Rapport d'information n° 698 (2010-2011) de MM. Jean FAURE et André VANTOMME , fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 30 juin 2011
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INTRODUCTION
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I. UNE INDÉPENDANCE DÉSORMAIS ACQUISE
MAIS UN ETAT QUI RESTE ENCORE LARGEMENT À CONSOLIDER
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A. LE LONG CHEMIN DU KOSOVO VERS
L'INDÉPENDANCE
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B. DE NOMBREUX EFFORTS RESTENT À FAIRE EN
MATIÈRE DE DÉMOCRATIE, D'ETAT DE DROIT ET DE VIABILITÉ
ÉCONOMIQUE
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1. La sortie de la crise politique
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2. Une économie fragile qui reste
très dépendante de l'aide financière de la
communauté internationale
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3. Une priorité : le renforcement de
l'Etat de droit, de la protection des minorités, des capacités
administratives et judiciaires et de la lutte contre la criminalité
organisée
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1. La sortie de la crise politique
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C. LE RAPPROCHEMENT AVEC L'UNION EUROPÉENNE
ET LE DIALOGUE AVEC BELGRADE
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A. LE LONG CHEMIN DU KOSOVO VERS
L'INDÉPENDANCE
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II. UNE FORTE PRÉSENCE INTERNATIONALE DONT
L'EFFICACITÉ SOULÈVE PARFOIS DES INTERROGATIONS
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I. UNE INDÉPENDANCE DÉSORMAIS ACQUISE
MAIS UN ETAT QUI RESTE ENCORE LARGEMENT À CONSOLIDER
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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AUDITION DE S. EXC. M. MUHAMEDIN KULLASHI,
AMBASSADEUR DU KOSOVO EN FRANCE
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AUDITIONS PRÉPARATOIRES
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PROGRAMME DE LA MISSION
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LES DIVISIONS DE LA COMMUNAUTÉ
INTERNATIONALE
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CARTES
N° 698
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2011 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 2 au 8 juin au Kosovo ,
Par MM. Jean FAURE et André VANTOMME,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Étienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Du 2 au 8 juin dernier, une délégation de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, composée de MM. Jean Faure et André Vantomme, s'est rendue au Kosovo.
Cette mission avait un double objectif :
- d'une part, étudier la situation intérieure et extérieure du Kosovo, trois ans après la proclamation de l'indépendance de ce pays en février 2008 ;
- d'autre part, faire le point sur la présence de la communauté internationale et rencontrer les militaires français déployés dans le cadre de la KFOR de l'OTAN, ainsi que les gendarmes et les personnels civils français participant à la mission EULEX de l'Union européenne.
Afin de préparer ce déplacement, la délégation a eu plusieurs entretiens au ministère des affaires étrangères et européennes, à l'état-major des armées et avec la direction générale de la gendarmerie nationale. La commission a également auditionné l'ambassadeur du Kosovo en France, Son Exc. M. Muhamedin Kullashi, le 4 mai 2011.
Au cours de sa visite, la délégation a eu de nombreux entretiens avec des représentants des autorités kosovares, dont la vice-Premier ministre chargée du dialogue avec la Serbie, Mme Edita Tahiri, le ministre chargé de la Justice, M. Hajredhin Kuçi, et le ministre de l'Intérieur, M. Bajram Rexhepi.
Elle a également rencontré les représentants de la communauté internationale, notamment le chef de la mission EULEX, notre compatriote Xavier Bout de Marnhac, général en deuxième section et ancien commandant de la KFOR, le conseiller politique du commandant de la KFOR, M. Leonid von Keyserlingkj, l'adjoint du représentant civil international, M. Christopher Rowan, et le chargé d'affaires auprès du bureau de liaison de la Commission européenne à Pristina, M. Khaldoun Sinno.
La délégation s'est aussi rendue dans le Nord à Mitrovica et dans plusieurs enclaves serbes du Sud, notamment à Gracanica, où elle a rencontré le maire-adjoint M. Igor Aritonovic, et la députée Mme Rada Trajkovic, tous deux d'origine serbe, et a pu visiter plusieurs monastères orthodoxes, protégés par la police kosovare ou par des militaires de la KFOR.
La délégation s'est rendue au camp français de Novo Selo, elle a rencontré les officiers, les militaires et les gendarmes français et les a accompagnés dans leurs patrouilles sur le terrain.
Tout au long de son séjour, la délégation a bénéficié du soutien très précieux de l'ambassadeur de France au Kosovo, Son Exc. M. Jean-François Fitou, et de ses collaborateurs, auxquels elle exprime sa profonde reconnaissance pour le parfait déroulement de cette mission.
Elle tient également à exprimer ses sincères remerciements au colonel Philippe Espie, commandant du contingent de la gendarmerie nationale au Kosovo, au colonel Georges Michel, commandant du contingent français de la KFOR et au colonel Régis Laboureau, Représentant de la France auprès du commandement de la KFOR, pour leur accueil et leur disponibilité.
Enfin, la délégation tient à rendre hommage à l'ensemble des officiers et des militaires, des officiers et sous-officiers de gendarmerie, des policiers, des magistrats et des autres personnels civils français, qui, par leur présence et leur action au quotidien, contribuent à la stabilité du Kosovo et de la région, ainsi qu'à l'édification de l'Etat de droit dans ce pays.
Ce déplacement a témoigné de l'intérêt porté par la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées au Kosovo et à la région des Balkans occidentaux, marquée par les conflits meurtriers des années 1990 et située à proximité immédiate de l'Union européenne.
En effet, une précédente mission de la commission, conduite par nos collègues MM. Didier Boulaud et André Trillard, s'était déjà rendue au Kosovo, peu après la déclaration d'indépendance, du 12 au 15 octobre 2008, et ce déplacement avait fait l'objet d'un excellent rapport d'information 1 ( * ) .
Après des rapports d'information ou législatifs sur la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine et l'Albanie 2 ( * ) , une mission composée de nos collègues MM. René Beaumont et Bernard Piras, s'était rendue en Serbie en décembre dernier 3 ( * ) , et nos collègues MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud ont effectué récemment un déplacement en Croatie, qui a également donné lieu à un rapport d'information 4 ( * ) .
Trois ans après la proclamation de l'indépendance, il paraissait utile de faire à nouveau le point sur la situation du Kosovo, qui reste confronté à de nombreux défis et qui bénéficie encore d'un important soutien de la communauté internationale, notamment de l'OTAN et de l'Union européenne.
I. UNE INDÉPENDANCE DÉSORMAIS ACQUISE MAIS UN ETAT QUI RESTE ENCORE LARGEMENT À CONSOLIDER
A. LE LONG CHEMIN DU KOSOVO VERS L'INDÉPENDANCE
1. Un territoire longtemps disputé entre Serbes et Albanais
Sur un petit territoire enclavé de 10 887 km 2 , d'une taille comparable au département de la Gironde, situé au coeur des Balkans, le Kosovo est peuplé de 2,1 millions d'habitants, en grande majorité des Albanais.
Le Kosovo compte autour de 100 000 Serbes (5 % de la population environ), qui vivent pour un tiers dans le nord, autour de Mitrovica, et pour les deux tiers dans des enclaves isolées en territoire de peuplement albanais 5 ( * ) .
Alors que les Albanais sont majoritairement de confession musulmane, avec toutefois une minorité catholique, les Serbes sont pour la plupart de religion orthodoxe. On trouve également d'autres minorités, notamment des Turcs, des Bosniaques, des Roms et des Ashkalis.
Malgré cette faiblesse démographique, le Kosovo est considéré par les Serbes comme le berceau de leur civilisation depuis la défaite des armées de la coalition de peuples chrétiens conduite par le Prince serbe Lazar contre les Ottomans en 1389, lors de la bataille du Champ des Merles (« Kosovo-Polje »), ce qui explique la présence de nombreuses églises et de nombreux monastères orthodoxes au Kosovo, souvent isolés au milieu de villages albanais.
Le monument érigé en 1953, en mémoire des héros serbes à Gazimestan, que la délégation a pu visiter et où Slobodan Milosevic prononça le 28 juin 1989, à l'occasion du 600 e anniversaire de la bataille, son sinistre discours nationaliste, qui fut le point de départ des conflits meurtriers entre les différentes communautés et de l'éclatement de la Yougoslavie, comporte un poème écrit en serbe, surnommé « la malédiction du Kosovo » et attribué au Prince Lazar, qui témoigne de l'attachement des Serbes au Kosovo :
« Quiconque est Serbe et de naissance serbe
Et de sang et de cultures serbes
Sans venir à la bataille du Kosovo,
Puisse-t-il ne jamais obtenir la descendance que son coeur désire !
Ni fils ni fille
Puisse rien ne pousser de ce que sème sa main !
Ni vin sombre ni blé blanc
Et puisse-t-il être maudit de siècles en siècles ! ».
Non loin de ce monument, se dresse la « turbe » , le tombeau du Sultan Murad, protagoniste de la bataille de 1389, qui est un lieu de dévotion traditionnel pour les musulmans du Kosovo, et que la délégation a également pu visiter.
Dans son histoire, le Kosovo fut successivement sous domination serbe puis sous domination ottomane pendant plus de quatre siècles avant d'être intégré à la Serbie par le Traité de Bucarest de 1913. Il fut ensuite une province de Serbie au sein des différentes Yougoslavies à partir de 1918.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la constitution yougoslave a été amendée en vue d'accorder plus de contenu à l'autonomie du Kosovo et la « province socialiste autonome du Kosovo » au sein de la « République socialiste de Serbie » a formellement été déclarée en 1945 sous Tito.
Après des émeutes d'étudiants albanais en 1968, la Constitution yougoslave a été amendée en 1974 et la Serbie a perdu tout droit de regard sur les affaires internes du Kosovo : celui-ci est doté d'une assemblée et d'un gouvernement et est directement représenté dans les instances fédérales, « à égalité de droit » des républiques et des provinces autonomes, ainsi que des peuples et des nationalités de la Yougoslavie.
Au début des années 1980, cependant, des manifestations de kosovars albanais réclamant le statut de république tournent à l'émeute. Le président serbe Slobodan Milosevic décide de supprimer l'autonomie constitutionnelle du Kosovo en mars 1989 et lance une politique de discrimination à l'égard de la communauté albanaise, dont les membres sont chassés de la fonction publique, y compris l'éducation et la santé. Le bilinguisme est suspendu et la langue albanaise interdite au profit de la langue serbo-croate.
La majorité albanaise organise alors une véritable société parallèle, fondée sur le principe de la désobéissance civile pacifique sous la direction de l'écrivain d'origine albanaise Ibrahim Rugova, dotée d'un gouvernement, d'une assemblée, d'hôpitaux et d'écoles. En mai 1992, Ibrahim Rugova est élu Président de la République du Kosovo au terme d'élections organisées dans la clandestinité.
La répression serbe s'intensifiant, les Kosovars albanais changent de stratégie et, à compter de 1998, l'armée de libération du Kosovo (UÇK) monte en puissance, s'emparant de plusieurs portions du territoire. Les mois de février et mars 1998 sont marqués par de violents combats et la destruction de nombreux villages par les forces de police serbe et l'armée yougoslave. Les civils albanais sont jetés sur les routes : au début de l'été 1998, environ 200 000 civils albanais ont dû abandonner leur foyer au Kosovo. Des Serbes, ainsi que des églises ou monastères orthodoxes sont également victimes de représailles de la part de l'UCK.
La communauté internationale fait pression sur le régime de Milosevic pour arrêter les combats et obtenir un cessez-le-feu, mais les négociations échouent.
2. L'intervention de l'OTAN et la mise en place de la MINUK
L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) intervient par des bombardements aériens en mars 1999 et 800 000 kosovars se réfugient en Macédoine et en Albanie. Slobodan Milosevic retire ses troupes en juin 1999.
Après l'adoption le 10 juin 1999 par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 1244, l'OTAN déploie au Kosovo une force de 45 000 hommes, qui est notamment chargée de la préservation du cessez-le-feu, de la démilitarisation de l'UCK et des autres groupes armés, de la sécurisation du retour des réfugiés et de la protection des minorités.
En application de la résolution 1244, le Kosovo est placé sous administration de l'ONU, représentée par la Mission Intérimaire des Nations Unies (MINUK). Bernard Kouchner a été de 1999 à 2001 le premier Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Kosovo.
Les principales responsabilités de la présence civile internationale sont de faciliter l'instauration au Kosovo d'une autonomie et d'une auto-administration substantielles, d'exercer les fonctions d'administration civile de base en tant que de besoin, de faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, de soutenir la reconstruction des infrastructures essentielles, l'acheminement de l'aide humanitaire et des secours aux sinistrés et de maintenir l'ordre public, notamment en mettant en place des forces de police locales.
En novembre 2005, l'ancien Président finlandais Marti Ahtisaari, Prix Nobel de la paix, est chargé par le Secrétaire général des Nations Unies, de superviser les pourparlers sur le statut final du Kosovo.
Ce plan, présenté le 26 mars 2007 au Conseil de sécurité, et comportant quatorze points, préconise l'accession à l'indépendance sous supervision internationale, accompagnée d'un statut protecteur pour les minorités.
Selon le « Plan Ahtisaari », la représentation des minorités est renforcée au sein des institutions. Ce plan prévoit aussi une décentralisation et la création de municipalités à majorité non albanaise, qui disposeraient d'une autonomie en matière financière et qui pourraient également recevoir, en toute transparence, des financements en provenance de Belgrade.
Il prévoit que l'albanais et le serbe seront les deux langues officielles du Kosovo et que les autres langues, comme le turc, le bosnien et le rom, auront le statut de langue d'usage, avec une présence dans les médias, notamment les chaînes de télévision.
Le « Plan Ahtisaari » comporte également des mesures de protection du patrimoine religieux de l'Eglise orthodoxe de Serbie, dont le Kosovo devra reconnaître l'existence et les propriétés. Il prévoit ainsi la délimitation de zones protégées autour de plus de quarante sites religieux et culturels importants. Les activités qui s'y déroulent doivent être soumises à des restrictions particulières destinées à garantir l'existence et le fonctionnement dans la tranquillité des grands sites religieux et culturels.
Le patrimoine culturel et religieux orthodoxe au Kosovo est, en effet, d'une richesse exceptionnelle, et comporte de très belles églises et de splendides monastères, à l'image du Patriarcat de Pec, du monastère de Decani ou encore des églises des Saints Archanges et de Saint-Georges de Prizren.
Le « Plan Athisaari » est toutefois rejeté par la Serbie. « Le plan Ahtisaari ouvre la possibilité d'un Kosovo indépendant (...) la Serbie et moi-même, en ma qualité de président, n'accepteront jamais l'indépendance du Kosovo (...) Les propositions ne mentionnent explicitement ni l'indépendance du Kosovo, ni la souveraineté de la Serbie sur notre province. Une indépendance du Kosovo imposée serait contraire aux principes du droit international et représenterait un précédent politique et juridique dangereux » déclare le Président serbe Boris Tadic.
Après l'échec d'une nouvelle médiation entre Belgrade et Pristina, menée par Wolfgang Ischinger, la proclamation unilatérale de l'indépendance par Pristina semble irréversible. La Russie et la Chine s'opposent, en effet, à l'adoption d'une nouvelle résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Malgré quatre tentatives, aucune résolution du Conseil de sécurité n'est venue se substituer à la résolution 1244, qui est, par conséquent, toujours en vigueur, et qui est « neutre à l'égard du statut » .
Le 17 février 2008, le Kosovo déclare son indépendance.
3. Une indépendance qui demeure contestée
A ce jour, le Kosovo est reconnu par 76 Etats, dont les Etats-Unis et 22 des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne 6 ( * ) .
La reconnaissance de l'indépendance par la France a pris la forme d'une lettre du Président de la République au Président du Kosovo le jour même de sa proclamation.
L'indépendance reste toutefois contestée par la Serbie, soutenue notamment par la Russie et la Chine.
Saisie par l'assemblée générale des Nations Unies, à la demande de la Serbie, la Cour internationale de justice a rendu, le 22 juillet 2010, un avis consultatif qui confirme sans ambigüité la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo.
Si le Kosovo est membre de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international, il n'a pas encore été admis comme membre par l'ONU et au sein d'autres organisations internationales.
Au sein même du pays , les autorités kosovares sont confrontées à l'hostilité des Serbes vivant au Nord de la rivière Ibar, dont la partie septentrionale de la ville de Mitrovica, qui n'ont pas accepté l'indépendance du Kosovo et qui continuent de revendiquer leur appartenance à la Serbie. En effet, à la différence des Serbes du Sud, qui vivent dans des enclaves isolées entourées de communautés albanaises, et qui sont plus ou moins intégrés à la vie politique du pays, les Serbes du Nord, qui sont majoritaires au sein des trois provinces contiguës à la Serbie, rejettent les institutions de Pristina.
