2. Des questions en suspens
a) Une évaluation qui reste à compléter

En 2007, l'Unedic et l'ANPE ont conduit des expériences d'accompagnement renforcé s'adressant à des demandeurs d'emploi présentant des risques de chômage de longue durée afin de les faire accéder plus rapidement et plus durablement à l'emploi. L'Unedic a sous-traité le placement de quelques 40 000 demandeurs d'emploi indemnisables dans dix régions, tandis que l'ANPE, de son côté, mettait en place une prestation d'accompagnement renforcée appelée « Cap vers l'entreprise » (CVE) en direction de 40 000 demandeurs d'emploi, indemnisés ou non.

Un programme d'évaluation de ces expériences a été conduit par deux équipes de chercheurs (Ecole d'économie de Paris et Centre de recherche en économie et statistique et coordonné par un comité de pilotage présidé par Claude Seibel. Le devenir sur douze mois de l'ensemble des demandeurs d'emploi bénéficiant de l'accompagnement renforcé a été suivi et comparé à celui d'un échantillon de taille semblable de demandeurs d'emploi bénéficiant d'un accompagnement standard. Cette évaluation répondant aux critères scientifiques les plus rigoureux a permis de mettre en évidence plusieurs résultats intéressants en ce qui concerne l'efficacité comparée d'un accompagnement renforcé par rapport à un accompagnement « standard », d'une part, et d'un accompagnement public par rapport à un accompagnement privé, d'autre part.

Il apparaît clairement que :

- l'accompagnement renforcé apporte une plus-value importante aux demandeurs d'emploi par rapport à un accompagnement standard : au bout d'un an, le taux de sortie vers l'emploi est plus élevé de 5,6 points pour les personnes accompagnées par les OPP et de 7,3 points pour celles suivies par les équipes CVE ;

- le programme public CVE a un effet plus rapide et plus élevé sur le taux de sortie vers l'emploi que l'accompagnement mis en oeuvre par l'opérateur privé : au bout de six mois, le taux de sortie vers l'emploi des chômeurs suivi par les OPP est plus élevé de 4,2 points, alors que, dans le cas de CVE, l'écart par rapport à un accompagnement normal atteint 9,1 points pour les chômeurs indemnisés et 7,6 points pour les chômeurs non indemnisés ;

- dans les endroits où cohabitaient l'accompagnement renforcé assuré par l'ANPE et celui assuré par les opérateurs privés, on constate une amélioration significative des résultats des deux types d'acteurs, ce qui suggère un effet d'émulation et de concurrence ;

- dans le cas d'un accompagnement renforcé, le retour vers l'emploi est plus durable. Les demandeurs d'emploi accompagnés par les opérateurs privés de placement ou par les équipes CVE se réinscrivaient moins fréquemment sur les listes de l'ANPE au cours des six mois suivant leur sortie vers l'emploi.

Ces résultats montrent clairement qu'investir dans un accompagnement renforcé est payant en termes de sortie du chômage. Ils montrent également que les a priori idéologiques sur l'efficacité comparée de l'accompagnement privé ou public ne rencontrent pas forcément de confirmation empirique : des agents publics motivés mis en situation de faire autre chose que de la gestion statistique de flux obtiennent des résultats comparables à ceux du secteur privé .

Quant aux agents privés, on constate que leur performance est directement liée au système d'incitations prévu par le contrat : parmi les demandeurs d'emploi accompagnés par les opérateurs privés, l'effet positif constaté porte en effet uniquement sur les sorties vers des contrats de plus de six mois, ce qui est cohérent avec l'objectif assigné par le cahier des charges.

Enfin, en ce qui concerne les méthodes d'accompagnement, on constate une grande proximité entre les pratiques des opérateurs privés et celles des équipes CVE. Seule différence notable, les demandeurs d'emploi accompagnés par les équipes CVE ont reçu plus d'offres d'emploi alors que ceux suivis par les opérateurs privés de placement ont bénéficié de plus de prestations sur la méthodologie de la recherche d'emploi.

Une dernière remarque doit être faite concernant la portée de l'évaluation de 2007 : elle mesure l'efficacité des différences formes d'accompagnement renforcé, mais pas leur efficience. Malgré des demandes répétées, le comité de pilotage de l'évaluation n'a en effet pas réussi à obtenir une analyse solide des coûts comparés des deux dispositifs. La question clé, celle du rapport coûts-avantages (à qualité d'accompagnement équivalente, recourir aux OPP permet-il d'économiser l'argent public ?), reste donc posée à l'issue de cette évaluation.

