QUELLE STRATÉGIE POUR LA RECHERCHE ?
Claude BIRRAUX
Je souhaite d'abord interroger les intervenants sur la raison d'être et l'exploitation pertinente des différentes bases françaises au coeur de l'Antarctique, au niveau subtropical avec Amsterdam, voire au niveau tropical avec les îles Eparses. Le concept de « continuum polaire subtropical » a été élaboré. Quel est son sens ? Est-il pertinent de réduire à une seule vision des zones si éloignées et si différentes ?
Deuxièmement, je m'interroge sur la démarche d'observatoire. En effet, elle est clairement définie concernant les sciences de l'univers. Celles-ci sont organisées, soutenues et insérées dans des communautés scientifiques internationales spécifiques. Cependant, nous n'avons pas toujours l'impression que cette définition est aussi claire dans les sciences de l'environnement. Les outils existants, comme la zone atelier, suffisent-ils ? L'organisation et la formalisation de cette mission d'observation dans la longue durée de l'environnement et des populations animales peuvent-elles progresser ? La démarche française peut-elle s'ancrer à l'international et s'insérer dans une initiative mondiale, à l'instar de la pratique en sciences de l'univers ? Comment organiser une recherche vivante à travers le renouvellement des thèmes et l'enrichissement des équipes, alors que la fonction d'observation mobilise une part significative des moyens humains et matériels disponibles ?
Enfin, je m'intéresse à la question de l'ouverture et de la coopération internationales. Quelle doit être la stratégie d'ouverture aux équipes de recherche étrangères ? Peut-elle intervenir seule ou doit-elle privilégier un partenariat étroit avec des équipes nationales et l'IPEV ? Dans le cadre de la coopération internationale, quelle est l'importance des coopérations de nature circum-subantarctic, qui mobilisent des équipes britanniques, sud-africaines, néo-zélandaises, australiennes et norvégiennes ? Le renforcement de notre relation en matière de recherche avec l'Afrique du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande est-il un axe politico-stratégique porteur de sens ? La recherche peut-elle s'insérer dans une logique coopérative élargie, notamment à l'Antarctique et au Svalbard ?
Ronan STEPHAN, Directeur général pour la recherche et l'innovation, Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Monsieur le Président, vous vous interrogez d'abord sur la continuité entre l'espace polaire et l'espace subtropical. Les actions menées dans les TAAF sur ces segments doivent être aussi coordonnées avec celles que notre pays mène sur l'ensemble du continuum entre le polaire et le subtropical. Notre observatoire est actuellement structuré par l'Alliance de l'Environnement (AllEnvi). Les acteurs présents nous donnent matière à mener cette réflexion, la construire et à formuler des propositions. La France peut coordonner de façon très continue des actions de recherche du milieu polaire jusqu'au milieu tropical en dépit des différences d'outils. Nous sommes capables d'apporter une réponse positive à la question de la continuité du polaire vers le subtropical. Peu de pays peuvent en dire autant. Notre communauté scientifique peut être aujourd'hui mobilisée, à travers la prise en compte de l'ensemble des territoires français, qui constituent des lieux d'observation potentiels, que ce soit la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte ou les cinq districts constitutifs des TAAF. La contribution de ces terres au continuum est très originale, comme en témoignent les recherches présentées par Yves Frénot, qui bénéficient de la contribution et du support de l'IPEV. Elles ont permis l'émergence d'une science véritable, au premier rang mondial des contributions scientifiques en la matière. Ce continuum revêt un sens manifestement particulier dès lors que des études et des recherches sont menées sur le changement climatique et les mutations environnementales. L'exploitation de ce continuum est non seulement une chance, mais également une réalité à la lumière des travaux qui ont été conduits. Une projection vers cette direction me semble poser question et mériter du soutien.
