C. CAUSES OU CORRÉLATIONS ?
La constatation de l'augmentation forte de l'incidence de certains cancers des organes liés au système hormonal au-delà du vieillissement de la population et des biais de diagnostic, à laquelle s'ajoute des inquiétudes sur l'évolution de la fertilité humaine, et les soupçons qui pèsent sur un certain nombre de substances chimiques présentes dans l'environnement conduisent à mettre en cause les perturbateurs endocriniens dont les mécanismes d'action sont aujourd'hui beaucoup mieux connus.
Certains l'affirment, d'autres, plus prudents, notent des corrélations mais ne voient pas de liens de causalité.
Il a semblé à votre rapporteur que pour mieux estimer la possibilité que les perturbateurs endocriniens soient la cause de certaines affections, il était nécessaire de les replacer parmi les autres causes environnementales et de revenir sur la manière dont on peut, scientifiquement, établir un lien de cause à effet.
1. Les critères de la causalité
Pour comprendre comment peut s'établir un lien de causalité scientifique pour déterminer le caractère dangereux d'un produit, il est utile de se référer aux critères que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) dépendant de l'Organisation mondiale pour la santé (OMS) utilise pour estimer le caractère cancérogène de s agents dans ses monographies et aux critères plus généraux établis par le statisticien britannique Bradford Hill.
a) La démarche du CIRC
Les monographies du CIRC sont une source d'information scientifique pour les autorités publiques pour prévenir l'exposition à des cancérogènes potentiels. Elles sont réalisées par des groupes d'experts internationaux qui effectuent une revue bibliographique scientifique et évaluent le degré de risque. Depuis 1971, plus de 900 agents ont été évalués, dont 400 ont été classés cancérogènes ou potentiellement cancérogènes.
La classification des agents par le CIRC comprend cinq catégories :
Groupe 1 : L'agent est cancérogène pour l'homme.
Groupe 2A : L'agent est probablement cancérogène pour l'homme.
Groupe 2B : L'agent est peut-être cancérogène pour l'homme.
Groupe 3 : L'agent est inclassable quant à sa cancérogénicité pour l'homme.
Groupe 4 : L'agent n'est probablement pas cancérogène pour l'homme.
Pour expliciter ce classement, il convient d'avoir à l'esprit que la découverte d'une nouvelle pathologie en lien avec un facteur environnemental, est confirmée en plusieurs étapes au final concordantes :
- une constatation clinique : les praticiens constatent un accroissement de la survenance d'une maladie, notamment chez les populations particulièrement exposées (les professionnels) ou chez des populations ciblées (âge, sexe...) ;
- une constatation épidémiologique avec la mise en évidence d'un risque et d'un lien dose-effet, cette constatation étant confirmée par plusieurs études ;
- un mécanisme confirmé par des études reproductibles sur les animaux, in vivo , et par des études in vitro .
Le classement dans le groupe 1, c'est-à-dire d'une cancérogénicité certaine, correspond, le plus souvent, à l'accumulation des preuves épidémiologiques, in vivo et in vitro .
Le classement en catégorie 2A, c'est-à-dire d'une probable cancérogénicité pour l'homme, correspond le plus souvent à seulement deux éléments de preuve.
Le classement en catégorie 2B, c'est-à-dire à une simple possibilité, à un élément de preuve seulement.
Enfin, les classements 3 et 4 correspondent soit à une absence de données soit à des données tendant à infirmer la cancérogénicité.
b) L'établissement de la causalité selon Hill
Le statisticien britannique Bradford Hill a été conduit au début des 1950 à établir un certain nombre de critères de causalité pour établir un lien entre le tabac et le cancer du poumon . Ces arguments ont fait date et sont considérés comme généralement valides pour établir scientifiquement un lien de cause à effet. Votre rapporteur reprend ici la présentation qui en est faite par Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira dans leur ouvrage La fertilité est-elle en danger ?.
Bradford Hill a établi 9 critères pouvant se combiner :
- La force de l'association entre l'exposition, son intensité et la maladie ;
- La stabilité de l'association, c'est-à-dire sa répétition dans le temps et l'espace ;
- La spécificité de l'association, jusqu'à l'exclusivité du lien exposition-maladie ;
- La temporalité de la liaison, c'est-à-dire que l'exposition doit précéder l'effet ;
- L'existence d'un gradient biologique , c'est-à-dire une relation dose effet ;
- La plausibilité de l'action en fonction des connaissances biologiques ou mécanistiques acquises ;
- La cohérence de l'association avec les connaissances générales déjà disponibles ;
- Les résultats expérimentaux qui sont de nature à établir définitivement la causalité ;
- L'analogie , enfin, par exemple entre des molécules de même famille.