Le « Plan Aathisaari » prévoit la création de municipalités à majorité non albanaise. Dans le cadre d'un processus de décentralisation, six municipalités serbes ont été créées ou élargies. La délégation s'est ainsi rendue à Gracaniça, enclave serbe de près de 25 000 habitants, où elle a pu rencontrer M. Igor Aritonovic, maire-adjoint de la ville, et Mme Rada Trajkovic, députée et directrice de l'hôpital, tous deux d'origine serbe. Même si ces institutions continuent de percevoir des financements en provenance de Belgrade, ils bénéficient également d'un soutien financier de la part du gouvernement kosovar. La population reste toutefois divisée sur l'attitude à tenir à l'égard du gouvernement de Pristina. Plus généralement, le maire-adjoint de Gracaniça a fait part à la délégation d'un sentiment, semble-t-il assez largement partagé parmi les Serbes vivant au sein des enclaves, d'une certaine forme de lassitude à l'égard des discours nationalistes et d'une volonté de répondre aux préoccupations concrètes des citoyens, qui portent avant tout sur l'amélioration de leurs conditions de vie, en particulier en matière d'éducation et de santé.
Au Nord existent des « structures parallèles », c'est-à-dire des municipalités, des écoles ou des hôpitaux, plus ou moins contrôlées par Belgrade, avec une forte présence de structures criminelles de type mafieux, qui appliquent les lois serbes et reçoivent des financements de la Serbie. Les papiers d'identité, les plaques d'immatriculation et la monnaie sont serbes.
Comme la délégation a pu le constater lors d'un déplacement à Mitrovica, en franchissant, par le Pont d'Austerlitz, la rivière de l'Ibar, aux nombreux drapeaux albanais et, plus rarement kosovars, situés sur la rive Sud, succèdent les drapeaux serbes sur la rive Nord, et on a le sentiment de franchir une « frontière invisible » séparant les deux communautés. Le Pont d'Austerlitz a d'ailleurs été par le passé le principal lieu d'affrontements entre les Albanais et les Serbes et reste un point sensible, qui est placé en permanence sous la surveillance des militaires de la KFOR ou de policiers et de gendarmes d'EULEX.
Si sur le plan sécuritaire, la situation est relativement calme, puisque les derniers affrontements violents remontent à mars 2004, les tensions entre les communautés albanaise et serbe restent encore fortes. Il n'existe pas de mariage mixte entre les deux communautés, pas d'écoles communes, et les jeunes Albanais n'apprennent plus le serbe mais l'anglais. Les deux communautés vivent de manière totalement cloisonnée, dans la peur l'une de l'autre. On ne constate aucune volonté de vivre ensemble.
B. DE NOMBREUX EFFORTS RESTENT À FAIRE EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE, D'ETAT DE DROIT ET DE VIABILITÉ ÉCONOMIQUE
1. La sortie de la crise politique
Le Kosovo a connu une crise politique à l'automne dernier 7 ( * ) , avec la démission, le 27 septembre 2010, du Président de la République, Fatmir Sejdiu. A la suite d'une décision de la Cour constitutionnelle, ce dernier, issu de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), avait été élu en 2006 après le décès du fondateur de ce parti et Premier Président de la République, Ibrahim Rugova.
La Cour constitutionnelle avait, en effet, estimé que le Chef de l'Etat avait violé la Constitution en cumulant son mandat avec la présidence de la LDK.
Le Chef de l'Etat étant élu par le Parlement, les deux principaux partis du pays, la LDK et le parti démocratique du Kosovo (PDK), qui étaient alliés au sein de la coalition gouvernementale, ont cherché à se mettre d'accord sur les modalités de désignation de son successeur, mais ne sont pas parvenus à trouver un accord.
Le PDK, issu de l'armée de libération du Kosovo (UCK), est le premier parti du Kosovo. Il est dirigé par Hashim Thaçi, qui occupe le poste de Premier ministre.
A la suite de l'échec des discussions entre ces deux partis, la coalition gouvernementale a volé en éclats et a permis le vote d'une motion de censure par le Parlement, dont le succès a conduit à la dissolution du Parlement et à l'organisation d'élections législatives anticipées.
Le scrutin, qui s'est déroulé le 12 décembre 2010, a été marqué par des fraudes importantes, notamment dans la ville de Skenderaj, fief du PDK, conduisant à l'annulation des résultats dans certaines provinces et à l'organisation de nouvelles élections les 9 et 23 janvier.
Si la participation des Serbes du Sud a été relativement élevée, en revanche, ce scrutin a été boycotté par les Serbes vivant au Nord.
Les résultats définitifs ont été marqués par une victoire relative du PDK, avec 32,11 % des voix, devant la LDK, avec 24,69 % des voix, le Mouvement pour l'Autodétermination, qui milite pour le rattachement du Kosovo à l'Albanie arrivant en troisième position, avec 12,69 % des suffrages, suivi par l'Alliance pour l'avenir du Kosovo (AAK) avec 11,04 % et l'Alliance pour le renouveau du Kosovo (AKR) avec 7,29 % des suffrages.
A la suite de ce scrutin, Hashim Thaçi a été reconduit dans ses fonctions de Premier ministre. Son parti, le PDK, a constitué une coalition gouvernementale avec l'AKR, du milliardaire Bexhet Pacolli. La LDK, le Mouvement pour l'autodétermination et l'AAK ont refusé de participer à cette coalition.
Le 22 février 2011, Bexhet Pacolli a été nommé Président de la République.
Toutefois, le 28 mars, la Cour constitutionnelle a, une nouvelle fois, invalidé l'élection présidentielle par le Parlement, estimant que le quorum n'avait pas été atteint, des députés ayant quitté l'hémicycle au moment du vote, contraignant le Président désigné à démissionner de son poste.
A la suite de négociations entre les différents partis politiques, et semble-t-il d'une pression de l'ambassadeur des Etats-Unis, un consensus a été trouvé en la personne de Mme Atifete Jahjaga, jeune femme de 36 ans, ancien général de la police kosovare.
Celle-ci a été élue Présidente de la République le 7 avril 2011, mettant ainsi un terme à la crise politique.
La Constitution kosovare, avalisée par le Représentant spécial de l'Union européenne et le Représentant civil international, instaure un régime parlementaire, où l'essentiel du pouvoir est exercé par le Premier ministre.
Une réforme de la Constitution, qui renforcerait les pouvoirs du Président de la République, est actuellement à l'étude.
Ce projet de réforme constitutionnelle suscite toutefois des inquiétudes de la part des Serbes et des autres minorités, comme la délégation a pu s'en rendre compte lors de ses entretiens avec Mme Rada Trajkovic, députée de Gracanica d'origine serbe.
En effet, la Constitution kosovare, qui reprend les dispositions du « Plan Ahtisaari », accorde une place importante aux minorités. Ainsi, sur les 120 sièges que comporte l'Assemblée kosovare, vingt sièges sont réservés de droit aux minorités, dont dix pour les Kosovars d'origine serbe, le reste étant réparti entre les différentes minorités. Ces minorités sont également représentées au gouvernement, avec plusieurs ministres.
Les Serbes du Kosovo et les autres minorités craignent donc un affaiblissement de leur représentation.
De fortes inquiétudes existent également concernant une éventuelle remise en cause du processus de décentralisation, qui accorde aux minorités une certaine autonomie au sein des municipalités non albanaises.
2. Une économie fragile qui reste très dépendante de l'aide financière de la communauté internationale
L'économie du Kosovo est très faible et ne survit que grâce à l'aide extérieure, provenant de la Communauté internationale et de la diaspora albanaise, surtout présente en Allemagne et en Suisse.
Le taux de chômage atteint 45 % et touche particulièrement les jeunes, qui représentent plus de la moitié de la population (50 % de la population a moins de 25 ans, 70 % a moins de 30 ans).
Le PIB par habitant est extrêmement faible. Il représente seulement 5 % de la moyenne de l'Union européenne, soit 1 700 euros par habitant.
L'économie kosovare est presque exclusivement centrée sur le petit commerce, les activités de construction individuelle et les réseaux d'économie parallèle, souvent liés à la criminalité organisée.
Si le Kosovo dispose de richesses minières (bauxite, lignite, nickel et or) et de ressources hydroélectriques, l'appareil de production souffre de vétusté et nécessiterait des investissements considérables.
La délégation a ainsi pu visiter la station de ski de Brezovica, située au Sud du pays, dont les équipements sont hors d'usage et dont la modernisation nécessiterait d'importants investissements.
Le Kosovo importe la quasi-totalité des produits (y compris alimentaires), et manque de capacités à l'exportation et de compétitivité.
Les infrastructures de transports, routières et ferroviaires, sont limitées, mal connectées aux réseaux régionaux et les liaisons avec la Serbie sont difficiles, en raison du contexte politique.
La fourniture d'énergie reste également un élément problématique pour le développement du pays, qui enregistre régulièrement des coupures d'électricité, et la pollution représente un problème sérieux.
Si le pays dispose d'un potentiel agricole, l'agriculture n'est pas suffisamment mise en valeur et son avenir est menacé par des constructions immobilières anarchiques de maisons individuelles financées par la diaspora albanaise sur les terres les plus fertiles.
Enfin, l'éducation et la santé ne parviennent pas à répondre aux besoins de la population.
Un processus de privatisations est en cours, qui a dû être interrompu par une décision de la Cour suprême du Kosovo mettant en cause les méthodes employées. Une loi sur l'agence de privatisation du Kosovo a été adoptée en 2008, permettant au processus de reprendre. Ainsi, le gouvernement envisage la privatisation de l'entreprise nationale de télécommunications PTK, et de la compagnie nationale d'électricité KEK.
De grandes incertitudes demeurent toutefois sur les droits de propriété, les règles cadastrales, mais aussi la forte corruption, qui limitent les investissements étrangers et qui empêchent le bon développement de l'économie.
En définitive, la clé du développement de l'économie kosovare semble passer par le désenclavement du pays et le développement de l'intégration régionale, et notamment la normalisation des relations avec la Serbie.
Alors que l'assistance financière de la communauté internationale est cruciale, le gouvernement kosovar n'a pas été en mesure de respecter les termes de son accord (« stand by agreement ») conclu en 2010 avec le Fonds monétaire international, qui a en conséquence suspendu son aide financière en 2011.
En effet, bien que le Kosovo compte une fonction publique pléthorique, le Premier ministre entend honorer la promesse qu'il a faite lors de la campagne électorale d'une augmentation de 30 à 50 % des salaires des fonctionnaires, le budget de l'Etat passant d'un excédent de 7 % du PIB, à un déficit de 2,6 %.
Le lancement du coûteux projet d'autoroute vers l'Albanie est également contesté par le FMI et soulève des interrogations ? notamment en raison de soupçons de corruption qui l'entourent, atteignant des figures du gouvernement.
En conséquence, le FMI a suspendu le versement de son aide financière, entraînant dans son sillage l'interruption de plusieurs financements, notamment de l'Union européenne.
Rappelons que le Kosovo figure au premier rang des pays dans le monde en termes d'aide par habitant. Ce pays a reçu près de 4 milliards d'euros depuis la fin du conflit, soit environ 2 000 euros par habitant.
Le 11 juillet 2008, la Commission européenne a organisé une conférence des donateurs à Bruxelles, avec des promesses de dons et de remises de dette s'élevant à 1,2 milliard d'euros pour les années 2008-2011, dont 800 millions d'euros provenant des Etats membres et du budget européen.
La Commission européenne, qui dispose d'un bureau de liaison à Pristina, dont la délégation a pu rencontrer le chargé d'affaires, met en oeuvre des programmes financiers conséquents, puisque 654,3 millions d'euros sont programmés pour la période 2007-2011 pour le renforcement de l'Etat de droit, mais aussi les infrastructures, l'énergie, l'éducation, ou la sécurité alimentaire au Kosovo.
Le Kosovo bénéficie notamment de l'instrument financier de pré adhésion (IPA), à hauteur de 70 millions d'euros en 2011, de l'assistance macro financière et de l'instrument de stabilité.
Les priorités portent notamment sur le renforcement de l'Etat de droit, les droits de l'homme et la bonne gouvernance, l'amélioration des conditions socio-économiques de toutes les communautés et la coopération régionale.
Toutefois, si le Kosovo bénéficie d'une aide financière très importante de la communauté internationale, les autorités du pays manquent cruellement d'expertise, par exemple dans les domaines agricole, de traitement des déchets ou de gestion des eaux.
La France, qui dispose dans ces domaines d'une expertise ancienne et reconnue, pourrait donc utilement apporter son aide aux autorités kosovares.
3. Une priorité : le renforcement de l'Etat de droit, de la protection des minorités, des capacités administratives et judiciaires et de la lutte contre la criminalité organisée
Si l'indépendance du Kosovo semble désormais irréversible, il reste toutefois aux autorités de ce pays à bâtir un véritable Etat, fondé sur la démocratie et l'Etat de droit.
Ayant toujours vécu sous occupation étrangère, ottomane ou serbe, et ayant été chassés des institutions par la politique de Slobodan Milosevic, les kosovars n'ont jamais disposé de leur propre Etat au cours de leur histoire et ont développé une forme de réticence à l'égard des institutions.
La construction d'un Etat démocratique, doté d'institutions fortes et solides, et respectueuses de l'Etat de droit, représente dès lors un véritable défi pour ce jeune pays.
Les autorités kosovares ont proclamé l'indépendance en s'engageant à mettre en oeuvre les dispositions du « Plan Athisaari » dans leur Constitution. Ce plan comporte notamment des dispositions en matière de protection des minorités et d'Etat de droit.
Ainsi, la Constitution kosovare est fondée sur le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat et comporte des garanties en matière de liberté religieuse .
Toutefois, si la liberté de culte est garantie au Kosovo, du chemin reste à faire en terme de réconciliation.
De manière générale, les Albanais de confession musulmane, qui représentent la majorité de la population du Kosovo, pratiquent un Islam très modéré. Comme la délégation a pu le constater, on rencontre moins souvent de femmes voilées à Pristina ou dans les villes du Kosovo, qu'à Paris et dans certaines villes de la banlieue parisienne !
La minorité albanaise de confession catholique dispose de lieux de cultes et entretient de manière générale de bonnes relations. Une cathédrale catholique est en construction dans le centre de Pristina.
Les rapports avec l'Eglise orthodoxe sont plus complexes, en raison notamment du rôle politique joué par les popes et des relations avec Belgrade. La présence de nombreuses églises ou monastères orthodoxes isolés entourés de villages albanais demeure une source de tensions.
Le gouvernement kosovar travaille sur le cadre juridique pour la protection de l'héritage religieux et culturel. L'assemblée kosovare a adopté une loi sur les zones de protection spéciales afin de protéger en particulier les sites orthodoxes serbes du Kosovo. Après des attaques répétées au début d'année 2008, la sécurité a été renforcée.
La délégation a ainsi pu visiter le monastère serbe de Devic, entièrement isolé et entouré de villages Albanais, qui a été incendié à de nombreuses reprises par le passé, et qui est placé en permanence sous la protection des militaires français de la KFOR.
Progressivement, la protection des édifices religieux orthodoxes est transférée par la KFOR à la police kosovare, comme la délégation a pu le constater dans ses déplacements.
Si les auteurs d'attaques contre des sites religieux ont été arrêtés, la menace la plus forte pouvant peser sur les édifices vient toutefois des activités de construction à proximité des bâtiments.
Dans son rapport de progrès de 2009 sur le Kosovo, la Commission européenne relevait par exemple la décision d'une municipalité kosovare de construire un parc sur un terrain qui appartient à l'église orthodoxe serbe et qui couvrirait les fondations d'une chapelle détruite lors des émeutes de mars 2004. Elle en concluait que la communication entre les autorités orthodoxes serbes et les institutions du Kosovo devrait être améliorée.
Plus généralement, la Commission européenne note dans son dernier rapport de progrès, d'octobre 2010 : « les capacités de l'administration publique continuent d'être faibles et le système judiciaire ne fonctionne pas efficacement. L'Etat de droit, quant à lui, continue de susciter de vives préoccupations ».
Ainsi, en matière de respect des droits de l'homme et de protection des minorités, la Commission européenne relève que « le cadre institutionnel et l'absence de volonté politique freineront la mise en oeuvre efficace des normes juridiques dans ce domaine. Le processus d'intégration de la communauté serbe se poursuit. Les autorités doivent être plus actives pour traiter les problèmes importants tels que l'accès à la propriété, les personnes disparues, la question des retours et l'éducation ».
