AUDITION DE S. EXC. M. MUHAMEDIN KULLASHI, AMBASSADEUR DU KOSOVO EN FRANCE
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu en audition, lors de sa réunion du 4 mai 2011, S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui, Monsieur l'Ambassadeur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Le Président Josselin de Rohan intervient actuellement en séance publique sur la question du génocide arménien. Il m'a prié de bien vouloir l'excuser auprès de vous et de vous transmettre un message d'amitié.
Depuis déjà plusieurs années, notre commission suit avec une attention particulière l'évolution de la situation dans les Balkans occidentaux en général et au Kosovo en particulier.
En octobre 2008, j'avais ainsi effectué un déplacement au Kosovo, avec notre collègue André Trillard, qui avait donné lieu à un rapport d'information de la commission consacré à l'évolution de la présence internationale au Kosovo après l'indépendance.
Plus récemment, nos collègues René Beaumont et Bernard Piras se sont rendus en Serbie où ils ont notamment évoqué le dialogue entre Belgrade et Pristina.
Enfin, deux membres de notre commission, nos collègues André Vantomme et Jean Faure, ont prévu de se rendre au Kosovo prochainement, afin notamment de rencontrer les militaires et les gendarmes français déployés dans le cadre de la KFOR de l'OTAN et de la mission Eulex de l'Union européenne.
Je rappelle qu'il reste actuellement 412 militaires français, dont 11 gendarmes, déployés au sein de la KFOR et 131 français, dont 81 gendarmes, déployés dans le cadre d'EULEX.
Par ailleurs, dans le cadre du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, présidé par notre collègue Robert Badinter, et dont j'ai l'honneur d'avoir été désigné président délégué pour le Kosovo, notre groupe a effectué de nombreux déplacements dans ce pays, dont le dernier remonte à seulement deux semaines.
Nous sommes donc très désireux de vous entendre, tant en ce qui concerne la situation intérieure, que l'évolution de la présence internationale, le dialogue avec la Serbie et le rapprochement avec l'Union européenne.
Ainsi, concernant la situation intérieure, le Kosovo semble sorti de la crise politique, avec l'élection d'une femme de 36 ans, ancien général de police, à la Présidence de la République et la reconduction dans ses fonctions du Premier ministre M. Thaci. Quelles sont les priorités politiques définies par les responsables politiques pour les prochaines années ? Comment espérez-vous amener les Serbes du Nord du Kosovo à participer à la vie politique du Kosovo comme l'ont fait les serbes vivant au Sud de l'Ibar ? Qu'en est-il de la situation économique, notamment en matière d'emploi et d'investissements étrangers ?
Quelles attentes formez vous concernant le dialogue entre Belgrade et Pristina mené sous l'égide de l'Union européenne ? Ne craignez vous pas l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo et que faut-il penser de la résurgence de certaines aspirations à un rattachement du Kosovo à l'Albanie ?
Comment voyez-vous l'évolution de la présence internationale et le processus de rapprochement avec l'Union européenne ?
Enfin, concernant les graves allégations de trafic illicite d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes figurant dans le rapport de M. Marty, au nom du Conseil de l'Europe, les autorités kosovares sont-elles prêtes à apporter toute l'aide nécessaire à EULEX dans son enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant votre commission. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous présenter brièvement l'évolution de la situation politique au Kosovo.
Cela fait maintenant un peu plus de trois ans, le 17 février 2008, que le Kosovo a proclamé son indépendance. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au rôle très important joué par la France, tant en ce qui concerne la résolution des conflits dans l'ex-Yougoslavie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo, que son engagement au Kosovo, avant, pendant et après l'intervention de l'OTAN en juin 1999, aux côtés de ses alliés, pour mettre un terme aux exactions commises à l'encontre des populations civiles. La classe politique et la population du Kosovo gardent en mémoire le soutien apporté par la France et sont reconnaissantes, non seulement aux militaires français, mais plus généralement à l'ensemble des Français.
