3. A la recherche de dénominateurs communs
Ces dénominateurs communs, nous pouvons les trouver au niveau national. Il est certain, par exemple, que le « conseiller territorial », créé par la loi du 16 décembre 2010 a été la cause majeure d'une division parlementaire. Nul doute que, sans cette innovation, un large consensus aurait été trouvé au sein de la représentation nationale. Pour le démontrer, nous analyserons les rapports présentés, en amont de la réforme de 2010, par Édouard Balladur 309 ( * ) , d'une part, et par Yves Krattinger et Jacqueline Gourault 310 ( * ) , d'autre part ; nous conclurons par le relevé des convergences.
Ces dénominateurs communs, nous pouvons les trouver également auprès des acteurs territoriaux. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, nous nous sommes rendus dans 17 départements et avons rencontré près de 200 élus locaux et hauts fonctionnaires (territoriaux ou des services déconcentrés de l'État, en grande majorité des préfets) 311 ( * ) .
a) Analyse des rapports « Balladur » et « Krattinger-Gourault »
(1) Le rapport « Balladur »
Très symboliquement - et très justement - Édouard Balladur intitule son rapport « Il est temps de décider ». Après un long 312 ( * ) et fructueux travail d'auditions, le comité qu'il préside arrête ses propositions le 18 février 2009 et remet son rapport au Président de la République le 5 mars suivant.
En introduction, Édouard Balladur rend hommage aux collectivités territoriales pour le grand rôle qu'elles jouent dans le développement économique du pays, assuré qu'elles « pourraient en jouer un plus grand encore si elles étaient modernisées dans leurs structures, leurs compétences et leurs financements » .
Le comité reprend à son compte les critiques du Président de la République sur l'évolution de la dépense locale (qui irait à l'encontre de l'autonomie financière consacrée par la Constitution), sur l'enchevêtrement des compétences et le morcellement de notre administration territoriale qui tournerait le dos aux modes de vie de la population.
Voici les propositions unanimes de ce rapport :
- regroupements volontaires et modification des limites territoriales des régions pour en réduire le nombre à une quinzaine ;
- encouragement du regroupement volontaire des départements ;
- achèvement de la carte de l'intercommunalité d'ici à 2014 et rationalisation du paysage des syndicats ;
- suppression des « pays » au sens de la loi du 4 février 1995 pour l'avenir, maintien des pays existants ;
- élection des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre au suffrage universel direct, en même temps et sur une même liste que les conseillers municipaux ;
- création par la loi de dix métropoles à compter de 2014 dans un premier temps, possibilité d'en créer d'autres (débat sur Rouen, Rennes, Clermont-Ferrand, Toulon) ;
- création de « communes nouvelles » se substituant sur une base volontaire aux intercommunalités ;
- clarification des compétences des collectivités locales sur la base d'un tableau à définir ;
- instauration d'un objectif annuel de la dépense publique locale et débat parlementaire sur cet objectif ;
- révision des valeurs locatives foncières tous les 6 ans ;
- compensation de la suppression de la taxe professionnelle par un autre mode de taxation de l'activité économique des entreprises, fondé sur la valeur ajoutée et la taxation du foncier de l'entreprise ;
- limitation du cumul d'impôts locaux sur une même assiette d'imposition ;
- modification de certaines dispositions du mode de scrutin pour la désignation des membres de l'Assemblée de Corse ;
- instauration dans les régions et les départements d'Outre-mer d'une collectivité unique après consultations obligatoires ;
- avec la RGPP, prise en compte des conséquences des lois de décentralisation. À ce titre, suppression des services ou parties de services qui interviennent dans le champ des compétences des collectivités territoriales ;
- réduction d'un tiers des effectifs des exécutifs locaux.
Les propositions suivantes n'ont pas recueilli l'unanimité :
- désignation par une même élection des conseillers généraux et conseillers régionaux ;
- suppression des cantons et définition des circonscriptions infra-départementales pour l'élection simultanée des conseillers régionaux et départementaux au scrutin de liste ;
- confirmation de la clause de compétence générale au secteur communal et spécialisation des départements et régions.
Sur ces trois propositions, André Vallini et Pierre Mauroy ont émis un avis défavorable ; sur la proposition 18, prévoyant une collectivité locale à statut particulier pour le « Grand Paris », André Vallini et Pierre Mauroy se sont abstenus.
A la réception de ce rapport, le Président de la République jugea ses propositions « ambitieuses, novatrices, pas toutes faciles à mettre en oeuvre » , mais permettant à la France « une nouvelle fois de prendre un temps d'avance ». Sans surprise, il annonce aux membres du comité qu'il « demande au Premier ministre, en lien étroit avec le Parlement, de procéder d'ici l'été à l'élaboration d'un texte reprenant (leurs) propositions » 313 ( * ) .
(2) Le rapport « Krattinger-Gourault »
Coïncidence symbolique, « la Mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales » du Sénat sera installée le jour même de la mise en place du Comité Balladur 314 ( * ) .
De ses travaux sortira un pré-rapport, dit « rapport d'étape », publié le 11 mars 2009 ; le rapport définitif sort le 17 juin 2009 sous la signature de nos collègues Yves Krattinger et Jacqueline Gourault.
Pragmatique, adopté à l'unanimité, ne retenant pas le conseiller territorial 315 ( * ) , ce rapport comprend 87 propositions réparties en trois parties qui traitent successivement de la gouvernance territoriale, des compétences et des finances locales.
