CONTRIBUTIONS DES GROUPES
ET DES MEMBRES DE LA MISSION

I. CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN ET DES SÉNATEURS DU PARTI DE GAUCHE

Présentée par Mme Annie David, vice-présidente de la commission des affaires sociales

Je souhaite en premier lieu remercier le président Claude Jeannerot et le rapporteur Jean-Paul Alduy pour la diversité des personnalités auditionnées, ainsi que des déplacements faits lors des travaux de notre mission.

Au préalable, il me semble important de préciser dans quel contexte économique et social intervient cette mission afin d'appréhender de manière efficiente les enjeux, les défis, auxquels est confronté Pôle emploi.

Aujourd'hui, notre pays tente, non sans difficulté, de sortir d'une crise financière, économique et sociale profonde. Cette crise s'est traduite par l'apparition d'un chômage de masse. Fin mars 2011, en France métropolitaine , 4 045 400 personnes inscrites à Pôle emploi étaient tenues de faire des actes positifs de recherche d'emploi (4 306 200 en France y compris Dom), dont 2 680 000 étaient sans emploi (catégorie A) et 1 365 400 exerçaient une activité réduite, courte ou longue (catégories B, C).

Mais au delà de l'ampleur du chômage, le service public pour l'emploi doit faire face à une véritable mutation du marché du travail. En effet, en raison des choix politiques de ces dernières années à travers les allègements de cotisations patronales, l'emploi a vu ses normes se dégrader considérablement avec le développement des emplois précaires, CDD, intérim, contrats aidés... Ainsi, en 2010, selon l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), sur les 19 millions de déclarations d'embauche, 12 millions étaient inférieures à un mois tandis que 3 millions seulement correspondaient à des emplois durables, c'est-à-dire à des CDD supérieurs à 6 mois ou des CDI.

On assiste ainsi aujourd'hui à la combinaison de deux mouvements, le relâchement de la norme d'emploi durable et à temps plein, incarné par le contrat à durée indéterminé, et le développement de l'emploi à bas salaire, avec comme conséquence directe la paupérisation des salarié-es. La précarité est aujourd'hui au coeur même du salariat.

Pôle emploi doit donc faire face non seulement à un nombre de demandeurs d'emplois important mais, du fait du développement des contrats précaires, il doit faire face à une rotation permanente de demandeurs d'emplois. Ces nouvelles difficultés combinées à une fusion qui a été mise en oeuvre dans la précipitation, ainsi que le manque de moyens, ont semé les germes des dysfonctionnements auxquels Pôle emploi est confronté aujourd'hui.

Ainsi, au cours de ces auditions et tables rondes successives des personnels, des usagers, qu'ils soient demandeurs d'emploi ou employeurs, et des différents acteurs du secteur de l'emploi, nous avons pu constater ces nombreux dysfonctionnements, gravement préjudiciables aux usagers de ce service public ; mais nous avons pu constater également la situation alarmante dans laquelle se trouve les salarié de Pôle emploi, qui ont « subi » cette fusion à marche forcée et qui, aujourd'hui, ont beaucoup de mal à donner du sens à leur mission, qu'elle se décline auprès des employeurs ou bien des demandeurs d'emploi. A un an de la fin des travaux de notre précédente mission de la commission des affaires sociales sur le mal-être au travail, il est à regretter que ses conclusions, adoptées à l'unanimité, n'aient pas permis de prévenir, afin de les combattre, les conséquences de cette fusion.

I - Bilan des constats réalisés lors de ces auditions

1. Une gestion dénoncée

a) Le « paradoxe » de Pôle emploi

Deux constats ont émergé des différentes auditions auxquelles nous avons procédé et de celles que j'ai organisées dans mon département, auprès des organisations syndicales et des acteurs qui interviennent dans le secteur de l'emploi : le manque de moyens affectés à Pôle emploi pour mener à bien ces missions, mais également des dysfonctionnements liés à la précipitation dans laquelle a été menée cette réorganisation. Ainsi, deux ans après sa création, Pôle emploi est confronté au paradoxe suivant : un nombre massif de chômeurs, plus de 4 millions, face à une réduction des moyens affectés à ses missions en raison d'une politique de restriction budgétaire dans les services publics.