Au moment où l'on s'interroge sur la capacité des pays occidentaux à mettre un terme à des conflits, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Afrique, il me paraît important de rappeler que, grâce à l'engagement de la France, des Etats-Unis et des autres pays de l'Union européenne, il a été possible de mettre un terme aux conflits meurtriers dans les Balkans occidentaux et aux exactions commises à l'encontre des populations civiles et d'entamer un travail de reconstruction d'un pays dévasté par la guerre. Je tiens à cet égard à saluer le travail effectué par le français Bernard Kouchner, qui a été, de 1999 à 2001, le premier représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, et qui a eu la lourde tâche de mener à bien la reconstruction du pays et l'organisation des premières élections libres au Kosovo.
Un important travail de reconstruction des institutions politiques, des hôpitaux, des écoles, des médias, a été mené au Kosovo depuis 1999, grâce à la mission intérimaire des Nations unies au Kosovo, puis avec la plus importante mission civile de l'Union européenne, Eulex, qui assiste les autorités kosovares dans les domaines de la justice, de la police et des douanes.
À la suite des élections législatives anticipées du 12 décembre 2010, un nouveau gouvernement a été formé, grâce à la coalition entre le parti démocratique du Kosovo (PDK) et l'Alliance pour le Nouveau Kosovo (AKR), sous la direction du Premier ministre M. Hashim Thaçi, avec notamment un nouveau ministre des affaires étrangères et la désignation d'un ministre chargé de l'intégration européenne.
Puis, à la suite de l'invalidation, le 28 mars dernier, par la Cour constitutionnelle de l'élection par l'assemblée de M. Behgjet Pacolli, une nouvelle présidente de la République a été élue le 7 avril 2011, Mme Atifete Jahjaga. En effet, l'élection de M. Behgjet Pacolli a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que le quorum des deux-tiers des députés présents n'avait pas été atteint au sein de l'assemblée, plusieurs députés ayant refusé de participer à cette élection et quitté l'hémicycle au moment du vote. L'élection de Mme Atifete Jahjaga a recueilli un large consensus au sein des partis politiques.
Le Kosovo dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'ambassades à travers le monde, principalement situées dans les pays de l'Union européenne.
Après une longue période d'isolement imposé, le Kosovo souhaite établir des liens politiques et économiques avec d'autres pays, et en particulier avec l'Union européenne.
Comme vous le savez, la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux a été affirmée depuis déjà plusieurs années par l'Union européenne et la Commission européenne publie chaque année, depuis trois ans, un rapport de suivi très détaillé sur le Kosovo.
Le dernier rapport de la Commission européenne souligne les progrès réalisés par le Kosovo dans de nombreux domaines, notamment en matière politique, économique ou de réforme de la législation, de l'administration publique, ou de la décentralisation, tout en critiquant l'absence de progrès sur certains points.
Je tiens à souligner que, tant les autorités, que la population du Kosovo, accueillent très favorablement les observations de la Commission européenne, qui ne sont pas considérées comme des critiques, mais sont appréhendées de manière constructive comme des encouragements utiles à procéder à des réformes et prises en compte avec la plus grande attention.
On peut d'ailleurs observer que le Kosovo est le pays des Balkans occidentaux où l'adhésion à l'Union européenne soulève le plus d'opinions favorables au sein de la population, avec 87 % d'opinions favorables.
Dans le même temps, l'adhésion à l'Union européenne n'est pas perçue comme un « remède miracle » aux difficultés économiques et ne suscite pas de faux espoirs au sein de la population. Le rapprochement avec l'Union européenne est considéré par la population comme le meilleur moyen de procéder à des réformes politiques, de manière à mettre en place des institutions démocratiques et stables et les conditions de l'Etat de droit.
Pour les pays des Balkans occidentaux, qui ont été marqué par des conflits meurtriers dans le passé, l'adhésion à l'Union européenne est également un facteur très important de réconciliation régionale et de règlement des différends entre les différents pays avec leurs voisins.
Depuis la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo a été reconnu par soixante-quinze Etats, dont vingt-deux pays de l'Union européenne, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que par la plupart des pays des Balkans occidentaux et par les Etats-Unis. Le Kosovo est aussi représenté au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Même en l'absence de reconnaissance de son indépendance, le Kosovo entretient de bonnes relations avec d'autres pays, comme la Grèce, et place beaucoup d'attentes dans le dialogue avec Belgrade.