Résumé des propositions du rapport « Krattinger-Gourault » 1) Sur la gouvernance Création d'une nouvelle catégorie d'EPCI - les métropoles - dont les communes membres demeurent des collectivités. La loi peut ériger ces métropoles en collectivités territoriales de plein exercice. Elle fixe des critères d'accès au statut et de délimitation du périmètre arrêté par décret après consultation des conseils municipaux concernés. Les conseillers métropolitains sont désignés au suffrage universel direct par fléchage sur les listes des candidats aux élections municipales. Ces métropoles disposent d'un bloc minimal de compétences obligatoires (en référence à celles des communautés urbaines). Elles peuvent bénéficier de délégation de compétence de l'État, de la région, du département et des organismes de coopération. Un Conseil régional des exécutifs (composé du président de région, des présidents de conseils généraux, des présidents de communautés de plus de 50 000 habitants, d'un représentant de communautés de communes de moins de 50 000 habitants) se réunit trimestriellement. Il intervient, à titre consultatif, dans le champ des compétences des collectivités et établissements concernés. Il s'intéresse à l'organisation de chefs de filat, à la mise en place des guichets et d'instructions uniques. Une conférence départementale des exécutifs réunit le président du conseil général et les présidents des intercommunalités. Pour la région parisienne, le rapport préconise l'émergence d'une gouvernance métropolitaine démocratique, un plan de développement des transports, une mutualisation des moyens, un renforcement des mécanismes de solidarité. 2. Sur les compétences territoriales La Mission refuse d'annoncer la suppression de la clause de compétence générale (suppression qui lui paraît douteuse tant sur le plan technique que sur le plan juridique) 316 ( * ) . Attachée à la clarification, elle considère que le bloc communal incarne la proximité de l'action publique : la commune doit conserver une capacité d'initiative dans tous les domaines d'intérêt communal. Le département reste le garant des solidarités sociales et territoriales. La région a en charge les missions stratégiques et la préparation de l'avenir. Optant pour le renforcement des compétences obligatoires, favorable à la subsidiarité, à une approche négociée de la répartition des compétences, la Mission retient pour chaque collectivité une « compétence d'initiative » et la possibilité d'agir sur la base d'une procédure de « constat de carence ». La Mission propose : - le renforcement d'un du rôle de « chef de file » de la région en matière de développement économique, d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation ; - la création d'un portail unique régional en direction des entreprises, d'une agence de développement économique métropolitaine ; - l'élaboration d'un plan région-département, la régionalisation de la gestion des fonds européens ; - l'adoption de schémas régionaux spécifiques (numérique, médico-social, environnemental) ; - le maintien d'une ingénierie publique au profit des collectivités et de leurs établissements ; - le développement de l'inter-modalité, de la péréquation, de la mutualisation, de l'expérimentation ; - la généralisation du versement transport au bénéfice des autorités organisatrices régionales ; - le rappel à l'État de ses engagements et de sa mission en matière d'infrastructures d'intérêt national ; - l'élaboration d'une convention région-département-intercommunalités pour préciser les champs d'interventions ; - l'homogénéisation des compétences régionales en matière de formation. 3. Sur les finances La Mission rappelle son attachement au principe de l'autonomie fiscale, au lien fiscal entreprise-territoires, aux péréquations, à la révision des valeurs locatives et à leur actualisation. Hostile aux nouveaux dégrèvements et exonérations, la Mission plaide la cause d'un impôt économique local, calculé à partir d'une double assiette « foncière » (attribuée aux communes et intercommunalités) à « valeur ajoutée » (pouvant aller aux départements et aux régions). Estimant nécessaire le réexamen des nombreuses taxes locales, elle n'écarte pas l'attribution de parts d'impôts nationaux. La métropole, par décision des communes membres, peut disposer d'une fiscalité communautaire se substituant progressivement aux fiscalités communales. |
(3) Des similitudes
Si l'on compare la partie « unanime » du rapport d'Édouard Balladur au rapport d'Yves Krattinger et de Jacqueline Gourault, il existe de nombreux points de similitude. Certains relèvent de la loi, d'autres du règlement, si ce n'est du bon sens pratique.
Le rapport de la Mission sénatoriale peut paraître moins pressant en matière d'achèvement de la carte intercommunale : il n'en est rien. Son pré-rapport préconise que la carte de l'intercommunalité soit achevée à la fin de 2011 « sur une base incitative » . Il demande l'augmentation des compétences obligatoires des EPCI, la réduction du nombre des syndicats intercommunaux 317 ( * ) .
Ce même rapport est riche en matière de mutualisation, de relations contractuelles, de coopération, de délégation d'agences, de portail unique économique...
Une très large place y est accordée au conseil régional des exécutifs, au conseil départemental des exécutifs. Les praticiens de ceux-ci peuvent d'ailleurs être surpris de la place accordée à ces conseils dans le rapport sénatorial : elle révèle tout simplement les différences de comportements politiques qui peuvent exister dans nos régions et départements. Autant de sujets qui ne sont pas contraires à l'esprit du rapport Balladur.
Des deux côtés, le principe des métropoles est retenu 318 ( * ) , tout comme l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct par fléchage, la réduction de la taille des exécutifs communautaires, la double assiette d'un impôt économique (foncier et valeur ajoutée), la révision et la réévaluation des valeurs locatives, le lien fiscal entreprises-collectivités territoriales...
Au nombre des convergences : une absence, de part et d'autre. En effet, on peut être surpris qu'il n'y ait pas, en préambule de chacun de ces documents, une référence explicite et exhaustive aux principes constitutionnels qui gouvernent la vie de nos collectivités locales, à leurs rapports entre elles et l'État. Notre politique de décentralisation a une dimension constitutionnelle reconnue et enrichie par le Conseil constitutionnel.
Rappelons ces principes :
- le principe de décentralisation : l'alinéa 1 er de l'article premier de la Constitution fait de la France un pays décentralisé « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale... Son organisation est décentralisée 319 ( * ) » ;
- le principe de libre administration : article 34 : « La loi détermine les principes fondamentaux : de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources 320 ( * ) » ;
- le principe d'existence : l'article 72 énumère les collectivités territoriales de la République, à savoir les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'Outre-mer régies par l'article 74 ;
- le principe d'autonomie financière : l'article 72-2 prévoit que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi » ;
- le principe de non-tutelle : article 72 alinéa 5 : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre » ;
- le droit à l'expérimentation : introduit par l'alinéa 4 de l'article 72 : « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences » ;
- le principe de subsidiarité : énoncé à l'alinéa 2 de l'article 72 : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ». Le principe de subsidiarité se rapproche de la notion d'intérêt propre à la collectivité. Certains juristes considèrent cet alinéa 2 de l'article 72 comme la preuve constitutionnelle de la clause générale de compétence qui aurait pour première base juridique la loi du 4 avril 1884 (consacrée par une longue jurisprudence) 321 ( * ) ;
- droit au pouvoir réglementaire : article 72 alinéa 3 « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».