Rappelons en effet, que la révision générale des politiques publiques (RGPP) s'applique également à Pôle emploi puisqu'un départ à la retraite sur deux n'est pas remplacé et que la loi de finances pour 2011 a acté la suppression de 1 800 emplois. Ainsi, selon une étude réalisée par l'inspection générale des finances (IGF) sur l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France, pour 10 000 chômeurs, l'Allemagne dispose de 420 agents, le Royaume-Uni 221 et la France 215. Rapportés au nombre de demandeurs d'emploi recensés par les statistiques nationales, les effectifs montrent des écarts plus importants : un effectif de 150 personnes en France, 349 au Royaume-Uni et 377 en Allemagne. Ce manque de moyens affectés au service public de l'emploi, qui plus est dans un contexte de chômage massif, s'est traduit par des conséquences néfastes « des deux côtés du guichet ».

Pour les usagers , tout d'abord, et contrairement au rapport, nous ne pensons pas que « les changements apportés depuis deux ans et demi confirment le bien fondé de la fusion dans son principe » , ni même que la fusion se traduit par « des acquis incontestables » . Bien au contraire, les démarches des demandeurs d'emploi sont loin d'avoir été facilitées ou simplifiées par la fusion.

Le Gouvernement a fait le choix de dématérialiser et de déshumaniser un peu plus le service, en créant une ligne téléphonique et en développant un site internet. Sous couvert de nouvelles technologies, ce nouveau mode de relation aux usagers, loin de simplifier le parcours du demandeur d'emploi, le complexifie. Les usagers sont tenus à distance du contact direct avec les services. La proximité et l'accueil qui font la force du service public s'éloignent de plus en plus. Le demandeur d'emploi, contraint de passer par le 39 49 pour toutes démarches sans jamais avoir de réponse immédiate, est confronté à un véritable labyrinthe administratif, dans lequel, souvent, il se perd, avec un effet coercitif, la radiation.

Le demandeur d'emploi souffre également du fait qu'il se voit dispenser « une offre de service en mode dégradé » par des agents qui doivent désormais assurer deux métiers radicalement différents, pour lesquels ils n'ont pas nécessairement reçu de formation, et ce à l'occasion d'un unique EID (entretien inscription diagnostic) alors qu'ils bénéficiaient auparavant de deux entretiens (l'un concernant son indemnisation et l'autre relatif à son projet personnel d'accès à l'emploi). D'ailleurs, en raison de ce manque de formation, les conseillers d'indemnisation chargés de mener cet entretien auront des difficultés à le réaliser sans avoir la connaissance globale du marché du travail et sans maîtriser suffisamment la question complexe de la formation, tandis que les conseillers placement seront en difficulté pour traiter de l'indemnisation qui suppose là aussi une expertise. Il s'en suit une inégalité de traitement des demandeurs d'emploi, ce qu'on ne peut cautionner de la part d'un service public. Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant que les enquêtes menées par les organisations syndicales aient révélées qu'un demandeur d'emploi sur trois considère que son conseiller n'a pas le temps de s'occuper de lui, et que les propositions qui lui sont faites ne correspondent ni à sa qualification, ni à son projet professionnel.

En ce qui concerne les salariés , en 2008, le Gouvernement s'était engagé à ce qu'un conseiller accompagne 60 demandeurs d'emploi. Aujourd'hui, nous en sommes loin, la moyenne s'élevant à 180, et dans certains départements, ce ratio s'élève à 1 pour 300.

Cette surcharge de travail est cumulée à la contrainte d'exercer un nouveau métier, alors que la formation est nettement insuffisante. Les questions d'indemnisation (durée, conditions d'ouverture, montant) ainsi que les entretiens intégrant l'expérience professionnelle, les parcours de vie et la recherche professionnelle nécessitent une véritable expertise qui appelle de la part des demandeurs d'emploi des réponses précises et compétentes. Mais, comme l'a relevé le rapport « L'illusion du métier unique relevait de l'euphorie initiale suscitée par la fusion » , cette euphorie fut brève, car l'insuffisance de la formation dispensée aux salariés de pôle emploi a très rapidement été insupportable pour ces derniers, à qui l'on renvoyait une image extrêmement dévalorisée de leur métier. En outre, ne pouvant pas apporter de réponses précises, notamment dans le cadre de l'EID, les conseillers sont fragilisés personnellement dans le contact avec les usagers. Les demandeurs étant par ailleurs insatisfaits d'un service rendu au rabais, cela génère des situations conflictuelles difficiles à gérer !