La décision rendue le 22 juillet 2010 par la Cour internationale de justice sur la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo a été un évènement très important.
Cela d'autant plus que la Cour internationale de justice avait été saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie, qui contestait la légalité de cette indépendance.
Dans le cadre de cette procédure, qui a duré deux ans, pas moins de trente six pays ont participé à ce débat et la Cour internationale de justice a rendu un avis très circonstancié, de quarante pages, qui confirme très clairement la conformité au droit international, non seulement de la déclaration d'indépendance du Kosovo de février 2008, mais aussi de l'ensemble du processus ayant conduit à cette indépendance depuis 1999, qui s'est déroulé sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.
Cette décision souligne notamment le caractère spécifique, sui generis, de l'indépendance du Kosovo, à l'issue d'un long processus.
A cet égard, il me paraît important de rappeler que l'indépendance du Kosovo ne résulte pas d'une décision isolée et unilatérale, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre du processus de décomposition de l'ex-Yougoslavie, au même titre que l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine ou du Monténégro.
Nous espérons que cette décision, prise par la plus haute juridiction des Nations unies, sera un encouragement pour les Etats qui ne l'ont pas encore fait à reconnaître l'indépendance du Kosovo.
Je pense en particulier aux cinq pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance, ce qui soulève parfois des difficultés sur le terrain pour le travail de la mission Eulex de l'Union européenne.
Certes, la reconnaissance de l'indépendance d'un pays est une décision souveraine de chaque pays. Toutefois, ces cinq pays sont membres de l'Union européenne, il me semble qu'il s'agit là d'un aspect important de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.
Nous avons donc l'espoir que les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance le fassent prochainement, car cela permettrait d'améliorer le travail de la mission Eulex, mais aussi de favoriser le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne.
Peu après la décision de la Cour de justice, une résolution proposée conjointement par l'Union européenne et la Serbie a été adoptée le 9 septembre 2010 par l'assemblée générale des Nations unies par consensus. Cette résolution a pris acte du contenu de l'avis de la Cour internationale de justice et a lancé un dialogue entre le Kosovo et la Serbie.
Ce dialogue a débuté le 8 mars 2011 à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne. Deux réunions ont été organisées au mois de mars et les premiers thèmes abordés ont porté sur des questions techniques comme l'état-civil, le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications, etc. Ces discussions, qui ne sont pas des négociations sur le statut comme le souhaitait la Serbie, devraient permettre de régler un certain nombre de difficultés rencontrées par les citoyens dans leur vie quotidienne, concernant par exemple les documents d'état-civil ou les cadastres, dont une partie a été transférée à Belgrade.
Le Kosovo place beaucoup d'attentes dans ce dialogue et espère qu'il permettra de dépasser les querelles du passé, même s'il ne s'agit pas d'aborder la question du statut, qui est réglée par l'indépendance du Kosovo ou d'évoquer l'idée d'une modification des frontières, mais d'avoir une approche plus modeste, centrée sur les questions qui intéressent la vie quotidienne des citoyens.
Certaines déclarations de responsables politiques serbes, au plus haut niveau, ont toutefois soulevé des inquiétudes au Kosovo. Je pense en particulier aux déclarations du principal négociateur serbe sur une éventuelle partition du Nord du Kosovo ou encore à une récente déclaration du Président serbe, dans laquelle celui-ci évoque l'idée d'une négociation avec l'Albanie sur une modification des frontières entre le Kosovo et la Serbie en se référant au conflit historique entre Serbes et Albanais.
De telles déclarations, qui renvoient au passé, sont dangereuses car elles risquent de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région des Balkans occidentaux.
Lors de la décomposition de l'ex-Yougoslavie, la communauté internationale a veillé à ne pas modifier les frontières, telles qu'elles étaient définies dans la Constitution de 1974 de la Fédération yougoslave, et cela est valable pour le Kosovo, comme pour les autres Etats de l'ex-Yougoslavie, comme la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou le Monténégro.
Par ailleurs, l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo, évoquée par le Président de la République serbe, aurait des répercussions négatives sur toute la région des Balkans occidentaux, en particulier en Macédoine, où un tiers de la population est d'origine albanaise, au Monténégro, en Croatie ou en Bosnie-Herzégovine.
