III. CASINO (MAGASIN EXPÉRIMENTAL DESTINÉ AUX MALVOYANTS) ENTRETIEN AVEC JEAN PREVOST, DIRECTEUR DE L'INNOVATION, THIBAULT DE POMPERY, DIRECTEUR DE CRÉATION ET JEAN-LUC FECHNER, CHARGÉ DES RELATIONS EXTÉRIEURES
Le 18 octobre 2011
Le supermarché expérimental, situé dans le laboratoire de recherche de l'institut de la vision, dans le 12 ème arrondissement à Paris, est présenté par MM. Jean Prévost, Directeur de l'Innovation, Thibault de Pompery, Directeur de Création et Jean-Luc Fechner, Chargé des relations extérieures chez CASINO. C'est le premier magasin entièrement numérique en Europe. Sa conception s'inscrit dans une démarche plus large, d'adéquation aux besoins des « seniors » ; elle est le fruit d'une collaboration avec des experts de l'institut de la vision (ergothérapeutes et ergonomes) et des entreprises comme Think&Go NFC, Vélum, Pricer, ainsi que des entreprises du pôle de compétitivté Cap Digital comme I Dact.
Suivant une démarche itérative, un long travail a été effectué avec des personnes malvoyantes afin de parvenir, par touches successives, à des solutions satisfaisantes. On peut compter 1,7 million de personnes malvoyantes en France, ce phénomène touchant 30 % des plus de 75 ans. Une personne est considérée comme malvoyante dès lors qu'avec la meilleure correction possible, sa vue ne dépasse pas 3/10 e à chaque oeil. Par ailleurs, 55% des français souffrent d'un trouble de la vision.
La présente démarche s'inscrit dans un environnement technique globalement favorable à l'amélioration de la situation des malvoyants. Par exemple, le développement par Essilor de lunettes « high-tech » permettra bientôt des « zooms arrière » propres à élargir le champ de vision dans la zone de netteté oculaire, qui rétrécit avec l'âge (glaucome, rétinite pigmentaire), et des « zooms avant » ou autres rehaussements d'images, afin de mieux percevoir certains détails - ce qui serait particulièrement utile aux malvoyants atteints de déficit central (DMLA). Par ailleurs, la diffusion du mobile, susceptible de comporter un nombre croissant de fonctionnalités, permet d'orienter vers ce support « généraliste » des applications et des technologies susceptibles de concerner tout particulièrement les personnes souffrant d'un déficit de vision.
Dans le magasin expérimental, le premier axe d'amélioration en direction des malvoyants concerne les emballages. Les contrastes sont renforcés, aussi bien pour les informations écrites et les pictogrammes que pour les dessins, qui doivent décrire le produit sans « mise en scène » risquant de conduire à des confusions quant au contenu exact. En bas des paquets, les informations clé (poids, temps de préparation, date limite de vente, etc.) figurent en gros et dans un ordre identique pour tous les produits.
Le second axe repose sur l'utilisation de puces « NFC » (near field communication), disposées à l'emplacement de chaque référence. Le site visité est ainsi le premier magasin « full NFC ». En apposant un mobile sur les étiquettes comprenant cette puce, des informations apparaissent à l'écran, dans un format compatible avec le défaut de vision de la personne. Ces informations sont le cas échéant personnalisées : des alertes en rapport avec des intolérances pré-renseignées sur le mobile (gluten, etc.) ou d'autres informations (présence de porc, etc.) apparaissent avec le renfort, sur option, d'une explicitation sonore.
Grâce à ce procédé, le montant total des achats s'impute au fur et à mesure sur l'écran, contribuant aussi à une bonne maîtrise du budget. Enfin, cette technique permet, pour ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent pas composer ou acheminer leur panier à la caisse ou chez eux, de faire remplir ou livrer ce panier à leur domicile (sur ce dernier point, des améliorations annexes sont recherchées ; elles reposent notamment sur le renoncement aux véhicules avec des livraisons effectuées principalement à pied, par une main-d'oeuvre locale).
A noter que la technologie NFC doit être distinguée de la technologie RFID (radio frequency identification) qui, fort répandue, fonctionne à une distance pouvant atteindre trois mètres et dont l'emploi a donc été ici exclu puisqu'il conduirait à un risque important de confusion des produits. A titre d'exemple, la puce NFC est d'ores et déjà utilisée pour le pass Navigo.
Par ailleurs, ces puces peuvent être utilisées pour les commandes à domicile. On peut, en effet, les disposer sur un « tableau de courses » où elles sont repérées par le nom ou une représentation des produits habituellement achetés, permettant une commande directe et simplifiée, via son mobile, par apposition sur les puces correspondantes aux produits dont on a besoin ; mieux : le tableau n'est pas figé car le mobile peut agir sur la puce en modifiant le produit auquel elle renvoie. On peut encore envisager de disposer ces puces près des emplacements de stockage respectifs des consommables domestiques.
(A noter que certaines techniques développées par ailleurs, telles que le « réfrigérateur intelligent », qui repère les produits manquants et les commande directement, ne sont peut-être pas, en dépit d'une séduction certaine, promises à un essor irrésistible, car les consommateurs souhaiteront toujours garder un minimum d'initiative sur leurs achats).
