B. QUELLES SONT LES CHANCES QUE CE PROJET ABOUTISSE ?
1. Un contexte plutôt favorable en dépit de la crise budgétaire des Etats
Dans quel contexte les propositions de la Commission européenne interviennent-elles ?
Les prises de position en faveur d'une vraie refonte du financement de l'Union remontent à la définition de l'actuel cadre financier pluriannuel 2007-2013. Dès septembre 2007, la Commission européenne lança une consultation sur l'avenir du budget de l'Union. Il en est ressorti pour ce qui concerne les ressources propres la nécessité d'une réforme axée sur l'abandon de la ressource TVA et des multiples corrections appliquées aux Etats membres. Le Parlement européen a lui aussi défini très tôt une ligne politique réclamant la simplification du système et de nouvelles ressources propres en substitution des ressources TVA et RNB.
La Commission européenne a précisé sa vision dans sa communication du 19 octobre 2010 sur le réexamen du budget de l'Union. Elle y énumère les critères que devraient satisfaire de nouvelles ressources propres. Selon la Commission, ces ressources devraient « soutenir et être étroitement liées à la réalisation d'objectifs politiques européens et internationaux importants concernant par exemple le développement, le changement climatique ou les marchés financiers ». Elles devraient aussi être calculées sur la base d'une assiette harmonisée, être de nature transfrontalière, ne pas exacerber la question des corrections. La Commission termine en énumérant plusieurs propositions de taxe non exhaustives : taxation européenne du secteur financier, recettes tirées de la mise aux enchères des quotas d'émission de gaz à effet de serre, redevance européenne liée au transport aérien, TVA européenne, taxe européenne sur l'énergie ou impôt européen sur les sociétés. Comme elle le reconnaît, chacune de ces propositions a ses avantages et inconvénients.
C'est dans ce contexte, où les Etats membres demeurent majoritairement silencieux ou réservés, que l'examen du budget de l'Union pour 2011 a accéléré le calendrier. En effet, au cours de l'examen du budget de l'Union pour 2011, le bras de fer entre le Conseil et le Parlement européen a abouti à l'engagement du président de la Commission européenne de présenter avant la fin du mois de juin 2011 des propositions législatives sur de nouvelles ressources propres. On sait donc depuis décembre 2010 que le débat sur les ressources propres sera engagé sur des bases fermes et qu'il sera au centre des discussions sur les futures perspectives financières 2014-2020.
Ce choix de lier les deux débats est cohérent, mais il faut le rappeler, il ne s'impose pas, le système actuel fonctionnant en dépit des critiques. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne continue à disjoindre très clairement la question du financement du budget et la détermination du budget proprement dit. Cette dissociation doit toutefois être nuancée, puisque la décision « ressources propres » de 2007 a été de fait calée sur la cadre financier 2007-2013. Certains rabais et corrections ne sont prévus que pour cette période. Plusieurs de nos partenaires ne peuvent donc pas refuser la négociation d'une nouvelle décision, en particulier les Pays-Bas, la Suède, l'Autriche, le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Le Parlement européen s'est mis en ordre de marche pour peser sur ce débat, dans les limites du traité. En juillet 2010, il s'est doté d'une commission spéciale sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une Union européenne durable après 2013. Cette commission a rendu son rapport le 26 mai 2011, un mois avant les propositions de la Commission européenne. Il reprend sa position traditionnelle. On notera que ce rapport suggérait la convocation d'une conférence revêtant la forme d'une convention sur le financement futur de l'Union, à laquelle participeraient les membres du Parlement européen et des parlements nationaux. Cette proposition originale s'est concrétisé les 20 et 21 octobre dernier 23 ( * ) .
Du côté de la procédure, le traité de Lisbonne n'a pas bouleversé les règles. L'article 311 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose toujours que la décision sur les ressources propres est adoptée par le Conseil, à l'unanimité et après simple consultation du Parlement européen. La décision n'entre en vigueur qu'après avoir été approuvée par tous les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles. La décision « ressources propres » est adoptée selon des modalités proches de celles des traités. Ce sont les Etats membres qui gardent la main. Le Parlement français aura à examiner le moment venu un projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil.