Cette situation est d'ailleurs aggravée par la volonté du Gouvernement d'intégrer également avec les agents de Pôle Emploi, les « psychologues du travail » (personnel Afpa), lesquels ont vu leurs activités réduites et craignent, en conséquence, pour la reconnaissance de leur métier.

En plus d'être pris à partie par les usagers, les agents de pôle emploi doivent faire face aux instructions contradictoires de leur hiérarchie, ils doivent s'adapter à des priorités évoluant continuellement... En définitive, en proie à des difficultés qu'ils sont contraints de gérer seuls, les agents de pôle emploi ne savent plus quelles sont leurs missions, ni comment les effectuer... Cette perte de sens et de compétences a déjà fait émerger des risques psychosociaux. D'ailleurs, le rapport lui-même affirme que la fusion notamment a « provoqué une augmentation sensible des risques psychosociaux au sein du personnel de Pôle Emploi » .

En définitive, ce bilan témoigne des intentions contradictoires d'un Gouvernement qui souhaite atteindre des objectifs qu'il prétend ambitieux en matière de réduction du taux de chômage, sans se donner les moyens de ses ambitions. D'ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental, dans un projet d'avis rendu public mardi 14 juin, demande l'accroissement des moyens de Pôle emploi et une réelle personnalisation du « service rendu » aux demandeurs d'emploi notamment en « limitant de manière notable la taille des portefeuilles des conseillers de Pôle Emploi » .

Mais au-delà de la question des moyens, certes légitime, le message qui est véhiculé à travers cette réorganisation du service public de l'emploi et tout autant condamnable. Les 45 000 agents, à travers la non-reconnaissance de leur métier, de la spécificité de leurs compétences, sont perçus comme interchangeables. Quant aux demandeurs d'emplois, à travers la multiplication des contrôles et la « chasse à la fraude », alors qu'elle ne représente que 2 %, sont perçus comme des « tricheurs » qui profitent du système. Derrière cette appréhension des problématiques du chômage, la thèse libérale et idéologique du « chômage volontaire » apparait donc avec force.

b) La mise sous tutelle des partenaires sociaux

Dès l'origine, la gestion de Pôle emploi a été confiée à l'Etat et aux organisations syndicales patronales et salariales. Cette gestion tripartite était destinée à garantir une stabilité des politiques publiques de l'emploi menées par l'agence Pôle emploi.

En effet, la présence des organisations syndicales au sein se son conseil d'administration devait permettre de garantir la continuité de la politique menée à Pôle emploi, afin que celle-ci ne soit pas tributaire et contingente des évolutions du pouvoir politique en place à la tête de l'Etat. Ce schéma, qui aurait pu fonctionner efficacement et garantir une politique de l'emploi stable, a été rapidement escamoté. Privées de la possibilité de voter « les ressources » de Pôle emploi, court-circuitées par les décisions politiques et les lois de finances, dans leur pouvoir de décider des « emplois », les organisations syndicales sont désormais cantonnées à un seul rôle : celui de bouc-émissaire, devant assumer la responsabilité des décisions qui relèvent « artificiellement » de leur compétence, mais qui émanent en réalité du pouvoir politique en place !

En définitive le conseil d'administration se résume à une simple chambre d'enregistrement et devient un outil de pilotage stratégique de l'Etat, par lequel il cherche à faire valider sa politique par les organisations syndicales ! D'ailleurs, la mission a relevé dans son rapport que « les organisations syndicales et patronales ont critiqué de concert une gouvernance déséquilibrée au profit de l'Etat » , c'est dire l'unanimité que fait cette question au sein des acteurs de Pôle emploi !

Cette « parodie » de gestion tripartite, vivement dénoncée par les organisations syndicales, est accentuée par le manque de moyens qui leur sont conférés. Ainsi, alors que l'Unedic est le financeur principal de Pôle emploi, il est regrettable qu'il ne dispose pas d'une voix au conseil d'administration. Autant dire que cette situation prive la gouvernance de Pôle emploi d'un des rouages essentiels de sa bonne gestion.

