2.- DES FACTEURS D'ORDRE ÉCONOMIQUE
Les dotations budgétaires allouées à la formation et à la recherche sont considérées par tous les acteurs rencontrés comme insuffisantes ou insatisfaisantes, du fait de leurs modalités d'allocation.
a) Des financements insuffisants
Cette première critique, formulée au niveau international, s'applique particulièrement à l'Europe, au niveau communautaire.
1° Au niveau des pays membres
En France, tout d'abord, on ne peut que relever le niveau très faible de la dotation annuelle de fonctionnement accordée à l'Institut de Biologie systémique et synthétique d'Evry, dont le montant, selon les propos de son directeur, le professeur Jean-Loup Faulon, ne serait que d'un million d'euros en moyenne par an, correspondant aux rémunérations des personnels permanents. Il est clair que cet institut, dont la création est très positive pour le développement et la visibilité de la BS, est très insuffisamment doté au regard de ses homologues britanniques ou allemands, sans parler des États-Unis ou de la Chine.
L'étude précitée de Lei Pei et al. 236 ( * ) indique que, si BP a été amené à investir 500 millions de dollars (soit 384 millions d'euros) dans l'Energy Bioscience Institute de l'Université de Berkeley, c'est parce que, selon les déclarations de BP, cette entreprise n'avait pu trouver en Europe aucun partenaire approprié.
Il y a lieu de relever également, en ce qui concerne la situation du secteur privé en France, que les entreprises de biotechnologie opérant dans le domaine de la BS sont peu nombreuses. D'après le rapport de l'Alliance, leur nombre serait inférieur à 10 et elles n'auraient pas la taille critique nécessaire à un développement pérenne en France et à l'international.
2° Au niveau communautaire
L'Union européenne a participé au financement de la BS pour un montant évalué, selon l'étude de Lei Pei, à 32 millions d'euros, dont un quart abondé par les Etats membres. Malgré le caractère encore émergent de la BS, l'ensemble des chercheurs rencontrés jugent ce financement trop faible au regard des investissements américains notamment. Le risque est de laisser les États-Unis et, dans un proche avenir, la Chine, jouer un rôle moteur, voire avoir un monopole, dans l'industrie de synthèse des gènes. De même, nous l'avons vu, l'Europe pourrait jouer un rôle d'impulsion dans l'organisation d'un iGEM européen, comme suggéré par Françoise Roure, permettant ainsi de constituer un registre des briques du vivant qui lui soit propre alors qu'il est aujourd'hui détenu par la BioBricks Foundation. L'initiative Horizon 2020, lancée par la Commission européenne, qui prévoit d'affecter 80 milliards d'euros à la recherche et à l'innovation, pourrait être l'opportunité de telles initiatives.
3° Au Japon
Ce pays était, avant le séisme du 11 mars 2011, dépourvu d'objectif de recherche à long terme dans le domaine de la BS. Il est probable que, suite à ce séisme et aux restrictions budgétaires actuelles, la BS ne constitue pas une priorité du gouvernement japonais dans les prochaines années 237 ( * ) .
b) Un contexte global de baisse des financements
Mis à part l'Allemagne, qui a décidé d'augmenter les dépenses consacrées à la recherche, et les pays émergents qui misent sur l'innovation comme levier de croissance, le contexte global de crise économique et financière est peu favorable à l'investissement dans de nouveaux domaines de recherche comme la BS. De nombreux chercheurs nous ont fait part de leurs inquiétudes.
Au Royaume-Uni, le Higher Education Funding Council (le Conseil pour le financement de l'enseignement supérieur) a annoncé que l'enveloppe budgétaire allouée aux 254 universités et collèges pour l'année 2011-2012 serait de 6,5 milliards de livres (environ 8 milliards d'euros), soit une baisse de 58,1 % pour le financement en capital et de 33,2 % pour le financement de différents programmes spéciaux.
