CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS (EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L'OPECST DU 25 JANVIER 2012)
PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE SUR LES MALADIES MONOGÉNIQUES
M. Claude Birraux. Saisi par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale d'une étude sur la drépanocytose, l'OPECST a souhaité élargir cette saisine à l'ensemble des maladies monogéniques. Une audition publique ouverte à la presse intitulée « Les maladies monogéniques : état des lieux », a été organisée le 7 juin 2011 par Claude Birraux, député, Président de l'OPECST et Jean-Louis Touraine, député. Elle a réuni des chercheurs de domaines variés et des représentants d'associations de malades pour aborder aussi bien les aspects scientifiques et médicaux de ces maladies que leurs enjeux sociétaux et juridiques.
Cette approche pluridisciplinaire était essentielle : en effet, les maladies monogéniques se développent dès l'enfance et ne concernent pas seulement la personne affectée, ou celle qui risque de le devenir un jour, mais aussi son entourage, notamment sa famille, qui se trouve confrontée à de multiples difficultés d'accompagnement et de soins du malade ainsi qu'à des risques de stigmatisation liés à l'origine génétique de la maladie.
L'audition publique a montré qu'il s'agissait d'un phénomène d'une ampleur non négligeable, nécessitant des efforts de recherche dans de multiples directions et soulevant des problèmes éthiques et juridiques.
M. Jean-Louis Touraine. Si certaines de ces maladies sont par elles-mêmes rares, leur très grand nombre fait qu'au total, les maladies monogéniques, toutes formes comprises, sont aussi fréquentes que le cancer et concernent des dizaines de milliers de personnes, elles représentent un enjeu de santé publique important. En fait, le qualificatif de « rare » est impropre, nuit à leur prise en charge et les pénalise. Ces maladies sont en réalité fort nombreuses. Auparavant, elles étaient même souvent mortelles avant l'âge de la procréation et leur fréquence a augmenté grâce aux progrès de la médecine qui ont contribué à limiter la sélection naturelle.
La drépanocytose, objet de la saisine, est la maladie génétique la plus répandue en France : on compte aujourd'hui 15 000 malades et leur nombre devrait atteindre 20 000 à l'horizon 2020. Au-delà de son coût financier pour notre système de santé, la qualité de vie des malades est très fortement dégradée. Bien des soins pourtant indispensables ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie. L'insertion sociale des patients atteints de cette maladie en termes d'éducation et d'accès à l'emploi est difficile, de même que celle de leur entourage, notamment des mères qui doivent prodiguer des soins continus à leurs enfants lorsqu'ils sont atteints. Les malades de la drépanocytose s'estiment victimes de discriminations.
Les données disponibles d'un fichier Medicaid de Floride établissent qu'en 2009, la prise en charge d'un patient drépanocytaire revenait aux États-Unis à 2 000 $ par mois environ, tous âges confondus, avec un coût annuel moyen de plus de 10 000$ pour les enfants, atteignant près de 35 000 $ pour les sujets plus âgés ; le coût total s'élève, pour une espérance de vie moyenne de 45 ans, à plus de 950 000 $ par patient. Ces données s'appliquent aussi en Europe. En France, 80% des coûts totaux sont consacrés à l'hospitalisation, 3,2% aux passages aux urgences, 0,9% à la consultation de généralistes, 3,6% aux médicaments, 11,7% à d'autres soins infirmiers ou médicaux spécialisés.
Les maladies monogéniques, parce qu'elles constituent en quelque sorte des « expériences de la nature », qui permettent de comprendre la signification d'un gène, peuvent aussi servir de modèle pour le développement de nouvelles thérapeutiques, y compris pour des maladies fréquentes, comme le cancer, le diabète ou le sida. Les traitements, qu'ils relèvent de la pharmacologie classique, de la thérapie génique, ou de la thérapie cellulaire, et ou de la thérapie enzymatique sont complémentaires et peuvent être successifs. Même si certaines de ces thérapies innovantes n'ont pas encore fait la preuve d'une efficacité totale, elles sont utiles dès maintenant, elles améliorent la qualité de vie des patients, permettant à certains d'entre eux de survivre jusqu'à ce qu'un traitement plus efficace soit disponible. L'opposition avancée par certains entre thérapies pharmacologiques classiques et thérapies innovantes n'a pas de sens : les secondes n'excluent pas de recourir aux premières, y compris les plus classiques. Les deux approches s'opposent d'autant moins que certaines formes de thérapie génique sont appelées à être administrées comme des médicaments classiques.
