B. DÉVELOPPER UNE FRANCE DE COLLECTIONNEURS

Aujourd'hui le collectionneur se trouve dans une situation paradoxale en France. Deux images opposées s'affrontent : d'un côté le collectionneur spéculateur qui se retrouve au coeur des débats récurrents sur le maintien ou non des objets d'art hors de la base d'imposition sur la fortune, et de l'autre le collectionneur bienfaiteur dont l'ensemble des professionnels souhaiterait renforcer la place dans le marché de l'art.

Votre rapporteur tient à souligner l'impact très positif, pour les artistes et le marché, de l'intervention des collectionneurs . La dynamique vénitienne autour des collections d'art contemporain de François Pinault a le mérite d'avoir suscité un grand intérêt pour les professionnels comme pour le grand public. Beaucoup, comme Alain Quemin, ne cessent de regretter que la France privilégie l'approche institutionnelle du soutien à la création artistique alors que les structures privées, telles que la Maison rouge - Fondation Antoine de Galbert, parviennent à apporter une vision intéressante et neuve. La démocratisation de l'accès à l'art contemporain et la promotion des artistes français doit beaucoup à des collectionneurs tels que Guillaume Houzé, arrière petit-fils du fondateur des Galeries Lafayette et aujourd'hui responsable de la programmation de l'espace d'exposition éponyme. Le témoignage du président du Centre Pompidou, Alain Seban, enfin, montre combien l'apport des collectionneurs est essentiel pour la constitution des collections publiques.

La réflexion sur le développement des collectionneurs doit néanmoins s'inscrire dans une logique d'ouverture, de démocratisation de l'art contemporain et de l'art en général. Étendre la logique des incitations à collectionner au plus grand nombre permettrait non seulement de ne plus stigmatiser les plus grands collectionneurs souvent soupçonnés de spéculer sur l'art, mais remettrait également l'art d'aujourd'hui, expression vivante de notre société, au coeur d'un projet national de soutien à la création .

La démocratisation du mécénat (mécénat individuel, mécénat des petites et moyennes entreprises) passe nécessairement par une réflexion sur les réformes fiscales à envisager . C'est une question délicate en temps de crise économique alors que la situation des finances publiques contraint à réduire ou à supprimer niches et avantages fiscaux. Cependant votre rapporteur tient à aborder ce chapitre sans tabou : tout d'abord parce que le présent rapport d'information vise à lancer des pistes de réflexion qui doivent guider les débats dans une perspective de long terme, ensuite parce que les réformes fiscales tendant à soutenir la création d'aujourd'hui s'inscrivent dans la logique d'un projet de société, de démocratisation de l'art contemporain, de dynamique à la fois culturelle et économique. Ces pistes de réforme ont donc une justification à la fois culturelle, sociale et économique. Elles sont en quelque sorte un élément clé d'un développement artistique durable.

Quelques éléments de définition juridique d'une collection

Décret du 29 janvier 1993 32 ( * ) : une collection est « un ensemble d'objets, d'oeuvres et de documents dont les différents éléments ne peuvent être dissociés sans porter atteinte à sa cohérence et dont la valeur est supérieure à la somme des valeurs individuelles des éléments qui le composent ».

Art. 534 du code civil : les « collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières » et les porcelaines bénéficient d'un statut distinct de celui des « meubles meublants ».

L'intégrité de la collection n'est toutefois pas protégée en droit. Il est possible de disperser les composantes de l'ensemble - sauf en cas de demande contraire dans un testament, un acte de donation ou un acte de vente, mais dans la limite de l'équité du partage. Seules les collections classées monuments historiques bénéficient d'une protection juridique.

Le collectionneur ne bénéficie pas du droit d'auteur, le rassemblement de la collection ne constituant pas une « oeuvre de l'esprit ». La jurisprudence a toutefois utilisé la notion « d'oeuvre de l'homme » afin de faire valoir le droit moral des collectionneurs à plusieurs reprises : par exemple pour préserver l'intégrité d'une collection au cours d'un divorce 33 ( * ) .

1. Développer de nouvelles formes de mécénat : pour une démocratisation de la collection d'art

L'idée de développer de nouvelles formes de mécénat répond à deux types d'objectifs : répondre à la forte décroissance du mécénat culturel, et démocratiser l'art d'aujourd'hui .

Depuis 2008, le budget global du mécénat d'entreprise a chuté de 20 %. La part du mécénat culturel dans ce budget global s'est effondrée, passant dans le même temps de 39 % à 19 % en 2010, soit une diminution de plus de 50%. Alors qu'Olivier Tcherniak, président de l'Admical, annonce que « le mécénat culturel est en train de mourir » , on peut relever des mutations de fond :

- la priorité au mécénat valorisant la RSE, responsabilité sociale de l'entreprise ;

- au sein de l'aide culturelle, la priorité aux projets liés à la solidarité et aux grands établissements ;

- la concurrence accrue entre bénéficiaires : Martine Tridde-Mazloum, directrice de la fondation BNP Paribas, reçoit « en moyenne 4 000 dossiers par an, dont deux ou trois seulement sont affectés » ;

- l'émergence du mécénat individuel : pour l'acquisition des Trois Grâces de Cranach par le Louvre, 1,2 million d'euros sur 1,5 million d'euros venaient de donateurs individuels ;

- la définition du mécénat détachée du droit fiscal, avec la Charte publiée par l'Admical en 2011.