Elle note aussi que les conditions de vie des minorités , notamment des Roms, des Ashkali et des communautés égyptiennes ainsi que leur accès à l'éducation, aux soins de santé et à la protection sociale demeurent des questions « extrêmement préoccupantes ».
D'importants progrès ont été réalisés en ce qui concerne la mise en place d'une force de police , grâce notamment au soutien apporté par la mission EULEX de l'Union européenne.
La police kosovare, la KP, s'est beaucoup renforcée ces dernières années et, d'après l'ensemble des observateurs, bénéficie d'une très bonne réputation d'efficacité et d'impartialité auprès de la population.
La délégation a pu ainsi s'entretenir avec le ministre de l'intérieur, Bajram Rexhepi, qui a indiqué que la police kosovare était aujourd'hui en mesure d'exercer ses prérogatives sur l'ensemble du territoire, à l'exception toutefois du Nord du Kosovo, et que le soutien de l'Union européenne pourrait être réduit et réorienté vers l'appui de certains spécialistes, notamment en matière de lutte contre l'immigration illégale ou la criminalité organisée.
En revanche, la justice a encore des moyens limités au Kosovo et la confiance de la population dans le système judiciaire est relativement faible.
La Commission relève certaines avancées dans son rapport de progrès : « Une vaste réforme a été engagée à la faveur de quatre lois de réforme sur les tribunaux, les poursuites, le Conseil judiciaire du Kosovo et le Conseil du ministère public. La loi sur les tribunaux introduit un nouveau système salarial qui améliore sensiblement la situation des juges. (...) Plus de 340 juges et procureurs ont été nommés par le président à tous les niveaux de l'appareil judiciaire, y compris les membres locaux du Conseil judiciaire, qui ont élu le président de ce conseil. (...) » .
Elle note cependant plus loin : « Toutefois, des cas d'ingérence politique dans le système judiciaire ont été rapportés, notamment dans le processus de redésignation des juges et des procureurs. L'arriéré judiciaire reste important, particulièrement en matière civile, notamment au sujet des droits de propriété. Les institutions du Kosovo doivent prêter une importance suffisante à l'appui aux enquêtes et au suivi judiciaire des crimes de guerre. Des projets de réforme du système judiciaire doivent être élaborés et dotés de ressources ». En définitive, la Commission européenne considère que « le Kosovo est encore peu avancé en ce qui concerne le respect des priorités dans le domaine de la justice ».
Le ministre de la justice, Hajredin Kuçi, a indiqué aux membres de la délégation que la première priorité du gouvernement était le renforcement de l'Etat de droit et s'est félicité de la coopération avec EULEX dans ce domaine, même s'il a regretté que les policiers et magistrats d'EULEX ne soient pas plus actifs au Nord, en s'attaquant aux réseaux de criminalité organisée, sur la base de leurs pouvoirs exécutifs propres. Au cours du déplacement de la délégation, il a été fait Etat à de nombreuses reprises de la situation particulière du Nord du Kosovo, où les circuits financiers illégaux et les trafics, notamment d'essence, sont particulièrement bien implantés, avec, dans ce domaine, semble-t-il, une tolérance passive, sinon complice, des « structures parallèles » soutenues par Belgrade.
La lutte contre la criminalité organisée représente également un sérieux défi.
Certes, le Kosovo a adopté une stratégie de prévention de la criminalité et des procureurs spéciaux ont été nommés pour lutter contre ce fléau. Une série d'accords bilatéraux avec des pays tiers a également été signée dans ce domaine, notamment avec la France.
Toutefois, dans son dernier rapport de progrès, la Commission européenne dresse un constat sévère : « Il n'y a eu aucune condamnation à haut niveau. On a noté des cas d'intimidation de juges et de procureurs. La criminalité organisée continue de susciter de très vives préoccupations. Les autorités doivent intensifier leurs efforts pour lutter contre les groupes de criminalité organisée opérant dans les Balkans occidentaux et en Europe, notamment en enquêtant et en procédant à des arrestations, à la confiscation des avoirs et à des condamnations. Le Kosovo se doit de produire des résultats concrets dans ce domaine ».
Dans son dernier rapport, d'avril 2011, l'office européen de police EUROPOL fait figurer la région des Balkans occidentaux parmi les cinq centres de gravité du crime organisé en Europe, avec une spécialisation dans le trafic d'héroïne et de cocaïne.
La criminalité semble être ainsi le seul domaine où l'on constate une très bonne entente et une réelle coopération entre les différentes communautés.
La corruption demeure également un important sujet de préoccupation pour la Commission européenne.
Ainsi, elle relève que, si « le cadre juridique en matière de lutte contre la corruption s'est amélioré à la faveur de l'adoption de lois concernant l'agence de lutte contre la corruption et la déclaration et l'origine des biens et cadeaux offerts aux hauts fonctionnaires », « les résultats de la lutte contre la corruption sont toutefois limités. Les principaux sujets de préoccupation continuent d'être le processus d'attribution des marchés publics, ainsi que le système judiciaire et le système visant à faire appliquer les lois ».
La Commission européenne en conclut que « la corruption, qui demeure répandue au Kosovo, constitue un très grave problème ».
EULEX a lancé plusieurs enquêtes en matière de corruption. En avril 2010, des perquisitions ont été effectuées au ministère des transports et, en juillet, la police kosovare a arrêté le gouverneur de la banque centrale en coopération avec EULEX.
C. LE RAPPROCHEMENT AVEC L'UNION EUROPÉENNE ET LE DIALOGUE AVEC BELGRADE
1. Le rapprochement avec l'Union européenne
Malgré une forte influence des Etats-Unis, qui s'explique par le soutien apporté par ce pays à l'indépendance du Kosovo, les autorités kosovares ont fait du rapprochement avec l'Union européenne la première priorité de leur politique étrangère.
Or, cette volonté de rapprochement avec l'Union européenne est entravée par l'absence de position unanime des vingt sept Etats membres à l'égard de l'indépendance du Kosovo.
La « vocation européenne » des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été affirmée par le Conseil européen de Cologne en juin 1999 et rappelée régulièrement depuis.
Cette vocation à l'adhésion à l'Union européenne concerne l'ensemble des pays des Balkans occidentaux : l'Albanie, l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro, la Serbie, ainsi que le Kosovo.
L'Union européenne a lancé, en juin 1999, un processus de stabilisation et d'association destiné aux pays des Balkans occidentaux, qui repose en particulier sur la conclusion d'accords de stabilisation et d'association (ASA) avec chacun des pays concernés. Ces accords définissent le cadre d'un partenariat politique entre l'Union et le pays signataire qui doit favoriser, le moment venu, son adhésion à l'Union européenne. Ils contiennent également des mesures en matière commerciale.
À ce jour, l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, à l'exception du Kosovo, ont signé un accord de stabilisation et d'association.
Alors que les négociations d'adhésion de la Croatie viennent de s'achever, ouvrant ainsi la voie à une probable adhésion de ce pays à l'Union européenne en 2013, que l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine et le Monténégro se sont vu reconnaître la qualité de « pays candidat » et que la Serbie pourrait se voir reconnaître un tel statut à l'automne prochain, le Kosovo fait ainsi figure de « parent pauvre » au sein des Balkans occidentaux.
Le Kosovo est ainsi le seul pays des Balkans à ne pas bénéficier d'un accord commercial avec l'Union européenne ni de la libéralisation des visas de court séjour avec les pays de l'espace Schengen.
Le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne est freiné par la position de certains Etats membres qui n'ont pas reconnu son indépendance.
En effet, cinq des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne n'ont pas reconnu l'indépendance du Kosovo.
Cette position s'explique principalement par des considérations liées à la situation intérieure de ces pays :
- l'Espagne , par crainte d'un précédent concernant les tensions séparatistes de certaines de ses provinces (Pays Basque, Catalogne, etc.) ;
- Chypre en raison du risque de précédent pour la partie nord de l'île, qui a proclamé son indépendance avec le soutien de la Turquie, et la Grèce par solidarité avec Chypre ;
- La Roumanie et la Slovaquie , qui craignent des revendications séparatistes des minorités hongroises sur leur territoire.
Certes, la décision de reconnaître ou non un Etat est une décision souveraine de chaque Etat membre. Mais, comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, qui la concerne directement, l'Union européenne ne parvient pas à parler d'une seule voix ?
Au moment où l'Union européenne s'efforce de renforcer sa politique étrangère, avec notamment le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le service européen pour l'action extérieure institués par le traité de Lisbonne, ce sujet devrait figurer au premier rang des priorités.
Il semble donc souhaitable pour votre délégation d'inciter les cinq Etats membres de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu l'indépendance du Kosovo à faire évoluer leur position.
Dans l'intervalle, l'Union européenne devrait pouvoir renforcer ses relations avec le Kosovo, notamment en matière commerciale ou par l'octroi d'une « feuille de route » sur la libéralisation des visas.
La perspective européenne, même si elle paraît encore lointaine compte tenu de la situation actuelle du Kosovo, constitue, en effet, le meilleur levier pour inciter les autorités kosovares à progresser sur la voie de la démocratie, de l'Etat de droit et de la lutte contre la criminalité.
Cette perspective européenne représente également un facteur essentiel pour favoriser la réconciliation et la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie.
2. Les enjeux du dialogue avec Belgrade
Le renversement du régime de Slobodan Milosevic, en 2000, puis l'arrivée au pouvoir à Belgrade d'une coalition pro-européenne, dirigée par le Président Boris Tadic, ont permis le lancement, sous l'égide de l'Union européenne, d'un dialogue entre Pristina et Belgrade.
Après la décision de la Cour internationale de justice du 22 juillet 2010, confirmant la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo, une résolution proposée conjointement par l'Union européenne et la Serbie a été adoptée par consensus par l'assemblée générale des Nations Unies.
Cette résolution prend acte de l'avis de la Cour et salue la disponibilité de l'Union européenne à faciliter le dialogue entre Belgrade et Pristina. Ce dialogue a débuté le 8 mars 2011 à Bruxelles.
Comme l'a indiqué à la délégation, Mme Edita Tahiri, Vice Premier ministre, qui représente le Kosovo dans le cadre de ce dialogue, les premières discussions ont porté sur des sujets techniques, importants pour la vie quotidienne des citoyens, tels que les documents d'état-civils (dont les originaux sont toujours détenus à Belgrade), le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications ou encore la question du survol du territoire, qui se traduit par un surcoût important pour les compagnies aériennes étrangères et une pollution accrue.
Mme Edita Tahiri s'est déclarée confiante sur la possibilité d'aboutir à des premiers résultats concrets en juillet, notamment sur les registres d'Etat civil, le cadastre, les télécommunications, la liberté de circulation ou l'électricité.
A terme, le Kosovo souhaiterait obtenir de Belgrade, sinon une reconnaissance, du moins une normalisation des relations, qui permettrait notamment l'adhésion du Kosovo à l'ONU et au sein d'autres organisations internationales, ainsi qu'un rapprochement avec l'Union européenne.
Ce dialogue n'a pas été remis en cause par les graves accusations portées par le député suisse Dick Marty, dans le cadre du Conseil de l'Europe, concernant un trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes par les combattants de l'UCK, dont l'actuel Premier ministre kosovar.
S'il faut rester prudent sur ces allégations qui ne reposent sur aucune preuve et qui proviennent d'une personnalité qui s'était fortement opposée à l'intervention de l'OTAN et à l'indépendance, EULEX a été chargé d'une enquête sur ce trafic d'organes.
Comme votre délégation a pu le constater, ce dialogue suscite toutefois certaines inquiétudes au Kosovo, en raison de déclarations de hauts responsables politiques serbes, qui évoquent une partition du Nord du Kosovo ou un échange de territoires, entre le Nord du Kosovo et la vallée de Presevo, voire une négociation directe entre la Serbie et l'Albanie.
Or, une telle partition est inacceptable aux yeux de Pristina car elle revient à méconnaître sa souveraineté sur l'ensemble du territoire. Plus généralement, une telle partition, qui serait contraire au principe de l'intangibilité des frontières, risquerait de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région, notamment en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine (où vit une importante minorité albanaise).
La délégation considère que l'Union européenne devrait dire clairement aux dirigeants serbes que l'idée d'une modification des frontières n'est pas acceptable et que la normalisation des relations avec le Kosovo est une nécessité à la fois pratique et politique pour le rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.
II. UNE FORTE PRÉSENCE INTERNATIONALE DONT L'EFFICACITÉ SOULÈVE PARFOIS DES INTERROGATIONS
A. UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE DIVISÉE
1. Une présence internationale importante et diverse...
Depuis la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008, la présence de la communauté internationale a évolué, même si elle reste très importante. Elle se caractérise aussi par sa très grande complexité.
Le Secrétaire général des Nations Unies a décidé à la mi-juin 2008 de procéder à la reconfiguration de la MINUK , qui n'a plus aujourd'hui qu'une présence résiduelle.
En revanche, en vertu des dispositions du « Plan Ahtisaari », que les autorités kosovares se sont engagées à appliquer et qui a été repris dans la Constitution, un Représentant civil international , auquel il est fait référence dans les articles 146 et 147 de la Constitution kosovare et qui est l'autorité finale au Kosovo en matière d'interprétation de la loi civile, est chargé de la supervision de l'indépendance du pays.
Il lui appartient, en particulier, d'interpréter tous les aspects civils du « plan Ahtisaari », de prendre les mesures qui s'imposent, le cas échéant, pour remédier aux décisions des autorités kosovares qu'il jugerait contraires à ce plan, « ces mesures pouvant aller, sans s'y limiter, jusqu'à l'abrogation de lois ou de décisions adoptées par les autorités kosovares ». Il dispose également de pouvoirs de nomination, de sanction et de révocation.
C'est donc une forme très poussée de limitation de sa propre souveraineté que le Kosovo a inscrit dans sa propre Constitution.
Le Représentant civil international s'appuie sur un bureau civil international (ICO) , comprenant 75 agents internationaux et 200 agents locaux à Pristina avec des antennes sur l'ensemble du territoire, y compris à Mitrovica. Ce bureau a été nommé le 28 février 2008 par un groupe d'Etats composant le « International Steering Group » (ISG) 8 ( * ) . La composition du bureau civil international montre une très forte présence américaine, qui se ressent aussi dans les priorités de son action.
Comme l'a indiqué à la délégation, l'adjoint au représentant civil international, M. Christopher Rowan, la principale priorité du bureau civil international tient à l'application du « plan Ahtisaari » et au remplacement progressif des « structures parallèles » au Nord, soutenues par Belgrade, par les institutions légitimes du Kosovo.
Le Représentant civil international était dans le même temps, jusqu'à une date très récente, le Représentant spécial de l'Union européenne .
Le mandat du Représentant spécial de l'Union européenne consiste à proposer aux autorités kosovares des conseils et le soutien de l'Union européenne dans le processus politique et à favoriser la coordination politique générale de l'action de l'Union européenne au Kosovo. Il est également censé donner au chef de la mission EULEX des orientations politiques.
Si cette « double casquette » présentait certains avantages, notamment en matière de coordination des actions de la communauté internationale, elle comprenait aussi d'importants inconvénients, tenant en particulier à la différence de nature des mandats et de moyens entre les deux fonctions 9 ( * ) . En effet, à la différence du Représentant civil international, qui est chargé d'appliquer le plan « Athisaari » et de rendre l'indépendance irréversible, le Représentant spécial de l'Union européenne, dont le mandat repose sur la résolution 1244 des Nations Unies est tenu à une « neutralité à l'égard du statut ».
A l'initiative de la France et de l'Allemagne, et malgré les réticences du Royaume-Uni, il a été décidé de mettre un terme à cette « double casquette ». M. Peter Feith, de nationalité néerlandaise, qui cumulait jusqu'à présent les deux fonctions, a conservé son poste de Représentant civil international, mais a dû renoncer à sa fonction de Représentant spécial de l'Union européenne.
Un nouveau Représentant spécial de l'Union européenne doit être désigné par les vingt-sept Etats membres, mais faute d'accord entre les vingt-sept Etats membres, aucun consensus n'a pu être trouvé sur la personnalité appelée à occuper cette fonction.
Dans l'attente, M. Fernando Gentilini, de nationalité italienne, a été désigné à titre transitoire et temporaire, comme Représentant spécial de l'Union européenne.
La Commission européenne dispose également d'un bureau de liaison à Pristina (ECLO), qui est chargé de la gestion de l'aide financière très importante accordée par l'Union européenne au Kosovo.
Sur le fondement de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et d'une action commune du 4 février 2008, l'Union européenne a aussi mis en place en 2008 la mission EULEX , qui est plus spécialement chargée du renforcement de l'Etat de droit, en particulier en assistant les autorités locales en matière de police, de justice et de douanes.