La mission d'information a constaté que, depuis les travaux de 2007, aucun élément d'évaluation nouveau n'a permis de véritablement approfondir l'analyse et de se prononcer sur l'efficience comparée des deux systèmes d'accompagnement. On peut d'ailleurs regretter que le lancement d'appels d'offres d'une ampleur inédite en 2009 ne se soit pas accompagné de la mise en place d'un protocole d'évaluation comparable à celui de 2007. Le comité d'évaluation de Pôle emploi réalise cependant actuellement une évaluation sur ces questions. On peut espérer disposer de ses résultats à l'automne 2011. Dans l'attente, la mission d'information souhaite soulever quelques questions et tracer quelques pistes de réflexion.

b) Des interrogations sur la manière d'utiliser les OPP
(1) Des difficultés pour concilier pilotage par les résultats et obligation de moyens

Les représentants des OPP ont unanimement critiqué le fait que Pôle emploi tendait à enfermer leur travail dans un cadre trop rigide en leur imposant un contrôle strict des process et des méthodes d'accompagnement. De fait, les cahiers des charges des appels d'offre sont assez précis sur tous ces points. C'est un signe que Pôle emploi est soucieux de s'assurer que les prestations sous-traitées au secteur privé répondent à un niveau de qualité minimal et ne se traduisent pas par une dégradation de la qualité du suivi des chômeurs. Au demeurant, les OPP, en concourant sur les appels d'offre, ont accepté cette règle du jeu.

Dans le même temps, il est évident qu'en normant de manière très précise le contenu des prestations sous-traitées, l'opérateur public risque de se priver d'un des principaux bénéfices attendus du recours aux opérateurs privés, à savoir la diversification et la mise en concurrence des méthodes d'accompagnement. Ce point a été clairement souligné par Bénédicte Guesné, directrice France d'Ingeus : « Depuis la création de Pôle emploi, nous avons remarqué un changement dans les prestations commandées, qui sont aujourd'hui beaucoup plus orientées vers les moyens, avec un cahier des charges très strict et une prestation qui est décrite dans le détail. Le risque est de standardiser l'offre, en ne laissant que peu de place au sur-mesure et à l'innovation. »

Autre risque de cette approche : le contrôle strict des process impose un travail administratif important de reporting aux sous-traitants, ce qui mobilise une partie des moyens qui ne sont plus disponibles pour la mission de suivi personnalisé des chômeurs. C'est un point que Bénédicte Guesné, directrice France d'Ingeus, a également souligné : « Les tâches administratives imposées par le cahier des charges à nos conseillers sont de plus en plus lourdes, au détriment de notre coeur de métier, c'est-à-dire le placement des demandeurs d'emploi en difficulté. »

Ces remarques conduisent à s'interroger sur la manière de mieux concilier les contraintes liées au contrôle des moyens mis en oeuvre avec les exigences d'un pilotage des OPP par la performance. D'un côté, Pôle emploi étant le payeur, il est normal qu'il exerce un contrôle strict sur la qualité de la prestation fournie par les personnes privées auxquelles il confie l'exercice d'une mission de service public, d'autant que des abus ont eu lieu dans les premiers temps de la sous-traitance. Lors de sa deuxième audition, le directeur général de Pôle emploi a indiqué que certains sous-traitants, faute de locaux, recevaient les demandeurs d'emploi dans des chambres d'hôtel ! D'un autre côté, si Pôle emploi transforme ses prestataires en simples exécutants, les gains d'efficience attendus d'une mise en concurrence de modes d'accompagnement différents n'ont aucune chance d'apparaître.

Trouver le bon équilibre passe sans doute par une réflexion approfondie sur le mode de rémunération des OPP. Le but ultime de l'accompagnement des chômeurs étant leur retour à l'emploi, il n'est pas absurde que la rémunération des OPP fasse une part plus importante à leurs résultats, ce qui implique de réduire la fraction de la rémunération versée lors la prise en charge des demandeurs d'emploi et d'accroître la part de la rémunération variable en fin d'accompagnement en fonction du succès rencontré. Cela éviterait d'ailleurs le risque que certains opérateurs privés développent un modèle économique où le seuil de rentabilité est atteint avant même que l'accompagnement des demandeurs d'emploi ait commencé.

Une telle stratégie de pilotage par la performance n'aurait bien entendu de sens que si elle s'accompagne de la reconnaissance de marges de liberté plus importantes dans le choix des moyens. En même temps, il faut veiller à éviter les effets pervers du pilotage par la performance, à savoir des biais de sélection qui conduisent à concentrer l'effort de placement sur les demandeurs d'emploi présentant les chances les plus fortes de retour à l'emploi.

