3. La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité
Les travaux de la commission Mauroy inspirent la loi relative à la démocratie de proximité 83 ( * ) . Celle-ci se donne pour but de « replacer le citoyen au coeur d'une décentralisation plus légitime, plus efficace, plus solidaire ».
L'exigence de proximité traduit le souhait des Français de participer à la réflexion sur les décisions locales, à la définition du projet qui concerne leur quotidien.
Elle prouve l'attachement porté à la commune, « lieu privilégié d'apprentissage et d'exercice de la démocratie » .
Il faut donc une nouvelle étape de la décentralisation fondée sur la démocratie de proximité (qui favorise l'expression de la citoyenneté) et sur la démocratisation des mandats locaux (qui nécessite une amélioration des conditions d'exercice de ces mandats).
Lors de la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale, le 13 juin 2001, Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, cite les six priorités du Gouvernement :
• moderniser les institutions locales en
renforçant la coopération, en réformant certains modes de
scrutin ;
• clarifier les compétences des
collectivités locales ;
• moderniser les finances locales (qualifiées
d' «
obsolètes
»,
d' «
injustes
» : dotations peu
lisibles, péréquation insuffisante...) ;
• répondre aux attentes de la fonction
publique territoriale ;
• faire progresser la déconcentration
(inséparable d'une décentralisation réussie) ;
• approfondir la démocratie locale.
L'opposition à ce projet porta surtout sur les conseils de quartier qu'il rendait obligatoires et auxquels furent adressés quatre griefs principaux :
- l'idée de placer un adjoint à la tête du conseil de quartier amène, selon Guy Tessier « une catastrophe pour la démocratie 84 ( * ) », un risque de politisation ;
- il y a un risque d' « insécurité juridique au gré des majorités municipales » avec le renouvellement des conseils de quartiers tous les six ans ;
- pourquoi systématiser le conseil de quartier, alors qu'il peut exister des structures voisines (cf. les 266 comités d'intérêt de quartier qui existent à Marseille depuis 1944) ?
- le conseil de quartier obligatoire porte atteinte au principe de libre administration.
Pour Guy Tessier, le projet apparaît comme « un texte touffu », avec un objectif « dirigiste, formaté, dénoué d'ouverture prospective... un texte déplacé en cette année de centenaire de la vie des associations créées sous l'égide de la loi de 1901 » . Et de conclure : « la décentralisation modèle 1982 [est] désuète et désormais insuffisante » .
François Fillon juge sévèrement ce projet, qualifié « de circonstance [et] aussi étriqué que brouillon » . Il met en cause le divorce qui sépare « la France institutionnelle » de « la France du terrain », celle des « citoyens engagés, des créateurs de richesses, des collectivités territoriales » .
Selon lui, ce texte ne traduit pas les travaux de la commission Mauroy : « Il y a quelque chose d'étrange à légiférer sur la démocratie locale alors même qu'elle est plus vivante, plus riche que la démocratie nationale qui elle, en revanche, est marquée par la désillusion civique et un absentéisme électoral croissant. Le Gouvernement légifère sur ce qui va plutôt bien et esquive ce qui va plutôt mal ».
Le député de la Sarthe dénonce tour à tour la faiblesse endémique du Parlement, la distance accrue entre les pouvoirs européens et les citoyens, l'exigüité et l'essoufflement du dialogue social. Après avoir qualifié ce texte de « DMOS de la décentralisation », François Fillon dit son attachement à ces principes que sont la participation des habitants à la vie locale, le référendum local, la coopération intercommunale. Les conseils de quartiers ? « Nous n'y sommes pas hostiles... mais il y a dans [leur] généralisation systématique... une logique uniforme que nous n'apprécions pas... Cette institutionnalisation encadrée et figée de la démocratie locale est une réalité peu imaginative et, pour tout dire, fonctionnaire ».
Il craint de voir ces conseils de quartiers et les conseils de communautés concurrencer le conseil municipal 85 ( * ) .
Il estime que, dans sa partie « Démocratie », ce texte n'apporte rien car tout dépend du maire, de « sa volonté à promouvoir ou non le débat démocratique et contradictoire ».
Favorable au Titre II du projet de loi portant amélioration du statut de l'élu, il n'en évoque pas moins la nécessité de rester dans les limites financières acceptables : « le nombre d'élus a toujours fait reculer la mise en oeuvre d'un véritable statut des élus ».
Deux idées particulières méritent d'être relevées dans les propos de François Fillon : il répète son attachement au scrutin unique pour la région et le département. Selon lui une décentralisation clarifiée exige une rationalisation des pouvoirs qui doit reposer sur deux couples : communes-intercommunalités ; région-départements. Il préconise le mariage des régions et des départements au moyen de deux outils d'intégration : le mode d'élection et l'assiette de leur fiscalité 86 ( * ) .