On note un repli du mécénat culturel au profit d'un mécénat croisé, avec une dimension sociale. Ce repli s'opère au détriment des structures de création qui souffrent d'un manque de soutien financier et de l'absence de mutualisation des efforts consentis. L'atomisation du secteur artistique, déjà évoquée dans ce rapport, devient un véritable obstacle en période de diminution du mécénat.

LOI N° 2003-709 DU 1 ER AOÛT 2003 RELATIVE AU MÉCÉNAT,
AUX ASSOCIATIONS ET AUX FONDATIONS

Objectifs

La loi dite « Aillagon » crée des réductions d'impôts accordées aux particuliers et aux entreprises sur les dons versés à des associations et fondations reconnues d'utilité publique (FRUP), et simplifie le statut de ces dernières.

Dispositions nouvelles 34 ( * )

A) Statut des FRUP

Limitation stricte des structures habilitées à délivrer un reçu de don aux donateurs :

? Organismes énumérés à l'art. 200 du CGI : fondations d'entreprise, FRUP, fonds de dotation, établissements d'enseignement artistiques publics ou privés à but non lucratif 35 ( * ) , musées de France, associations culturelles ou de bienfaisance autorisées à recevoir des dons et legs, organismes présentant des oeuvres au public dont la gestion est désintéressée ;

? OEuvres ou organismes d'intérêt général , appréciés selon des critères cumulatifs : organismes exerçant une activité parmi celles énumérées à l'art. 238 bis du CGI, au moins en partie en France, sans but lucratif et non pas au profit d'un cercle restreint de personnes.

B) Mesures fiscales selon le type de donateur

- Particuliers et entreprises :

? Passage d'un dispositif de déduction sur l'assiette à une réduction sur l'impôt ;

? Augmentation du taux de réduction sur l'impôt sur les sociétés ;

? Allongement de la durée pendant laquelle l'entreprise peut bénéficier de la réduction.

Le don peut être un versement, une aide matérielle ou d'expertise (« mécénat de compétence »).

- FRUP :

Abattement sur l'impôt sur les sociétés plafonné à 30 000 € au lieu de 15 000 €.

C) Mesures fiscales selon le type de don

Versement au profit d'oeuvres ou d'organismes d'intérêt général

Réduction à hauteur de 60 % du versement, plafonnée à 0,5 % du CA HT du donateur. Au-delà de ce plafond, la réduction peut être reportée sur cinq exercices maximum.

Achat d'oeuvres d'artistes vivants

Déduction du montant de l'acquisition du résultat d'exercice courant et des quatre années suivantes, plafonnée à 0,5 % du CA HT du donateur.

Contrepartie : exposition gratuite de l'oeuvre dans un lieu public, ou prêt gratuit à des interprètes dans le cas d'instruments de musique.

Versement destiné à l'achat de biens culturels d'intérêt artistique ou historique majeur

Réduction à hauteur de 90 % du versement, soumise à l'agrément du ministre chargé de la culture.

Acquisition d'un Trésor national pour le compte de l'entreprise

Réduction à hauteur de 40 % des dépenses d'acquisition, soumise à conditions :

- le bien n'a pas fait l'objet d'une offre d'achat de l'État ;

- l'entreprise consent à ce qu'il soit classé monument historique ;

- l'entreprise ne peut le revendre avant 10 ans ;

- le bien doit être placé en dépôt auprès d'un musée de France.

Application

Sur le court terme (2003-2005), la loi a conduit à un triplement du mécénat d'entreprise qui a atteint 1 milliard d'euros en 2005, dont 975 millions d'euros pour le mécénat culturel. Parmi les entreprises mécènes en 2005, 55 % bénéficiaient des allègements fiscaux et 52 % se déclaraient incitées 36 ( * ) par la loi à augmenter leur budget mécénat.

Le tableau ci-après met en évidence l'impact très positif du mécénat en décrivant les différents mécénats dont a bénéficié le Centre Pompidou.

CAS D'ÉCOLE : LE MÉCÉNAT AU CENTRE POMPIDOU EN 2010

- Montant global : 5 M€, sur 29,6 M€ de ressources propres totales ;

- Mécénat sur programmes : 1,4 M€. Ex : exposition Mondrian/De Stijl ;

- Mécénat projets stratégiques : 2,1 M€, dont 0,2 M€ de mécénat de compétence. Ex : Centre Pompidou mobile, actions de promotion ;

- Mécénat pour acquisitions : 1,5 M€. Retour à un niveau normal après l'aide exceptionnelle de Pierre Bergé pour acquérir Le Revenant de Chirico en 2009.