2. Une clarification des liens avec les autres opérateurs du service public de l'emploi et un meilleur maillage territorial

a) une nécessaire clarification des liens entre Pôle emploi et les opérateurs privés

Dans un contexte politique où la libéralisation du marché des services s'étend aux services publics sans aucune limite, la crainte de voir Pôle emploi, dont le statut juridique demeure aujourd'hui incertain, transformé en société anonyme privée, à l'instar du service public postal, semble fondée. En effet, l'ouverture du marché du placement des demandeurs d'emploi aux acteurs du secteur privé pourrait tout à fait annoncer une privatisation complète de ce secteur.

Nos inquiétudes sont fondées ; pour preuve, alors qu'en 2006 Pôle emploi ne détenait déjà plus que 40 % du marché du placement des demandeurs d'emploi, aujourd'hui, le ministre de l'emploi a appelé à ouvrir plus encore ce service public de l'emploi à « la concurrence » des opérateurs privés.

Dès lors, il est impératif, non seulement d'alerter sur ce démantèlement insidieux du service public de l'emploi, mais surtout de s'interroger sur l'opportunité d'une ouverture à la concurrence d'un service de l'emploi déjà en proie à de nombreux dysfonctionnements et difficultés. Serait-ce une tactique politique de plus, destinée à décharger l'Etat d'un service public qu'il ressent comme un fardeau et dont il ne souhaite plus assumer la charge ?

Loin d'épouser cette vision idyllique de la libéralisation du service de l'emploi, nous craignons que celle-ci n'aggrave les difficultés du service public, en créant des services, certes de qualité, mais réservés à une partie des demandeurs d'emploi, à l'exclusion de tous les autres. Cette libéralisation risque, en définitive, de rompre l'égalité entre les usagers dans l'accès au service public et de mettre en place, à terme, des services payants.

Forts de ce constat, il est impératif de clarifier les règles régissant les relations entre l'institution qui incarne le service public de l'emploi et les opérateurs privés qui se voient déléguer certaines missions du service public de l'emploi.

b) Un meilleur maillage du territoire

Dans la mesure où le chômage est un mal qui touche tous les territoires et toutes les catégories de travailleurs, le service public de l'emploi doit être accessible à toutes et tous les usagers sur l'ensemble du territoire. Pour lutter contre ce fléau, chacun s'accorde à reconnaître qu'il est nécessaire de développer un réseau d'agences réparties équitablement en France.

Ce service sera d'autant plus performant, tant pour les demandeurs d'emploi, de part sa proximité, que pour les entreprises, qu'il prendra en compte la spécificité des besoins territoriaux. Or, s'agissant de la proximité, si la mise en place de guichets uniques avait été largement plébiscitée par les demandeurs d'emploi qui y voyaient un moyen de réduire leurs déplacements, elle s'est traduite, en ce qui concerne Pôle emploi, par la suppression de nombreuses agences. En effet , avant la fusion, l'ANPE disposait de 830 agences locales et les Assedic de 630 points d'accueil ; après la fusion, on n'en dénombre plus que 900. Certains demandeurs d'emploi doivent désormais parcourir jusqu'à 50 kilomètres dans certaines zones pour se présenter à leur agence.

Concernant la territorialisation des politiques de l'emploi, les services de Pôle emploi ne sont pas encore suffisamment individualisés, adaptés aux spécificités locales et ne tiennent pas suffisamment compte des difficultés de recrutement dans certains secteurs. Dans ce contexte, il convient de s'intéresser aux partenariats de Pôle emploi avec les collectivités, à travers notamment les maisons de l'emploi mises en place par le plan de cohésion sociale de 2005 . En effet, elles mettent en oeuvre des politiques territoriales de l'emploi à partir d'un diagnostic analysant les forces et les faiblesses des territoires et les besoins des populations, des entreprises et des différents acteurs institutionnels. On peut regretter d'ailleurs que la dernière loi de finances ait réduit de manière considérable leur budget, et ce malgré la persistance d'un chômage massif ! Cette situation a contraint les sénateurs et députés de gauche, à demander au Gouvernement à plusieurs reprises une augmentation des fonds publics versés par l'Etat. Or, de fait, les collectivités risquent de devoir pallier les insuffisances de Pôle emploi, avec pour conséquence une perte de souplesse dans leur action en faveur de l'emploi. Il en va de même pour les missions locales, également menacées par ces « coupes budgétaires » alors même que le chômage des jeunes est une préoccupation majeure.