Concernant la recherche, de nombreuses difficultés et insuffisances ont été relevées, telles les difficultés de recourir au diagnostic préimplantatoire. Le maintien du régime d'interdiction avec dérogation des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines par la loi relative à la bioéthique de juillet 2011 a été unanimement dénoncé par la communauté scientifique. L'argument parfois avancé selon lequel les cellules pluripotentes induites (iPS) permettraient de se passer des cellules souches embryonnaires reste fallacieux. L'OPECST 1 ( * ) a montré combien ce régime pénalisait les recherches en France. Il n'a pas été entendu et continuera de suivre les modalités d'application comme les conséquences de ce regrettable principe d'interdiction.
L'importance des modèles animaux, y compris des grands singes -les seuls vraiment pertinents avant de passer à l'essai clinique chez l'homme-, a été soulignée. Les tentatives de l'Union Européenne d'en limiter trop strictement l'utilisation inquiètent.
Le manque de biobanques reste un frein alors qu'elles sont nécessaires à la recherche translationnelle, l'essentiel de ces maladies étant d'origine génétique, avec en cause un gène facilement identifiable. Pour progresser, il est en effet nécessaire de constituer des cohortes de patients faisant l'objet d'explorations clinico-biologiques ce qui suppose le stockage de prélèvements dans des biobanques. Ceci permet d'évaluer l'histoire naturelle de ces maladies, d'identifier leurs bases moléculaires grâce à la génomique, l'épigénomique, la transcriptomique et la métabolomique. On disposerait ainsi de modèles cellulaires ou animaux afin d'en étudier les mécanismes physiopathologiques les plus fins .
Le retard de la France face à l'importance prise par les nouvelles techniques de séquençage du génome handicape. Le séquençage à haut débit qui permet de tester simultanément l'ensemble des gènes devrait permettre d'identifier beaucoup plus vite les mutations en cause. Par manque de moyens, la France a pris un certain retard dans les techniques de thérapie génique par rapport à l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne ou les Pays-Bas, sans parler des États-Unis ou de la Chine.
L'absence de financements sécurisés à long terme avec des partenariats industriels, corollaires indispensables des financements publics, n'est pas assez prise en considération. On a d'ailleurs toujours des difficultés à comprendre pourquoi il est plus difficile de faire cela en France qu'à l'étranger. Or, il n'est pas envisageable de développer autrement ce type de thérapie jusqu'au stade du médicament, et les investissements de l'industrie pharmaceutique sont jusqu'à présent restés trop timides. Pourtant la recherche sur les maladies rares n'est pas vouée à demeurer marginale sur le plan économique.
M. Claude Birraux. Par ailleurs, les maladies monogéniques soulèvent des problématiques éthiques liées à leur origine génétique. Le coût de plus en plus réduit du séquençage du génome à haut débit et le développement de tests génétiques diagnostics mais aussi prédictifs, parfois en libre accès sur Internet, accroissent la pertinence de ces interrogations.
L'information génétique a un caractère particulier car elle porte sur des éléments constitutifs de l'individu, qui le relient à sa famille, et est en relation avec son destin. Aussi cette connaissance plus fine de prédispositions génétiques a-t-elle nécessairement des conséquences éthiques, juridiques et sociétales, dont il importe de prendre la mesure. Quand elle est fournie par les tests génétiques, elle peut conduire à une variation des conditions dans lesquelles la personne sera assurée, embauchée etc...