EULEX, qui comprend 3 000 personnes, constitue la plus importante mission de gestion civile des crises jamais déployée dans le cadre de la politique de sécurité et de défense (PSDC).
L' Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est également présente au Kosovo, avec plus de 700 personnes. Elle joue notamment un rôle important en matière d'élections et de droits de l'homme. Cette organisation, qui comprend des représentants de pays n'ayant pas reconnu l'indépendance du pays, comme la Russie, est « neutre à l'égard du statut », et entretient un dialogue avec les Serbes.
Enfin, la KFOR de l'OTAN , dont le mandat s'appuie également sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, reste un pôle de stabilité, au sein d'une représentation internationale de plus en plus fragmentée.
Toutefois, compte tenu de la situation sécuritaire qui reste calme et des contraintes opérationnelles liées aux engagements des pays de l'OTAN sur d'autres théâtres d'opérations, comme l'Afghanistan ou la Libye, la KFOR est en voie de désengagement et espère pouvoir passer le relais à la mission EULEX de l'Union européenne, si possible en 2012. Ses effectifs sont passés de 12 000 à environ 6 000 hommes aujourd'hui.
2. ...dont l'efficacité soulève parfois des interrogations
La présence au Kosovo de la plupart des organisations internationales, comme l'ONU, l'Union européenne ou l'OSCE, à l'exception notable du bureau civil international, repose sur le fondement de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui ne prévoit pas l'indépendance mais une « autonomie substantielle et une véritable auto-administration ». Ces organisations sont donc « neutres à l'égard du statut ».
Par ailleurs, compte tenu des divisions entre les Etats membres qui composent ces organisations, dont certains ont reconnu l'indépendance et d'autres non, leur action se caractérise par une certaine prudence et une absence de réelle stratégie. Les représentants locaux de ces organisations sont donc contraints de trouver des marges de manoeuvres pour remplir leur mission malgré l'ambigüité de leur mandat. C'est ce que certains désignent comme l' « ambigüité constructive ». A l'inverse, le bureau civil international, dont le mandat s'appuie sur le plan « Athisaari », dispose d'une véritable stratégie, qui vise à rendre l'indépendance du Kosovo irréversible.
Cette division de la communauté internationale se retrouve en particulier dans les relations qu'entretiennent chacune de ces organisations avec les « structures parallèles » présentes au Nord du Kosovo et plus ou moins contrôlées par la Serbie 10 ( * ) . Alors que le bureau civil international cherche à les éradiquer, notamment par la mise en place de nouvelles équipes municipales dans le cadre de la décentralisation (« Municipal Preparation Teams ») , et qu'EULEX les juge illégales, la KFOR et l'OSCE les tolèrent et la MINUK reconnaît même leur légitimité.
B. LA KFOR DE L'OTAN : VERS UN DÉSENGAGEMENT EN 2012 ?
Bien qu'elle demeure encore un important élément de permanence et de stabilité, la KFOR de l'OTAN a connu une réduction continue de ses effectifs depuis 2002, qui s'est poursuivie ces derniers mois.
1. Le mandat de la KFOR
La KFOR a été déployée dès 1999 au Kosovo.
Son cadre d'intervention est défini par la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Ses missions sont les suivantes :
- la préservation du cessez le feu ;
- la démilitarisation de l'UCK et des autres groupes armés des Albanais du Kosovo ;
- la sécurisation du retour des réfugiés ;
- le maintien de l'ordre public ;
- le déminage ;
- le soutien de la présence civile internationale ;
- le contrôle des frontières ;
- la protection des présences internationales.
Comme votre délégation a pu le constater au cours de sa visite, notamment à Mitrovica, la KFOR bénéficie d'une image très favorable au sein de la population, tant de la part des Kosovars d'origine albanaise que des Kosovars d'origine serbe.
Elle est unanimement considérée comme efficace mais elle l'est peut-être trop : la KFOR est censée intervenir en troisième place derrière la police kosovare et les policiers et les gendarmes de la mission EULEX de l'Union européenne. En fait, elle se trouve trop souvent placée en première ligne, notamment au Nord, en raison de l'inefficacité supposée ou avérée des autres forces.
2. Le désengagement partiel de la KFOR
Alors qu'en 1999, la KFOR comptait plus de 45 000 hommes sur un territoire de 10 000 km², dont 8 000 militaires français, la KFOR a connu depuis 2001 une réduction progressive de ses effectifs, en raison de l'évolution du contexte sécuritaire mais aussi des contraintes opérationnelles des pays de l'OTAN liées à l'engagement de soldats sur d'autres théâtres d'opérations, comme l'Afghanistan.
Fin 2008, la KFOR disposait encore d'environ 15 000 hommes répartis entre cinq zones de responsabilité. Les principaux contingents étaient allemand (2 400 hommes), italien, français (1 800 militaires) et américain (1 500 hommes).
La KFOR, qui était en posture d'« engagement », est passée en posture dite de « présence dissuasive », à partir du 31 janvier 2011.
Cette deuxième phase, qui est censée précéder le désengagement total, a été marqué par la réduction de moitié des militaires, qui sont passés de 13 000 à 6 200 environ.
Cette baisse des effectifs s'est accompagnée d'une réorganisation du dispositif de commandement.
Alors que le territoire du Kosovo était réparti entre cinq zones de responsabilité géographique, dont un secteur, le secteur Nord, comprenant Mitrovica, était attribué à la France, le dispositif de la KFOR ne comprend plus aujourd'hui que deux commandements, l'un à l'Est, sous commandement américain, l'autre à l'Ouest, sous commandement italien.
3. Une réduction symétrique du contingent français
Dans le cadre du désengagement partiel de la KFOR, le contingent français de l'« opération Trident » a été réduit de moitié, passant de 700 à 320 militaires, entre décembre 2010 et mai 2011.
La France figure désormais au 7e rang des pays contributeurs, après l'Allemagne (1 200), les Etats-Unis (800), l'Italie (620), la Turquie (480), l'Autriche (470) et la Slovénie (330). La Grande Bretagne a, quant à elle, retiré toutes ses troupes.
Avec la diminution du nombre de ses hommes et la réorganisation du dispositif de la KFOR, par la suppression des cinq commandements régionaux au profit de deux, la France a toutefois perdu le commandement de la région de Mitrovica Nord.
Notre contingent, placé sous commandement américain, conserve cependant une unité de manoeuvre, qui est toutefois dépendante des moyens aériens des autres contingents, en particulier américain.
Actuellement, comme votre délégation a pu s'en rendre compte, l'unité de manoeuvre provient de la brigade franco-allemande.
Le contingent français dispose également d'environ 200 véhicules, dont 32 véhicules blindés légers (VBL) et 4 véhicules avant blindés (VAB), dont deux sanitaires, ainsi que plusieurs camions et engins.
Par ailleurs, onze officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale sont déployés dans le cadre de la KFOR, notamment pour exercer les missions de prévôté (police militaire), mais aussi au sein de la cellule d'investigation et d'analyse du renseignement (CIAR), qui permet la collecte d'informations très utiles sur la criminalité organisée au Kosovo et ses ramifications éventuelles dans l'Union européenne, en particulier en France, dans une optique de « retour en sécurité intérieure ».
Dans le cadre de la réorganisation du dispositif sur le terrain, la France a réduit le nombre de ses emprises, notamment en rétrocédant, via la MINUK, le camp militaire du Belvédère à la municipalité de Mitrovica.
Elle conserve la gestion du camp « Maréchal Delattre de Tassigny » situé à Novo Selo, à proximité de Mitrovica, que la délégation a visité, qui, avec une capacité d'hébergement de 1 200 personnes sur une surface de 47 hectares, est comparable à une petite ville de 1 000 habitants.
Outre la quasi-totalité du contingent français, ce camp accueille au total environ 800 militaires et 200 civils, de onze nationalités différentes, dont 120 militaires marocains et 125 militaires allemands.
Notre pays doit ainsi assurer le soutien logistique au profit des militaires d'autres nationalités présents sur le camp de Novo Selo.
Comme l'a confié à la délégation un officier français, un peu désabusé, « la France est passée d'une politique d'influence à une logique de contributeur ».
Le coût de la participation française est passé de 64,7 millions d'euros en 2010 à 42,3 millions d'euros en 2011, mais pourrait s'alourdir si aucune solution n'est trouvée pour la remise en état du camp de Novo Selo.
L'état-major des armées espère que le passage à la phase de désengagement, qui devrait entraîner le rapatriement complet des militaires français, pourra intervenir au printemps de l'année prochaine.
Interrogé sur ce point, lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, le 11 mai dernier, M. Gérard Longuet, ministre de la Défense, a indiqué que « la troisième étape, c'est-à-dire le retrait de nos unités, pourrait intervenir dès l'an prochain, en concertation avec nos alliés et dans le cadre d'une décision de l'OTAN ».
Des tensions liées aux prochaines élections en Serbie ou à une reprise des affrontements à Mitrovica pourraient toutefois ralentir ce calendrier.
Ainsi, au cours de la visite de la délégation, des manifestations avaient été organisées par des Serbes au Nord pour protester contre l'arrestation par EULEX d'un Serbe, qui est soupçonné d'être le trésorier d'un groupe mafieux.
Toutefois, l'objectif reste bien pour la KFOR de passer le relais à la mission EULEX de l'Union européenne dans le courant de l'année prochaine.
C. LA MISSION EULEX DE L'UNION EUROPÉENNE : UNE EFFICACITÉ QUI POURRAIT ENCORE ÊTRE RENFORCÉE GRÂCE À UNE PLUS FORTE VOLONTÉ POLITIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE
1. Une mission centrée sur le renforcement de l'Etat de droit, notamment en matière de justice, de police et de douanes
Malgré l'absence de position unanime sur l'indépendance du Kosovo, les Etats membres de l'Union européenne ont décidé, le 16 février 2008, de mettre en place une mission civile, intitulée EULEX (« European Union Rule of Law Mission in Kosovo » ).
Cette mission, dont le mandat repose sur l'action commune du 4 février 2008 et est placé dans le cadre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, a pour principal objectif le renforcement de l'état de droit au Kosovo, en particulier dans les domaines de la justice, de la police et des douanes.
Son mandat est défini à l'article 2 de l'action commune du 4 février 2008 : « EULEX KOSOVO aide les institutions du Kosovo, les autorités judiciaires et les organismes chargés de l'application des lois à progresser sur la voie de la viabilité et de la responsabilisation et à poursuivre la mise sur pied et le renforcement d'un système judiciaire multiethnique indépendant, ainsi que de services de police et des douanes multiethniques, de manière à ce que ces institutions soient libres de toute interférence politique et s'alignent sur les normes reconnues au niveau international et sur les bonnes pratiques européennes ».
Il s'agit de la plus importante mission de gestion civile des crises mise en place par l'Union européenne dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), puisque ses effectifs sont de 2 800 personnes, dont 1 700 agents internationaux et 1 100 personnels locaux 11 ( * ) .
Parmi les 1 700 agents internationaux, la France figure au troisième rang des pays contributeurs (124 agents), derrière l'Italie (198), la Roumanie (195), et devant la Pologne (140), l'Allemagne (108), les Etats-Unis (88), la Finlande (85) et le Royaume-Uni (84).
Après avoir été dirigée par le Français Yves de Kermabon, entre 2008 et 2010, elle est dirigée, depuis le 15 octobre 2010, par Xavier Bout de Marhnac, général en deuxième section et ancien commandant de la KFOR.
Celui-ci rend compte au Comité politique et de sécurité (COPS) à Bruxelles. Le Représentant spécial de l'Union européenne (RSUE) est censé lui donner des orientations politiques en fonction de la situation locale.
La mission EULEX a débuté officiellement son mandat le 9 décembre 2008 et a atteint sa pleine capacité opérationnelle le 6 avril 2009, après une période de transition assez difficile avec la MINUK.
Elle se répartit entre trois principales composantes.
Avec 1 600 personnels, dont 1 200 agents internationaux, la composante « police » est celle qui comprend les effectifs les plus élevés.
Sa fonction est d'appuyer la police kosovare, sur l'ensemble du territoire. Elle dispose à ce titre de certains pouvoirs extraordinaires, notamment celui d'intervenir pour mettre un terme aux violences visant des minorités ou certaines interférences politiques nuisant à l'Etat de droit.
Au sein de la composante « police », on compte une trentaine de policiers et 78 gendarmes français, dont une unité constituée chargée du maintien de l'ordre au Nord et à Mitrovica.
La composante « justice » comprend un effectif total de 400 personnes, dont 78 magistrats internationaux.
Elle vise à aider les autorités locales à mettre en place un système judiciaire multiethnique, impartial, libre d'ingérence politique et conforme aux standards internationaux. En matière pénale, les principales priorités visent à renforcer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, mais aussi à conduire à leur terme des procès pour crimes de guerre.
Les juges et procureurs internationaux exercent le plus souvent leurs fonctions en formation juridictionnelle ou au sein d'équipes mixtes, avec leurs collègues kosovars d'origine albanaise ou serbe. Ils exercent des fonctions de conseil et d'assistance, mais disposent aussi de pouvoirs propres, qui les conduisent à engager des poursuites et rendre des jugements dans certaines catégories d'affaires. Ainsi, au sein du système judiciaire kosovar, un parquet spécialisé, dirigé par un procureur international et comprenant une dizaine de procureurs internationaux et une dizaine de procureurs locaux, a une compétence exclusive en matière de crimes de guerre, de terrorisme, de criminalité organisée et de blanchiment d'argent. Entre le 1 er janvier 2009 et le 29 septembre 2010, les juges EULEX avaient participé à 829 audiences et rendu 116 verdicts.
Au sein de cette composante, on trouve cinq magistrats français parmi les 78 magistrats internationaux. Au cours de sa visite, la délégation s'est ainsi entretenue avec M. Bernard Rabatel, avocat général, chef adjoint de cette composante, et Mlle Caroline Charpentier, qui exerce les fonctions de juge en matière pénale au sein du Tribunal de district de Mitrovica. Les locaux de ce tribunal, situés sur la rive nord de l'Ibar, avaient été entièrement détruits lors de violents affrontements à la suite de la déclaration d'indépendance en mars 2008, mais ont été repris depuis par la KFOR et entièrement reconstruits.
Enfin, la centaine de membres de la composante « douanes » est notamment chargée du contrôle des frontières avec la Serbie
2. L'impossible « neutralité par rapport au statut »
Fondé sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le mandat d'EULEX reste « neutre à l'égard du statut ».
Or, cette limitation, qui s'explique par la non reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par cinq des vingt sept Etats membres de l'Union européenne, peut parfois s'avérer contradictoire avec l'objectif principal de cette mission, qui tient au renforcement de l'Etat de droit.
Par ailleurs, à la différence de la KFOR de l'OTAN, qui continue de bénéficier d'une très bonne image des deux côtés, EULEX est souvent contestée à la fois par les autorités de Pristina, qui lui reprochent parfois, sans doute sous l'influence des Etats-Unis, sa « trop grande timidité » à l'égard des « structures parallèles » du Nord et par les Serbes, qui lui reprochent au contraire, d'aller trop loin au regard de son mandat et de ne pas respecter le principe de neutralité à l'égard du statut.
Cette mission est également perçue par certains responsables kosovars comme la continuation de la « tutelle » internationale de la MINUK et de ce fait contraire aux aspirations d'indépendance du pays.
Enfin, beaucoup d'observateurs lui reprochent un manque d'efficacité dans la lutte contre la criminalité organisée, tant au Nord qu'au Sud.
En réalité, l'efficacité de l'action d'EULEX semble surtout entravée par l'absence de réelle volonté politique de l'Union européenne et de directives claires provenant de Bruxelles.
En effet, faute de consensus suffisant entre les Etats membres, du fait de la non-reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par cinq des vingt-sept, les responsables de l'Union européenne font preuve d'une très grande prudence et s'avèrent incapables de donner à EULEX des objectifs clairs. EULEX est donc placé dans une position ambiguë, entre les dispositions de la résolution 1244 des Nations unies et celles du « plan Ahtisaari »
L'efficacité de son action se heurte à une contradiction fondamentale entre, d'un côté, le souci de garantir la stabilité par le maintien du « statu quo », et, de l'autre, son mandat au service de l'Etat de droit, ce qui supposerait une action plus résolue à l'encontre des structures criminelles, notamment au Nord, mais aussi au Sud, au risque de mécontenter à la fois les Serbes du Nord et les autorités de Pristina.
En définitive, comme l'a indiqué l'un des interlocuteurs de la délégation, « EULEX n'est que le fruit de notre propre impuissance, du manque de volonté politique de l'Union européenne ».
Il paraît donc indispensable que les responsables politiques à Bruxelles fassent preuve d'une réelle volonté politique et assignent des objectifs clairs à EULEX.