Rejoignant l'unanimité, il constate la complexité de nos textes : depuis 1996, la partie législative du Code général des collectivités territoriales a été modifiée par 42 lois ayant un impact sur 390 articles 87 ( * ) .
Conclusion : « Le conseil juridique, comme l'interprétation des textes législatifs et réglementaires, constituent au regard de cette instabilité des normes juridiques et de la judiciarisation de notre société une mission de service public ».
François Fillon évoque alors la mise en place d'un centre d'information permettant aux élus d'être conseillés et de disposer d'une assistance juridique.
Attaché à un nouveau contrat politique de décentralisation, François Fillon l'imagine « couronné sans doute par un référendum » .
Avec pondération, Daniel Hoeffel, rapporteur au nom de la commission des Lois du Sénat, dit son attachement à quatre principes :
• la démocratie représentative prime
sur la démocratie participative. Reconnaissant le mouvement associatif,
ses constituants nécessaires à la vie, à la
vitalité des quartiers, des villes et des villages, partenaires
privilégiés des collectivités territoriales, ils animent
la démocratie participative complémentaire de la
démocratie représentative. Mais celle-ci doit avoir le dernier
mot, y compris dans la non-reconduction des
élus : «
Il est un temps de concertation et un
temps de décision. Cette dernière ne peut échoir qu'aux
élus régulièrement soumis au contrôle et au verdict
du corps électoral »
;
• il faut respecter la diversité des
situations, des expériences et des collectivités locales,
proscrire les impositions obligatoires. Daniel Hoeffel soulève une
contradiction : «
alors que l'État n'est plus en
mesure lui-même - et nous comprenons parfois les raisons qui l'y
amènent - de préserver la présence des services publics ou
ayant vocation à l'être - police, gendarmerie ou poste -
dans toutes les zones rurales et dans tous les quartiers
», le
Gouvernement doit se montrer modeste lorsque, par exemple, il impose
l'ouverture de maries annexes ;
• toute proposition concernant les conditions
d'exercice des mandats locaux susceptibles de rendre plus réelle
l'égalité des citoyens devant les fonctions électives est
la bienvenue
88
(
*
)
;
• le rôle de la commune dans l'édifice
institutionnel français doit être protégé.
L'élection des délégués intercommunaux au suffrage
universel direct fragilise l'identité de la
commune : «
L'intercommunalité à
fiscalité propre a pris son élan en France parce qu'elle a su
préserver l'identité de la commune et le climat de confiance
entre la commune et l'EPCI
».
Ce texte permet des avancées. Citons les droits à l'information, à la consultation des habitants qui sont consacrés dans le Code général des collectivités territoriales ; des comités consultatifs qui peuvent être sollicités sur tout problème communal (article L. 2143-2 du CGCT) ; des garanties législatives qui protègent les droits des élus des assemblées délibérantes, mais le secrétariat de la commission des Lois de l'Assemblée nationale observe que ces dispositions sont suivies de manière très inégale 89 ( * ) .
Les comités consultatifs se sont constitués de manière variable « alors que des quartiers défavorisés auraient gagné à être couverts par de telles structures » .
La limitation du nombre d'adjoints ne favorise pas la responsabilité, la présence, le suivi individualisé.
Une exigence croît : la territorialisation de l'action publique ; mais il faut constater le décalage existant entre la souplesse des moyens mis pour traiter des questions de proximité et l'attente des quartiers en matière de besoins, de services, de participation.
Sans remettre en cause le principe de libre administration, le projet de loi se donne pour objectif de promouvoir d'une manière plus volontariste la participation des habitants à la vie locale et de renforcer les droits des élus (notamment de l'opposition) au sein des assemblées locales 90 ( * ) .
Conseils de quartier, adjoints de quartier, mairies annexes, commissions de services publics locaux doivent favoriser ce mouvement 91 ( * ) .
Ce projet tend également à favoriser les droits de l'opposition dans les assemblées délibérantes en leur donnant un pouvoir accru de propositions et d'évaluation, en garantissant leur liberté d'expression.
Dispositions obligatoires (exemple : création de conseil de quartier) alternent avec des dispositions facultatives (exemple : création des adjoints de quartier).
Concernant les élus, ce texte accroît leur disponibilité (augmentation de leur crédit d'heures et de formation), améliore leur régime indemnitaire, étend leur régime de protection sociale, favorise la parité et sécurise la situation des élus à l'issue de leur mandat 92 ( * ) .
