C- QUE DÉTECTE-T-ON ? SAVOIR OU NE PAS SAVOIR

Le décalage de plus en plus grand entre les possibilités de diagnostic précoce et les capacités de traitement entraîne une interrogation sur le sens même de la prédiction et son intérêt. Ce décalage génère de multiples tensions.

1- Quel sens donner au diagnostic de maladies du cerveau ?

Comme l'a souligné Andreas Kleinschmidt 124 ( * ) : « On se trouve donc face à un problème éthique important, qui tient à la dissociation entre notre capacité de diagnostic et nos moyens de traitement. N'est-il pas problématique de s'orienter vers une médecine prédictive ? Ainsi, si l'on peut, grâce à l'étude génétique ou avec d'autres biomarqueurs, prédire les risques de survenue de certaines maladies, on n'est pas en mesure d'offrir les moyens de les prévenir.»

Anne Fagot-Largeault 125 ( * ) pose radicalement la problématique : Elle indique « J'ai lu récemment dans un excellent article du journal américain Hastings Center Report, qui est selon moi, le meilleur journal pour l'information et la réflexion bioéthique, que, si l'on est en mesure de faire de bons et fiables diagnostics précoces sur les maladies neurodégénératives, alors on doit prévoir l'augmentation des demandes de suicide assisté » . Elle ajoute que « si on veut éviter une épidémie de suicides tout en continuant d'améliorer la performance diagnostique, il faut réfléchir aux problèmes de société qui résulteront de ces diagnostics à la fois plus fins et plus précoces » .

Quel sera le devenir de sociétés démocratiques dans lesquelles une partie de la population âgée sera consciente de vivre avec une maladie dégénérative ? Elle suggère de réfléchir à la manière d'inclure ces personnes dans la vie démocratique.

Selon Hervé Chneiweiss 126 ( * ) , « on se trouve encore dans une incertitude scientifique, or les appareils deviendront de plus en plus disponibles fournissant des diagnostics plus sûrs. Aujourd'hui, ils sont en nombre restreint, et l'on se trouve encore dans une dimension aléatoire, avec une potentialité. Est-ce qu'on mettra toute la population sous surveillance ou sous examen ? » C'est bien en cela que, comme la génétique, la neuroimagerie, en ce qu'elle peut révéler la survenue de maladies neurodégénératives, risque d'entraîner des situations de grande détresse.

Par ailleurs, les tests de dépistage précoce suscitent également de nombreuses interrogations. Selon Jean-Pierre Changeux 127 ( * ) , « Le problème central devient la prise en charge précoce de l'enfant chez lequel le déficit a été identifié très tôt. Un diagnostic précoce est particulièrement important si l'on veut arriver à une meilleure prise en charge. Cela se vérifie pour le traitement de la dyslexie, mais cela est également plausible dans le cas de la schizophrénie pour laquelle la pharmacologie de l'adulte est insuffisante du fait d'une prise en charge trop tardive. Pour progresser, il faudrait effectuer, des diagnostics génétiques précoces, afin de concevoir de nouveaux agents pharmacologiques qui puissent agir très tôt sur le développement synaptique lui-même, mais ceci reste un problème considérable à la fois scientifique et éthique. Bien des troubles du cerveau adulte se développent en effet au cours des dix premières années de la vie ». Cet avis est partagé par Marion Leboyer 128 ( * ) et Stanislas Dehaene 129 ( * ) , et par les experts japonais rencontrés par vos rapporteurs.

Cependant comment dépister précocement des risques de troubles mentaux sans stigmatiser ? Cela ne peut se faire qu'en dédramatisant certaines pathologies mentales par une information appropriée vis-à-vis du public.


* 124 Conseiller scientifique auprès du directeur de l'Institut d'imagerie biomédicale du CEA - NeuroSpin /Laboratoire de neuro-imagerie cognitive (LCOGN) (Audition publique du 29 juin 2011)

* 125 Professeur au Collège de France, membre de l'Académies des Sciences (Audition publique du 29 juin 2011)

* 126 Directeur de recherche, groupe « Plasticité gliale et tumeurs cérébrales » au Centre de psychiatrie et neurosciences de l'Université Paris-Descartes, membre du Conseil scientifique de l'OPECST. (Audition publique du 29 juin 2011)

* 127 Professeur honoraire au Collège de France et à l'Institut Pasteur - (Audition des rapporteurs du 15 novembre 2011).

* 128 PUPH Directrice du réseau FondaMental (Audition des Rapporteurs du 17 janvier 2012).

* 129 Professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences, directeur de l'unité de neuroimagerie cognitive à Neurospin (unité INSERM CEA) - (Visite des Rapporteurs à NeuroSpin, le 18 janvier 2011).

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