QUATRIÈME
PARTIE :
QUEL INVESTISSEMENT ?
LE DÉFI ALIMENTAIRE : UN DÉFI DE L'INVESTISSEMENT
Il est tentant de promouvoir des politiques d'offre afin de réunir les conditions d'une augmentation de la production agricole dans la mesure où l'objectif d'un rapprochement du potentiel est considéré comme un instrument indispensable du développement agricole. Cependant, il ne faut pas négliger les enjeux d'une élévation de la demande solvable ce qui plaide pour un équilibre entre politiques d'offre et de demande d'autant que les premières peuvent passer par des voies susceptibles d'affecter négativement la demande.
En toute hypothèse, alors que l'agriculture est un secteur résiduel d'investissement dans les économies modernes, il faudra réaliser un effort d'investissement qui pourrait devoir être sensiblement plus élevé qu'on ne l'estime couramment.
L'estimation la plus répandue, celle de la FAO, situe à 83 milliards d'euros l'effort d'investissement à entreprendre chaque année. Ce chiffre est loin du compte aux yeux de votre rapporteur non seulement parce qu'il résulte d'un affichage qui ne doit pas tromper mais encore parce qu'il est associé à des hypothèses discutables qui minorent l'investissement à entreprendre et s'inscrit dans une stratégie de développement agricole aux ambitions sans doute trop limitées pour que le droit à l'alimentation soit mis en oeuvre.
I. COMBINER LES POLITIQUES D'OFFRE ET DE DEMANDE
On met généralement l'accent plutôt sur les « facteurs d'offre » que sur les « facteurs de demande ». Cette focalisation pour n'être pas arbitraire présente l'inconvénient de dissocier des variables qui interagissent entre elles.
Incontestablement, les facteurs d'offre comptent puisque les rendements sont corrélés de façon robuste aux facteurs de production mis en oeuvre, étant observé que les conditions naturelles (le capital « improduit ») jouent évidemment un rôle très important. De fait, la modélisation des rendements agricoles comporte schématiquement un terme d'investissement représentatif du capital technique mis en oeuvre et un terme de capital naturel dont il faut souligner la difficulté qu'il y a à le quantifier correctement (compte tenu de la grande diversité des éléments à considérer).
Quoiqu'il en soit tout objectif d'élévation des rendements oblige à évaluer, d'une part, la quantité de capital à mettre en oeuvre (qu'il s'agisse d'investissements stricto sensu ou de consommations intermédiaires) et, d'autre part, une contrainte naturelle particulièrement difficile à préciser.
Cette dernière caractéristique - l'incertitude sur les effets des conditions naturelles - constitue un défi aux enjeux élevés puisque tout le « capital produit » mis en oeuvre en dépend.
C'est pourquoi il importe, tout particulièrement dans un moment de l'histoire où l'intégrité du capital naturel est en cause, de réduire le plus possible cette incertitude. Cet impératif donne sa pleine justification à la préoccupation du développement durable au regard des incidences qu'il comporte, notamment pour le développement agricole. Toutefois, la complexité du développement durable doit être pleinement prise en compte pour concevoir les meilleures réponses possibles.
À cet égard, la « préférence pour la nature » mérite de déboucher sur des solutions non réductionnistes. En particulier, elle semble à votre rapporteur ne pas rimer avec un quelconque antihumanisme qui voit parfois dans l'humanité et la science des ennemis.
Autrement dit, sous réserve de ne pas céder à un scientisme toujours dangereux, ce qu'une application raisonnable du principe de précaution devrait permettre d'éviter, il est parfaitement légitime, et même hautement recommandable, de mobiliser les ressources de l'intelligence humaine pour contribuer à installer la trajectoire de production agricole dans les rails du nécessaire développement durable.
Mais, à côté des facteurs d'offre, les facteurs concernant la demande peuvent être considérés comme des déterminants des rendements agricoles.
Il existe au moins deux motifs pour ce préoccuper de la demande et de la considérer comme un volet à part entière des politiques de développement agricole : la demande est un déterminant de l'investissement agricole dont dépendent les gains de productivité et des rendements ; le cadre économique propice à ces gains de productivité peut altérer la demande adressée à l'agriculture ce qui rend nécessaires des actions correctrices.
Les progrès de la productivité sont tributaires des dynamiques des marchés de débouchés et il semble en aller ainsi pour l'agriculture.
Le différentiel des rendements observé dans le monde paraît offrir une illustration de cette dépendance.
Les zones abritant les grands émergents dans lesquels le rythme de la croissance économique et de la demande a été particulièrement élevé depuis les années 1990 sont aussi celles où la dynamique des rendements a été la plu forte.
À cet argument macroéconomique s'ajoutent des considérations micro-économiques. À cet égard, la forte demande de maïs ne serait pas un facteur mineur du développement relativement rapide de son rendement.
Au total, le lien entre les rendements agricoles et les dynamiques de la demande pour étroit qu'il soit, n'est pas univoque. Les rendements semblent également dépendre, dans des proportions sans doute variables, de la demande.
En conséquence, même si cela peut passer par des chemins différenciés, toute politique de développement agricole doit se préoccuper de stabiliser la demande et écarter l'illusion que les politiques d'offre peuvent suffire à elles seules à assurer le développement agricole.
Cette observation s'impose d'autant plus que le cadre macro-économique favorable à l'investissement peut comporter le risque d'altérer les conditions de la demande.
Un investissement élevé peut supposer une augmentation des prix susceptible d'exercer des effets défavorables sur le pouvoir d'achat ou bien d'engager des soutiens publics qu'il faut bien financer. Dans l'un et l'autre cas, l'attention doit être portée à la préservation de la demande ce qui suppose de formater le système de redistribution du revenu de sorte que les nécessaires incitations à l'investissement n'altèrent pas la demande, notamment des plus démunis.