La région des Balkans occidentaux risquerait donc de se trouver à nouveau confrontée à des tensions, voire aux conflits meurtriers des années 1990.
Au lieu de chercher à revenir sur le passé et vouloir modifier le tracé des frontières, il me semble qu'il serait plus raisonnable d'oeuvrer à établir des bonnes relations entre la Serbie et le Kosovo et à renforcer la coopération régionale dans la région.
Nous espérons ainsi que, grâce au soutien de l'Union européenne et au dialogue avec Belgrade, la Serbie cessera de conditionner sa participation aux différentes instances de coopération régionale ou internationales à l'exclusion de la participation du Kosovo, ce qui n'est pas de nature à renforcer la coopération régionale, qui est une priorité de l'Union européenne.
Je demeure optimiste car de nombreuses voix en Serbie, comme celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, s'expriment en faveur de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et de l'établissement de bonnes relations entre nos deux pays. L'avenir du Kosovo comme de la Serbie se trouve, en effet, dans l'Union européenne.
M. André Vantomme. - Dans l'optique de notre prochain déplacement au Kosovo, avec notre collègue Jean Faure, je souhaiterais, Monsieur l'Ambassadeur, vous poser trois questions.
Tout d'abord, je souhaiterais revenir sur la crise politique qu'a traversé le Kosovo depuis la fin de l'année dernière, qui a été provoquée par l'éclatement de la coalition au pouvoir entre le parti LDK fondé par M. Ibrahim Rugova et le parti PDK du Premier ministre M. Hashim Thaçi, et qui a été notamment marquée par l'invalidation de l'élection présidentielle de M. Pacolli. Pensez-vous qu'avec l'élection d'une nouvelle présidente, en la personne de Mme Jahjaga, jeune femme âgée de 36 ans et ancien général de police, votre pays soit sorti définitivement de cette crise politique ? Si cette élection est susceptible d'améliorer l'image du Kosovo sur la scène internationale, ne craignez vous pas que l'« inexpérience politique » de la nouvelle présidente, qui n'est affiliée à aucun parti et qui est issue de la société civile, soit un facteur de fragilité ?
Ma deuxième question porte sur la place des minorités, en particulier de la minorité serbe et les relations avec la Serbie. Quels ont été les progrès réalisés ces dernières années pour favoriser une meilleure intégration des minorités et pour améliorer les relations avec les minorités serbes au Sud et au Nord du Kosovo ?
Quelles sont vos attentes, ou vos craintes, à l'égard du dialogue avec la Serbie, mené sous l'égide de l'Union européenne ?
Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment sur la présence internationale et le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne. Quel est votre sentiment concernant l'évolution de la présence militaire internationale ? En particulier, n'avez-vous pas des craintes concernant la diminution des effectifs de la KFOR, qui devrait voir ses effectifs diminuer de 10 000 à 5 000 militaires ? Quel est également votre sentiment concernant la mission EULEX de l'Union européenne ? Enfin, comment voyez-vous le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne dans les prochaines années ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Le Kosovo a connu une vie politique agitée ces derniers mois, avec l'invalidation successive de deux élections présidentielles par la Cour constitutionnelle. La première élection a été invalidée car le président élu avait conservé son poste de président d'une formation politique, tandis que la seconde élection a été invalidée faute de quorum. Dans les deux cas, cela montre que les institutions de notre jeune Etat fonctionnent, puisque dès l'annonce des décisions de la cour constitutionnelle, les deux présidents élus ont immédiatement démissionné de leurs fonctions et que la transition s'est déroulée sans violence. Cela ne se passe pas toujours ainsi dans les autres pays.