3. Une influence française qui risque de se réduire
Dès le lancement de la mission EULEX par l'Union européenne, la France s'était fortement investie au sein cette mission, ce qui a permis à notre pays d'exercer une grande influence, comme en témoigne notamment le fait que son commandement a été attribué successivement à deux Français. Or, la France semble avoir beaucoup perdu de son influence au sein d'EULEX, avec la décision prise par le ministère de l'intérieur en février 2011 de retirer l'escadron de gendarmes mobiles et de le rapatrier en France.
Cet escadron de 120 gendarmes mobiles était notamment chargé du maintien de l'ordre sur le pont d'Austerlitz, situé en plein centre de Mitrovica, qui sépare les quartiers albanais au Sud de l'Ibar, et les quartiers serbes au Nord, et principal lieu des violents affrontements entre les deux communautés. Cet escadron constituait le principal « fer de lance » d'EULEX en matière de maintien de l'ordre au Nord de l'Ibar.
Même si notre pays devrait conserver une petite unité constituée composée d'une quarantaine de gendarmes et de quatre véhicules blindés à roue de gendarmerie (VBRG) au camp de Novo Selo, auxquels s'ajoutent trente gendarmes isolés répartis sur l'ensemble du territoire, ce dispositif semble largement insuffisant pour faire face à des affrontements violents, comme le Kosovo en a connu par le passé, en particulier à Mitrovica.
Certes, les gendarmes français pourraient compter sur le renfort de carabiniers italiens, de gendarmes roumains ou de policiers polonais, mais, à la différence des gendarmes français, ces gendarmes et policiers ne sont pas regroupés en unités constituées et n'ont pas la même expertise, ni la même expérience en matière de maintien de l'ordre. De plus, les gendarmes français étaient les seuls à être disponibles en permanence, notamment de nuit ou le week end, et étaient très appréciés à la fois des Albanais et des Serbes, ce qui est moins le cas des Américains ou des Allemands, qui hésitent de surcroît à se rendre au Nord.
En définitive, le retrait de l'escadron de gendarmerie mobile s'est traduit par une désorganisation de l'unité chargée du maintien de l'ordre et par un affaiblissement majeur de sa capacité opérationnelle, par une fragilité des conditions de sécurité d'engagement et par une perte de visibilité de la France au sein d'EULEX.
Le rapatriement de l'escadron de gendarmes mobiles s'explique principalement par la diminution des effectifs et la suppression de quinze escadrons de gendarmes mobiles sur 123 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), par le coût des opérations extérieures supporté par la gendarmerie, ainsi que par la volonté du gouvernement français de donner la priorité à la sécurité sur le territoire national. Toutefois, le retrait de l'escadron de gendarmes mobiles a d'autant moins été compris par les autorités kosovares et par nos partenaires européens qu'il coïncidait avec la diminution de moitié de notre présence militaire au sein de la KFOR.
CONCLUSION
Le sentiment général que la délégation retire de son déplacement est que, trois ans après la proclamation de l'indépendance, le Kosovo demeure confronté à de nombreux défis et qu'il lui reste encore d'importants progrès à accomplir sur la voie de l'Etat de droit, de la viabilité économique et de la réconciliation entre les communautés qui le composent.
L'Union européenne devrait donc continuer de soutenir et d'accompagner le Kosovo, mais l'efficacité de son action sera d'autant plus grande qu'elle parviendra à mettre un terme à ses divisions internes et à faire preuve d'une réelle volonté politique.
Certes, la décision de reconnaître ou non un Etat est une décision souveraine de chaque Etat membre. Mais, comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, qui la concerne directement, l'Union européenne ne parvient pas à parler d'une seule voix ?
Au moment où l'Union européenne s'efforce de renforcer sa politique étrangère, avec notamment le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le Service européen pour l'action extérieure créés par le traité de Lisbonne, il semble souhaitable d'inciter les cinq Etats membres qui n'ont pas encore reconnu l'indépendance du Kosovo à faire évoluer leur position.
L'Union européenne devrait également dire clairement à la Serbie que l'idée d'une modification des frontières en Europe n'est pas acceptable et que la normalisation des relations avec le Kosovo est une nécessité pour son rapprochement avec l'Union européenne.
Mais l'Union européenne devrait aussi se montrer plus ouverte à la perspective européenne de la Serbie et du Kosovo, ce qui supposerait notamment d'accorder à la Serbie le statut de « pays candidat » et au Kosovo une libéralisation des visas et des préférences commerciales.
A terme, seule la perspective du rapprochement avec l'Union européenne semble de nature à permettre, sinon une reconnaissance, du moins une normalisation des relations entre Pristina et Belgrade. Avant d'être un grand marché, l'Union européenne est d'abord une construction fondée sur la réconciliation entre les peuples.
Or, la clé du développement économique du Kosovo tient en grande partie au rétablissement des relations avec Belgrade et à son désenclavement.
La France, qui entretient des relations d'amitié à la fois avec la Serbie et avec le Kosovo, a, de ce point de vue, un rôle particulier à jouer, à condition qu'elle reste présente et attentive à la situation de ce pays et de cette région.
Ainsi, dans un contexte de diminution des effectifs de ses militaires et de ses gendarmes, la France pourrait utilement renforcer sa présence au Kosovo en matière économique et d'expertise.
Alors qu'il existe un marché pour nos entreprises, comment expliquer l'absence, au sein de notre représentation diplomatique, d'un conseiller économique ou d'un attaché commercial ?
De même, notre pays dispose de nombreux experts ou organismes qui pourraient apporter leur expertise au gouvernement kosovar, par exemple en matière agricole, de protection de l'environnement, de traitement des déchets ou de gestion de l'eau.
Enfin, la délégation a la forte conviction qu'il est nécessaire aujourd'hui de s'interroger sur les limites de l'action de la communauté internationale, qui a investi beaucoup d'efforts et d'argent au Kosovo ces dernières années, sans toujours obtenir les résultats espérés.
Le temps du protectorat semble aujourd'hui dépassé et il est grand temps pour les autorités du Kosovo de prendre leur destin en main.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a entendu, le 28 juin 2011, le compte rendu de MM. Jean Faure et André Vantomme sur leur mission au Kosovo du 2 au 8 juin 2011.
A l'issue de l'exposé des co-rapporteurs, un débat s'est engagé.
M. Josselin de Rohan, président - Le constat que vous nous avez présenté ne paraît pas très rassurant.
Si la communauté internationale a apporté son soutien au jeune Etat Kosovar, et que la France y a pris toute sa place, il reste encore beaucoup à faire aux autorités de ce pays pour construire un Etat, progresser vers l'Etat de droit et en matière de viabilité économique.
De plus, la réconciliation entre les communautés n'a pas avancé et le souvenir douloureux des affrontements communautaires causés par la folie nationaliste de Milosevic demeure entier.
Le Kosovo semble être devenu aujourd'hui un pays très albanophone, alors qu'il accueille sur son sol des hauts lieux de l'orthodoxie serbe et qu'il comporte des enclaves peuplées de Serbes isolées au milieu de territoires peuplés en majorité d'Albanais.
Enfin, la partie située au Nord, majoritairement peuplée de Serbes qui ne reconnaissent pas l'autorité du gouvernement de Pristina, représente une source d'instabilité et de tensions.
Face à cette situation, que pensez vous de la capacité du gouvernement kosovar à construire un Etat solide et viable ? Et comment, selon vous, améliorer l'action de la communauté internationale ?
M. Jean Faure, co-rapporteur - La communauté internationale n'est pas unie mais divisée, ce qui nuit à l'efficacité de son action. Elle occupe une place très importante, puisque l'on compte plus de 15 000 fonctionnaires internationaux pour un pays d'une taille comparable à un département français. Elle reste toutefois divisée. Alors que le bureau du représentant civil international est chargé de la mise en oeuvre du « plan Athisaari » et de rendre l'indépendance du Kosovo irréversible, le mandat des autres organisations internationales repose sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui est neutre à l'égard du statut.
Par ailleurs, l'efficacité de ces organisations est freinée par les divisions entre les Etats membres, dont certains ont reconnu l'indépendance et d'autres non, par les intérêts divergents entre les Etats et par l'absence de réelle volonté politique, à l'image de la mission EULEX de l'Union européenne qui est chargée de faire respecter l'Etat de droit, mais qui se heurte à des obstacles tant de la part des autorités de Pristina que des Serbes du Nord.
Les différentes attitudes de ces organisations à l'égard des « structures parallèles » du Nord, soutenues par Belgrade et plus ou moins contrôlées par des organisations criminelles, est symptomatique de ces divisions.
Alors que le bureau du représentant civil international cherche à les éradiquer et qu'EULEX les considère comme illégales, la KFOR et l'OSCE les tolèrent tandis que la MINUK leur reconnaît même une certaine légitimité.
On trouve également de fortes différences culturelles entre ces organisations et entre les différentes nationalités qui les composent.
Ainsi, certains de nos interlocuteurs se sont montrés critiques sur l'image donnée par le nombre très élevé de fonctionnaires internationaux et leur niveau de vie dans un pays relativement pauvre.
La longue présence de l'ONU, et son mode de fonctionnement, qui aurait déteint sur les autres organisations, ont également été souvent critiqués par nos interlocuteurs.
Si les Français semblent très appréciés, à la fois par les Kosovars albanais, et par les Serbes, cela semble moins vrai pour d'autres nationalités, qui n'entretiennent pas les mêmes rapports et hésitent à se rendre au Nord. De plus, les militaires et les gendarmes français sont souvent les seuls à être disponibles en permanence, y compris la nuit et le week-end, ce qui n'est pas toujours le cas des autres.
Dans ce contexte, il faut s'interroger sur l'efficacité de la présence internationale, et notamment du soutien financier très important qu'elle apporte à ce pays. Il me semble que cette aide financière engendre une certaine forme d'assistanat, qui n'est pas propice au développement des initiatives et à la responsabilisation des autorités kosovares. Je pense en particulier au développement économique. La population kosovare est très jeune : 50 % a moins de 25 ans. Mais, avec un taux de chômage de 45 %, le pays n'est pas en mesure de répondre aux attentes de cette jeunesse.
Il me semble donc indispensable de réfléchir à une évolution de la présence internationale, afin de la rendre plus efficace.
Ainsi, la police kosovare est aujourd'hui une institution efficace et crédible. Est-il toujours nécessaire d'avoir autant de policiers ou de gendarmes internationaux pour remplir des fonctions que les policiers kosovars sont en mesure d'assumer ? Ne serait-il pas plus utile de réduire le nombre d'agents internationaux mais de recruter certains spécialistes, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée ou l'immigration illégale ? De même, la présence de l'OSCE est-elle toujours justifiée ?
Si l'indépendance est désormais acquise, il reste à construire un véritable Etat.
Le dialogue entre Pristina et Belgrade est très positif. Il devrait permettre de résoudre un certain nombre de difficultés pratiques rencontrées par les citoyens dans leur vie quotidienne, par exemple en matière d'état civil ou de droits de propriété. Il pourrait également permettre de désenclaver le pays et de développer l'économie du Kosovo qui reste très dépendante de l'aide financière de la Communauté internationale et des transferts de fonds de la diaspora albanaise. A terme, ce dialogue devrait déboucher sur la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. Pourquoi l'Union européenne ne pourrait-elle pas dire clairement à la Serbie qu'il est nécessaire qu'elle reconnaisse l'indépendance du Kosovo pour adhérer à l'Union européenne ?
M. André Vantomme, co-rapporteur - Le Kosovo ne dispose pas de sa propre armée. Or, sans armée, un Etat n'est pas en mesure d'assurer la protection de ses ressortissants. Certes, la police kosovare est une institution reconnue et il existe également une force de protection civile, qui pourrait devenir à l'avenir une armée. Mais, la situation politique ne le permet pas encore.
Si les Albanais sont en majorité de confession musulmane, le Kosovo connaît un Islam très modéré. On ne peut pas parler d'un conflit à caractère religieux mais plutôt d'un conflit à caractère national. Ainsi, les attaques des Albanais à l'encontre des églises ou des monastères orthodoxes, comme nous avons pu l'observer au monastère de Devic par exemple, s'expliquent surtout par le fait que ces lieux sont le témoignage de la présence serbe. Il faut rappeler que les Albanais ont connu une longue répression sous le régime de Slobodan Milosevic. Si ces lieux doivent être placés en permanence sous protection, la KFOR transfère progressivement cette responsabilité à la police kosovare. Pour autant, il n'existe aucune politique de la part des autorités pour mettre en valeur ce patrimoine historique et culturel.
Malgré certaines ressources minières, notamment en lignite, le Kosovo importe la quasi-totalité de ses besoins, y compris alimentaires. L'économie du pays reste donc fortement dépendante de l'aide financière internationale et de la diaspora albanaise.
Alors que le Kosovo dispose de terres agricoles, l'agriculture est délaissée et son avenir est menacé par des constructions immobilières anarchiques sur les terrains les plus fertiles de maisons individuelles financées par la diaspora albanaise.
M. Didier Boulaud . - Je voudrais remercier nos deux collègues pour leur communication sur un pays que je connais bien pour m'y être rendu à de nombreuses reprises.
On ne peut comprendre le ressentiment des Kosovars d'origine albanaise à l'égard de l'Eglise orthodoxe sans prendre en compte le fait que la hiérarchie de l'Eglise orthodoxe serbe a été un fervent soutien du régime de Slobodan Milosevic. Lors d'une précédente mission au Kosovo, l'ancien évêque de Gracanica avait ainsi formellement interdit aux religieuses de nous accueillir dans son monastère. Cet évêque a depuis été limogé et son successeur est, semble-t-il, plus modéré.
En ce qui concerne les Serbes du Nord du Kosovo et l'idée d'une partition, je voudrais faire observer que la majorité des Serbes du Kosovo vivent au Sud et que c'est au Sud, dans des enclaves, que l'on trouve la plupart des églises et des monastères orthodoxes.
Enfin, en matière de criminalité organisée, il semble qu'il existe une très bonne entente et une réelle coopération entre les différentes communautés.
M. Jacques Berthou . - Nous venons d'effectuer une mission en Afghanistan, avec le président Josselin de Rohan et notre collègue Michèle Demessine et je suis frappé par les similitudes qui existent entre ces deux pays, même s'ils ne sont pas comparables.
Bien que la situation en matière sécuritaire soit totalement différente, on constate que, dans ces deux pays, la forte présence de la communauté internationale n'a pas produit les résultats espérés, que les forces de l'OTAN et les militaires français ont engagé un retrait et que ces deux pays doivent faire face à des défis semblables, comme la criminalité organisée, la viabilité économique ou la réconciliation entre les communautés.
A l'image de la stratégie de transition en Afghanistan, la solution ne réside-t-elle pas dans le transfert du pouvoir aux autorités du Kosovo ? S'agissant de l'agriculture, quels sont les obstacles qui empêchent sa mise en valeur ? Enfin, qu'en est-il du risque d'un rattachement du Kosovo à l'Albanie ?
M. Jean Faure . - En tant qu'ancien agriculteur, j'ai été très frappé, au cours de notre déplacement, par la situation dégradée de l'agriculture dans ce pays. Alors que le Kosovo dispose de vastes étendues de terres agricoles, ce pays importe la quasi-totalité de ses produits alimentaires et l'agriculture y est délaissée. Les terres les plus fertiles sont menacées par les constructions immobilières anarchiques de maisons individuelles de la diaspora albanaise et les terres sont laissées le plus souvent à l'abandon. On ne perçoit pas une réelle volonté du gouvernement de mettre en valeur ce potentiel agricole. L'absence de cadastre, la question non réglée des droits de propriété, les lacunes en matière d'urbanisme et d'architecture expliquent également cette impression d'abandon.
Plus généralement, le Kosovo connaît une situation économique très fragile. Il existe très peu d'industries. Il existait, certes, une usine qui employait environ 20 000 travailleurs, mais celle-ci a été fermée par la MINUK pour des raisons liées à la protection de l'environnement. Dans un pays qui compte 45 % de chômage, on peut s'interroger sur les conséquences d'une telle décision.
M. André Vantomme . - Ce pays manque cruellement d'expertise dans des domaines tels que l'énergie, la gestion des eaux, le traitement des déchets.
La France qui dispose d'une expertise reconnue dans ces domaines, et d'entreprises performantes, pourrait ainsi apporter son soutien aux autorités de ce pays. Or, notre représentation diplomatique ne dispose pas de conseiller ou d'attaché économique et la présence des entreprises françaises est très limitée.
Par ailleurs, je m'interroge sur l'absence de l'Agence française de développement au Kosovo. L'AFD dispose pourtant d'instruments et d'une expertise en matière de reconstruction et de développement économique. Elle pourrait apporter une expertise précieuse à ce pays.