A quoi servent des principes, une révision de la Constitution si le législateur ne s'y réfère pas ?
(4) La contribution du Conseil économique, social et environnemental
Le rapport du Conseil économique, social et environnemental consacré à la réforme des collectivités locales, daté des 3 et 4 novembre 2009, reprend une expression classique 322 ( * ) :
- la réforme de 1982-1983 « a entraîné d'importantes transformations sur le territoire français et suscité une dynamique qui a responsabilisé les élus, émancipé les collectivités locales, rendu les décisions plus rapides, permis de réaliser des équipements plus nombreux. Elle a apporté un concours décisif au renforcement de la vie démocratique. La loi constitutionnelle de 2003 qui a assoupli l'organisation des collectivités locales, reconnu leur diversité, consacré leur autonomie financière, a conforté le mouvement engagé en 1982. Aujourd'hui, plus personne ne remet en cause la décentralisation » ;
- le fonctionnement de la décentralisation est contesté. Malgré la multiplication des textes, les objectifs de simplification, de proximité, d'adaptation aux réalités locales, de limitation de l'État ne sont toujours pas atteints. La cohérence d'ensemble a été amoindrie, il y a crise de la démocratie représentative. Des dysfonctionnements sont de plus en plus dénoncés : multiplicité des niveaux et des structures, dispersion des lieux de décisions, enchevêtrement des compétences, complexité et ralentissement du processus de décision, absence de chef de file, autonomie de plus en plus incertaine, manque de transparence, coût pour la collectivité... 323 ( * )
« L'existence du "millefeuille administratif", reprochée de façon récurrente à notre architecture territoriale, n'est pas propre à notre pays. Mais derrière cette apparente similitude, la France présente des disparités fondamentales avec ses voisins : un nombre très important de petites communes, des métropoles insuffisamment compétitives et des régions insuffisamment puissantes face à leurs homologues européennes, un manque de cohérence de l'ensemble ».
Pour toutes ces raisons, le Conseil économique, social et environnemental « se montre favorable à une réforme territoriale aboutissant à un système plus cohérent, plus compétitif, plus juste et plus lisible ». Il émet les conclusions et propositions suivantes :
- le redécoupage régional n'est pas un préalable à la réforme. Le souhaitable : des regroupements facultatifs, globaux ou autour de projets concertés ;
- le renforcement de la région doit s'opérer parallèlement au rapprochement département-intercommunalité (cf. rapport Mauroy). Le Conseil observe que plus de 60 % des budgets des départements sont consacrés à l'action sociale : « le retour à une stricte répartition par blocs serait aujourd'hui difficile, voire inefficace » 324 ( * ) ;
- utiliser les critères « compétences de gestion » (pour identifier le département) et « compétences stratégiques » (pour identifier la région.) ;
- retenir le principe de chef de file ;
- le Conseil est réservé quant à la suppression de la clause de compétence générale ainsi que sur le conseiller territorial 325 ( * ) ;
- très favorable au développement de l'intercommunalité, au principe des métropoles et à la coopération entre territoires partenaires, le Conseil privilégie toutes formes de contractualisation par rapport à l'obligation légale ;
- le Conseil fait de l'autonomie fiscale « une dimension essentielle du principe de libre administration des collectivités territoriales ». Il donne une définition de l'autonomie fiscale : « une part importante des ressources des collectivités dépend des décisions prises par les élus dont ils assument politiquement la responsabilité ». Il regrette que la loi constitutionnelle de 2003 n'ait pas prévu les moyens nécessaires à la réalisation de cette autonomie et que le Comité Balladur ne traite que très partiellement de la réforme des finances locales.
La réévaluation des bases doit servir la modernisation des taxes foncières 326 ( * ) . Quant à la taxe d'habitation, elle doit pouvoir reposer sur une assiette mixte (valeur locative et revenu du foyer). La simplification s'impose : il y a 51 principaux impôts locaux.
- Conserver un lien fiscal entre les entreprises et les territoires d'implantation ;
- le Conseil n'est pas opposé à l'idée d'un prélèvement additionnel sur l'impôt d'État. Les assemblées locales pourraient voter les taux (dans la limite d'un encadrement). Il demande la limitation des dégrèvements et des exonérations et la suppression de la « déliaison » croissante contribuable-citoyen ;
- attaché à une politique d'aménagement du territoire forte, le Conseil plaide pour un mode efficace de péréquation ;
- l'élu local, compétent, disponible, sécurisé, doit bénéficier d'un statut. Le problème c'est le coût du statut : il ne peut être réglé au niveau local. Le cumul, « exception française », réponse à la précarité du statut de l'élu, notamment sur le plan de la rémunération, doit être limité par la réglementation du régime indemnitaire 327 ( * ) .