Au nom d'un dialogue local apaisé, Daniel Hoeffel et la commission des Lois du Sénat souhaitent supprimer certaines propositions telles que l'organisation obligatoire d'une séance annuelle réservée à l'opposition 93 ( * ) , les missions d'information et d'évaluation, la réservation d'un espace au profit de l'opposition dans les bulletins d'informations...
La commission mixte paritaire se réunit le 29 janvier 2002 et trouve un accord après douze heures de débat.
En voici le dispositif principal :
• les conseils de quartier sont institués dans
les communes de plus de 80 000 habitants. Leur composition est
arrêtée par le conseil municipal sur proposition du maire
94
(
*
)
;
• le nombre d'adjoints peut être
augmenté dans ces villes au-delà de 10 % de l'effectif
légal, dès lors qu'ils se consacrent aux quartiers ;
• des mairies annexes sont installées dans les
communes de plus de 100 000 habitants ;
• une commission consultative des services publics
locaux est instituée dans les régions, départements,
communes (de plus de 10 000 habitants)
95
(
*
)
, EPCI de plus de 50 000 habitants et syndicats
mixtes comptant une commune de plus de 10 000 habitants.
Présidée par l'exécutif, elle examine chaque année
des rapports d'activité, ainsi que sur les prix des services publics
(eau, traitement des ordures ménagères,...) ; elle est
consultée sur divers projets (délégations,...). Elle
réunit des élus, des habitants et des usagers ;
• des missions d'information et d'évaluation
peuvent être créées dans les communes de plus de
50 000 habitants
96
(
*
)
, dans les départements et
régions ;
• le bulletin d'information réserve un espace
d'expression pour les conseillers non majoritaires dans les communes de plus de
3 500 habitants, dans les départements et régions ;
• les derniers titres traitent des conditions
d'exercice des différents mandats, des aides économiques
apportées par les collectivités territoriales lors des transferts
de compétences
97
(
*
)
, du financement du service départemental
d'incendie et de secours, de la participation du public à
l'élaboration des grands projets.
S'il faut se réjouir de cette unité parlementaire, on ne peut qu'être surpris par l'intensité critique. Il est vrai que l'horizon électoral présidentiel s'approche.
Lors du 84 e Congrès de l'Association des maires qui se tient le 22 novembre 2001, Lionel Jospin, Premier ministre, plaide pour la politique menée par son Gouvernement :
- le contrat de croissance et de solidarité initié en 1999 et prolongé pour 2002 apporte un surplus de 6,7 milliards de francs par rapport au pacte de stabilité adopté en 1996 ;
- alors que les dépenses de l'État se sont accrues de 8 % de 1997 à 2001, la DGF a progressé du double, c'est-à-dire de 16 % pendant la même période ;
- l'autonomie fiscale est « étroitement liée à la liberté communale ». Si des impôts locaux ont été supprimés, si des assiettes ont été modifiées, c'était dans le but d'alléger, de simplifier la fiscalité, de soutenir l'économie. Ces manques à gagner pour les collectivités ont été compensés « en totalité ». Le rôle de l'État : « garantir, par ses dotations, un niveau suffisant de ressources ».
Le président du Sénat, Christian Poncelet, tient un tout autre discours devant ce même congrès, le 21 novembre :
- il estime que la législature qui va s'achever en 2002, à l'exception notable de l'intercommunalité - qu'il qualifie de révolutionnaire - constitue « un incontestable rendez-vous manqué pour la relance de la décentralisation ». ;
- « un système de financement à bout de souffle » entraîne le recul de l'autonomie des collectivités locales.
La relance qu'il appelle passe par la création d'une nouvelle collectivité territoriale à partir de l'intercommunalité et par la création d'une dizaine de grandes régions.
Le département ? « Je le dis très clairement, cet échelon incontestable doit rester le socle des politiques sociales et de la solidarité de proximité ».
Favorable à l'interdépartementalité, le président du Sénat plaide pour une décentralisation « à la carte et pour tous » , le principe de subsidiarité, la révision de la Constitution, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales (« dans le cadre de leurs compétences »), l'existence d'une fiscalité locale 98 ( * ) , le principe d'une loi-cadre de dévolution des compétences, la reconnaissance du droit à l'expérimentation et l'exercice des compétences à la carte.
Et de conclure son discours par ce voeu : « Que l'année 2002 soit celle du consensus territorial ».
* 83 Cf. projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Document n° 3089, Assemblée nationale, 29 mai 2001. Discours du Premier ministre Lionel Jospin à Lille, le 27 octobre 2001. Voir également le discours de Lionel Jospin lors du débat d'orientation générale du 17 janvier 2001 (Assemblée nationale).