Toutefois, le traité de Lisbonne a apporté quelques changements. Le quatrième alinéa de l'article 311 précité dispose en effet que la décision « ressources propres » peut prévoir l'adoption de règlements fixant les mesures d'exécution du système des ressources propres. Ces règlements seraient adoptés par le Conseil statuant à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen . Le partage entre ce qui doit relever de la décision « ressources propres » et du règlement d'exécution sera très certainement surveillé attentivement par les parlements nationaux et les gouvernements. Car si des dispositions substantielles devaient figurer dans le règlement d'exécution, certains pourraient y voir un dessaisissement des parlements nationaux.
2. Un projet séduisant
Incontestablement, c'est un projet ambitieux, cohérent et équilibré. Comme l'a confié M. Hervé Jouanjean, directeur général du budget à la Commission européenne, à votre rapporteur, la réforme proposée par la Commission européenne a déjà franchi une étape de plus que la précédente tentative de réforme d'ensemble. En 2005, la Commission avait aussi présenté un projet relativement ambitieux qui avait été quasi-immédiatement écarté au profit d'ajustements. Cette fois-ci, la réforme est discutée.
La ressource RNB garderait un rôle essentiel (40 % du total) et continuerait de garantir l'équilibre du budget. Le calcul de son montant exact serait moins prévisible, le rendement des nouvelles ressources propres étant incertain. Mais, comme on l'a constaté, la prévisibilité de la ressource RNB est déjà très relative. Quand bien même l'amplitude des variations augmenterait, la baisse globale du montant de la contribution RNB de chacun des Etats suffirait à les en consoler.
La nouvelle ressource TVA est simplifiée, bien que les discussions au sein du Conseil semblent indiquer que les choses ne sont pas si simples précisément ! Ce qui est sûr, c'est que la ressource TVA ne serait plus théorique et serait directement liée aux recettes TVA.
Toutefois, elle peut poser un problème d'équité, la perception de la TVA n'étant pas aussi efficace dans tous les Etats membres. Une opposition nord-sud peut réapparaître. Ces questions sont d'ailleurs au coeur du Livre vert sur l'avenir de la TVA présenté par la Commission européenne en décembre 2010. D'après de premières estimations du ministère du budget, le produit de cette ressource pour sa part française serait de fait à peu près identique à celui de l'actuelle ressource TVA. Mais l'enjeu est moins financier que politique. Il s'agit de rendre à la ressource TVA sa lisibilité et sa légitimité.
La taxe sur les transactions financières est l'innovation la plus spectaculaire. La Commission européenne ne considère plus qu'une telle taxe doive être déployée au niveau mondial. C'est une évolution décisive. Elle prend le risque d'une délocalisation partielle des activités de négociation mobiles. Surtout le contexte n'a jamais été aussi favorable, ce qui ne veut pas dire que cela sera suffisant...
Le choix de ces deux ressources propres n'est pas le fruit du hasard. Plutôt que de s'épuiser à mettre d'accord les Etats membres sur l'harmonisation d'un impôt existant (impôt sur les sociétés, taxe sur l'énergie...), elle fait le choix de partir de zéro en créant une taxe inédite - la TTF - et de s'appuyer sur une ressource existante - la ressource TVA.
Un autre point de satisfaction est la simplification des rabais et corrections. Certes, la position française officielle est la suppression de toutes corrections. Mais les propositions de la Commission européenne seraient déjà une avancée forte. Et il n'est pas certain qu'au-delà des protestations rituelles du Royaume-Uni, ces propositions soient si inacceptables pour cet Etat membre. 3,6 milliards d'euros garantis pour la période 2014-2020 peuvent sembler faibles en regard du montant du chèque britannique ces dernières années (entre 5 et 6,8 milliards d'euros de 2001 à 2008). Mais depuis 2009, année d'entrée en vigueur de la réforme du chèque britannique issue de la décision « ressources propres » de 2007, son montant tourne autour de 3,8 milliards d'euros 24 ( * ) seulement. En outre, la solution de corrections forfaitaires non réévaluées de l'inflation est une manière de préparer les esprits à leur extinction progressive. On ajoutera que la non réévaluation des corrections en fonction de l'inflation se justifie par le fait que la part de la contribution RNB diminue et que les deux nouvelles ressources propres rendent le calcul du solde net plus incertain.