Un impératif absolu : le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales Tout commande l'existence d'un dialogue constructif, confiant et solidaire, entre les collectivités territoriales et l'État. Nos collègues Didier Guillaume et Jacqueline Gourault ont présenté sur ce point à votre délégation un rapport d'une grande pertinence et suffisamment étoffé pour qu'il ne soit pas nécessaire, ici, de consacrer de longs développements à cette question essentielle 328 ( * ) . Pour que ce dialogue se fasse, il importe que la représentation de nos collectivités soit complétée, dans le respect bien évidemment des associations existantes et à venir. Il faut créer un lien durable, organisé, pour que ces associations se rencontrent dans la continuité afin de procéder à des mises en commun, à la production d'études, d'observations et de propositions susceptibles de nourrir un échange responsable avec l'État, le Gouvernement, le Parlement et d'autres entités. Des efforts de rapprochement, y compris avec l'État, sont à réaliser pour collecter des statistiques, les harmoniser, opérer des évaluations, des consolidations, des comparaisons. L'amélioration de la connaissance de la décentralisation conditionne l'amélioration de celle-ci, de la démocratie locale et du bon fonctionnement de notre État. L'émiettement associatif actuel est préjudiciable : il importe de le compenser. Voilà pourquoi nous proposons de mettre en oeuvre l'article 53 de la loi ATR du 6 février 1992 qui prévoyait la création d'un Institut des collectivités territoriales et des services publics locaux. Composé de représentants des associations des collectivités territoriales, de parlementaires, de membres des fonctions publiques, d'État et territoriale, d'experts, il avait pour fonction de mener « toute étude et recherche sur l'organisation, le financement et les compétences des collectivités territoriales et des services publics locaux ». D'autres propositions de ce genre ont été faites : Agence de la décentralisation, Haut Conseil des territoires... Nous ne devons avoir aucune religion déterminée sur l'appellation, l'organisation. Celle-ci doit être ouverte, elle n'a pas vocation à se substituer aux associations, au Parlement, au Gouvernement mais à les aider dans l'exercice de leur pouvoir décisionnel. Lors de son audition par votre Délégation le 31 mars 2011, le président de l'Association des maires de France exprimait un sentiment voisin lorsqu'il rappelait, qu'à l'occasion du Congrès des maires de France de novembre 2010, il avait appelé solennellement l'attention du Président de la République sur la nécessité impérative de réactiver, sur une base rénovée, la Conférence nationale des exécutifs. |
b) Synthèse de nos rencontres dans les départements
Dans le cadre de la préparation du présent rapport, nous nous sommes rendus dans 17 départements y rencontrant près de 200 personnes (élus, associations d'élus, agents de la fonction publique d'État et de la territoriale), auxquelles il convient d'ajouter plusieurs dizaines de personnes entendues au Sénat : représentants des associations d'élus, de fonctionnaires territoriaux, du Gouvernement (DGCL, DATAR,...) 329 ( * ) .
La synthèse de ces entretiens territoriaux peut se diviser en cinq parties :
1. La responsabilité des gestionnaires décentralisés
2. Leur rapport à l'État
3. L'autorité déconcentrée de l'État
4. L'intercommunalité
5. Les sujets particuliers.
Les critiques émises par nos interlocuteurs ne doivent absolument pas être interprétées comme relevant du négativisme. Attachés à leur mission, à une certaine conception de l'État, dévoués à l'intérêt général en prise directe avec la population, leurs auteurs se veulent constructifs. Tous, sans exception, portent sur la décentralisation un jugement positif, et même souvent très positif.
(1) La responsabilité des gestionnaires décentralisés
Les élus estiment qu'ils gèrent bien leurs collectivités et acceptent mal les critiques qui leur sont adressées concernant la croissance des dépenses décentralisées.
Au titre de leur défense, ils peuvent se faire accusateurs. À l'origine de cette croissance, ont ainsi été mentionnés les facteurs explicatifs suivants :
- les transferts de compétences. Bien souvent, les services et le patrimoine transférés se trouvaient en mauvais état. Il est incontestable que la région et les départements ont beaucoup investi dans les lycées et les collèges (constructions neuves, rénovation). La situation financière des personnels transférés a été améliorée. Idem pour le transport ;
- ces transferts ont exigé une adaptation des services gestionnaires. Ils ont imposé des recrutements ; ils ont exigé la mise en place d'une véritable politique de formation dont le coût (financier, mais aussi administratif dans la mesure où un service public doit bien « faire face » à l'absence d'un agent en formation) se révèle proportionnellement fort (voire trop) lourd pour les petites collectivités, comme l'ont souligné la plupart des organisations représentatives des personnels territoriaux ;
- indépendamment de la décentralisation les collectivités ont dû développer ou créer des services. Nous constatons ceci dans le secteur des services à la personne, le soutien aux associations d'environnement scolaire, l'alignement des services de la périphérie sur ceux de la ville centre, le développement des fonctions de conseil à la maîtrise d'ouvrage, la création d'agences déconcentrées départementales, les services d'animation, de sécurité... Le domaine de l'environnement appelle des compétences personnelles ;
- les dépenses de fonctionnement ne se retrouvent pas toujours dans le budget direct des collectivités ou de leurs établissements : nombre de départements ont choisi de subventionner les associations départementales des maires pour qu'elles recrutent des experts conseillant les communes ;
- l'État ne s'est pas toujours montré « fair-play » vis-à-vis des collectivités territoriales. Nombre d'exemples ont été donnés d'une attitude qui, on le comprend aisément, suscite parfois une certaine amertume chez les personnes qui en sont les victimes lorsqu'elles se retrouvent ensuite accusées de dépenses trop généreuses, voire inconsidérées : le calcul de la compensation du transfert des TOS sur la base du coût en « pied de corps », autrement dit d'un agent en début de carrière, alors que bien des personnels transférés avaient déjà plusieurs années d'ancienneté ; l'attente de l'effectivité d'un transfert de services aux collectivités territoriales pour décider, au niveau national, une augmentation de la rémunération des personnels (comme ce fut le cas, par exemple, pour les pompiers, à qui fut octroyée une augmentation au lendemain du transfert des SDIS aux départements) ; forte réduction par l'État de son effort pour l'entretien d'équipements (ports, routes...) dans les années précédant leur transfert aux collectivités territoriales, contraignant ensuite celles-ci, devenues propriétaires, à des dépenses longtemps différées et minimisant la compensation de l'État, calculée sur la base des dépenses effectuées lors de la période ayant précédé le transfert... ;
- les collectivités sont tenues de se substituer à l'État ou d'en devenir partenaire pour organiser des services d'État qui disparaissent (ex : l'instruction des permis de construire, la fermeture de gendarmerie) ou faire avancer des investissements lourds (ex : lignes TGV, universités, routes nationales). Les départements contestent la dette de l'État à leur égard concernant le financement des allocations de solidarité individuelles ;
- les collectivités locales contestent l'inflation des normes qui s'imposent à elles et qui sont financièrement très coûteuses.
Dans le souci d'éviter la polémique, il est nécessaire d'avoir une compréhension objective de la situation, de ne pas opposer « économie » et « collectivités territoriales », de reconnaître les efforts de gestion réalisés.
(2) Le rapport à l'État
Le rapport des élus à l'État ne souffre aucune ambiguïté : les élus demeurent très attachés à l'État, à son rôle et à sa présence.