Aux États-Unis, les crédits du NIH sont équivalents à ceux de 2010, 30,7 milliards de dollars (soit près de 23 milliards d'euros), au lieu des 32 milliards de dollars demandés par le Président Obama. Il est difficile d'évaluer dans quelle mesure cette baisse affectera les domaines émergents comme la BS. Les chercheurs de Harvard et du MIT anticipent une baisse des crédits de recherche pour 2012 et envisagent de solliciter des crédits complémentaires à ceux, jugés insuffisants, du NIH.
De plus, la baisse des crédits affecte plus largement les laboratoires dits « juniors » consacrés à des recherches moins institutionnalisées et plus émergentes, comme la BS.
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Cette rapide évaluation de l'état de l'art international de la biologie de synthèse en matière de recherche et de formation peut se résumer ainsi :
- une avance confirmée des États-Unis, avec un partenariat étroit entre recherche, même académique, et industrie, facilitant le transfert de technologie, la valorisation de la recherche, la création de start up ou les partenariats avec les grands groupes industriels intéressés par les applications considérées comme les plus proches du marché (biocarburants notamment). Sans surprise, les centres d'excellence sont en Californie et sur la côte Est, en particulier à Boston,
- un intérêt marqué des pays émergents, en particulier la Chine, l'Inde, Singapour, qui ont fait des sciences du vivant et des biotechnologies et, spécifiquement, de la biologie de synthèse, un objectif stratégique de recherche et développement, notamment pour les applications énergétiques et la recherche de procédés de fabrication moins polluants et moins consommateurs d'énergie.
En Europe, on constate :
- une avance de l'Allemagne où les Länder comme le ministère de la Recherche financent des programmes conséquents et un exemple de transfert vers l'industrie très réussi (outil de diagnostic « Versant » réalisé par Siemens),
- une démarche similaire en Suisse alémanique,
- un engagement réel au Royaume-Uni, freiné conjoncturellement par la réduction des dépenses publiques,
- des compétences de recherche fortes en France mais encore trop diffuses, malgré la récente création de l'Institut de la Biologie systémique et synthétique et une réflexion stratégique en cours. La valorisation de la recherche et des partenariats industriels sont insuffisants. Enfin apparaît clairement une difficulté à mettre en place les formations et programmes de recherche pluridisciplinaires (y compris SHS) nécessaires à la BS, dans un pays où les champs disciplinaires sont encore trop cloisonnés et où le système de formation encourage trop peu la créativité inhérente à la BS,
- quelques niches de recherche d'excellence en Italie (notamment sur la proto-cellule) sans stratégie globale au niveau national ou régional,
- sur le plan communautaire : un ERA-Net en Biologie systémique avec un volet BS, un groupe de travail collaboratif en BS qui a donné lieu en 2011 à un ERA-Net dédié à la BS, avec une participation française active menée par François Képès, des ateliers sur la normalisation, la propriété intellectuelle, la sûreté et la sécurité qui n'ont pas encore donné lieu à une harmonisation européenne.
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Ainsi, malgré les compétences fortes identifiées en Europe, on ne peut que constater un manque de masse critique et de travail en réseau. En France, le programme des Investissements d'avenir (IA) auraient pu être l'opportunité d'un affichage volontariste du développement de la BS. Si elle est mentionnée à deux reprises dans les programmes des IA, elle est encore trop « diluée » dans les programmes des biotechnologies et seul le programme SYNTHACS, né d'un partenariat entre la société ADISSEO et l'INSA de Toulouse, est clairement identifié comme relevant de la BS. Associant la recherche, intégrant les SHS, la formation, l'innovation et le partenariat, ce programme est particulièrement exemplaire de la méthodologie préconisée pour développer la BS.
* 236 Lei Pei et al ., «Synthetic Biology in the View of European public funding Organisation», Public Understanding of Science, 2011.
* 237 Eric Perrot, «La biologie synthétique au Japon», service pour la Science et la technologie de l'ambassade de France au Japon, 15 décembre 2011.