3. Un projet suffisant ?
Ce tableau plutôt favorable ne doit pas masquer les obstacles à surmonter et certaines faiblesses des propositions de la Commission. Il convient de souligner que de nombreuses incertitudes demeurent sur les propositions exactes de la Commission européenne, même si les rectifications datées du 9 novembre 2011 au projet initial ont clarifié plusieurs points. Sont encore attendus des estimations et des simulations, notamment sur le calcul de la ressource TVA. Les positions des Etats membres devraient s'affirmer véritablement au cours de ce semestre, au fur et à mesure que les propositions de la Commission européenne auront été assimilées.
Outre le nouveau mécanisme de correction dont le sort est très difficile à prévoir car lié à l'équilibre de l'accord final sur le cadre financier pluriannuel, deux points pourraient achopper plus particulièrement.
En premier lieu , le choix de ces deux ressources nouvelles n'est pas incontestable, en particulier celui de la TTF. En cas de rejet d'une de ces ressources par les Etats membres, c'est l'équilibre global de la réforme qui s'effondre.
Les incertitudes les plus fortes pèsent sur la TTF.
En effet, la proposition sur la taxe sur les transactions financières fait s'entrechoquer deux débats.
- Faut-il une TTF européenne ?
- La TTF doit-elle alimenter le budget de l'Union ?
Chacun de ces débats est assez délicat pour justifier à lui seul une levée de bouclier au sein du Conseil et de certains parlements nationaux. La Commission a pris des risques. Or, la Suède et le Royaume-Uni semblent plus résolus que jamais à rejeter une telle taxe, le premier conservant un mauvais souvenir de son expérience nationale au début des années 90 et le second défendant la compétitivité de la place de Londres. L'unanimité étant requise, les chances que la TTF soit créée dans les 27 Etats membres sont infimes. Et si comme certains commencent à le dire, la TTF était créée seulement au sein de la zone euro, voire de quelques Etats membres, on voit mal comment le produit de cette taxe pourrait abonder le budget de l'Union.
Au surplus, le Royaume-Uni étant le principal centre financier, cet Etat membre pourrait aussi arguer qu'à l'image des prélèvements douaniers ou de la TVA dans les années 70, le secteur financier est surreprésenté dans son économie. La question du « juste retour » pourrait encore se poser, même si on peut lui répondre que les transactions financières sont le fait d'établissements installés dans l'ensemble de l'Union.
Dernier point sur la TTF. La Commission justifie la mise en place de cette taxe au niveau européen par le souci d'éviter les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur. De même, elle propose un taux très bas pour contenir les délocalisations. Dans ces conditions, on ne comprend pas pourquoi les Etats auraient la faculté d'adopter des taux plus élevés que le taux minimal. Cela semble contradictoire avec les objectifs affichés.
La seconde difficulté est relative à la démarcation entre ce qui relève de la proposition de décision « ressources propres » (unanimité du Conseil, approbation selon les règles constitutionnelles de chaque Etat, consultation du Parlement européen) et la proposition de règlement portant mesures d'exécution (majorité qualifiée du Conseil, approbation du Parlement européen). Plusieurs Etats membres ont déjà fait savoir à la Commission européenne que des dispositions substantielles - en particulier le taux effectif de la ressource TVA et la part du produit de la TTF devant abonder le budget de l'Union 25 ( * ) - ne pouvait pas figurer dans le règlement portant mesures d'exécution. Cela constituerait une atteinte à la souveraineté des Etats et excèderait les dispositions des traités.
Votre rapporteur est favorable à cette répartition entre décision et règlement d'exécution. Elle offre une souplesse indispensable si, en cours de programmation, il fallait revoir à la hausse le produit des ressources propres. Dès lors que la décision « ressources propres » enferme le taux effectif dans un tunnel étroit, la souveraineté n'est pas atteinte. Il en serait différemment si le règlement d'exécution pouvait modifier le taux dans des proportions très importantes. Par ailleurs, au regard du débat sur la souveraineté des Etats, on rappellera qu'entre 1975 et 1987, le taux plafond de la contribution TVA était fixé dans la décision « ressources propres » et son taux effectif était arrêté à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle. Ce n'est que depuis 1988 que les deux taux figurent dans la décision « ressources propres ».
* 23 Voir en annexe le compte-rendu de cette réunion par notre collègue Bernadette Bourzai.
* 24 Les montants exacts de la correction britannique pour ces années sont encore provisoires.
* 25 La décision « ressources propres » fixe seulement la part maximale de la nouvelle ressource TVA qui pourrait abonder le budget de l'Union, ainsi que la part maximale de la TTF.