La présence de l'État c'est d'abord celle du préfet, du sous-préfet. Ces deux personnes doivent demeurer en place un minimum de temps (deux ans) 330 ( * ) . La moyenne, selon le président de l'Association des membres du corps préfectoral, M. Daniel Canepa, est malheureusement légèrement supérieure à deux ans ce qui, en soit, est bien en-deçà du raisonnable ; de surcroît, plusieurs personnes rencontrées ont apporté leur témoignage sur des exemples - si l'on peut dire - de séjour de préfets inférieur à une année, voire de l'ordre de six mois. Lors de l'audition par votre délégation de M. Henri-Michel Comet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, notre collègue Éric Doligé a même fait état, pour son département du Loiret, de la succession de trois préfets au cours de la seule année 2010 !
Est-il besoin de démontrer qu'un tel rythme de rotation de ces fonctionnaires, interlocuteurs pourtant ô combien précieux des élus, ne favorise pas le travail en commun ?
Les élus déplorent également l'absence de visite ministérielle ou le déplacement « coup de vent », toute chose qui ne favorise pas le dialogue.
Très attachés au sous-préfet, les élus regrettent la centralisation opérée à la préfecture du département ou de la région, le préfet du département perdant une partie de ses prérogatives au profit du préfet de région. Facteur aggravant, plusieurs fois souligné, cette « régionalisation » de l'administration déconcentrée se traduit par une perte d'efficacité et de réactivité des préfectures de département, dont la capacité d'action peut être bridée par la nécessité d'attente de consignes de la part du préfet de région (qui dispose désormais d'un pouvoir d'instruction sur ces collègues du département pour la conduite des politiques publiques).
D'une manière générale, le diagnostic des élus coïncide parfaitement avec celui dressé par la Mission sénatoriale d'information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales, animée par nos collègues François Patriat, président, et Dominique de Legge, rapporteur 331 ( * ) : paradoxe d'une démarche tendant à renforcer la régionalisation de l'administration territoriale de l'État alors que, en ce qui concerne l'administration décentralisée, le curseur du couple région-département se déplace plutôt du premier vers le second ; le risque de remise en cause du rôle du préfet de département comme interlocuteur privilégié des élus, au titre de sa proximité, dans la conduite des politiques publiques...
Il existe donc une demande de proximité. En règle générale, les rapports personnels des élus avec les préfets et sous-préfets sont bons.
Dans cette demande de proximité figure bien évidemment le maintien des services publics.
Par ces observations précédentes, nous voyons que les élus rencontrés - toutes sensibilités confondues - mettent en cause un État qu'ils jugent généralement « distant », « incertain » et « affaibli ».
• Un État « distant »
Ce jugement s'appuie sur différentes considérations. Le rôle du préfet a changé : il ne porte plus sur de grands projets. Il a perdu de son autonomie. L'État « censeur » ne dialogue plus comme avant. L'unilatéralité engendre de l'amertume. La politique de la norme, du chiffre semble l'emporter.
Ce sentiment d'un État « censeur » est aggravé par l'altération de son rôle de conseil : entre la diminution des effectifs consacrés à cette mission et la réorganisation des préfectures, les élus et agents territoriaux en quête de conseil auprès de l'État ne savent souvent plus à quelle porte frapper, ni même s'il y en a une. L'équilibre d'hier, et globalement satisfaisant, entre contrôle et conseil est considéré comme rompu, la RGPP ayant en quelque sorte conduit le premier à « cannibaliser » le second (sans, circonstance aggravante, en avoir vraiment les moyens, du fait de l'affaiblissement de l'État : cf. ci-dessous).
Distance encore : avec la réforme des services déconcentrés il y a une perte des repères. Hier, le maire connaissait la « DDE », la « DDAS », le « DHF »... La dépersonnalisation éloigne.
Selon certains maires, les relations avec les agences seraient difficiles : ces agences seraient trop souvent enfermées dans un formalisme ultra-rigide : « les présidents défilent et les directeurs généraux deviennent indépendants ». Ces mêmes ont l'impression que les préfets ne sont pas à leur écoute. Ils les voient comme des « missi dominici » chargés de faire passer le message du Gouvernement.
La multiplication des structures déconcentrées conduit à des réunions à effectifs pléthoriques à l'intérieur desquelles la voix du maire, diluée dans le nombre, se retrouve à égalité avec celle du président d'association.
La distance se conjugue avec le sentiment de déconsidération, sentiment particulièrement vivant chez les élus des petites et moyennes communes.
Conclusion : l'État n'a pas, selon beaucoup d'élus et d'agents territoriaux, tiré les conséquences de la décentralisation. Il existerait une césure entre la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale (« Il faut que les gens se rencontrent », « L'État consulte mais ne négocie pas », « On est reçu mais pas consulté ») 332 ( * ) .
• Un État « incertain »
Ce sentiment est très lié à la période actuelle. Les élus ont l'impression de ne pas savoir de quoi demain sera fait.
Ils mettent en cause la réforme de la taxe professionnelle et « les clauses de revoyure », manifestation selon eux d'un État qui navigue à vue dans la conduite de la décentralisation. Soucieux de prévision, de programmation, d'engagement à l'égard de leurs concitoyens, des entreprises, ils ont pourtant besoin d'assurances que l'État ne leur donne plus.
Un exemple : le produit de la CVAE ne serait connu qu'au mois de juillet de l'année budgétaire.
Le « harcèlement textuel » alimente également cette incertitude : la vie a besoin de durée.
« L'État stratège » n'existe plus et, dans cette incertitude, il y a également le non-respect par l'État de ses compétences et de ses engagements. Des annonces présidentielles n'ont de réalité qu'avec des financements décentralisés (« Je ne vais plus sur vos compétences, venez sur les miennes »). Les immixtions médiatiques de l'État dans les « affaires locales » brouillent le bon ordre des responsabilités.
• Un État « affaibli »
La RGPP diminue la capacité d'intervention de l'État, tout spécialement dans l'un des domaines régaliens : celui du contrôle de la légalité.
Dans certains départements, nos interlocuteurs élus nous ont dit que la RGPP n'était pas comprise car mal expliquée : il serait souhaitable que les nouveaux directeurs aillent à la rencontre des maires.
