G. RUPTURE OU INNOVATION
Sur fond de crise financière, le Président de la République, dans son discours de Toulon, le 25 septembre 2008, après avoir fustigé « la toute puissance du marché », la spéculation bancaire, en appelle au changement de nos manières de penser et de nos comportements. Il faut faire un effort «pour nous adapter aux réalités nouvelles qui s'imposent à nous » , retrouver des marges de manoeuvre pour préparer l'avenir. L'État doit montrer l'exemple et faire preuve de vertu.
Le Président de la République cite la réduction du nombre d'emplois dans la fonction publique, la réforme de l'hôpital, la réorganisation de nos administrations et de nos services publics. Et d'annoncer :
« Le grand chantier de la réforme de nos administrations locales sera ouvert dès le mois de janvier. Le moment est venu de poser la question des échelons de collectivités locales dont le nombre et l'enchevêtrement des compétences est une source d'inefficacité et de dépenses supplémentaires. La compétitivité de notre économie est capitale. Elle ne peut supporter un poids excessif de dépenses publiques » .
Dans l'esprit de Nicolas Sarkozy, la réforme de nos collectivités territoriales doit donc servir la compétitivité de notre économie mise à mal par les prélèvements obligatoires et la dépense publique 131 ( * ) . Elle n'est pas liée à une conception de la décentralisation. C'est à Saint-Dizier, qu'un an plus tard, le 20 octobre 2009, le Président de la République va préciser ses intentions à l'égard des collectivités.
Il affirme très justement que « la décentralisation est devenue comme la démocratie un bien commun » mais il prévient que les collectivités territoriales ne « pourraient rester à l'écart de l'effort de modernisation du pays » .
Il leur assigne un objectif, « la réduction de notre dépense publique et de nos déficits » . Il note, pour le regretter, un déphasage entre un État qui s'endette, supprime des emplois et des collectivités territoriales qui continuent de créer des emplois « indépendamment de tout transfert de compétences ».
Il poursuit en retrouvant des critiques qui lui sont chères :
- empilement des structures « écheveau de complexités qu'il est aujourd'hui très difficile de dénouer », augmentation de dépenses locales « en dehors de tout transfert de compétence », augmentation des impôts locaux. Conclusion de ce procès en irresponsabilité : « c'est le contribuable qui paie, c'est la compétitivité de l'économie française qui est en cause » ;
- il prend à témoin la population française « légitimement exaspérée » par les « doubles emplois », les « surenchères », les « saupoudrages » : quand ce n'est pas « purement et simplement du clientélisme ».
Après toutes ces sévérités, il ajoute sa compassion : « je pense que les élus sont épuisés, en particulier les maires... l'immense majorité des élus sont ulcérés. Alors que faire ? Le comité pluraliste présidé par Edouard Balladur a tracé les lignes d'une réforme ambitieuse : « Il n'est plus temps d'en parler, il est temps de la faire »
Création des conseillers territoriaux siégeant à la région et au département La France a une histoire, il ne faut pas nous lancer dans un débat sans fin pour savoir s'il faut supprimer le département ou la région. La région a des atouts favorables de développement et le département, bicentenaire, a sa légitimité. La solution ne réside pas dans la suppression de l'un ou de l'autre, mais dans le rapprochement des deux. Avec le conseiller territorial, élu à la région et au département, des complémentarités se construiront, des dépenses redondantes disparaîtront, la cohérence s'imposera. « Ce n'est ni la mort de la région, ni celle du département, c'est l'émergence d'un pôle région-département doté d'élus communs ». Le conseiller territorial doit représenter une population et un territoire : 80 % d'entre eux seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Au nom du pluralisme des idées politiques 20 % des conseillers seront élus à la proportionnelle 132 ( * ) 2 . La clarification des compétences « C'est un déni de démocratie que de ne pas permettre aux électeurs de savoir qui fait quoi, qui dépense quoi, qui