Depuis le Plan de dynamisation des ressources propres (2007), le mécénat a augmenté de +160 %.

a) Le mécénat individuel

Le problème de la scène française est l'insuffisance des collectionneurs privés, notamment les moyens et petits collectionneurs.

Encourager la multiplication des petits collectionneurs, c'est favoriser le soutien aux artistes les moins visibles. La déclinaison des paradigmes prévalant actuellement dans le marché de l'art contemporain, aux niveaux plus modestes, est la condition d'une démocratisation de l'art . Elle peut permettre de développer un goût pour l'art, d'encourager à découvrir des artistes peu médiatiques, et de développer des dynamiques locales dans tout le territoire.

Il est particulièrement intéressant de se référer à un article 37 ( * ) d'Aurélie Perreten, directrice-adjointe de l'Association Française des Fundraisers. Son analyse montre tout d'abord que le mécénat des particuliers constitue une source de financement pérenne, contrairement à celui des entreprises davantage sensibles à la crise. En outre une analyse comparative avec les États-Unis et le Royaume-Uni montre que la France est le pays qui résiste le mieux à la crise du point de vue des particuliers.

Le Louvre a bien perçu l'intérêt d'une stratégie ciblée sur les grands donateurs puisque quatre cercles de mécènes distincts ont été créés. Le cercle des jeunes mécènes, réservé aux moins de 40 ans et s'appuyant sur un réseau de jeunes entrepreneurs, soutient plus particulièrement les projets du musée liés à l'art contemporain.

L'auteure poursuit en observant qu'avec une valorisation des contreparties limitée à 60 euros en échange d'un don de particulier, « c'est plutôt la philosophie du don et du contre-don à laquelle il faut réfléchir . Plusieurs témoignages de responsables de mécénat ayant entamé une stratégie auprès des particuliers concordent pour dire que la contrepartie la plus demandée et la plus appréciée par les particuliers se résument en un seul mot : proximité ». Ce constat appelle deux remarques de la part de votre rapporteur :

- il serait utile de revoir cette limitation à 60 euros de la valorisation, que plusieurs personnes auditionnées ont jugées « dérisoire » au regard des enjeux de développement du mécénat culturel ;

- la proximité peut s'apprécier à deux niveaux . Tout d'abord elle peut s'opérer à travers un intermédiaire et concerne aussi bien les grands et petits donateurs. Le Louvre est encore un bon exemple avec à la fois l'appel aux dons individuels pour les « Trois grâces » ayant réuni 7 000 donateurs pour un montant de 1,2 million d'euros, ou le programme dédié aux prisons dans lequel Frédéric Jousset, 39 ans, a « investi » 1 million d'euros tirés de sa fortune personnelle et dont il a suivi personnellement la réalisation. Mais la proximité peut aussi s'apprécier de façon plus directe, entre l'individu désireux de soutenir la création artistique et l'artiste lui-même. C'est ce type de proximité qu'il s'agirait d'encourager, d'abord parce qu'elle attirerait l'attention des donateurs, mais aussi parce qu'elle pourrait créer du lien à la fois social et artistique entre les donateurs et les artistes implantés sur leur territoire. Un tel lien avec les artistes vivants pourrait être encouragé fiscalement par exemple en contrepartie de l'achat d'une oeuvre d'artiste vivant pouvant faire l'objet d'un reçu au même titre que celui que fournissent les associations reconnues d'utilité publique en échange des dons. Évidemment un tel système mériterait une étude plus approfondie pour évaluer les contraintes pratiques de sa mise en oeuvre, mais elle constituerait sans nul doute une approche très novatrice porteuse de lien social de proximité entre des petits collectionneurs et des artistes locaux.

Proposition n° 16 : Encourager le mécénat individuel en élargissant à l'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants le principe de la réduction d'impôt sur le revenu, accordée en contrepartie de dons aux oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique.

Proposition n° 17 : Revoir à la hausse la limitation de la valorisation des contreparties aux dons individuels.


* 32 Décret n° 93-124 relatif aux biens culturels soumis à certaines restrictions de circulation (NOR : MENB9300040D).

* 33 Arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 12 janvier 2004.

* 34 Modification du code général des impôts : art. 757, 1469, 788, 1727, 794, 238 bis, 302 bis ; modification de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le mécénat : art. 4-1, 18-1, 19-8.

* 35 Agréés par le ministre chargé du budget et le ministre chargé de l'éducation nationale.

* 36 37 % « Oui, plutôt » et 15 % « Oui, tout à fait ».

* 37 « Le Mécénat des particuliers pour le secteur culturel : un potentiel encore peu exploité » dans un ouvrage à paraître de l'Observatoire national des politiques culturelles « Guide du mécénat culturel territorial : Diversifier les ressources pour l'art et la culture ? », Jean Pascal Quiles, Marianne Camus Bouziane (direction), Territorial Editions. Ouvrage à paraître.

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