Autre amélioration, le mobile peut, en faisant apparaître des plans simplifiés, aider une personne à se guider jusqu'au magasin Casino (en signalant, le cas échéant, d'autres magasins « partenaires » - boulanger, pressing, etc. - d'intérêt immédiat pour le consommateur), et dans le magasin.
Ultérieurement, les puces pourraient aussi comporter de nouvelles fonctionnalités, telles que l'historique des températures et garantir ainsi, par exemple, la continuité de la chaîne du froid.
Toutes ces améliorations, tant en termes de packaging que de fonctionnalités nouvelles via un recours généralisé aux puces communicantes, résultent d'une démarche orientée vers un certain public : les personnes malvoyantes et plus généralement les « seniors ». Mais elles débouchent concrètement sur des améliorations appréciables par un public bien plus large, tant en termes de lisibilité des emballages que d'enrichissement de l'information et de volants de liberté supplémentaires dans les séquences d'achat. C'est pourquoi Casino entend les étendre à l'ensemble de ses magasins.
Bien entendu, une adoption plus générale, par d'autres distributeurs et producteurs, de ces techniques et de ces nouveaux canons de lisibilité et d'information, engendrerait une baisse des coûts (la puce NFC revient actuellement à environ 15 centimes d'euros, ce qui exclut encore de la placer sur les produits eux-mêmes) et renforcerait l'homogénéité de l'offre au sein même du réseau des magasins Casino, qui ne propose pas que des produits portant sa marque.
L'enseigne mise donc sur sa capacité d'entraînement auprès d'autres marques pour leur faire intégrer certaines des contraintes de packaging initialement identifiées à l'intention des malvoyants, et auprès des autres grands acteurs de la distribution, pour utiliser les puces NFC. Quoi qu'il en soit, et dans l'état actuel de la technique, Casino compte équiper ses magasins en puces NFC dans les meilleurs délais.
Ces puces présentent d'autres avantages, notamment par rapport aux « tags » 200 ( * ) de type « QR code » (technologie permettant d'accéder à de l'information via un mobile en « photographiant » le code, qui renvoie à une page disponible sur la toile) : étant uniques, elles garantissent la consistance de l'information.
En revanche, presque tous les mobiles reliés à Internet peuvent lire les tags, alors que la lecture des puces est une fonctionnalité relativement récente ; d'ailleurs, on ignore encore si Apple intégrera un jour cette fonctionnalité dans ses iPhones. Mais la proportion des mobiles commercialisés qui communiquent avec les puces NFC est d'ores et déjà très significative.
En outre, comme il se trouve que la puce NFC ne fait pas transiter l'information délivrée par Internet, elle tend incidemment à dissuader les « nouveaux barbares » (Google, Amazon, Facebook...) de s'immiscer, par cette porte, dans la chaîne de valeur afin de ponctionner des rentes opportunistes - par exemple, sur le signalement de concurrents proposant des prix moins élevés. D'une façon générale, la maîtrise technique et la commercialisation des « tags » constituent un enjeu important, qui comporte encore de nombreuses inconnues...
Quoi qu'il advienne, on souligne que, le cas échéant, toute réorientation ultérieure vers une autre technique de lecture (tags ou autres puces ou technologie à naître), demeurerait sans incidence sur la détermination de l'enseigne à la mobiliser dans l'ensemble de ses magasins afin de permettre aux personnes malvoyantes d'accéder, dans les meilleures conditions, aux produits, aux informations et aux services précédemment décrits.
Enfin, dernier axe d'amélioration orienté « client », Casino expérimente un nouveau site fonctionnant sur écran tactile, travaillé dans le sens d'une intuitivité, d'une clarté et d'une simplicité maximales, avec des produits présélectionnés en fonction des choix antérieurs ou d'une sensibilité déclarée à certaines caractéristiques des produits (promotions, bio etc.). Des fonctionnalités plus élaborées débouchent sur d'autres suggestions, destinées par exemple à la confection de plats composant des repas proposés sur la base de différents critères (budget, nombre de convives, indications caloriques, contexte...), ou résultant du choix de thèmes transversaux tels que, par exemple, la fraise (appelant ici la proposition simultanée de fraises fraîches, de macarons et de gâteaux aux fraises...).
Un objectif majeur de ce site est, au travers de propositions pertinentes et lisibles, de ne pas « enfermer » des personnes, notamment malvoyantes, dans une gamme de produits rituellement sélectionnés, sans risquer pour autant de les égarer vers des choix qui ne leur correspondraient pas.
Qu'elles soient à l'initiative de l'enseigne ou de nature locale, les expérimentations autour de l'e-commerce impliquant Casino sont nombreuses : à Auxerre avec des télés connectées et tactiles ; à Marseille, avec l'opération « tout numérique » ; ainsi que dans certaines villes moyennes.
* 200 Code barre bidimensionnel (carré), à la différence des codes barres « classiques », suite unidimensionnelle de traits.