En sus de partenariats avec les collectivités, Pôle emploi doit continuer à développer ses partenariats avec certaines associations en charge de travailleurs identifiés, (Ohé Prométhée, Cap emploi, Apec...). Or, comme l'a justement fait remarquer Mme Rose-Marie Van Lerberghe, « nous avons perdu en souplesse » à l'occasion de la fusion ; ce qui risque de nuire aux coopérations et partenariats mis en place.

Toutefois, ces différents partenariats, aussi intéressants et nécessaires soient-ils, ne doivent pas servir à pallier les insuffisances de Pôle emploi au risque de voir selon les territoires une inégalité de traitement dans la prise en charge des usagers. Ce dernier doit pouvoir garantir des services spécialisés et adaptés aux différentes catégories socioprofessionnelles et à leurs problématiques propres, afin que tous les usagers puissent en bénéficier sur tout le territoire.

3. Les incertitudes sur le statut de Pôle emploi

Les incertitudes portant sur le statut juridique de Pôle emploi ont été dénoncées à de nombreuses reprises par les syndicats. Mais cette question du statut juridique n'est pas nouvelle car elle a été posée de manière récurrente depuis la création de cette agence par la loi du 13 février 2008.

Le Gouvernement, dès l'origine, s'est volontairement abstenu d'en définir clairement et expressément le statut, semble-t-il pour éviter les problèmes liés au statut des personnels de Pôle emploi. Il est clair que la fusion entre, d'une part, les Assedic, organismes privés employant des salarié-es soumis au code du travail, d'autre part, l'ANPE, établissement public à caractère administratif composé d'agents de droit public, s'annonçait périlleuse au regard de la question essentielle du statut des personnels. En outre, cette fusion apparaissait irréalisable, et ce en raison, notamment, du contexte de crise économique mondiale dans lequel elle intervenait. D'ailleurs, à l'époque, nous avions instamment demandé au Gouvernement de repousser la fusion, afin que celle-ci se réalise dans les meilleures conditions possibles.

Une des conséquences de cette fusion hâtive a été de mettre en place une agence dont le statut juridique est incertain et les règles de fonctionnement inabouties. Tantôt Pôle emploi apparaîtt comme un EPA, tantôt il serait un établissement sui generis , ce qui laisse une large marge de manoeuvre au Gouvernement dans ses relations avec les agents. D'ailleurs, comme en témoigne l'actualité, le statut juridique de Pôle emploi laisse certains décideurs publics perplexes. Ainsi, alors que le directeur de Pôle emploi affirme que l'agence n'est pas un opérateur public, et échappe à la RGPP, le ministre du budget, François Baroin, souhaitait quant à lui, l'y soumettre.

Or, aux termes de ces auditions, ce statut juridique reste flou, comme le souligne d'ailleurs le rapporteur. Toutefois, sa proposition d'un audit juridique par l'Igas n'apportera pas de nouvelles précisions. Ce dont a besoin Pôle emploi, tant pour ses personnels que ses usagers, c'est d'une clarification rapide de son statut.

II - Des propositions de pistes et de solutions

S'il est vrai que cette contribution doit tenter de solutionner les difficultés et dysfonctionnements auxquels est confronté le service public de l'emploi, il n'en demeure pas moins que les solutions apportées dépendront, en réalité, des politiques publiques mises en oeuvre, notamment dans le domaine de l'emploi. En effet, il faut rappeler que les maux dont souffrent aujourd'hui Pôle emploi n'auraient pas lieu d'être si les politiques publiques en faveur de l'emploi étaient plus efficaces et axées sur la qualité des services. Or, à l'heure actuelle, ces politiques sont focalisées sur les « chiffres officiels du chômage » et tendent uniquement à réduire au maximum ces chiffres, par tous les moyens, notamment en usant des « radiations »...