La diminution du budget de l'État limite ses capacités d'intervention : le gel des dotations inquiète les responsables des collectivités territoriales.
Le maire d'une grande ville nous explique que « la réforme des services déconcentrés conduit à avoir, dans les faits, trois directeurs départementaux de l'environnement... pour être sûr que les choses se passent sans problème et que la préfecture suive, il faut traiter directement avec l'Élysée ».
Un autre nous tient le langage suivant : « L'administration déconcentrée de l'État est en pleine déliquescence... Au final, les services déconcentrés n'ont plus pour rôle principal que de veiller aux normes : la mission de contrôle occulte complètement la mission d'accompagnement. Les préfets ne gardent plus guère que la sécurité comme prérogative ; ils s'y investissent avec d'autant plus de force qu'ils n'ont plus que cela... » . En résumé, non seulement l'État contrôle au lieu d'accompagner, mais, faute de moyens, il le fait mal : au contrôle-dialogue se substitue un contrôle-chicane et, en définitive, au bon sens se substitue la logique de l'application rigide de la norme, parfois au mépris de son esprit.
(3) L'autorité déconcentrée de l'État
Que nous disent ses représentants ?
L'État a souhaité donner à l'autorité préfectorale (régionale et départementale) une capacité d'agir et de parler en réorganisant son administration territoriale.
Nous assistons à un renforcement de la conduite des politiques publiques au niveau régional, à un regroupement des services régionaux et départementaux sans que ceux-ci ne soient le prolongement de l'organisation gouvernementale 333 ( * ) .
En toile de fond les moyens financiers, humains diminuent, l'application d'un politique nationale en appelle à la coordination, à la mutualisation, « à faire mieux avec moins ».
Voici le résumé de nos rencontres préfectorales :
Le rôle du préfet a évolué : présent sur les grands dossiers de l'État (économie, emploi), vivant une réelle déconcentration, autonome, il n'intervient plus dans le quotidien 334 ( * ) .
Cette évolution marque tout simplement la reconnaissance de la décentralisation.
La diminution des moyens de l'État ne souffre aucun doute mais il y a un bon usage à faire de la RGPP 335 ( * ) .
Elle oblige à mutualiser, à travailler ensemble, à rechercher la productivité, la culture du service. Démarche intéressante, mais les considérations budgétaires ont pris le pas. Des tensions conflictuelles et démobilisatrices existent : les fonctions supports déclinent (secrétariats), l'exercice du contrôle de la légalité frôle la limite de la simplification...
Les résistances des ministères qui veulent conserver leurs prés carrés, soutenus par les organisations syndicales, demeurent. Des tensions administrations centrales-administrations déconcentrées existent. « Jeunesse et sport », « concurrence », recentralisent en saturant les services déconcentrés. Des alliances centrales (finances-équipement) jouent contre la déconcentration.
Il n'empêche que le préfet bénéficie d'une large déconcentration. L'opposition préfet de région et préfet de département existe ; d'où l'importance de la collégialité.
Un certain malaise se constate chez les préfets de départements qui ont le sentiment de ne pas participer à l'élaboration des politiques qu'ils seront chargés d'appliquer (ex : la politique de l'eau). Certains éprouvent également - ou laissent percer - un sentiment d'infériorité du fait de la tendance des administrations centrales à s'adresser systématiquement au préfet de région : le ministère de l'Environnement est cité ; il privilégie les schémas que les préfets de département mettent en oeuvre. Une sorte d'aristocratie se met en place (ministère, administrations centrales, préfets de région).
Tout comme les élus, le corps préfectoral réclame de la visibilité : la réussite de la déconcentration suppose que l'on évacue le problème des effectifs et qu'au nom de la lisibilité, de la stabilité, on sanctuarise les effectifs.
Nos interlocuteurs sont d'accord pour voir ainsi leurs fonctions préfectorales :
• dans une France où l'État n'a plus l'exclusivité de l'intérêt général, les préfets doivent être des « ensembliers ». Il est rare que l'État puisse agir seul : le temps du partenariat s'impose, y compris dans les domaines propres à l'État tels que la sécurité ;
• « réducteur de tension », « arbitre », « médiateur » « coordonnateur des attentes partagées », « personne d'écoute », le préfet exerce une « fonction collective et collégiale ». Tête de réseau, il a la charge de faire passer une culture, à lui d'impulser, de coordonner, de « donner de l'avenir, du futur » ...
Tout sera fonction de la mentalité départementale ou régionale, de l'atmosphère entreprenante ou résignée, active ou passive, de l'expansion ou de la régression.
Le travail du préfet diffère selon la conception des ministres et plus spécialement du ministre de l'Intérieur, suivant l'intelligence de leurs relations : la multiplicité des circulaires et des ordres aboutit à des nuisances, à l'interrogation...et à la sélectivité territoriale ! 336 ( * )
(4) L'intercommunalité
Nous abordons un sujet sensible (mais, heureusement, consensuel dans son principe) et d'actualité : l'intercommunalité.
Pour des raisons historiques et culturelles, le processus de l'intercommunalité revêt des configurations très variables. Là où il est inexistant, incomplet, il convient de faire oeuvre de pédagogie et de diplomatie.
L'intercommunalité se bâtit autour d'un projet communautaire élaboré collectivement, sur la base du plus large consensus.
Le « pourquoi » doit précéder « le comment » et « le quoi ». Aussi l'intercommunalité ne consiste-t-elle pas simplement à créer ou à étendre un périmètre, à mettre en place une nouvelle structure juridique. Elle se définit par une logique de mise en commun et de développement, fondée sur des équipements, des actions, des services. Elle est inséparable d'un approfondissement de la démocratie marqué par l'information, la participation, la consultation.
Elle prend du temps : le temps intercommunal diffère du temps municipal.
Pour réussir cette coopération, il convient aussi de rassurer, de faire comprendre que l'intercommunalité est une chance et que, avec elle, la commune, le pouvoir du maire demeurent. Aux différents acteurs de s'accorder sur les attributions de celui-ci. Les champs possibles ne manquent pas : école, permis de construire, gestion du patrimoine communal, police, état civil, représentation, éclairage public...