Quelle législation envisager concernant l'usage des tests génétiques ? La législation ne peut pas être la même si l'usage des tests génétiques devient commun ou s'il concerne un très faible pourcentage de la population. Le Comité national consultatif d'éthique, comme l'Agence de la biomédecine, s'inquiètent du développement très rapide de l'analyse du génome humain qualifié de « génétique récréative » et de la multiplication de tests génétiques en libre accès sur Internet, dont on ne peut pas garantir la fiabilité.
Actuellement, la plupart des tests disponibles sur Internet portent sur des maladies qui ne sont pas monogéniques : tests de susceptibilité, sans utilité au niveau individuel et dont l'interprétation peut évoluer d'un jour à l'autre en fonction des publications, car dans le génome, on trouve autant de gènes qui protègent que de gènes qui fragilisent, ce qui rend son interprétation particulièrement difficile. Or les tests génétiques portent sur diverses prédispositions, et posent des problèmes en termes d'accompagnement des patients. Qui interprétera le résultat ? Quel médecin prendra en charge le patient si un élément pathologique est découvert ? Quelle est l'utilité clinique d'un test qui révèle une prédisposition dont on ne sait que faire ?
S'agissant des tests génétiques pour les maladies monogéniques, jusqu'à présent, on répondait à une demande ; c'est ainsi qu'ont été mis en place les tests sur la maladie de Huntington, par exemple, dans des conditions très encadrées. Or on se trouve désormais face à une situation nouvelle : des facteurs génétiques seront identifiés chez des personnes qui n'avaient rien demandé. Il en va ainsi pour le diagnostic postnatal de la mucoviscidose, avec les tests génétiques à rebours chez les parents, puis les apparentés des sujets porteurs, posant la problématique des tests pratiqués chez les porteurs sains. Il sera difficile de s'assurer que ceux-ci seront en mesure de décider s'ils veulent savoir ou ne pas savoir.
Le développement très rapide de l'analyse du génome entier, ajoute des interrogations. Que devra-t-on faire si, en voulant soigner un patient atteint d'une maladie, l'analyse de son génome conduit à en trouver une autre ? En génétique, on rencontre des malades et des personnes qui ne sont pas ou qui ne se sentent pas malades. Par ailleurs, on progressera dans l'analyse du génome ; il faudra donc anticiper l'évolution de l'interprétation du génome.
Le développement des tests génétiques, comme le séquençage du génome à haut débit, s'inscrivent dans une logique de renforcement du contrôle social sur l'individu, sujet qu'il conviendra d'approfondir. Plus il devient facile de séquencer le génome complet d'une personne et moins cela coûte cher, plus il importe de protéger ces données pour éviter que celles-ci ne soient utilisées à des fins autres que médicales et scientifiques. Cela est d'autant plus délicat que la mondialisation de la biologie rend quasiment impossible de s'assurer que ce qui est strictement réglementé, voire interdit, dans un pays, ne sera pas pratiqué sous l'empire d'une réglementation plus laxiste ou inexistante dans d'autres pays pour un coût souvent modique. À cet égard, l'Agence de la biomédecine joue son rôle, elle veille à une information et un suivi de l'usage des tests génétiques en libre accès sur Internet. Cependant est-ce suffisamment dissuasif ?
M. Jean-Louis Touraine. Ces questions ont été évoquées au cours de missions, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, effectuées par des membres de l'OPECST sur d'autres thématiques. Elles inquiètent associations de malades, généticiens et juristes de nombreux pays. Les instruments internationaux de protection des personnes, comme la Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine (Convention d'Oviedo), ne sont pas ratifiés par tous les États signataires. La France a déposé les instruments de ratification de la Convention d'Oviedo le 13 décembre 2011, l'article 1er de loi relative à la bioéthique de juillet 2011 ayant décidé de sa ratification. Cette Convention prévoit une protection générale encore insuffisante. Aussi, un protocole additionnel spécifique relatif aux tests génétiques à des fins médicales, ouvert à la signature en novembre 2008, a-t-il été élaboré. Il n'est pas encore entré en vigueur, la France qui a participé à son élaboration l'a également signé en décembre. Un instrument, en cours d'élaboration au Conseil de l'Europe, concerne la prédictibilité des tests génétiques et les assurances ; la France participe à son élaboration à un haut niveau car elle dirige le Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l'Europe.
