2.- LE RÔLE CATALYSEUR DU CONCOURS IGEM (INTERNATIONAL GENETICALLY ENGINEERED MACHINE - COMPÉTITION INTERNATIONALE DE MACHINES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉES)
Le succès incontestable enregistré par le concours iGEM a permis, d'une part, de diffuser la notion de BS et, d'autre part, de favoriser la consécration de certaines méthodes d'élaboration de la BS. Il a aussi pour effet, par son aspect ludique et créatif, de stimuler la curiosité et l'intérêt des étudiants et rendre ainsi plus attractive la filière de la BS, dans un contexte général de désaffection des étudiants européens pour la recherche scientifique.
a) Le concours iGEM a contribué à la diffusion de la notion de biologie de synthèse
Dans le cadre de ce concours, les étudiants reçoivent un kit de composants biologiques (appelé BioBricks) au début de l'été. Ce kit leur est envoyé par le registre des composants biologiques standard situé au MIT. Les étudiants travaillent en laboratoire au cours de l'été et combinent ces composants à ceux qu'ils ont eux-mêmes conçus pour construire des circuits génétiques synthétiques et les faire fonctionner dans des cellules vivantes.
Le format de l'iGEM regroupant des phases de conception et de construction est très motivant et constitue une méthode d'apprentissage efficace. L'une des principales caractéristiques de l'iGEM est que les participants commencent leurs projets avec des connaissances scientifiques relativement restreintes, la plupart étant en première et deuxième année d'université, le niveau bac + 5 étant la limite pour participer à l'iGEM. Mais au-delà de ce niveau, il reste toujours possible de participer en tant que conseiller ou superviseur. Les organisateurs de ce concours ont d'ailleurs mis en place, depuis 2011, un iGem des lycées, contribuant ainsi à attirer dans des filières scientifiques des jeunes qui, aujourd'hui, surtout dans les pays développés, se dirigent plus volontiers vers la finance, le droit ou le commerce.
Même si les travaux et les recherches en BS se sont développés antérieurement au concours iGEM, créé en 2003, il a fortement contribué à « mondialiser » la notion de BS 224 ( * ) , révélant ainsi l'intérêt croissant porté par la Chine à la BS. En effet, de sa création en 2003 jusqu'en 2005, le concours était limité aux seuls étudiants américains et se déroulait durant un mois au MIT dans le cadre de la période des activités indépendantes ( Independant Activities Period ).
Depuis, le nombre d'équipes et de participants n'a cessé d'augmenter, passant de 5 en 2004 à 13 en 2005 - la première année où le concours a été international - , 32 en 2006, 54 en 2007, 84 en 2008, 112 en 2009, 130 en 2010 et 165 en 2011. Cette participation croissante a contraint les organisateurs du concours à instaurer en 2011 des concours régionaux de pré-sélection, à Amsterdam pour l'Europe, Hong Kong pour l'Asie et Indianapolis pour les Amériques. Le « jamboree » final s'est déroulé, comme depuis la création, au MIT, du 5 au 7 novembre 2011.
L'INSTITUTION D'UN IGEM JAPONAIS :
Le Japon a créé en 2010 sa propre compétition internationale de biologie synthétique : l' International Rational-Genome-Design Contest ou GenoCon. Cette compétition est organisée par la division Bioinformatics And Systems Engineering (BASE) du RIKEN. Plus restrictif que l'iGEM, le GenoCon concerne uniquement l'innovation des systèmes végétaux, leur physiologie et leur capacité à purifier l'environnement. L'objectif de ce concours en 2010 et 2011 a été la modélisation d'une séquence virtuelle d'ADN permettant à l'espèce végétale Arabidopsis thaliana de détoxifier les molécules de formaldéhyde. Afin de réaliser leurs projets, les participants sont invités à exploiter les données génériques et protéomiques disponibles dans la base de données Riken Scientists Networking System (SciNeS). Une fois achevés, les modèles génétiques virtuels sont traités et envoyés à la BASE par le biais d'une application Internet. Les expérimentations et manipulations génétiques sont alors réalisées par les professionnels du RIKEN ou d'autres instituts de recherche et les caractéristiques des plantes obtenues sont évaluées. La session 2011 a été annulée pour cause de restrictions budgétaires suite au tremblement de terre du 11 mars 2011. |
Source : Eric Perrot, «La biologie synthétique au Japon», service pour la Science et la Technologie de l'ambassade de France au Japon, 15 décembre 2011
b) Une méthodologie de la biologie de synthèse diffusée et partagée dans le monde grâce à iGEM
Grâce à ce concours, les fondateurs Drew Endy et Randy Rettberg ont contribué à créer et faire partager une culture et une méthodologie de la BS dans le monde entier. Tout d'abord, conformément au pari de Drew Endy de rendre l'élaboration de la biologie plus facile, les concurrents sont plongés dans une atmosphère ludique 225 ( * ) , avec l'impression de jouer avec des Lego en manipulant des bio-briques standardisées. Randy Rettberg souligne à juste titre que ce concours ne peut être comparé à un enseignement traditionnel. La préparation et le déroulement du concours reposent sur le travail d'équipe, à l'exemple de celui de l'ingénieur et à l'opposé du travail en laboratoire traditionnel où les biologistes travaillent plutôt de façon isolée sur leur paillasse. Les participants prennent connaissance du registre des bio-briques et reçoivent un kit de briques standardisées, ce qui leur permet de mesurer le rôle de ce registre et du système d 'open source /open access biology dans l'élaboration de la BS. Enfin, tant la composition des équipes que celles des jurys renforcent le caractère interdisciplinaire de la BS.