Selon l'expression du maire d'Apt, M. Olivier Curel, « On a fait des remparts, il faut faire des passerelles ». Et ces passerelles, loin de diminuer le pouvoir des élus municipaux, l'augmentent en leur donnant la possibilité de participer à des décisions étrangères à la sphère communale initiale.
Attachés au volontariat, les maires sont hostiles à l'unilatéralité et à la précipitation.
Le dispositif de la loi du 16 décembre 2010 concernant l'intercommunalité n'a pas soulevé d'opposition de principe : chacun voit bien la nécessité et l'utilité de la restructuration proposée. Il faut rechercher une nouvelle efficacité, un meilleur rapport coût-efficacité, de nouvelles solidarités et responsabilités.
Il faut créer un état d'esprit qui permette d'avancer : les élus y ont toute leur part. Ils n'ont pas à s'abriter derrière le préfet. Tous doivent se mobiliser pour réussir le grand chantier de l'intercommunalité. Faire jouer les traditionnelles oppositions « urbain » contre « rural », « grand » contre « petit », « riches » contre « pauvres », « centre » contre « périphérie » tourne le dos à l'avenir. La construction de l'intercommunalité commande que soient dépassées les postures partisanes.
Il faut passer de la protestation à la construction !
(5) Les sujets particuliers
Nous avons posé plusieurs questions spécifiques à nos interlocuteurs élus :
- Seriez-vous d'accord pour que le département devienne « le Sénat des communautés » ?
Par cette expression, sous réserve du maintien du département, votre rapporteur imagine un département « conseil », « expert » (facultatif) de la coopération intercommunale et composé de « conseillers départementaux » élus dans une circonscription qui correspondrait à l'intercommunalité (et selon un mode de scrutin qu'il faudrait déterminer en conséquence).
Cette fonction d'assistance à la maîtrise d'ouvrage de communes et de communautés doit pouvoir associer l'État, la région, le département, les communautés, les associations d'élus, le tribunal administratif, la chambre régionale des comptes... Tous nos interlocuteurs se félicitent des bons rapports noués avec celle-ci.
La quasi-unanimité de la réponse a été positive.
Les réponses négatives, très rares, relevaient plutôt de la réserve que d'une opposition radicale. Elles tenaient à la crainte de voir le département, via sa fonction de conseil, exercer de facto une sorte de tutelle sur le bloc communal (crainte qui, selon votre rapporteur, n'a pas lieu d'être dès lors que la mission ainsi impartie au département serait d'ordre purement technique et juridique mais qui traduit, une fois de plus, la nécessité de toujours prendre le temps de la discussion et de l'explication dans l'évolution de la décentralisation). Pour la plupart, ces réponses négatives émanaient d'élus hostiles à l'institution départementale.
- Considérez-vous nécessaire la révision des bases servant au calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) ?
Cette question concerne le système fiscal local.
Tous les élus rencontrés sont favorables au maintien d'un système fiscal local et par voie de conséquence à cette révision des bases. Conscients de sa nécessité, ils se déclarent prêts à y participer.
Un large accord se dégage pour que cette révision se fasse au niveau intercommunal ; quelques élus retiennent le niveau départemental.
Tous proposent une phase de transition pour lisser les évolutions et se référent au principe selon lequel chacun doit payer selon sa capacité contributive.
- Quelle assiette pour la taxe d'habitation ?
Deux réponses : les revenus ou une assiette mixte combinant valeur locatives et revenus. Dans tous les cas, le revenu servant de base, en tout ou en partie, à la taxe d'habitation doit rétablir le lien citoyen-contribuable (au besoin symboliquement pour les moins fortunés). Cette critique de la politique des exonérations à tout-va conduit à préconiser une assiette inspirée de la CSG plutôt que de l'impôt sur le revenu.
- Quelle appréciation portez-vous sur les pays ?
Pour les uns ce sont des entités pertinentes qui correspondent à des bassins de vie. Ils permettent de faire travailler ensemble des élus des « champs » et de « la ville ». D'autres ne saisissent pas la réalité du pays et craignent que la reconnaissance de celui-ci soit une manière de « partager la dette urbaine ».
Enfin, en ce qui concerne les divers points évoqués avec les interlocuteurs du groupe de travail, mentionnons :
- le statut de l'élu, sur lequel les personnes rencontrées ont des idées très précises : elles attendent une amélioration de leur sécurité sociale, souhaitent une organisation de leur retour à la vie active, pour les petites communes un financement mutualisé de leurs indemnités ;
- le rapprochement nécessaire entre la fonction publique territoriale et la fonction publique d'État. Beaucoup de personnes rencontrées, élus ou représentants des organisations professionnelles, vont jusqu'à appeler de leurs voeux une fusion des trois fonctions publiques. Sans aller jusque là, d'autres en appellent à une harmonisation (reconnaissance des grades, par exemple) et davantage de travail en commun et de mobilité entre l'État et l'administration décentralisée. Sur ce dernier point, le constat est souvent fait - pour le déplorer - de l'existence de « passerelles à sens unique » : s'il est -relativement - facile pour un fonctionnaire de l'État d'être détaché auprès d'une collectivité territoriale, l'inverse se rencontre beaucoup plus rarement ; cette situation est d'autant plus regrettable que la fonction publique territoriale est riche en personnels de talent dont les compétences pourraient être précieuses à l'État.
CONCLUSION
La liste des évidences mériterait beaucoup d'ajouts. Nous avons voulu nous en tenir à celles qui nous paraissaient les plus constructives dans une perspective parlementaire.
Nous aurions pu citer des évidences qui divisent : l'interdiction du cumul des mandats, le vote local des citoyens étrangers non européens, le conseiller territorial...
Il peut nous être fait reproche de n'avoir pas consacré de développement à la décentralisation en Europe. Les pays de l'Union européenne ont fait le choix de la décentralisation mais il n'existe pas de modèle européen décentralisé. Il faut d'ailleurs que nous nous en gardions !