(2) Une gestion des flux erratique

Pôle emploi se voit reprocher par ses sous-traitants la gestion erratique des flux de demandeurs d'emploi qu'il oriente vers eux. A cet égard, deux critiques sont énoncées.

La première est que Pôle emploi ne respecte pas toujours le niveau d'activité « plancher » prévu initialement par le contrat. Or, le modèle économique des OPP est conçu sur la base de prévisions d'activité qui, elles-mêmes, dépendent de l'engagement de Pôle emploi à orienter vers ses sous-traitants un volume minimum de demandeurs d'emploi. Si ce niveau plancher n'est pas atteint, les coûts de l'opération (embauche des conseillers, location des locaux...) ne sont donc pas couverts. Ces problèmes ont été soulignés par Pierre Beretti, président-directeur général d'Altédia : « Quand on nous propose de suivre quelques centaines ou quelques dizaines de personnes, nous mobilisons un certain niveau de ressources, que ce soit en termes de consultants ou de locaux. Cependant, si les objectifs de volumes ne sont pas remplis, l'amortissement des coûts fixes, qui nécessite au minimum une trentaine de candidats par consultant et plusieurs consultants par bureau, n'est plus garanti . »

La deuxième critique concerne le caractère irrégulier et imprévisible des flux de demandeurs d'emploi confiés aux OPP, ce qui rend très difficile la programmation des moyens, constitue un facteur de précarité pour les salariés de ces structures et, finalement, risque de se payer par une qualité d'accompagnement dégradée. C'est ce qu'a indiqué Martine Gomez, directrice à Manpower France : « Une absence de planification des flux a également été constatée : nous pouvions recevoir cinq cents personnes une semaine et deux seulement la semaine suivante. »

Une attention soutenue devra être apportée à ces questions lors des prochains appels d'offres, surtout si le choix est fait de privilégier un pilotage des OPP par la performance.

(3) Un problème d'accès à l'offre de formation

Il a déjà été amplement indiqué que, pour réussir le retour à l'emploi, l'orientation vers la formation est un détour parfois indispensable. Dès lors qu'on admet ce point et qu'on décide de confier le placement de certains chômeurs à des sous-traitants, il faut donc aussi que ces derniers puissent prescrire les formations utiles, sans quoi l'efficacité de leur accompagnement souffrira d'une insuffisance par rapport à celle que met en oeuvre Pôle emploi et l'égalité des chômeurs devant le service public de l'emploi sera rompue.

Or, pour l'heure, il semble que les sous-traitants ne bénéficient pas des mêmes facilités que Pôle emploi pour prescrire des formations. C'est notamment ce qu'ont indiqué Martine Gomez, directrice à Manpower France ( « nous avons rencontré des difficultés dans l'accès aux formations et aux aides de Pôle emploi. Les circuits pour y parvenir sont très complexes et les critères d'éligibilité des salariés peu adaptés » ) et Pierre Ferracci, président de Sodie : « le cadre administratif qui nous amène à traiter ces questions de formation est extrêmement rigide et peu incitatif. Les opérateurs ne sont donc pas encouragés à placer les demandeurs d'emploi dans des formations, car les contraintes imposées par l'administration rendent le processus plus difficile à maîtriser. Une solution pourrait être la simplification des relations entre les opérateurs privés et les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). »

(4) Une réflexion à conduire sur les règles d'orientation des demandeurs d'emploi vers les OPP

Certaines pratiques observables dans les programmes de sous-traitance britannique et allemand offrent des points de réflexion que le service public l'emploi français pourrait envisager de transposer à titre expérimental.

La mission d'information a notamment entendu avec intérêt la recommandation formulée par l'IGF en s'inspirant de l'exemple britannique. Au Royaume-Uni en effet, le programme Flexible New Deal prévoit que si, au bout d'un an de suivi par l'opérateur public, un demandeur d'emploi est toujours au chômage, il est automatiquement adressé à un opérateur privé. Cette règle instaurant un changement de prestataire, et de méthodes d'accompagnement, au bout d'un délai donné mériterait d'être testée en France, surtout si les prochains appels d'offre donnent aux OPP la possibilité de s'affranchir d'une obligation de moyens définie de manière trop rigide.

De manière générale, Pôle emploi devrait définir plus clairement sa doctrine de recours aux OPP en indiquant à quels publics cibles ils s'adressent ou à quelles compétences spécialisées ils permettent de faire appel, le recours aux OPP étant apparu jusqu'ici surtout comme une manière de faire face à un surcroît d'activité.

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