M. René Beaumont . - Au cours de notre déplacement en Serbie, avec notre collègue Bernard Piras, en décembre dernier, et de nos entretiens avec les représentants des autorités de Belgrade, nous avons ressenti une réelle volonté de rapprochement avec l'Union européenne, qui a été confirmée depuis, avec l'arrestation et la remise par la Serbie de Ratko Mladic au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Nous avons également perçu une très grande ouverture en ce qui concerne le dialogue avec Pristina, même si la Serbie n'est pas disposée à reconnaître l'indépendance du Kosovo. Plusieurs responsables politiques serbes nous ont déclaré que la Serbie était disposée à aller de l'avant et à faire preuve d'une ambigüité constructive à l'égard du statut. Je pense donc que le dialogue entre Belgrade et Pristina devrait permettre de réaliser des avancées et qu'il pourrait déboucher à terme sur une normalisation des relations. Le rapprochement avec l'Union européenne devrait en effet constituer un puissant levier pour favoriser cette normalisation.
Enfin, si la France entretient des relations anciennes d'amitié et de coopération avec la Serbie et qu'elle a joué un rôle important dans les Balkans, sur les plans politique et militaire, j'ai également constaté une faible présence économique et une place très réduite de nos entreprises en Serbie, notamment par rapport à l'Allemagne.
Il me semble donc que la présence économique française pourrait être encore renforcée dans toute la région des Balkans occidentaux car il est dommage que notre pays n'occupe pas une place plus importante en matière économique au regard du rôle politique et militaire qu'il joue dans cette région.
M. André Vantomme . - Les Kosovars d'origine albanaise sont proches culturellement des Albanais du nord de l'Albanie alors que les Albanais du sud, et notamment de Tirana, présentent des différences culturelles, notamment linguistiques. L'Albanie, qui est elle-même confrontée à une crise politique et au défi du développement économique, ne revendique pas le rattachement du Kosovo.
En revanche, au Kosovo, il existe un mouvement politique, le mouvement pour l'autodétermination, qui revendique le rattachement du Kosovo à l'Albanie, et qui a connu une forte progression lors des dernières élections législatives, même s'il n'est pas majoritaire dans le paysage politique.
La perspective d'un tel rattachement, qui pourrait être encouragé par la partition du Nord ou le maintien du statu quo, risquerait de provoquer de fortes tensions dans la région des Balkans, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine notamment. A cet égard, le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, s'est exprimé clairement contre l'idée d'une modification des frontières ou d'une partition, lors de la récente visite du ministre des affaires étrangères kosovar à Paris.
Il serait souhaitable à mes yeux que l'Union européenne s'exprime également en ce sens, notamment vis-à-vis de Belgrade, dans le cadre du rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.
Enfin, concernant la situation économique, je voudrais rappeler les conséquences désastreuses pour l'image du pays de la suspension des financements du FMI, en raison des décisions irresponsables du gouvernement kosovar et des soupçons de corruption qui pèsent sur les projets d'infrastructure, comme le projet d'autoroute vers l'Albanie.
Mme Gisèle Gautier . - Je souhaiterais vous interroger à propos des graves accusations portées par le député suisse Dick Marty, dans un rapport du Conseil de l'Europe, concernant un trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes par des combattants de l'UCK. Les autorités kosovares sont-elles disposées à coopérer dans l'enquête sur ces accusations ? EULEX dispose-t-elle des moyens pour mener une enquête sur ces accusations particulièrement graves ?
M. Jean Faure - Les accusations portées par Dick Marty dans son rapport sont en effet très graves. La position de l'Union européenne est qu'il revient à EULEX d'enquêter sur ces allégations. EULEX dispose, avec des centaines de policiers et de magistrats internationaux, des moyens pour enquêter sur ces faits, comme sur d'autres crimes de guerre, et les autorités kosovares se sont déclarées disposées à faire preuve d'une totale coopération. Je voudrais simplement préciser que ces graves allégations ne reposent sur aucune preuve et qu'elles proviennent d'une personnalité politique qui s'était fortement opposée à l'intervention de l'OTAN et à l'indépendance du Kosovo. Il faut donc faire preuve d'une très grande prudence concernant ces allégations.
M. André Vantomme . - Il est certain que, comme dans toute guerre civile et de libération, des atrocités ont été commises des deux côtés, tant de la part de l'armée et de la police serbes, que de l'UCK. Il ne faut pas non plus oublier les autres crimes de guerre et la question des disparus.
La question des normalisations des relations avec le Kosovo devrait figurer en bonne place dans le rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne. L'Union européenne devrait dire clairement à la Serbie que la normalisation de ses relations avec Pristina et, à terme, la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, sont une nécessité politique et pratique pour son rapprochement avec l'Union européenne.
M. Michel Boutant. - Pour connaître ce pays et des ressortissants kosovars, il est certain que le conflit entre les Serbes et les Albanais a été marqué par des crimes de guerre et des atrocités des deux côtés. Comme nous le savons tous, le régime de Slobodan Milosevic a commis des crimes de guerre et des crimes contre les populations civiles. Les combattants de l'UCK ont pour leur part également commis des exactions. Il me semble que ces atrocités expliquent le profond ressentiment qui continue de subsister entre les deux communautés.
Si EULEX a été chargée d'enquêter sur les accusations de trafic d'organes, il n'est pas certain que les anciens combattants de l'UCK, qui sont aujourd'hui à la tête du pays, notamment au sein du PDK, soient réellement disposés à coopérer et à faire la lumière sur ces graves accusations.
Je souhaiterais vous interroger sur l'influence des grandes puissances et d'autres pays sur le Kosovo. Ainsi la Russie est proche des Serbes, qui sont des Slaves orthodoxes, et a toujours soutenu la Serbie, alors que l'on constate une forte influence des Etats-Unis parmi les Kosovars d'origine albanaise.
La Turquie semble également avoir une influence importante dans ce pays et dans cette région, qui fut autrefois une province de l'Empire ottoman.
Plus généralement, quelle est l'influence de l'Arabie Saoudite, des pays du Golfe et du monde musulman, notamment en matière religieuse. Lors de mon dernier déplacement, j'avais été frappé par l'augmentation de la construction du nombre de mosquées. Comment ces mosquées sont-elles financées ?
Enfin, quelle est l'influence réelle de l'Union européenne ?
M. Jean Faure . - La Russie a effectivement soutenu la Serbie dans son opposition à la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, par solidarité slave et orthodoxe, et s'était fortement opposée à l'intervention de l'OTAN, sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies. Toutefois, depuis l'arrivée au pouvoir à Belgrade du président Boris Tadic et d'une coalition pro-européenne, la Russie a déclaré à plusieurs reprises qu'elle ne se montrerait pas plus serbe que les Serbes en ce qui concerne le dialogue entre Belgrade et Pristina.
Comme nous avons pu le mesurer lors de notre déplacement, les Etats-Unis continuent d'exercer une forte influence au Kosovo et les kosovars d'origine albanaise restent très reconnaissants aux américains pour leur soutien à l'indépendance de leur pays. Il semblerait ainsi que la nouvelle présidente de la République ait été fortement soutenue par les Etats-Unis. Aux côtés des nombreux drapeaux albanais, et plus rarement kosovars, on voit d'ailleurs beaucoup de drapeaux américains au Kosovo, et moins de drapeaux européens.
Comme l'illustre la place qu'elle occupe au sein de la KFOR ou en matière économique, la Turquie est également très présente au Kosovo.
Si de nombreuses mosquées ont été construites ces dernières années, sans doute grâce à des financements en provenance d'Arabie saoudite et des pays du Golfe, le Kosovo connaît toutefois un Islam très modéré. La plupart des mosquées restent vides et on rencontre peu de femmes voilées.
Enfin, l'Union européenne est présente, notamment avec EULEX, mais son influence est entravée par la non reconnaissance par cinq des vingt-sept Etats membres de l'indépendance du Kosovo et par l'absence d'une forte volonté politique.
M. Didier Boulaud. - Je rappelle que le député suisse Dick Marty s'était fortement opposé à l'intervention de l'OTAN et à l'indépendance du Kosovo.
Alors que l'Union européenne vient d'apporter une aide financière très importante à la Grèce, je regrette que les responsables européens n'aient pas dans le même temps fait pression sur les autorités de ce pays pour qu'elles fassent preuve d'une plus grande ouverture concernant la reconnaissance du nom de la Macédoine ou l'indépendance du Kosovo. Ainsi, l'attitude de la Grèce à l'égard de la Macédoine est incompréhensible.
Il serait parfois utile que l'Union européenne fasse de la politique.
M. Josselin de Rohan . - Les Balkans ont toujours constitué le terrain privilégié d'une lutte d'influence entre les grandes puissances, notamment au XIXe siècle ou au début du XXe siècle, notamment entre l'Empire ottoman, la Russie, l'Autriche et l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France.
Ces influences sont toujours présentes aujourd'hui. La « plume » de Marti Athisaari a ainsi été le secrétaire général du ministère des affaires étrangères d'Autriche. Or, l'Autriche comme l'Allemagne ont toujours encouragé les aspirations à l'indépendance du Kosovo.
La position des cinq pays membres de l'Union européenne opposés à l'indépendance du Kosovo s'explique par des arrières-pensées, notamment par la crainte d'un précédent qui pourrait encourager les aspirations séparatistes de certaines régions, comme le Pays basque ou la Catalogne pour l'Espagne, la partie Nord de l'île pour Chypre et la Grèce ou encore les minorités hongroises pour la Roumanie et la Slovaquie.
Or, il est indispensable d'encourager la coopération régionale et la réconciliation, car l'Union européenne ne peut se permettre d'importer en son sein des conflits territoriaux, à la lumière du précédent chypriote.
Il est donc indispensable d'encourager une normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. Le Kosovo est désormais un Etat indépendant et la Serbie doit accepter de faire le deuil du Kosovo car il serait illusoire de vouloir rétablir sa souveraineté sur ce territoire. Ainsi, il n'est pas acceptable que Belgrade continue de financer les structures parallèles du Nord du Kosovo et l'Union européenne devrait se montrer ferme sur ce point.
La perspective de rapprochement à l'Union européenne devrait donc constituer un levier pour inciter les pays des Balkans occidentaux à mettre un terme à leurs différends et à engager une réelle coopération régionale. Les nationalismes, qui ont produit tant de haines et de conflits, doivent aujourd'hui être relégués aux oubliettes. Seule la perspective du rapprochement avec l'Union européenne permettra réellement d'établir la paix, la sécurité et la stabilité et de favoriser le développement économique de cette région. L'Union européenne est donc la plus à même de jouer un rôle au Kosovo et il est donc souhaitable que les autres organisations internationales lui passent le relais.
M. Joseph Kergueris . - L'Union européenne devrait aussi faire preuve d'une plus forte volonté politique au Kosovo et dans les Balkans occidentaux, notamment en mettant un terme à ses divisions internes, afin de ne pas faire de ce pays et de cette région, une source de tensions et de déséquilibre, qui pourrait menacer la paix et la stabilité.
AUDITION DE S. EXC. M. MUHAMEDIN KULLASHI, AMBASSADEUR DU KOSOVO EN FRANCE
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu en audition, lors de sa réunion du 4 mai 2011, S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui, Monsieur l'Ambassadeur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Le Président Josselin de Rohan intervient actuellement en séance publique sur la question du génocide arménien. Il m'a prié de bien vouloir l'excuser auprès de vous et de vous transmettre un message d'amitié.
Depuis déjà plusieurs années, notre commission suit avec une attention particulière l'évolution de la situation dans les Balkans occidentaux en général et au Kosovo en particulier.
En octobre 2008, j'avais ainsi effectué un déplacement au Kosovo, avec notre collègue André Trillard, qui avait donné lieu à un rapport d'information de la commission consacré à l'évolution de la présence internationale au Kosovo après l'indépendance.
Plus récemment, nos collègues René Beaumont et Bernard Piras se sont rendus en Serbie où ils ont notamment évoqué le dialogue entre Belgrade et Pristina.
Enfin, deux membres de notre commission, nos collègues André Vantomme et Jean Faure, ont prévu de se rendre au Kosovo prochainement, afin notamment de rencontrer les militaires et les gendarmes français déployés dans le cadre de la KFOR de l'OTAN et de la mission Eulex de l'Union européenne.
Je rappelle qu'il reste actuellement 412 militaires français, dont 11 gendarmes, déployés au sein de la KFOR et 131 français, dont 81 gendarmes, déployés dans le cadre d'EULEX.
Par ailleurs, dans le cadre du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, présidé par notre collègue Robert Badinter, et dont j'ai l'honneur d'avoir été désigné président délégué pour le Kosovo, notre groupe a effectué de nombreux déplacements dans ce pays, dont le dernier remonte à seulement deux semaines.
Nous sommes donc très désireux de vous entendre, tant en ce qui concerne la situation intérieure, que l'évolution de la présence internationale, le dialogue avec la Serbie et le rapprochement avec l'Union européenne.
Ainsi, concernant la situation intérieure, le Kosovo semble sorti de la crise politique, avec l'élection d'une femme de 36 ans, ancien général de police, à la Présidence de la République et la reconduction dans ses fonctions du Premier ministre M. Thaci. Quelles sont les priorités politiques définies par les responsables politiques pour les prochaines années ? Comment espérez-vous amener les Serbes du Nord du Kosovo à participer à la vie politique du Kosovo comme l'ont fait les serbes vivant au Sud de l'Ibar ? Qu'en est-il de la situation économique, notamment en matière d'emploi et d'investissements étrangers ?
Quelles attentes formez vous concernant le dialogue entre Belgrade et Pristina mené sous l'égide de l'Union européenne ? Ne craignez vous pas l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo et que faut-il penser de la résurgence de certaines aspirations à un rattachement du Kosovo à l'Albanie ?
Comment voyez-vous l'évolution de la présence internationale et le processus de rapprochement avec l'Union européenne ?
Enfin, concernant les graves allégations de trafic illicite d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes figurant dans le rapport de M. Marty, au nom du Conseil de l'Europe, les autorités kosovares sont-elles prêtes à apporter toute l'aide nécessaire à EULEX dans son enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant votre commission. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous présenter brièvement l'évolution de la situation politique au Kosovo.
Cela fait maintenant un peu plus de trois ans, le 17 février 2008, que le Kosovo a proclamé son indépendance. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au rôle très important joué par la France, tant en ce qui concerne la résolution des conflits dans l'ex-Yougoslavie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo, que son engagement au Kosovo, avant, pendant et après l'intervention de l'OTAN en juin 1999, aux côtés de ses alliés, pour mettre un terme aux exactions commises à l'encontre des populations civiles. La classe politique et la population du Kosovo gardent en mémoire le soutien apporté par la France et sont reconnaissantes, non seulement aux militaires français, mais plus généralement à l'ensemble des Français.
Au moment où l'on s'interroge sur la capacité des pays occidentaux à mettre un terme à des conflits, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Afrique, il me paraît important de rappeler que, grâce à l'engagement de la France, des Etats-Unis et des autres pays de l'Union européenne, il a été possible de mettre un terme aux conflits meurtriers dans les Balkans occidentaux et aux exactions commises à l'encontre des populations civiles et d'entamer un travail de reconstruction d'un pays dévasté par la guerre. Je tiens à cet égard à saluer le travail effectué par le français Bernard Kouchner, qui a été, de 1999 à 2001, le premier représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, et qui a eu la lourde tâche de mener à bien la reconstruction du pays et l'organisation des premières élections libres au Kosovo.
Un important travail de reconstruction des institutions politiques, des hôpitaux, des écoles, des médias, a été mené au Kosovo depuis 1999, grâce à la mission intérimaire des Nations unies au Kosovo, puis avec la plus importante mission civile de l'Union européenne, Eulex, qui assiste les autorités kosovares dans les domaines de la justice, de la police et des douanes.
À la suite des élections législatives anticipées du 12 décembre 2010, un nouveau gouvernement a été formé, grâce à la coalition entre le parti démocratique du Kosovo (PDK) et l'Alliance pour le Nouveau Kosovo (AKR), sous la direction du Premier ministre M. Hashim Thaçi, avec notamment un nouveau ministre des affaires étrangères et la désignation d'un ministre chargé de l'intégration européenne.
Puis, à la suite de l'invalidation, le 28 mars dernier, par la Cour constitutionnelle de l'élection par l'assemblée de M. Behgjet Pacolli, une nouvelle présidente de la République a été élue le 7 avril 2011, Mme Atifete Jahjaga. En effet, l'élection de M. Behgjet Pacolli a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que le quorum des deux-tiers des députés présents n'avait pas été atteint au sein de l'assemblée, plusieurs députés ayant refusé de participer à cette élection et quitté l'hémicycle au moment du vote. L'élection de Mme Atifete Jahjaga a recueilli un large consensus au sein des partis politiques.