L'étude comparative a son importance sous une double condition :
- que l'on connaisse bien les systèmes étudiés. Présenter l'organisation institutionnelle allemande comme un exemple de simplicité ne peut que nous induire en erreur ;
- chaque pays a sa culture, son histoire, tout spécialement le nôtre. Veillons à en tirer le meilleur parti.
Ceci étant, tout en étant hostile à « l'Europe des régions », votre rapporteur est convaincu que nos régions sont des acteurs effectifs pour la mise en oeuvre d'une politique européenne de réduction des inégalités et de développement, tout comme les réseaux des villes.
Nous aurions pu nous investir dans une approche historique plus développée. La leçon de l'Histoire, qui vaut pour demain, est simple : la prospérité est là lorsqu'il y a volonté et capacité d'entreprendre (voyons l'histoire et l'actualité de nos villes), lorsqu'il y a confiance entre État et collectivités, lorsque le pacte républicain a un sens et un contenu.
* 309 Rapport au Président de la République du comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par Édouard Balladur, « Il est temps de décider » ; Fayard - La Documentation française, Paris, mars 2009.
* 310 Rapport d'information fait au nom de la Mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, présidée par M. Claude Belot (n o 471, Sénat, 17 juin 2009).
* 311 La liste des personnes rencontrées par le groupe de travail figure en annexe du présent rapport.
* 312 Le Comité Balladur est créé par décret du Président Sarkozy le 22 octobre 2008.
* 313 Discours du Président de la République, le 5 mars 2009.
* 314 La Mission sénatoriale est présidée par Claude Belot, sénateur de la Charente-Maritime ; elle comprend 26 membres appartenant aux diverses sensibilités de la Chambre Haute.
* 315 Le principe du conseiller territorial est développé dans une contribution du groupe UMP annexée au rapport. Cf. rapport n° 471, p. 46-47 et p. 197-200.
* 316 Cf. rapport p. 65.
* 317 La préconisation n°7 suggérait la suppression de la législation relative à l'existence des pays... sans que cela ne puisse porter atteinte à la liberté de coopérer des communes et des communautés !
* 318 Avec une différence, cependant, quant à leur forme juridique : le rapport « Balladur » préconise de faire des métropoles des collectivités territoriales ; la Mission sénatoriale recommande de les créer sous forme d'EPCI.
* 319 « Son organisation est décentralisée », formule générale que la Constitution, reconnaissons le, explique peu. Cf. Jacques Caillosse « Les mises en scène juridiques de la décentralisation » LGDJ, 2009, p. 2 et 3.
* 320 Ce principe est cependant contesté par certaines autorités éminentes, à l'instar de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur (cf. rapport Krattinger-Gourault, p. 22).
* 321 Cf. Jacques Caillosse, op. cit. p. 105.
* 322 Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales, avis présenté par Claude Roulleau. Journal officiel 2009. Le CESE a publié de nombreux rapports sur le sujet :
- « La décentralisation et le citoyen » Colette Brunet-Lechenault (juin 2001) ;
- « Les métropoles et la structuration des territoires » Jean-Claude Bury (avril 2003) ;
- « La décentralisation et la nouvelle politique contractuelle » Francis Vandeneeghe (juin 2004) ;
- « Communes, intercommunalités : quels devenirs ? » Pierre-Jean Rozet (juin 2005) ;
- « La fiscalité et les finances publiques locales » Philippe Valletoux (décembre 2006) ;
- « L'évolution et le suivi des relations financières entre l'État et les collectivités locales », Philippe Valletoux (octobre 2008).
* 323 « La réalité de l'autonomie financière des collectivités (existence de ressources propres dont elles peuvent disposer librement), pourtant consacrée par le nouvel article 72-2 de la Constitution et la loi organique de 2004, et de l'autonomie fiscale, qui en constitue un des aspects essentiels, (existence de ressources fiscales sur lesquelles elles ont un réel pouvoir en ce qui concerne l'assiette ou le taux), est de plus en plus incertaine »., rapport cité p. 15.
* 324 Op. cit. p. 23.
* 325 « Nous considérons que cette solution a des avantages : en réduisant le nombre d'élus et en faisant du conseiller territorial une sorte de guichet unique. Mais pour une réelle amélioration en termes d'efficacité de l'action publique, il faudrait aussi proposer des mesures complémentaires en matière de statut et de formation des élus », Op. cit. p. 53.
* 326 « Les collectivités locales pourraient prendre part aux procédures de révision et d'actualisation des valeurs locatives dans un cadre fixé par le législateur », Op. cit. p. 33 .
* 327 Le Conseil renvoie à la proposition de Jean Puech (2007).
* 328 « Rénover le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales : une nécessité pour une démocratie apaisée », rapport d'information n° 272 (2010-2011) du 1 er février 2011 .
* 329 La liste des personnes rencontrées par le groupe de travail figure en annexe.
* 330 Dont un an pour apprendre.
* 331 Rapport d'information du 22 juin 2011 (Sénat, n° 666).
* 332 Des interlocuteurs regrettent « la culture jacobine » de l'État et l'affaiblissement de la DGCL (Direction générale des collectivités locales) qui a fait vivre « une culture de négociation ».
* 333 Des compétences relèvent du préfet de département (sécurité, contrôle de la légalité, police des étrangers). Le pilotage régional ne place pas le préfet du département sous l'autorité hiérarchique du préfet de région : ses arrêtés ne font pas l'objet d'un recours hiérarchique devant celui-ci. Le préfet de région parle au nom des agences : il en est le délégué sur son territoire.
* 334 Les élus reconnaissent cette évolution mais ils disent que les services préfectoraux « compensent » par leur pointillisme (et de donner comme exemple l'élaboration du Programme de prévention contre les risques d'inondation -PPRI).
* 335 Les préfets rencontrés estiment que la nouvelle organisation territoriale de l'État n'a pas encore été pleinement intégrée par les élus, que les nouvelles directions ne sont pas encore identifiées « mais ce n'est qu'une question de temps ». Tous auraient préféré que l'on commence par une définition des missions.
* 336 D'une manière générale, les préfets demandent de la confiance, de la durée (comme les élus) et vivent très mal l'intervention pressante des administrations centrales sur les moyens déconcentrés.