En France, le code civil dispose que « nul ne peut faire l'objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques » et cette prescription est reprise dans le code pénal, le code du travail, le code des assurances et le code de la sécurité sociale. S'agissant des résultats d'un test, le problème de la diffusion de l'information à la parentèle, notamment dans le cas où une personne ne souhaite pas révéler à ses apparentés des éléments qui pourraient être importants pour eux, est délicat et a été réglé de manière équilibrée par l'article 2 de loi relative à la bioéthique de juillet 2011. Cependant, un suivi de l'application de ces dispositions s'impose.
Cette audition publique a démontré la nécessité de continuer à étudier l'impact du séquençage du génome à haut débit ; elle constitue donc une étape dans la réflexion à laquelle l'OPECST devra contribuer.
Débat sur les conclusions de l'audition
Mme Catherine Procaccia, sénatrice. Je m'étonne de la remise en cause de certains choix faits dans des lois très récentes déjà discutées et adoptées par notre Parlement, notamment les lois sur la bioéthique et la recherche. Certes, à l'OPECST, on met toujours l'accent sur l'aspect scientifique, mais je suis gênée d'entendre qu'il faut revenir sur des textes votés.
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il faudrait craindre les assureurs et les suspecter de ne pas appliquer les lois. Il ne me paraît pas justifié de leur faire des procès d'intention, d'autant que la démarche auprès d'un assureur est volontaire.
M. Claude Birraux. Les positions exposées sur les tests génétiques et le diagnostic pré-implantatoire ressortent des débats qui ont eu lieu au sein de notre Office. Nous avons présenté ces propositions dans le rapport de l'OPECST sur l'évaluation de la loi de bioéthique rédigé par nos collègues Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte ; elles n'ont pas été suivies in fine par le Parlement, mais s'interroger sur les lois votées ne signifie pas les remettre en cause. De plus, la nouvelle loi de bioéthique prévoit un suivi de ses dispositions par notre Office et par l'Agence de la biomédecine. Notre rôle est bien de relayer les questions et les inquiétudes exprimées par les chercheurs lors d'une audition publique.
Par ailleurs, la multiplication des tests via Internet exige qu'on se montre très méfiant, car on n'a aucune garantie sur le résultat ni sur la confidentialité. On fait une recherche génétique sur un enfant, on remonte ensuite aux parents et si les résultats circulent et que les parents ont besoin d'une assurance-vie pour acheter une maison, l'assureur peut être amené à demander et utiliser les informations médicales contenues dans les tests.
M. Jean-Pierre Brard, député. On ne peut pas écarter ce débat. Les conditions politiques peuvent changer et évoluer pour donner satisfaction au monde des chercheurs. Nous avons créé les conditions d'une évolution de la loi sans drame. Nous sommes certes des modérateurs de la science, mais en débattre est important.
M. Jean-Louis Touraine. Il est normal de laisser des portes ouvertes pour le futur, d'autant que le Sénat, s'alignant souvent sur les positions du rapport de l'OPECST, avait été réticent à adopter certaines dispositions de la nouvelle loi de bioéthique. Tous ces sujets touchant à l'humain sont à juste titre soumis à révisions régulières. Sur les assurances, je me souviens encore du débat féroce mené à l'époque où le sida était systématiquement mortel et où les assureurs refusaient d'assurer les personnes qui avaient subi des transfusions sanguines.
M. Bruno Sido, sénateur, Président de l'OPECST. Je constate que le débat est clos et mets aux voix les conclusions de l'audition publique.
Les conclusions de l'audition publique ont été adoptées à l'unanimité des membres présents.
* 1 rapport de l'OPECST sur l'évaluation de l'application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique n° 1325 déposé le 17 décembre 2008 - http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-off/i1325.asp