La nouvelle Présidente de la République, Mme Atifete Jahjaga, n'a certes pas une grande expérience de la vie politique, mais elle a, en revanche, des compétences reconnues en matière juridique, administrative et de police, ce qui peut d'ailleurs présenter un grand intérêt aux yeux de l'Union européenne, qui attache une grande importance à ces questions comme le montre la mission Eulex. Son indépendance à l'égard des partis peut constituer un atout, de même que sa jeunesse et le fait qu'elle soit une femme. Nous sommes d'ailleurs très fiers de compter de nombreuses femmes dans la vie politique, tant au sein de l'exécutif, avec la Présidente de la République, mais aussi avec différents ministres, dont le ministre de l'intégration européenne, qu'au sein de l'assemblée, où les femmes représentent un tiers des sièges.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Comment s'articulent les pouvoirs respectifs du Président de la République et du Premier ministre ? N'est ce pas le premier ministre qui dirige le pouvoir exécutif ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Effectivement, c'est le Premier ministre qui dirige le gouvernement mais le Président de la République a un rôle important à jouer, en particulier en matière de politique étrangère.
En ce qui concerne la place des minorités, notamment de la minorité serbe, la situation s'est beaucoup améliorée ces dernières années.
La situation sécuritaire est stable et les derniers incidents remontent à mars 2004.
La minorité serbe du Kosovo avait été soumise, avant l'indépendance, à une forte pression de la part des autorités de Belgrade qui l'incitaient à ne pas reconnaître les autorités du Kosovo et à ne pas établir de relations avec elles ni avec les représentants de la communauté internationale.
De ce point de vue, l'indépendance du Kosovo a apporté une clarification et on constate désormais une plus grande participation de la minorité serbe, notamment en ce qui concerne la vie politique du Kosovo.
Ainsi, au gouvernement, on trouve un vice-premier ministre et trois ministres serbes, et, à l'assemblée, un certain nombre de sièges sont réservés aux représentants de la minorité serbe, même si tous n'ont pas été pourvus lors des dernières élections législatives.
De même, dans le cadre de la décentralisation, des maires serbes ont été élus par les quatre communes à majorité serbe.
Je rappelle également que le serbe est l'une des deux langues officielles du Kosovo, avec l'albanais, et que tous les documents administratifs, comme les documents d'identité, sont traduits dans les deux langues.
Le Kosovo, comme l'Union européenne, attache une grande importance à la lutte contre les discriminations et à la protection des minorités. Cela remonte à son histoire.
Le Kosovo a ainsi renoué avec une longue tradition de multilinguisme, interrompue par la politique de Milosevic, avec par exemple des émissions télévisées en albanais, en serbe, en rom et en turc.
En temps que professeur d'université de philosophie et directeur de revue, j'ai moi-même pratiqué le multilinguisme à l'université.
Le Kosovo a aussi renoué avec une longue pratique de « discrimination positive », visant à encourager la présence des représentants des minorités à des postes de responsabilités.
L'avenir de la minorité serbe vivant au Kosovo est dans ce pays tout en ayant de bonnes relations avec la Serbie.
Pour tous les habitants du Kosovo, serbes ou albanais, ce qui importe ce n'est pas le passé mais le rapprochement avec l'Union européenne. L'Europe est d'ailleurs déjà présente au Kosovo, avec Eulex et l'euro, puisque le Kosovo est le seul pays des Balkans occidentaux qui a recours à la monnaie unique.
Il est d'ailleurs frappant de constater que, malgré un taux de chômage de 40 %, notamment chez les jeunes, le Kosovo ne connaît pas de troubles sociaux.
Notre pays se situe clairement dans la perspective d'un rapprochement avec l'Union européenne, ce qui explique notre volonté d'avoir des relations étroites avec les grands pays, comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, les institutions européennes, et tous les autres pays membres de l'Union européenne, y compris les cinq pays membres qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me félicite que vous ayez porté à la présidence de la République une jeune femme de 36 ans et de la place des femmes au gouvernement et au parlement, sur laquelle nous avons encore beaucoup de progrès à faire.
Je souhaiterais vous poser trois questions précises.
Quelles sont les mesures prises en matière d'emploi pour lutter contre le chômage et attirer les investisseurs étrangers ?
Est-ce que l'on trouve encore des mines antipersonnel ou bien le travail de déminage est-il achevé ?
Enfin, quel est le rôle joué par la diaspora ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - En matière économique, le Kosovo, qui était un pays peu développé et qui a subi d'importantes destructions au cours du conflit, a connu une évolution plutôt positive depuis 1999, notamment grâce au soutien de l'Union européenne. La priorité des autorités reste le développement des infrastructures, comme les routes, et plusieurs grands chantiers ont été lancés depuis l'indépendance.