* 84 Guy Tessier, député RPR, Débats Assemblée nationale, le 13 juin 2001, p. 4194. A la page suivante, Guy Tessier met en cause « une véritable recentralisation, rampante, avec la confiscation arbitraire des ressources autonomes des collectivités territoriales ».
* 85 François Fillon craint également que le conseil de quartier ne parcellise la ville et encourage les clivages, les égoïsmes de quartier : « La ville est un tout, c'est un espace de solidarité... Le tissu social que le maire a pour fonction, chaque jour, de conforter, dépasse les limites du quartier. Ne segmentons pas nos villes ».
Pour Gilles de Robien, « La démocratie de proximité, c'est "un pléonasme" : peut-il y avoir une démocratie qui ne soit pas de proximité ? Ce n'est qu'un effet d'annonce » (Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, 13 juin 2001, p. 4230).
* 86 Selon François Fillon, la modernisation de l'assiette fiscale découle de deux principes : l'autonomie fiscale « dont le sort financier ne peut rester dans les seules mains de l'État » ; la spécialisation fiscale qui va de pair avec la responsabilité démocratique.
* 87 Le projet de loi « Démocratie et Proximité » est le 43 e depuis 1982 concernant les fondements de l'organisation territoriale. Pour Jean Puech, « l'esprit des lois de décentralisation s'est dilué... L'État a confisqué la réforme de Gaston Defferre ». Il en appelle lui aussi à une clarification des lignes de partage entre la démocratie représentative et la démocratie participative, au partenariat, à l'harmonisation du statut des élus des différentes collectivités, à de nouveaux transferts de compétences. Pour assurer la décentralisation, Jean Puech veut la graver dans le marbre de la Constitution : « C'est le seul moyen de l'inscrire sur le long terme dans nos principes démocratiques ». Cf. Journal des débats du Sénat, 9 janvier 2002, p. 66.
* 88 Il n'empêche que la commission des Lois du Sénat estime que le projet fait des élus « une nouvelle catégorie de salariés protégés, pousse à une forme de professionnalisation de la fonction d'élu local » (Sénat, Journal des débats, 9 janvier 2002, p. 70). L'article de la loi 82-213 du 2 mars 1982 disposait que « des lois détermineront [...] le statut de l'élu ». Marcel Debarge, député, rendit un premier rapport sur ce sujet en 1982. Il s'ensuivit un premier projet de loi en septembre 1983 qui ne fut jamais inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Un second rapport Debarge paraît en 1988 et inspire la loi du 3 février 1992 qui retient quatre orientations : revalorisation des indemnités de fonction, généralisation du dispositif à toutes les catégories d'élus, rapprochement vers le régime commun de droit fiscal, écrêtement en cas de cumul.
* 89 Cf. étude d'impact sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Note de M. Gilles Tarel, Assemblée nationale, 24 octobre 2001. Selon une enquête de l'AMF auprès de 438 communes, 36 % avaient des conseils de quartier ou l'équivalent, 41 % n'en avaient pas. 26 % des communes interrogées acceptaient la création obligatoire, 50 % y étaient opposées Dans son avis de novembre 2001, l'AMF se déclare favorable aux projets intéressant les mandats locaux, le SDIS, les mairies de quartier, la Commission consultative des services publics, la Mission temporaire d'information, mais opposée aux « adjoints de quartier ».
* 90 Les auteurs du projet de loi veulent relever le défi d'une abstention croissante depuis 1977.
* 91 Depuis leur création en 1992, les commissions des services publics locaux n'ont pas rencontré un grand succès. Sur 2 673 communes de plus de 3 500 habitants, il n'existe que quelques centaines de commissions.
* 92 L'impact budgétaire de ces mesures est estimé à 1 milliard d'euros. Celui de la loi du 3 février 1992 l'a été à 8,8 milliards de francs.
* 93 Cette proposition ne fut pas retenue par la commission mixte paritaire, au contraire des autres énumérées.
* 94 Le projet gouvernemental fixait le seuil à 20 000 habitants. L'Assemblée nationale le porte à 50 000 habitants et supprime la présence obligatoire de conseils municipaux. La notion de quartier n'est pas nouvelle en droit (cf. les articles du CGCT : L. 2242-1, L. 2254-1, L. 2511-16).
* 95 Seuil initial prévu dans le projet : 3 500 habitants. Le Sénat le porte à 10 000.
* 96 Seuil initial prévu dans le projet : 20 000 habitants.
* 97 L'article 104 de la loi ouvre une expérimentation pour la gestion régionale des ports maritimes dans un délai d'un an.
* 98 « Prépondérance des ressources fiscales au sein des recettes de fonctionnement » dans chacune des trois catégories de collectivités locales.