II. LA MONTÉE DES STRESS HYDRIQUES
L'un des défis les plus inquiétants pour la planète, et pour l'agriculture, semble devoir être la disponibilité des ressources en eau qu'appellent le développement agricole.
Selon certaines estimations, les réserves mondiales d'eau douce qui s'élevait à 16 800 m3 par personne et par an en 1950 n'atteignent plus que 6 800 m3 et devraient tomber à 4 800 m3 en 2025, sous l'effet principalement, de la croissance démographique.
Celui-ci pourrait trouver dans la rareté de l'eau sa principale limite.
Sur ce point, les prospectivistes semblent partager une vision commune même si leurs façons de présenter le problème diffèrent : la ressource en eau mobilisée par l'agriculture, qui est attribuable aux procédés d'irrigation, devrait se heurter à des limites réduisant les possibilités d'extension de l'agriculture irriguée qui touchent plus particulièrement les pays en développement où cette agriculture est particulièrement nécessaire.
D'autres questions, pourtant importantes, sont moins systématiquement abordées dans les différentes prospectives.
Il en va ainsi de la possible montée des conflits d'usage qu'ils soient internes (entre les différents utilisateurs de l'eau dans un même pays) ou internationaux.
Déjà prépondérante, la consommation d'eau par l'agriculture représente une proportion de plus en plus importante de la consommation totale : d'environ la moitié au début du XXe siècle, elle s'élève aujourd'hui à 70 % de celle-ci.
Par ailleurs, la consommation mondiale augmente plus vite que la population : pendant le même XXe siècle, la consommation d'eau a décuplé, alors que la population mondiale triplait.
De même, la capacité des systèmes agricoles à limiter les nuisances qu'ils engendrent pour la ressource en eau n'est pas toujours traitée dans les grandes prospectives du défi alimentaire.
Enfin, l'optimisation des modalités de gestion du cycle de l'eau n'est que peu analysée, et notamment dans ses conséquences sur les besoins d'investissement ou dans ses enjeux pour que l'eau soit, demain moins qu'aujourd'hui, l'un des facteurs limitant du développement agricole là où celui-ci est plus nécessaire.
A. LES ESTIMATIONS RELATIVES À L'ACCESSIBILITÉ DE L'EAU VARIENT AVEC DES EFFETS SUR LE POTENTIEL ENVISAGEABLE
Selon la FAO, sur 1,4 milliards de km3 d'eau présents sur la planète, 45 000 km3 seulement sont consommables et l'accessibilité à cette ressource s'étagerait entre 9 000 et 14 000 km3, ce qui est une fourchette assez large.
Dans son ouvrage déjà cité, M. Michel Griffon suggère que, sur les 40 000 km3 d'eau de pluie, seuls 6 000 km3 sont actuellement réellement disponibles, soit 15 % du total. De ces 6 000 km3, seuls 2 500 km3 seraient prélevés, dont 1 750 réellement utilisés par l'agriculture. Les mégapoles prélèvent 350 km3 de leur côté, ce qui fait du secteur agricole de très loin le premier utilisateur de la ressource.
On peut juger que la mobilisation de l'eau est peu efficace mais cette faible efficacité s'explique, entre autres, par le fait que l'essentiel des eaux de pluie des zones tropicales et septentrionales n'est pas récupérable dans des bassins hydrographiques utiles, situation qui appelle des aménagements de grande ampleur dont la justification économique peut manquer compte tenu de la distribution de la ressource.
En effet, il doit être relevé que les disponibilités en pluie sont distribuées géographiquement de manière très inégale sur la planète. L'eau douce est très concentrée, une dizaine de pays bénéficient de 60 % des réserves.
Le Brésil reçoit à lui seul 14 % du total mondial puis viennent la Russie (la partie occidentale jusqu'à l'Oural et la Sibérie de l'Est), l'Asie du Sud-Est, la Chine (tout le pays sauf le Nord), le Canada et les États-Unis (l'Est). Au total, ces grandes zones de réception reçoivent 45 % des pluies continentales mondiales soit un peu plus que leur poids démographique relatif.
Cette dernière comparaison conduit à relever l'asymétrie entre la concentration de la population et la distribution des ressources en eau. Par exemple, si l'Asie regroupe 60 % de la population mondiale elle ne bénéfice que de 30 % des ressources en eau.
Sous des conditions un peu héroïques, on peut estimer que le maximum utilisable est de 40 000 km3. Ces conditions sont :
- la non-consommation du stock d'eau douce fossile (12 millions de km3 soit 300 fois plus) ;
- la préservation du stock immédiatement disponible dans les lacs et rivières (93 000 km3) ;
- mais aussi l'existence d'infrastructures qui, aujourd'hui font défaut.
Les disponibilités couvriraient ainsi les besoins d'une population de l'ordre de 8 milliards d'habitants en se référant à une disponibilité moyenne de 5 000 m3 par an48(*). À ce seuil, les besoins sont censés pouvoir être couverts sans trop de tensions.
Pourtant, la croissance démographique prévisible devrait porter la population à 9 milliards d'habitants et, dans certaines simulations, bien au-delà. Plus l'accroissement démographique sera élevé, plus les tensions sur les ressources seront fortes. Au seuil de 9 milliards, les disponibilités font baisser la disponibilité moyenne à 4 400 m3 ; au seuil de 11 milliards, elle n'est plus que de 3 636 m3 par habitant.
Malgré la chute de la disponibilité moyenne dans des contextes de forte croissance démographique, celle-ci resterait globalement à un niveau suffisant.
Mais le raisonnement en moyenne n'est pas satisfaisant.
D'ores et déjà nombreux sont les pays où la disponibilité effective est inférieure à la disponibilité moyenne.
* 48 Contre 16 800 m3 en 1950 rappelons-le.