Le Kosovo dispose aussi de richesses minières, notamment en matière de bauxite, lignite, en nickel ou en plomb, et d'un potentiel hydro-électrique, que les autorités souhaitent mieux exploiter.
Enfin, le gouvernement souhaite désormais investir dans l'agriculture, car le Kosovo dispose de terres agricoles de bonne qualité, ainsi que dans le secteur du tourisme.
Le gouvernement a d'ores et déjà procéder à plusieurs privatisations, comme par exemple l'aéroport de Pristina, qui est cogéré par une entreprise française et une entreprise turque, et il devrait procéder prochainement à la privatisation de certaines entreprises, comme la Compagnie des télécommunications (PTK).
Nous souhaiterions attirer davantage d'investisseurs étrangers, notamment des entreprises françaises, dont des petites et moyennes entreprises, et notre ambassade compte d'ailleurs organiser cette année, en partenariat avec UbiFrance, une rencontre à ce sujet, sur le modèle de la réunion que nous avions organisé l'an dernier avec le Medef international.
A cet égard, je voudrais rappeler que le Kosovo est le seul pays de la région à utiliser l'euro.
Notre pays dispose également de nombreux atouts, comme une grande stabilité politique, économique et sociale, un cadre législatif de nature à attirer les investisseurs étrangers, et une fiscalité dont l'attractivité sera encore renforcée.
Concernant la présence de mines, si certaines zones sont encore concernées, le travail de déminage se poursuit en coopération entre la KFOR et l'armée kosovare. Aucune victime n'est toutefois à déplorer car les zones concernées sont bien délimitées.
Enfin, la diaspora occupe une place importante, puisque si l'on compte moins de 10 000 de nos ressortissants en France, les personnes originaires du Kosovo sont au nombre de 250 000 en Suisse et de 200 000 en Allemagne.
La diaspora joue un rôle important, notamment en matière économique. Pendant la période de répression, puis pendant le conflit, c'est grâce à la diaspora que la population d'origine albanaise a pu survivre, puis la diaspora a joué et continue de jouer un rôle important dans la reconstruction du pays et pour faire face aux difficultés économiques.
M. Christian Cambon . - J'ai deux questions à vous poser.
La première concerne vos relations avec la Russie. En février 2008, je me souviens que Vladimir Poutine avait déclaré que les occidentaux payeront cher la reconnaissance du Kosovo. Avez-vous constaté une évolution de la position russe et une amélioration des relations avec la Russie ?
Ma deuxième question porte sur la viabilité économique des petits pays, comme le Kosovo. Compte tenu de l'enclavement, de la faible superficie et du nombre limité de la population du Kosovo, dans un contexte économique marqué par un important taux de chômage et une grande dépendance vis-à-vis de l'aide extérieure, quelles sont les perspectives économiques de votre pays et comment espérez-vous attirer les investisseurs étrangers ? Comme on peut le constater avec la Grèce ou le Portugal, même l'appartenance à l'Union européenne ne met pas les « petits » pays à l'abri de graves crises économiques.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Vladimir Poutine nous a habitués à des déclarations empreintes d'une certaine brutalité. De ce point de vue, le Président Dimitri Medvedev tient un discours plus modéré dans ses propos.
La Russie s'est opposée à l'indépendance du Kosovo à un moment donné. Jusqu'en 2006, la Russie coopérait étroitement avec les pays occidentaux dans la région des Balkans occidentaux, y compris concernant le Kosovo.
Toutefois, on ne peut comprendre la réaction de la Russie sans prendre en compte la situation géopolitique, et notamment les tensions avec l'occident en raison du système américain de défense anti-missiles ou de l'élargissement de l'OTAN.
En 2008, la Russie a donc dénoncé l'indépendance du Kosovo, en utilisant cette carte comme un pion sur l'échiquier géopolitique vis-à-vis de l'occident, alors que la Russie n'a aucun intérêt stratégique au Kosovo.