Malheureusement, ce n'est pas en supprimant des emplois dans les services publics via la RGPP, ni en fossoyant le secteur français de l'industrie (potentiel « vivier » pour les demandeurs d'emploi), que le Gouvernement apportera des solutions à ce fléau qu'est le chômage ! Non content d'avoir réduit la qualité du service de l'emploi, en supprimant des effectifs, il s'efforce désormais de corriger tant bien que mal et sans réelle efficacité des difficultés dont il est lui-même à l'origine, alors même qu'il pourrait favoriser le retour à l'emploi par des mesures plus directes, comme mettre fin aux délocalisations et, au contraire, soutenir notre industrie, ainsi que les secteurs et entreprises qui créent de l'emploi ou sont susceptibles d'en créer en France.

Mais là n'est pas le but de cette contribution, aussi nous souhaitons proposer certaines solutions aux maux de Pôle Emploi.

1°) Une amélioration nécessaire de la gestion

L'amélioration du fonctionnement de Pôle emploi doit d'abord passer par une identification claire des missions imparties aux agents. Il est temps de revenir sur les erreurs du passé, notamment sur la confusion des métiers. Une telle mesure permettrait de redonner du sens aux métiers du service public de l'emploi, de valoriser les formations reçues par les agents et de reconnaitre une fois pour toute leur spécialité, qu'ils soient agents Assedic, ANPE ou Afpa ! Et pour être complet, il faut que cette clarification des missions s'accompagne de la clarification des classifications des agents, permettant ainsi une meilleure vision de leur possible évolution de carrière. Pour ce faire, il nous parait utile de trouver rapidement un accord aux négociations engagées par les partenaires sociaux.

A défaut d'une telle mesure, il faut apporter aux agents de pôle emploi une formation adaptée et complète, afin de leur permettre d'effectuer les différentes missions désormais assumées par l'agence. Il semble en effet illusoire de croire que les agents peuvent apprendre un métier, à l'occasion d'une formation d'une durée de sept jours.

Afin d'améliorer la qualité du service et les conditions de travail des agents, il est également indispensable de donner à Pôle emploi les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions. Dès lors, le Gouvernement doit renoncer à son projet de suppression de 1 800 postes et de non-renouvellement des salarié-es partant à la retraite. D'ailleurs, la mission parlementaire elle-même reconnaît, bien que trop timidement, qu'il « ne serait pas opportun de poursuivre la baisse des effectifs de Pôle emploi, amorcée en 2011, tant que le chômage restera à un niveau élevé » .

Pour notre part, nous considérons qu'il est impératif de renoncer aux suppressions d'emploi et indispensable d'augmenter les effectifs de Pôle emploi, afin de doter l'agence de moyens humains suffisants pour traiter chacun des dossiers avec toute l'attention qu'ils méritent. De plus, nous souhaitons que l'augmentation des effectifs soit assortie de mécanismes permettant la mobilité des agents vers d'autres services publics, afin d'adapter les effectifs de l'agence en fonction de l'évolution du nombre de demandeurs d'emploi inscrits, contrairement à la pratique actuelle de Pôle emploi, qui a recours aux CDD et aux sous-traitants pour assurer une certaine flexibilité dans la gestion de ses ressources humaines ; et contrairement au rapport, lequel préconise uniquement que Pôle emploi s'astreigne à un « comportement exemplaire en ce qui concerne les perspectives de reclassement des personnes embauchées en CDD » .

L'augmentation des effectifs, que nous souhaitons, permettrait de réduire vraiment le nombre de portefeuilles par agents et, partant, d'assurer un suivi mensuel adapté des demandeurs d'emploi. L'adaptation du suivi mensuel à chaque situation individuelle devrait être laissée à l'appréciation des conseillers, qui sont les mieux à-même de prendre en compte les profils de chaque individu, tout en évitant l'écueil d'une segmentation des demandeurs d'emploi, telle que préconisée dans le rapport. Le classement des usagers pouvant aboutir à des dérives et discriminations inacceptables !

Enfin, le service public de l'emploi doit mettre fin à la dématérialisation du service qui aboutit à déshumaniser les relations entre les agents et les usagers et est source de tensions entre ceux-ci. Nous préconisons un retour au contact direct avec les agents car si les demandes d'inscriptions à distance par téléphone ou par Internet, présentent l'avantage de la rapidité, en réalité elles sont sources d'erreur et d'incompréhensions.