En France, la première équipe iGEM a rassemblé en 2007 des compétences multi-disciplinaires en provenance d'Évry, Paris, Palaiseau et Lyon. Elle a remporté au MIT le premier prix de recherche fondatrice et faisait partie des six équipes finalistes 226 ( * ) . Depuis, le nombre d'équipes françaises a augmenté (quatre en 2011), et elles ont engrangé quelques succès supplémentaires.
LE CENTRE DE RECHERCHES INTERDISCIPLINAIRES (CRI) Le CRI offre la liberté aux étudiants d'aborder de nombreux sujets : ceux-ci sont notamment incités à créer des clubs scientifiques sur des thèmes qui les intéressent. Les étudiants sont libres d'organiser leur club comme ils le souhaitent : étude d'articles, de livres, invitation de chercheurs, discussions ou débats, etc. C'est ainsi qu'un club de biologie synthétique est né au sein du CRI. Celui-ci a vite vu son affluence augmenter et le lien a rapidement été établi avec le réseau des chercheurs français s'intéressant à la biologie synthétique. Devant le succès du club, l'initiative d'organiser une participation francilienne à la compétition iGEM a naturellement été prise. L'équipe a alors organisé une recherche de sponsors et a recruté des étudiants de toutes disciplines et formations dans les universités et écoles d'ingénieurs franciliennes. Ainsi, les étudiants de l'équipe francilienne se répartissaient en 2 ingénieurs, 3 médecins, 2 bio-informaticiens, 1 biophysicien et 2 biologistes. |
Source : Médecine et Sciences, 24 mai 2008
Toutefois, le rôle et la portée du concours font l'objet d'appréciations contrastées.
La stimulation intellectuelle qu'il suscite chez les étudiants, en les incitant à faire preuve d'inventivité, est unanimement reconnue. C'est la raison pour laquelle l'Imperial College prévoit, pour les étudiants en licence, l'organisation d'une compétition de type iGEM dans la seconde moitié de leur module de formation. A cet égard, le professeur Richard Kitney a tenu à faire observer que ces étudiants et ceux qui participent au concours iGEM préparent, par la suite, pour la plupart d'entre eux, une thèse de doctorat. L'effet incitatif est donc bien réel et il est reconnu par tous les participants.
De même, dans leur prise de position sur la BS, en juillet 2009, la DFG, Akatech (l'Académie des technologies) et la Leopoldina (l'Académie des sciences d'Allemagne) soulignent la motivation des équipes à présenter des projets créatifs à un niveau international.
D'autres voix, cependant, s'élèvent pour mettre en garde contre les risques d'une vision simplifiée de la biologie de synthèse et de la biologie en général provoquée par la dimension ludique du concours : celui-ci développerait l'idée que l'on peut, finalement, jouer avec le vivant, le manipuler facilement et, pourquoi pas, « recréer la vie » comme l'exprime Craig Venter. Le directeur général de l'ONG ETC a ainsi dénoncé les dangers d'un concours qui peut faire naître des fantasmes démesurés chez les jeunes concernant le vivant, proches de la science-fiction. Ces messages semblent d'ailleurs avoir été entendus par les organisateurs qui, s'ils n'ont pas modifié l'aspect ludique du concours, ont cependant mis en place un prix sur l'éthique et un autre sur la bio-sûreté et ont encouragé la participation des SHS aux projets de l'iGEM.
Des réserves d'un ordre différent se sont exprimées. Des scientifiques européens y voient un instrument d'intelligence économique efficace, sous couvert d'une manifestation ludique. C'est dans cet esprit que l'organisation d'un iGEM européen, adapté à la culture européenne et permettant d'éviter cette fuite des idées, est actuellement en cours de réflexion.
* 224 Randy Rettberg, qui est le directeur d'iGEM, a déclaré, lors d'un symposium qui s'est tenu à Washington en 2009, avoir été saisi d'une demande de participation d'une équipe d'Iran. Il n'y a toutefois pas donné suite, pour des raisons de nature diplomatique.
* 225 Bernadette Bensaude-Vincent et Dorothée Benoît-Browaeys comparent les participants à des footballeurs en compétition, du fait des vêtements de couleurs qu'ils arborent, «Fabriquer la vie», Seuil, 2011.
* 226 David Bikard et François Képès, « Succès de la première équipe française lors de la compétition iGEM de biologie synthétique. », Médecine / Sciences 2008, 24, p. 541.