Aujourd'hui, on ne constate plus la même attitude de la Russie, dès lors que la Serbie a affirmé sa volonté de se rapprocher de l'Union européenne et de dialoguer avec le Kosovo. Par ailleurs, le rapprochement avec les Etats-Unis a aussi joué un rôle.
De plus, avec la décision de la Cour internationale de justice, il est plus difficile aujourd'hui pour Moscou de dénoncer l'indépendance du Kosovo comme contraire au droit international, puisque la plus haute instance judiciaire des Nations unies a affirmé l'inverse.
S'agissant de la question de la viabilité économique des « petits » pays, permettez moi de rappeler que l'Union européenne compte de nombreux « petits » pays comme Malte ou le Luxembourg.
Dans la région des Balkans occidentaux, le Kosovo n'est pas un cas isolé, car on trouve d'autres « petits » pays, comme la Slovénie ou le Monténégro par exemple.
La principale motivation de l'indépendance du Kosovo ne fut pas de nature économique, mais politique, puisqu'il s'agissait de défendre notre liberté.
Par ailleurs, notre pays dispose de nombreux atouts et d'un riche potentiel en matière économique.
C'est précisément pour remédier aux inconvénients d'être un « petit pays », que nous sommes désireux de rejoindre la « maison commune » européenne.
Pour autant, notre principale motivation à rejoindre l'Union européenne, n'est pas de nature économique, mais politique.
Nous n'attendons pas une « aide » de l'Union européenne, un soutien financier, mais nous souhaitons établir une relation qui soit mutuellement profitable.
Mme Gisèle Gautier - Alors que l'OTAN et l'Union européenne envisagent une réduction de leur présence, avec notamment une diminution de leurs effectifs, ne craignez vous pas une reprise des tensions ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - L'OTAN et l'Union européenne sont amenées à réduire progressivement leur présence militaire compte tenu de la stabilité du Kosovo et de la région. Elles transfèrent progressivement leurs responsabilités à la police et aux Forces de Sécurité du Kosovo (FSK). Il existe d'ailleurs une coopération avec l'OTAN pour créer une force de protection des frontières, ce qui soulève parfois des difficultés avec les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance. Par ailleurs, le gouvernement a proposé à la France de placer sous commandement français une unité d'élite des Forces de Sécurité du Kosovo sur un théâtre d'opération de caractère humanitaire.
Notre seule inquiétude porte sur le discours des autorités de Serbie sur l'idée d'une modification des frontières et d'une partition du Nord du Kosovo, car cette idée est susceptible de soulever des tensions au Kosovo mais aussi dans toute la région des Balkans occidentaux, comme en Macédoine par exemple.
Même si les populations sont lassées des conflits passés et regardent vers l'avenir, l'Union européenne devrait se montrer ferme et réaffirmer sa position concernant la non-modification des frontières dans la région.
M. Jean-Louis Carrère . - Quelle est la place de la religion au Kosovo ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Il n'existe pas de religion d'Etat au Kosovo mais une séparation claire entre l'Etat et la religion. Cela remonte à une longue tradition historique, puisque l'on trouve, parmi les Albanais, aussi bien des musulmans que des catholiques ou des orthodoxes, même si l'Islam est la religion la plus répandue. Après la chute de l'Empire ottoman, la nation albanaise ne s'est pas identifiée à une religion, mais l'accent a surtout été mis sur la langue. Nous n'avons connu aucune guerre de religion. Les trois religions ont toujours coexisté en bonne intelligence et l'on trouve des représentants des trois religions parmi les grandes figures politiques du pays, à l'image du fondateur de l'église orthodoxe, Fan Noli, ou des auteurs catholiques des premiers textes en albanais. Aujourd'hui encore, la présence d'une cathédrale en plein centre de Pristina témoigne de la coexistence harmonieuse des trois religions, même si la majorité de la population du Kosovo est de confession musulmane.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Quelle est la position des autorités du Kosovo à l'égard des graves allégations du rapport de M. Dick Marty sur le trafic d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes ? Les autorités du Kosovo sont-elles prêtes à coopérer avec la mission Eulex dans leur enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Je n'avais pas oublié votre question et j'allais justement y venir.