Le Kosovo dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'ambassades à travers le monde, principalement situées dans les pays de l'Union européenne.
Après une longue période d'isolement imposé, le Kosovo souhaite établir des liens politiques et économiques avec d'autres pays, et en particulier avec l'Union européenne.
Comme vous le savez, la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux a été affirmée depuis déjà plusieurs années par l'Union européenne et la Commission européenne publie chaque année, depuis trois ans, un rapport de suivi très détaillé sur le Kosovo.
Le dernier rapport de la Commission européenne souligne les progrès réalisés par le Kosovo dans de nombreux domaines, notamment en matière politique, économique ou de réforme de la législation, de l'administration publique, ou de la décentralisation, tout en critiquant l'absence de progrès sur certains points.
Je tiens à souligner que, tant les autorités, que la population du Kosovo, accueillent très favorablement les observations de la Commission européenne, qui ne sont pas considérées comme des critiques, mais sont appréhendées de manière constructive comme des encouragements utiles à procéder à des réformes et prises en compte avec la plus grande attention.
On peut d'ailleurs observer que le Kosovo est le pays des Balkans occidentaux où l'adhésion à l'Union européenne soulève le plus d'opinions favorables au sein de la population, avec 87 % d'opinions favorables.
Dans le même temps, l'adhésion à l'Union européenne n'est pas perçue comme un « remède miracle » aux difficultés économiques et ne suscite pas de faux espoirs au sein de la population. Le rapprochement avec l'Union européenne est considéré par la population comme le meilleur moyen de procéder à des réformes politiques, de manière à mettre en place des institutions démocratiques et stables et les conditions de l'Etat de droit.
Pour les pays des Balkans occidentaux, qui ont été marqué par des conflits meurtriers dans le passé, l'adhésion à l'Union européenne est également un facteur très important de réconciliation régionale et de règlement des différends entre les différents pays avec leurs voisins.
Depuis la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo a été reconnu par soixante-quinze Etats, dont vingt-deux pays de l'Union européenne, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que par la plupart des pays des Balkans occidentaux et par les Etats-Unis. Le Kosovo est aussi représenté au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Même en l'absence de reconnaissance de son indépendance, le Kosovo entretient de bonnes relations avec d'autres pays, comme la Grèce, et place beaucoup d'attentes dans le dialogue avec Belgrade.
La décision rendue le 22 juillet 2010 par la Cour internationale de justice sur la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo a été un évènement très important.
Cela d'autant plus que la Cour internationale de justice avait été saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie, qui contestait la légalité de cette indépendance.
Dans le cadre de cette procédure, qui a duré deux ans, pas moins de trente six pays ont participé à ce débat et la Cour internationale de justice a rendu un avis très circonstancié, de quarante pages, qui confirme très clairement la conformité au droit international, non seulement de la déclaration d'indépendance du Kosovo de février 2008, mais aussi de l'ensemble du processus ayant conduit à cette indépendance depuis 1999, qui s'est déroulé sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.
Cette décision souligne notamment le caractère spécifique, sui generis, de l'indépendance du Kosovo, à l'issue d'un long processus.
A cet égard, il me paraît important de rappeler que l'indépendance du Kosovo ne résulte pas d'une décision isolée et unilatérale, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre du processus de décomposition de l'ex-Yougoslavie, au même titre que l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine ou du Monténégro.
Nous espérons que cette décision, prise par la plus haute juridiction des Nations unies, sera un encouragement pour les Etats qui ne l'ont pas encore fait à reconnaître l'indépendance du Kosovo.
Je pense en particulier aux cinq pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance, ce qui soulève parfois des difficultés sur le terrain pour le travail de la mission Eulex de l'Union européenne.
Certes, la reconnaissance de l'indépendance d'un pays est une décision souveraine de chaque pays. Toutefois, ces cinq pays sont membres de l'Union européenne, il me semble qu'il s'agit là d'un aspect important de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.
Nous avons donc l'espoir que les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance le fassent prochainement, car cela permettrait d'améliorer le travail de la mission Eulex, mais aussi de favoriser le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne.
Peu après la décision de la Cour de justice, une résolution proposée conjointement par l'Union européenne et la Serbie a été adoptée le 9 septembre 2010 par l'assemblée générale des Nations unies par consensus. Cette résolution a pris acte du contenu de l'avis de la Cour internationale de justice et a lancé un dialogue entre le Kosovo et la Serbie.
Ce dialogue a débuté le 8 mars 2011 à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne. Deux réunions ont été organisées au mois de mars et les premiers thèmes abordés ont porté sur des questions techniques comme l'état-civil, le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications, etc. Ces discussions, qui ne sont pas des négociations sur le statut comme le souhaitait la Serbie, devraient permettre de régler un certain nombre de difficultés rencontrées par les citoyens dans leur vie quotidienne, concernant par exemple les documents d'état-civil ou les cadastres, dont une partie a été transférée à Belgrade.
Le Kosovo place beaucoup d'attentes dans ce dialogue et espère qu'il permettra de dépasser les querelles du passé, même s'il ne s'agit pas d'aborder la question du statut, qui est réglée par l'indépendance du Kosovo ou d'évoquer l'idée d'une modification des frontières, mais d'avoir une approche plus modeste, centrée sur les questions qui intéressent la vie quotidienne des citoyens.
Certaines déclarations de responsables politiques serbes, au plus haut niveau, ont toutefois soulevé des inquiétudes au Kosovo. Je pense en particulier aux déclarations du principal négociateur serbe sur une éventuelle partition du Nord du Kosovo ou encore à une récente déclaration du Président serbe, dans laquelle celui-ci évoque l'idée d'une négociation avec l'Albanie sur une modification des frontières entre le Kosovo et la Serbie en se référant au conflit historique entre Serbes et Albanais.
De telles déclarations, qui renvoient au passé, sont dangereuses car elles risquent de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région des Balkans occidentaux.
Lors de la décomposition de l'ex-Yougoslavie, la communauté internationale a veillé à ne pas modifier les frontières, telles qu'elles étaient définies dans la Constitution de 1974 de la Fédération yougoslave, et cela est valable pour le Kosovo, comme pour les autres Etats de l'ex-Yougoslavie, comme la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou le Monténégro.
Par ailleurs, l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo, évoquée par le Président de la République serbe, aurait des répercussions négatives sur toute la région des Balkans occidentaux, en particulier en Macédoine, où un tiers de la population est d'origine albanaise, au Monténégro, en Croatie ou en Bosnie-Herzégovine.
La région des Balkans occidentaux risquerait donc de se trouver à nouveau confrontée à des tensions, voire aux conflits meurtriers des années 1990.
Au lieu de chercher à revenir sur le passé et vouloir modifier le tracé des frontières, il me semble qu'il serait plus raisonnable d'oeuvrer à établir des bonnes relations entre la Serbie et le Kosovo et à renforcer la coopération régionale dans la région.
Nous espérons ainsi que, grâce au soutien de l'Union européenne et au dialogue avec Belgrade, la Serbie cessera de conditionner sa participation aux différentes instances de coopération régionale ou internationales à l'exclusion de la participation du Kosovo, ce qui n'est pas de nature à renforcer la coopération régionale, qui est une priorité de l'Union européenne.
Je demeure optimiste car de nombreuses voix en Serbie, comme celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, s'expriment en faveur de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et de l'établissement de bonnes relations entre nos deux pays. L'avenir du Kosovo comme de la Serbie se trouve, en effet, dans l'Union européenne.
M. André Vantomme. - Dans l'optique de notre prochain déplacement au Kosovo, avec notre collègue Jean Faure, je souhaiterais, Monsieur l'Ambassadeur, vous poser trois questions.
Tout d'abord, je souhaiterais revenir sur la crise politique qu'a traversé le Kosovo depuis la fin de l'année dernière, qui a été provoquée par l'éclatement de la coalition au pouvoir entre le parti LDK fondé par M. Ibrahim Rugova et le parti PDK du Premier ministre M. Hashim Thaçi, et qui a été notamment marquée par l'invalidation de l'élection présidentielle de M. Pacolli. Pensez-vous qu'avec l'élection d'une nouvelle présidente, en la personne de Mme Jahjaga, jeune femme âgée de 36 ans et ancien général de police, votre pays soit sorti définitivement de cette crise politique ? Si cette élection est susceptible d'améliorer l'image du Kosovo sur la scène internationale, ne craignez vous pas que l'« inexpérience politique » de la nouvelle présidente, qui n'est affiliée à aucun parti et qui est issue de la société civile, soit un facteur de fragilité ?
Ma deuxième question porte sur la place des minorités, en particulier de la minorité serbe et les relations avec la Serbie. Quels ont été les progrès réalisés ces dernières années pour favoriser une meilleure intégration des minorités et pour améliorer les relations avec les minorités serbes au Sud et au Nord du Kosovo ?
Quelles sont vos attentes, ou vos craintes, à l'égard du dialogue avec la Serbie, mené sous l'égide de l'Union européenne ?
Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment sur la présence internationale et le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne. Quel est votre sentiment concernant l'évolution de la présence militaire internationale ? En particulier, n'avez-vous pas des craintes concernant la diminution des effectifs de la KFOR, qui devrait voir ses effectifs diminuer de 10 000 à 5 000 militaires ? Quel est également votre sentiment concernant la mission EULEX de l'Union européenne ? Enfin, comment voyez-vous le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne dans les prochaines années ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Le Kosovo a connu une vie politique agitée ces derniers mois, avec l'invalidation successive de deux élections présidentielles par la Cour constitutionnelle. La première élection a été invalidée car le président élu avait conservé son poste de président d'une formation politique, tandis que la seconde élection a été invalidée faute de quorum. Dans les deux cas, cela montre que les institutions de notre jeune Etat fonctionnent, puisque dès l'annonce des décisions de la cour constitutionnelle, les deux présidents élus ont immédiatement démissionné de leurs fonctions et que la transition s'est déroulée sans violence. Cela ne se passe pas toujours ainsi dans les autres pays.
La nouvelle Présidente de la République, Mme Atifete Jahjaga, n'a certes pas une grande expérience de la vie politique, mais elle a, en revanche, des compétences reconnues en matière juridique, administrative et de police, ce qui peut d'ailleurs présenter un grand intérêt aux yeux de l'Union européenne, qui attache une grande importance à ces questions comme le montre la mission Eulex. Son indépendance à l'égard des partis peut constituer un atout, de même que sa jeunesse et le fait qu'elle soit une femme. Nous sommes d'ailleurs très fiers de compter de nombreuses femmes dans la vie politique, tant au sein de l'exécutif, avec la Présidente de la République, mais aussi avec différents ministres, dont le ministre de l'intégration européenne, qu'au sein de l'assemblée, où les femmes représentent un tiers des sièges.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Comment s'articulent les pouvoirs respectifs du Président de la République et du Premier ministre ? N'est ce pas le premier ministre qui dirige le pouvoir exécutif ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Effectivement, c'est le Premier ministre qui dirige le gouvernement mais le Président de la République a un rôle important à jouer, en particulier en matière de politique étrangère.
En ce qui concerne la place des minorités, notamment de la minorité serbe, la situation s'est beaucoup améliorée ces dernières années.
La situation sécuritaire est stable et les derniers incidents remontent à mars 2004.
La minorité serbe du Kosovo avait été soumise, avant l'indépendance, à une forte pression de la part des autorités de Belgrade qui l'incitaient à ne pas reconnaître les autorités du Kosovo et à ne pas établir de relations avec elles ni avec les représentants de la communauté internationale.
De ce point de vue, l'indépendance du Kosovo a apporté une clarification et on constate désormais une plus grande participation de la minorité serbe, notamment en ce qui concerne la vie politique du Kosovo.
Ainsi, au gouvernement, on trouve un vice-premier ministre et trois ministres serbes, et, à l'assemblée, un certain nombre de sièges sont réservés aux représentants de la minorité serbe, même si tous n'ont pas été pourvus lors des dernières élections législatives.
De même, dans le cadre de la décentralisation, des maires serbes ont été élus par les quatre communes à majorité serbe.
Je rappelle également que le serbe est l'une des deux langues officielles du Kosovo, avec l'albanais, et que tous les documents administratifs, comme les documents d'identité, sont traduits dans les deux langues.
Le Kosovo, comme l'Union européenne, attache une grande importance à la lutte contre les discriminations et à la protection des minorités. Cela remonte à son histoire.
Le Kosovo a ainsi renoué avec une longue tradition de multilinguisme, interrompue par la politique de Milosevic, avec par exemple des émissions télévisées en albanais, en serbe, en rom et en turc.
En temps que professeur d'université de philosophie et directeur de revue, j'ai moi-même pratiqué le multilinguisme à l'université.
Le Kosovo a aussi renoué avec une longue pratique de « discrimination positive », visant à encourager la présence des représentants des minorités à des postes de responsabilités.
L'avenir de la minorité serbe vivant au Kosovo est dans ce pays tout en ayant de bonnes relations avec la Serbie.
Pour tous les habitants du Kosovo, serbes ou albanais, ce qui importe ce n'est pas le passé mais le rapprochement avec l'Union européenne. L'Europe est d'ailleurs déjà présente au Kosovo, avec Eulex et l'euro, puisque le Kosovo est le seul pays des Balkans occidentaux qui a recours à la monnaie unique.
Il est d'ailleurs frappant de constater que, malgré un taux de chômage de 40 %, notamment chez les jeunes, le Kosovo ne connaît pas de troubles sociaux.
Notre pays se situe clairement dans la perspective d'un rapprochement avec l'Union européenne, ce qui explique notre volonté d'avoir des relations étroites avec les grands pays, comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, les institutions européennes, et tous les autres pays membres de l'Union européenne, y compris les cinq pays membres qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me félicite que vous ayez porté à la présidence de la République une jeune femme de 36 ans et de la place des femmes au gouvernement et au parlement, sur laquelle nous avons encore beaucoup de progrès à faire.
Je souhaiterais vous poser trois questions précises.
Quelles sont les mesures prises en matière d'emploi pour lutter contre le chômage et attirer les investisseurs étrangers ?
Est-ce que l'on trouve encore des mines antipersonnel ou bien le travail de déminage est-il achevé ?
Enfin, quel est le rôle joué par la diaspora ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - En matière économique, le Kosovo, qui était un pays peu développé et qui a subi d'importantes destructions au cours du conflit, a connu une évolution plutôt positive depuis 1999, notamment grâce au soutien de l'Union européenne. La priorité des autorités reste le développement des infrastructures, comme les routes, et plusieurs grands chantiers ont été lancés depuis l'indépendance.
Le Kosovo dispose aussi de richesses minières, notamment en matière de bauxite, lignite, en nickel ou en plomb, et d'un potentiel hydro-électrique, que les autorités souhaitent mieux exploiter.
Enfin, le gouvernement souhaite désormais investir dans l'agriculture, car le Kosovo dispose de terres agricoles de bonne qualité, ainsi que dans le secteur du tourisme.
Le gouvernement a d'ores et déjà procéder à plusieurs privatisations, comme par exemple l'aéroport de Pristina, qui est cogéré par une entreprise française et une entreprise turque, et il devrait procéder prochainement à la privatisation de certaines entreprises, comme la Compagnie des télécommunications (PTK).
Nous souhaiterions attirer davantage d'investisseurs étrangers, notamment des entreprises françaises, dont des petites et moyennes entreprises, et notre ambassade compte d'ailleurs organiser cette année, en partenariat avec UbiFrance, une rencontre à ce sujet, sur le modèle de la réunion que nous avions organisé l'an dernier avec le Medef international.
A cet égard, je voudrais rappeler que le Kosovo est le seul pays de la région à utiliser l'euro.
Notre pays dispose également de nombreux atouts, comme une grande stabilité politique, économique et sociale, un cadre législatif de nature à attirer les investisseurs étrangers, et une fiscalité dont l'attractivité sera encore renforcée.
Concernant la présence de mines, si certaines zones sont encore concernées, le travail de déminage se poursuit en coopération entre la KFOR et l'armée kosovare. Aucune victime n'est toutefois à déplorer car les zones concernées sont bien délimitées.
Enfin, la diaspora occupe une place importante, puisque si l'on compte moins de 10 000 de nos ressortissants en France, les personnes originaires du Kosovo sont au nombre de 250 000 en Suisse et de 200 000 en Allemagne.
La diaspora joue un rôle important, notamment en matière économique. Pendant la période de répression, puis pendant le conflit, c'est grâce à la diaspora que la population d'origine albanaise a pu survivre, puis la diaspora a joué et continue de jouer un rôle important dans la reconstruction du pays et pour faire face aux difficultés économiques.