Concernant la politique de radiation menée par Pôle emploi, qui a instauré une présomption de fraude à l'égard de ses usagers, nous préconisons de renforcer les droits des usagers, et ce d'autant plus que ces derniers sont bien plus souvent victimes d'erreurs de la part de pôle emploi qu'ils ne sont à l'origine de fraudes. Ainsi, selon les notes de la Dares, en mars 2009, la radiation administrative représentait 2 % des sorties des listes de Pôle emploi mais, en mars 2011, elle représentait 9,6 %. De même, les sorties pour défaut d'actualisation suivies d'une réinscription représentaient 19,3 % en mars 2009, elles représentaient 43,5 % en mars 2011 ! Si l'on met ces chiffres en parallèle avec celui des sorties de liste de Pôle emploi pour reprise d'emploi, soit en mars 2009 43,6 % et en mars 2011 21,2 %, force est de constater que la gestion de la fraude et des radiations a pris le pas sur la mission première de Pôle emploi, à savoir la reprise d'un emploi des demandeurs d'emploi à travers un accompagnement personnel et suivi de ce dernier.

Concernant la gouvernance de Pôle emploi , il est évident que les compétences du conseil d'administration doivent être clarifiées. En effet, à l'heure où le conseil d'administration endosse la responsabilité des décisions budgétaires en matière de ressources, arrêtées par le seul Gouvernement, il devient urgent de modifier ses compétences afin de faire en sorte que cette instance, où siègent notamment les différentes organisations syndicales, soit rétablie dans son rôle de « gouvernant ». Ainsi, comme préconisé dans le rapport, nous souhaitons une rénovation du conseil d'administration. Parallèlement à l'évolution des missions du conseil d'administration, nous sommes également favorables à un élargissement de la composition du conseil d'administration, d'une part à l'Unedic, appui technique important dans le domaine de l'indemnisation, mais aussi et surtout aux associations représentatives des usagers, lesquels ne sont pas de simples bénéficiaires passifs du service public.

En dernier lieu, il nous parait également indispensable de rénover l'institution que constitue le médiateur de Pôle emploi ! Pour ce faire, nous souhaitons que ce dernier soit conforté dans son indépendance, afin que son rôle au sein de l'agence soit renforcé.

2°) Une nécessaire clarification des rapports entre Pôle emploi et ses partenaires du secteur privé à but lucratif

La volonté du Gouvernement d'ouvrir plus encore le service public de l'emploi à la concurrence des entreprises privées nous conduit à exiger, plus qu'une clarification du rôle assuré par les opérateurs privés dans ce service, un encadrement juridique strict de l'intervention de ces derniers. Nous souhaitons éviter que la gratuité ainsi que l'égalité d'accès au service public de l'emploi ne soit progressivement remises en cause du fait de cette ouverture à la concurrence privée. Cette clarification des règles juridiques régissant les rapports entre Pôle emploi et le secteur privé se fait d'autant plus pressante et urgente que le rapport de la mission Pôle emploi, lui-même, préconise de renforcer la sous-traitance au sein de Pôle emploi, afin de s'adapter aux évolutions du nombre de demandeurs d'emploi. Or, nous craignons que la sous-traitance ne nuise un peu plus à la qualité du service, et plus précisément à l'égalité dans l'accès au service.

Néanmoins, malgré nos craintes, nous sommes conscients des bienfaits que peuvent apporter les associations à but non lucratif, dans le secteur de la formation et de l'aide au retour à l'emploi. D'ailleurs, nous pouvons affirmer, à l'issue des nombreuses auditions, que la formation professionnelle continue constitue un élément déterminant dans le processus de retour à l'emploi. Toutefois, malgré la bonne volonté des agences Pôle emploi, les stages proposés par ces dernières sont des stages « standards » totalement inadaptées aux différentes catégories de demandeurs d'emploi, et surtout à cette nouvelle catégorie de « jeunes diplômés sans emplois ». Encore une fois, forts de ce constat, il apparait opportun de préconiser un renforcement des liens entre Pôle emploi et les associations compétentes au niveau local.