Tout de suite après la publication du rapport de M. Marty, les autorités kosovares se sont dites prêtes à coopérer avec Eulex. Ce qui pose problème dans le rapport de M. Dick Marty, c'est tout d'abord son approche politique, puisqu'il part du postulat que tous les événements et les faits au Kosovo auraient été considérés par les instances internationales dans une optique rigoureusement manichéenne, avec d'un côté les Serbes, nécessairement méchants, et de l'autre, les Kosovars albanais, inévitablement innocents, dévalorisant ainsi le travail énorme des instances internationales au Kosovo.
Un autre postulat est que le Kosovo présenterait un caractère mafieux, régi par les clans et l'omerta.
Par ailleurs, M. Dick Marty porte, dans son rapport, des jugements très généraux. Ainsi, il évoque les crimes commis, non pas par des membres de l'UCK, mais par l'UCK dans son ensemble. Il présente l'UCK, la société kosovare et l'Etat du Kosovo comme des structures fondamentalement mafieuses.
Les positions de M. Dick Marty ne peuvent se comprendre sans prendre en compte le fait qu'il s'était violemment opposé à l'intervention de l'OTAN au Kosovo en 1999 et à l'indépendance du Kosovo en 2008. Ainsi, son rapport apporte une sorte de justification a posteriori à ses prises de position antérieures.
Concernant la principale accusation, qui concerne un trafic d'organes qui aurait été commis par l'UCK à l'encontre de prisonniers serbes, M. Dick Marty n'apporte aucune preuve de ses graves allégations et son rapport ne repose que sur des suppositions, une rumeur.
Dans un entretien pour le quotidien « Svedok » de Belgrade, le 31 décembre 2010, un spécialiste serbe de la transplantation d'organes de l'Académie militaire de Belgrade (VMA), le professeur Goran Kronja, a mis fortement en doute cette supposition, en mettant en avant les conditions techniques et professionnelles, et le caractère extrêmement compliqué du prélèvement d'organes et de la transplantation. On voit mal une telle opération se dérouler dans une maison isolée dans la montagne, comme le laisse entendre M. Dick Marty dans son rapport.
D'autres experts, comme M. Alexeï Douma, directeur d'un Institut de Médecine de Skopje, ont également confirmé ce point de vue.
D'ailleurs, lorsqu'il a été interrogé par les membres de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, M. Dick Marty n'a pu apporter de réponses précises à leurs questions.
Enfin, ce qui est peut être le plus grave, en mettant en avant un crime supposé, qui aurait concerné une dizaine de cas, d'une telle gravité, qui frappe l'imagination, mais qui n'est fondé sur aucune preuve, et tout en affirmant vouloir s'intéresser à toutes les victimes, sans égards à leur importance ethnique, M. Dick Marty occulte la question de l'impunité des auteurs de crimes commis à l'encontre de plus de 10 000 civils kosovars, dont deux-tiers d'Albanais.
Plutôt que de réduire l'enquête sur un cas particulier, un crime supposé, n'aurait-il pas été plus légitime de faire également une enquête sur les disparus albanais, dont certains corps ont été transportés et enterrés en Serbie ?
Les autorités du Kosovo sont donc disposées à coopérer pleinement avec la mission Eulex de l'Union européenne dans leur enquête sur les allégations de M. Dick Marty, mais nous ne voulons pas que cette affaire empêche le travail qui reste à faire concernant les 10 000 civils kosovars disparus, qui eux sont avérés, notamment en ce qui concerne l'exhumation des corps enterrés en Serbie, car les familles attendent la restitution de ces corps.
Mme Gisèle Gautier. - En tant que vice-présidente de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je pense qu'il était important de vous entendre car les membres de l'assemblée du Conseil de l'Europe avaient été assez mal informés de cette affaire et soumis à de fortes pressions politiques de toute sorte.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Au sein de la commission des Affaires européennes du Sénat, nous avions évoqué ce sujet, à la suite d'une communication de notre collègue Jean-Claude Frécon, en présence de notre ambassadeur au Kosovo.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Pour conclure, permettez-moi à nouveau de remercier les responsables politiques et le peuple français pour leur engagement et leur soutien en faveur de notre pays.