement dans le paradigme du « consensus de Washington ».
On doit y remarquer l'insistance mise sur les avantages comparatifs et la spécialisation agricole orientée par les marchés d'exportation.
De même, la « privatisation » de l'agriculture y apparaît comme un thème récurrent. C'est un peu étonnant compte tenu de l'état des agricultures en cause mais peut se comprendre dès lors qu'on imagine que sont visées par là les structures publiques (ou la trace de ces structures dans le système agricole, comme, par exemple, les droits fonciers) ou la nécessité d'attirer des investisseurs privés étrangers.
Enfin, l'État se voit reconnaître un rôle mais un rôle limité : financer les biens publics (les infrastructures, la recherche...) nécessaires à la rentabilité d'une agriculture par ailleurs régulé par les seuls marchés.
Si cette approche apparaît situer la FAO à front renversés par rapport aux logiques désormais défendues par la Banque mondiale, c'est sans doute parce que celles-ci ont évolué assez radicalement, le rapport de la Banque mondiale étant un peu postérieur aux « dires d'experts » de la FAO.
Par rapport aux approches traditionnelles de la Banque, l'agriculture se voit réhabilitée comme une source possible de développement, voire comme un secteur prioritaire pour les pays dits « à vocation agricole ». Mais, si la Banque mondiale juge souhaitable un renforcement des interventions publiques dans le secteur, on peut souligner que les prolongements pratiques qu'elle confère à son appel à des politiques publiques de développement agricole s'inscrivant dans une vision où les marchés, pourtant décrits comme ne fonctionnant pas bien dans toutes les situations, restent les grands ordonnateurs du développement.
Le modèle de référence paraît être le Brésil alors même qu'il est reconnu comme non-transposable à la situation des pays les plus en retard. À ce compte, on pourrait aussi évoquer la Corée du Sud pour la transition très rapide de ce pays d'une économie agricole traditionnelle à une économie « high-tech ».
Au total, hormis l'attention portée à l'agriculture, aux dépenses publiques dites « de modernisation » et aux institutions on a du mal à mesurer l'apport d'une analyse qui plaque les recettes mises en oeuvre dans les pays du groupe de Cairns sur l'agriculture subsaharienne et l'ensemble des agricultures en retard de développement.
Finalement, le paradigme du développement agricole est inchangé sur l'essentiel.
Sans doute, l'agriculture n'est plus considérée comme un secteur à délaisser mais les politiques de développement agricole restent les mêmes avec un cadre où, sur fond de financement public des infrastructures (d'où vient ce financement ?), les mécanismes du marché, qui n'ont pourtant pas démontré leur efficacité quand ils n'ont pas été couplés avec des régulations fortes qui abondent dans l'histoire du développement agricole des Nations, sont réputés suffire.