M. Christian Cambon . - J'ai deux questions à vous poser.
La première concerne vos relations avec la Russie. En février 2008, je me souviens que Vladimir Poutine avait déclaré que les occidentaux payeront cher la reconnaissance du Kosovo. Avez-vous constaté une évolution de la position russe et une amélioration des relations avec la Russie ?
Ma deuxième question porte sur la viabilité économique des petits pays, comme le Kosovo. Compte tenu de l'enclavement, de la faible superficie et du nombre limité de la population du Kosovo, dans un contexte économique marqué par un important taux de chômage et une grande dépendance vis-à-vis de l'aide extérieure, quelles sont les perspectives économiques de votre pays et comment espérez-vous attirer les investisseurs étrangers ? Comme on peut le constater avec la Grèce ou le Portugal, même l'appartenance à l'Union européenne ne met pas les « petits » pays à l'abri de graves crises économiques.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Vladimir Poutine nous a habitués à des déclarations empreintes d'une certaine brutalité. De ce point de vue, le Président Dimitri Medvedev tient un discours plus modéré dans ses propos.
La Russie s'est opposée à l'indépendance du Kosovo à un moment donné. Jusqu'en 2006, la Russie coopérait étroitement avec les pays occidentaux dans la région des Balkans occidentaux, y compris concernant le Kosovo.
Toutefois, on ne peut comprendre la réaction de la Russie sans prendre en compte la situation géopolitique, et notamment les tensions avec l'occident en raison du système américain de défense anti-missiles ou de l'élargissement de l'OTAN.
En 2008, la Russie a donc dénoncé l'indépendance du Kosovo, en utilisant cette carte comme un pion sur l'échiquier géopolitique vis-à-vis de l'occident, alors que la Russie n'a aucun intérêt stratégique au Kosovo.
Aujourd'hui, on ne constate plus la même attitude de la Russie, dès lors que la Serbie a affirmé sa volonté de se rapprocher de l'Union européenne et de dialoguer avec le Kosovo. Par ailleurs, le rapprochement avec les Etats-Unis a aussi joué un rôle.
De plus, avec la décision de la Cour internationale de justice, il est plus difficile aujourd'hui pour Moscou de dénoncer l'indépendance du Kosovo comme contraire au droit international, puisque la plus haute instance judiciaire des Nations unies a affirmé l'inverse.
S'agissant de la question de la viabilité économique des « petits » pays, permettez moi de rappeler que l'Union européenne compte de nombreux « petits » pays comme Malte ou le Luxembourg.
Dans la région des Balkans occidentaux, le Kosovo n'est pas un cas isolé, car on trouve d'autres « petits » pays, comme la Slovénie ou le Monténégro par exemple.
La principale motivation de l'indépendance du Kosovo ne fut pas de nature économique, mais politique, puisqu'il s'agissait de défendre notre liberté.
Par ailleurs, notre pays dispose de nombreux atouts et d'un riche potentiel en matière économique.
C'est précisément pour remédier aux inconvénients d'être un « petit pays », que nous sommes désireux de rejoindre la « maison commune » européenne.
Pour autant, notre principale motivation à rejoindre l'Union européenne, n'est pas de nature économique, mais politique.
Nous n'attendons pas une « aide » de l'Union européenne, un soutien financier, mais nous souhaitons établir une relation qui soit mutuellement profitable.
Mme Gisèle Gautier - Alors que l'OTAN et l'Union européenne envisagent une réduction de leur présence, avec notamment une diminution de leurs effectifs, ne craignez vous pas une reprise des tensions ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - L'OTAN et l'Union européenne sont amenées à réduire progressivement leur présence militaire compte tenu de la stabilité du Kosovo et de la région. Elles transfèrent progressivement leurs responsabilités à la police et aux Forces de Sécurité du Kosovo (FSK). Il existe d'ailleurs une coopération avec l'OTAN pour créer une force de protection des frontières, ce qui soulève parfois des difficultés avec les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance. Par ailleurs, le gouvernement a proposé à la France de placer sous commandement français une unité d'élite des Forces de Sécurité du Kosovo sur un théâtre d'opération de caractère humanitaire.
Notre seule inquiétude porte sur le discours des autorités de Serbie sur l'idée d'une modification des frontières et d'une partition du Nord du Kosovo, car cette idée est susceptible de soulever des tensions au Kosovo mais aussi dans toute la région des Balkans occidentaux, comme en Macédoine par exemple.
Même si les populations sont lassées des conflits passés et regardent vers l'avenir, l'Union européenne devrait se montrer ferme et réaffirmer sa position concernant la non-modification des frontières dans la région.
M. Jean-Louis Carrère . - Quelle est la place de la religion au Kosovo ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France . - Il n'existe pas de religion d'Etat au Kosovo mais une séparation claire entre l'Etat et la religion. Cela remonte à une longue tradition historique, puisque l'on trouve, parmi les Albanais, aussi bien des musulmans que des catholiques ou des orthodoxes, même si l'Islam est la religion la plus répandue. Après la chute de l'Empire ottoman, la nation albanaise ne s'est pas identifiée à une religion, mais l'accent a surtout été mis sur la langue. Nous n'avons connu aucune guerre de religion. Les trois religions ont toujours coexisté en bonne intelligence et l'on trouve des représentants des trois religions parmi les grandes figures politiques du pays, à l'image du fondateur de l'église orthodoxe, Fan Noli, ou des auteurs catholiques des premiers textes en albanais. Aujourd'hui encore, la présence d'une cathédrale en plein centre de Pristina témoigne de la coexistence harmonieuse des trois religions, même si la majorité de la population du Kosovo est de confession musulmane.
M. Didier Boulaud, vice-président . - Quelle est la position des autorités du Kosovo à l'égard des graves allégations du rapport de M. Dick Marty sur le trafic d'organes commis à l'encontre de prisonniers serbes ? Les autorités du Kosovo sont-elles prêtes à coopérer avec la mission Eulex dans leur enquête ?
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Je n'avais pas oublié votre question et j'allais justement y venir.
Tout de suite après la publication du rapport de M. Marty, les autorités kosovares se sont dites prêtes à coopérer avec Eulex. Ce qui pose problème dans le rapport de M. Dick Marty, c'est tout d'abord son approche politique, puisqu'il part du postulat que tous les événements et les faits au Kosovo auraient été considérés par les instances internationales dans une optique rigoureusement manichéenne, avec d'un côté les Serbes, nécessairement méchants, et de l'autre, les Kosovars albanais, inévitablement innocents, dévalorisant ainsi le travail énorme des instances internationales au Kosovo.
Un autre postulat est que le Kosovo présenterait un caractère mafieux, régi par les clans et l'omerta.
Par ailleurs, M. Dick Marty porte, dans son rapport, des jugements très généraux. Ainsi, il évoque les crimes commis, non pas par des membres de l'UCK, mais par l'UCK dans son ensemble. Il présente l'UCK, la société kosovare et l'Etat du Kosovo comme des structures fondamentalement mafieuses.
Les positions de M. Dick Marty ne peuvent se comprendre sans prendre en compte le fait qu'il s'était violemment opposé à l'intervention de l'OTAN au Kosovo en 1999 et à l'indépendance du Kosovo en 2008. Ainsi, son rapport apporte une sorte de justification a posteriori à ses prises de position antérieures.
Concernant la principale accusation, qui concerne un trafic d'organes qui aurait été commis par l'UCK à l'encontre de prisonniers serbes, M. Dick Marty n'apporte aucune preuve de ses graves allégations et son rapport ne repose que sur des suppositions, une rumeur.
Dans un entretien pour le quotidien « Svedok » de Belgrade, le 31 décembre 2010, un spécialiste serbe de la transplantation d'organes de l'Académie militaire de Belgrade (VMA), le professeur Goran Kronja, a mis fortement en doute cette supposition, en mettant en avant les conditions techniques et professionnelles, et le caractère extrêmement compliqué du prélèvement d'organes et de la transplantation. On voit mal une telle opération se dérouler dans une maison isolée dans la montagne, comme le laisse entendre M. Dick Marty dans son rapport.
D'autres experts, comme M. Alexeï Douma, directeur d'un Institut de Médecine de Skopje, ont également confirmé ce point de vue.
D'ailleurs, lorsqu'il a été interrogé par les membres de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, M. Dick Marty n'a pu apporter de réponses précises à leurs questions.
Enfin, ce qui est peut être le plus grave, en mettant en avant un crime supposé, qui aurait concerné une dizaine de cas, d'une telle gravité, qui frappe l'imagination, mais qui n'est fondé sur aucune preuve, et tout en affirmant vouloir s'intéresser à toutes les victimes, sans égards à leur importance ethnique, M. Dick Marty occulte la question de l'impunité des auteurs de crimes commis à l'encontre de plus de 10 000 civils kosovars, dont deux-tiers d'Albanais.
Plutôt que de réduire l'enquête sur un cas particulier, un crime supposé, n'aurait-il pas été plus légitime de faire également une enquête sur les disparus albanais, dont certains corps ont été transportés et enterrés en Serbie ?
Les autorités du Kosovo sont donc disposées à coopérer pleinement avec la mission Eulex de l'Union européenne dans leur enquête sur les allégations de M. Dick Marty, mais nous ne voulons pas que cette affaire empêche le travail qui reste à faire concernant les 10 000 civils kosovars disparus, qui eux sont avérés, notamment en ce qui concerne l'exhumation des corps enterrés en Serbie, car les familles attendent la restitution de ces corps.
Mme Gisèle Gautier. - En tant que vice-présidente de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je pense qu'il était important de vous entendre car les membres de l'assemblée du Conseil de l'Europe avaient été assez mal informés de cette affaire et soumis à de fortes pressions politiques de toute sorte.
M. Didier Boulaud, vice-président. - Au sein de la commission des Affaires européennes du Sénat, nous avions évoqué ce sujet, à la suite d'une communication de notre collègue Jean-Claude Frécon, en présence de notre ambassadeur au Kosovo.
S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France. - Pour conclure, permettez-moi à nouveau de remercier les responsables politiques et le peuple français pour leur engagement et leur soutien en faveur de notre pays.
AUDITIONS PRÉPARATOIRES
Mercredi 4 mai 2011
Audition de Son Exc. M. Muhamedin KULLASHI , Ambassadeur du Kosovo en France, devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat
Mardi 10 mai 2011
Entretien avec M. Philippe LEFORT , Directeur de l'Europe continentale au ministère des Affaires étrangères et européennes
Mercredi 11 mai 2011
Présentation de la KFOR et du contingent français par le centre de commandement et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées
Présentation du dispositif de la gendarmerie nationale au Kosovo par le colonel ANTEBLIAN et le Lieutenant colonel SANTARELLI , de la direction générale de la gendarmerie nationale
PROGRAMME DE LA MISSION
Jeudi 2 juin 2011
15 h Arrivée à l'aéroport de Pristina et accueil par Son Exc. M. Jean-François FITOU, Ambassadeur de France au Kosovo, et par M. Philippe DUPONT, 1 er Conseiller
16 h 30 Entretien avec M. Léonid von KEYSERLINGKJ, Conseiller politique du COMKFOR
20 h Dîner avec Son Exc. M. Jean-François FITOU, Ambassadeur de France au Kosovo
Vendredi 3 juin 2011
8 h 30 Entretien avec M. Hajredin KUCI, Vice Premier Ministre, Ministre de la Justice du Kosovo
9 h Entretien avec M. Bajram REXHEPI, Ministre de l'Intérieur du Kosovo
11 h 00 Entretien avec le colonel Philippe ESPIE, commandant de la gendarmerie nationale au Kosovo, le capitaine Romain LAUER, officier de liaison de la gendarmerie auprès d'EULEX, et le lieutenant-colonel Valerio LIBERATORI, commandant des Carabiniers italiens
11 h 30 Entretien avec les officiers et sous-officiers de gendarmerie nationale, présentation des véhicules et visite des logements des gendarmes français au camp Maréchal Delattre de Tassigny, Novo Selo
15 h Entretien avec Mme Kate FEARON, responsable du bureau civil international (ICO) à Mitrovica Nord et avec des membres des « Municipal Preparation Team » (MPT)
16 h 30 Visite du Tribunal de Mitrovica Nord et entretien avec Mlle Caroline Charpentier, juge française en matière pénale au tribunal de Mitrovica
19 h Dîner avec le général Xavier BOUT de MARNHAC, Chef de la mission EULEX au Kosovo
Samedi 4 juin 2011
9 h 30 Visite du monastère de Budisavci
10 h 30 Visite du monastère Lu Stadevica de Hvosno
14 h Visite du patriarcat et du monastère de Pec
16 h Visite du monastère de Decani
Dimanche 5 juin 2011
9 h 30 Visite de la ville serbe de Strepce et de la station de ski de Brezovica
14 h Visite de la ville de Prizren et de la forteresse
16 h Visite des Saint Archanges, de Saint Georges et de La mère de Dieu de Ljevisa de Prizren
17 h Visite du monastère de Zociste et des petits monastères de Velika Hoca
Lundi 6 juin 2011
9 h 30 Entretien avec M. Christopher ROWAN, adjoint au Représentant civil international
11 h 00 Entretien avec M. Khaldoun SINNO, Chargé d'affaires auprès du Bureau de liaison de la Commission européenne
15 h Entretien avec M. Igor ARITONOVIC, maire-adjoint de Gracanica (enclave serbe)
16 h Visite du Monastère de Gracanica
16 h 30 Entretien avec Mme Rada TRAJKOVIC, Députée et Directrice du dispensaire de Gracanica
19 h Dîner avec Son Exc. M. Jean-François FITOU, Ambassadeur de France au Kosovo, et M. Bernard RABATEL, Avocat général, Chef-adjoint du pilier Justice de la mission EULEX
Mardi 7 juin 2011
9 h 45 Accueil par le colonel Georges MICHEL, commandant du contingent français de la KFOR et le colonel Régis LABOUREAU, Représentant de la France auprès du COMKFOR
10 h Visite du Champ des Merles, du monument en mémoire des héros serbes à Gazimestan et du tombeau du Sultan Murad
11 h 15 Présentation de la KFOR et de la mission Trident et entretien avec les officiers du contingent français de la KFOR au camp de Novo Selo
14 h Visite de Mitrovica Nord et présentation de la situation de la ville (pont d'Austerlitz, tribunal, etc.)
16 h Visite de la section d'infanterie du contingent français de la KFOR chargée de la protection du monastère de Devic et visite du monastère
19 h 30 Dîner avec Mme Venera HAJRULLAHU, Conseillère politique à la Présidence de la République du Kosovo et Son Exc. M. Jean-François FITOU, Ambassadeur de France.
Mercredi 8 juin 2011
9 h Entretien avec Mme Edita TAHIRI, Vice-Premier Ministre, en charge du dialogue avec la Serbie
LES DIVISIONS DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
CARTES
* 1 Rapport d'information n° 174 (2008-2009), « Kosovo : Quelle présence internationale après l'indépendance », présenté par MM. Didier Boulaud et André Trillard, au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, du 20 janvier 2009.
* 2 « Albanie et Macédoine : deux pays des Balkans à ne pas oublier » - Rapport d'information n° 287 (2005-2006). « La Bosnie-Herzégovine : dix ans après Dayton, un nouveau chantier de l'Union européenne » - Rapport d'information n° 367 (2004-2005). Rapport n° 119 (2010-2011) sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et la Bosnie-Herzégovine, présenté par M. Didier Boulaud
* 3 Rapport n° 608 (2010-2011) sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et la Serbie, présenté par M. René Beaumont
* 4 Rapport d'information n° 610 (2010-2011) sur l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, présenté par MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud
* 5 Voir carte en annexe.
* 6 Tous les Etats membres de l'Union européenne à l'exception de Chypre, de l'Espagne, de la Grèce, de la Roumanie et de la Slovaquie.
* 7 On pourra utilement se reporter à la présentation de la situation politique figurant dans le compte-rendu du déplacement effectué par une délégation du groupe interparlementaire France-Balkans occidentaux au Kosovo et en Macédoine, du 18 au 26 avril 2011, qui a été publié dans un document de travail du Sénat, sous le numéro GA 98 en juin 2011
* 8 Parmi ce groupe figurent 20 pays membres de l'Union européenne (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, République Tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède), deux pays candidats (Croatie, Turquie), la Norvège, la Suisse et les Etats-Unis.
* 9 Voir sur ce point le rapport précité de MM. Didier Boulaud et André Trillard de 2008
* 10 Voir le graphique en annexe au présent rapport
* 11 L'ensemble des Etats-membres de l'Union européenne, ainsi qu'un certain nombre d'autres pays, comme la Croatie, la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Canada et les Etats-Unis participent à cette mission européenne