La notion d'observatoire de l'environnement, aussi bien que la valorisation des démarches qui s'appuient sur ce concept, sont plurielles. La formalisation et la valorisation des initiatives sont déjà bien engagées au niveau national grâce à la coordination du travail des différents organismes de recherche. L'AllEnvi adjoint à ce travail des éléments de structuration, d'animation, de mise en synergie et de recherche d'efficacité pour ces différents acteurs. Par ailleurs, la refonte des feuilles de route des différentes grandes infrastructures concourt à la rationalisation des démarches annoncées par l'AllEnvi sur ces observatoires. Au coeur de nos dispositifs nationaux de recherche, ils ont émergé de différentes façons durant les dix dernières années, à travers les systèmes d'observation, les SORE et les ZA (zones-ateliers). C'est pourquoi la communauté scientifique mène la structuration de ces dispositifs, pour les organiser et leur offrir une voie de reconnaissance entre nos grandes infrastructures de recherche. Cette opération est nécessaire pour pérenniser le soutien apporté à ces observatoires. Ainsi, l'AllEnvi a instauré un groupe de travail spécifique sur ces infrastructures d'observatoires. Les travaux de cette alliance, qui existe depuis plus d'un an, ont conduit à la création d'une unité mixte de service sur la flotte. Cette structure est aujourd'hui appréciée par les acteurs qui utilisent ou agissent en coordination sur cette flotte. Ainsi, le gain en termes de synergies est déjà manifeste. La performance sera mesurée une fois qu'elle aura opéré pendant quelque temps.
Rien ne s'oppose à l'insertion au plan international de ces infrastructures, qui comprennent, pour la plupart des cas, les dispositifs nécessaires pour créer un observatoire mobile. Leur performance et leur qualité de service et scientifique sont une réalité et une nécessité absolue. Dès lors, nous pouvons tout à fait les intégrer dans une strate européenne et internationale. C'est usuel. Ainsi, un certain nombre de communautés internationales coopèrent déjà avec les équipes françaises dans le cadre de recherches conduites dans les TAAF et les îles subantarctiques, même si la situation actuelle est sans doute perfectible. L'IPEV entretient déjà des relations tout à fait appréciées par de nombreux homologues et instances internationales. A ce titre, il peut être placé au centre de ce groupe de travail destiné à mieux envisager une ouverture internationale plus large de ces moyens, qui serait cohérente avec la stratégie nationale de recherche.
Comment ouvrir les appels d'offres et les appels à projets à des équipes étrangères ? Quelles pourraient en être les conditions ? Quel rôle l'IPEV tiendrait-il alors ? Selon moi, la qualité des services et des moyens de l'ensemble du dispositif structuré grâce à l'IPEV répond aux questions de l'ouverture internationale des appels d'offres et appels à projets, de ses conditions et du rôle tenu par l'Institut polaire. Selon notre ministère, l'IPEV est fondé à être le pivot de telles actions, compte tenu de sa reconnaissance internationale parmi les opérateurs qui officient dans la zone subantarctique. Le fonctionnement de Conseil des programmes scientifiques et technologiques (CPST) mérite d'être salué compte tenu de sa capacité à sélectionner les meilleurs projets scientifiques. Dans ce contexte, nous pouvons souhaiter une ouverture à des équipes étrangères et la mise en place de partenariats. Des économies d'échelle pourraient être recherchées plus intensément que par le passé, selon des modalités qui restent encore à définir. Selon moi, l'IPEV, à supposer qu'il puisse assumer ce rôle, pourrait être le pivot de cette réflexion.
Vous vous êtes interrogé sur les éventuelles conséquences de cette démarche sur l'extension des moyens de campagne depuis le polaire jusqu'au tropical. Selon la position du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, l'IPEV ne pourrait tenir cette mission à volumétrie égale de moyens. C'est pourquoi nous devrions ajouter des ETP à l'IPEV et peut-être envisager des moyens maritimes moins sophistiqués que le Marion Dufresne. Selon nous, cette extension du champ d'activité de l'IPEV risque de fragiliser son budget.
Claude BIRRAUX
A ce titre, l'alliance doit jouer un rôle, selon moi. En effet, loin des yeux, loin du coeur... et du portefeuille.