Dans ce contexte, il serait souhaitable, comme alternative à la privatisation rampante de ce service public, que Pôle emploi développe plus encore ses relations avec les missions locales et les maisons de l'emploi, ou encore avec les associations à but non lucratif. Cependant, nous mettons en garde contre le dispositif des « contrats pluriannuels d'objectifs » préconisé par la mission Pôle emploi et son rapporteur, qui propose de rénover le cadre de la collaboration entre Pôle emploi et les missions locales, via des CPO, en vertu desquels les missions locales seraient évaluées sur leurs résultats en matière de placement des jeunes demandeurs d'emploi. Or, bien que le rapport ne le mentionne pas, ces conventions pourraient tout à fait, comme c'est le cas déjà, avec les CPOM dans les établissements de santé, permettre de fixer les moyens des missions locales, en fonction des objectifs atteints, ce qui peut aboutir à une sélection inadmissible des usagers en fonction des objectifs fixés par la convention. De même, nous redoutons que, loin d'améliorer les relations entre Pôle emploi et les missions locales, cette convention crée des tensions dans leurs relations et suscite la concurrence au sein du service public de l'emploi. Pour renforcer les coopérations et créer des partenariats forts avec les collectivités, Pôle emploi devra alors, laisser une certaine marge de manoeuvre aux collectivités et une plus grande souplesse d'action à ces dernières dans le secteur de l'aide aux demandeurs d'emploi.

3°) Les éléments d'une clarification du statut de Pôle emploi

Si la mission a affirmé dans le rapport que « cette coexistence de deux statuts est le résultat d'un choix politique arrêté en 2008 (...) » et qu'il ne serait pas opportun de « revenir sur ce choix fondateur » , nous appelons, quant à nous, au vote d'une nouvelle loi. En effet, nous pensons qu'il est plus que nécessaire de consacrer expressément à la fois son statut d'établissement public administratif et de clarifier les règles applicables, aussi bien aux agents de droit public qu'aux salariés de l'agence. Cette clarification permettrait de fédérer le personnel de Pôle emploi, qui connaît encore, à l'heure actuelle, une scission entre les agents de droit public et les agents de droit privé. En effet, rappelons-le, la réunion de deux cultures différentes (administration et secteur privé) au sein d'une même agence a été source de difficultés et d'inégalités qui nuisent tout autant au personnel qu'aux usagers.

Conclusion

En définitive, les travaux réalisés par la mission Pôle emploi nous permettent de conclure que si la démarche qui a prévalu lors des auditions aurait pu et dû aboutir à de réelles propositions en faveur d'un service public de l'emploi rénové, en réalité les propositions émises dans le rapport restent très en deçà de ce que l'on pouvait espérer.

En effet, alors même que pendant les auditions, les partenaires sociaux, les usagers, et le directeur de Pôle emploi lui-même, ont « dénoncé », assez unanimement d'ailleurs, les insuffisances du service public de l'emploi actuel..., le rapporteur, quant à lui, semble avoir pris le parti de mettre en avant, dans son rapport, ce qu'il considère être des « acquis incontestables » à Pôle emploi. Mais alors, si le bilan de Pôle emploi est si positif, pourquoi donc avoir mis en place une mission parlementaire ? Quant à nous, nous sommes plutôt déçus du « tableau » dépeint par le rapport, qui nous semble idyllique... Enfin, en ce qui concerne les propositions du rapporteur, pour améliorer la situation de Pôle emploi, celles-ci restent très timides, et bien éloignées de nos ambitions !

Néanmoins, il faut reconnaître que cette mission nous aura permis de réellement faire la lumière (et c'est là le plus important) de la souffrance que génère quotidiennement le fonctionnement actuel de Pôle emploi, tant pour les usagers que pour les agents. Désormais, nous sommes convaincus qu'une réforme de ce service public s'impose.

Notre bilan nous amène à conclure que sous couvert de faciliter et de simplifier l'accès aux usagers de ce service public de l'emploi, par l'instauration de « guichets uniques », il s'agissait surtout de fusionner deux métiers pourtant très différents et de réduire les coûts de ce service public.

En définitive, la création de cette agence a surtout permis de justifier des licenciements massifs et des réductions de moyens, tant financiers qu'humains, sans pour autant apporter une clarification, ni des missions ni des classifications des agents, ni même apporter une solution de qualité aux demandeurs d'emploi.

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