est responsable de quoi, ni aux élus d'être jugés sur des politiques dont ils ont réellement la maîtrise ». Un gaspillage résulte d'une « logique de concurrence, de saupoudrage et de guichet ». Il faut mettre fin « aux redondances, à la complexité des financements croisés, à la surenchère » en définissant « clairement les compétences de chaque collectivité » et en interdisant « à toute collectivité d'exercer une compétence attribuée à une autre ». Il faut en même temps supprimer la clause de compétence générale, faute de quoi, tout ce travail ne servirait à « rien ». Le Président Sarkozy n'exclut pas des exceptions dans les domaines de solidarité ou de la culture par exemple. Il reconnaît un « droit d'initiative du département et de la région » pour parer les situations pour lesquelles la loi serait silencieuse. Au nom de la proximité, les communes conservent la clause de compétence générale, tout comme l'État. Au département et à la région, « des compétences définies ». L'intercommunalité Pour le Président de la République, nous serions passés d'un émiettement à un autre : certes, nous avons 2 600 établissements publics de coopération intercommunale mais, nous avons toujours 36 000 communes, 15 900 syndicats et 371 pays, une inflation des personnels. « [...] 64 % de fonctionnaires en plus aux établissements de coopération à fiscalité propre, cela n'a fait faire aucune économie au communes qui ont, elles aussi, augmenté leurs effectifs ». D'où les impératifs : achèvement et rationalisation de la carte de l'intercommunalité, rattachement de toute commune à un établissement de coopération à fiscalité propre, mise en commun des moyens et des services, suppression des syndicats inutiles, réduction du nombre des structures, cohérence des périmètres. Un fil conducteur : « la compétitivité de notre pays ». Au nom de celle-ci, « nous proposons de supprimer les pays, qui sont une feuille de plus dans le fameux millefeuille et qui ont entraîné, eux aussi, de nouvelles structures, de nouveaux moyens, de nouveaux emplois publics. Les projets qu'ils mettent en oeuvre peuvent trouver leur place dans les structures classiques de l'intercommunalité ». Dans ce discours de Saint-Dizier, nous trouvons, également, affirmé le principe de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, par fléchage, à partir de 500 habitants. La loi Marcellin sur les fusions des communes sera abrogée et celles qui souhaiteront fusionner en une « commune nouvelle » seront encouragées financièrement. La suppression de la taxe professionnelle « C'est une réforme urgente sur laquelle je ne céderai pas ». Le bilan de la taxe professionnelle ? Ce « système absurde, unique en Europe » surtaxe l'investissement, pousse à la délocalisation, détruit les emplois industriels ( « 500 000 emplois industriels détruits en France depuis 15 ans »). Avec la suppression de la taxe professionnelle « 6 milliards d'euros seront durablement rendus à l'investissement, à l'emploi, à la production industrielle, à la compétitivité de nos entreprises ». Avec le départ des entreprises, la taxe professionnelle devient un « impôt virtuel parce qu'elle ne s'appliquera plus à aucune usine sur le territoire français » . Cette suppression doit s'accompagner d'une modernisation en profondeur de notre fiscalité locale : les valeurs locatives cadastrales seront actualisées 133 ( * ) . Pour compenser la suppression de la taxe professionnelle, il faudra travailler avec le Parlement sur une nouvelle proposition - la contribution économique territoriale - respectant l'autonomie financière des collectivités locales, maintenant un lien entre entreprises et territoires, n'hypothéquant pas l'avenir industriel de la France, garantissant aux collectivités leurs ressources 134 ( * ) . La reconnaissance du fait métropolitain Le Président rappelle le rôle des Métropoles dans l'économie de l'innovation et du développement économique mais, « faute d'avoir une existence politique, nos grandes villes n'ont pas de visibilité internationale, et leur dialogue avec les acteurs de l'économie mondiale est le fait de trop d'interlocuteurs là où il n'en faudrait qu'un ». Il nous faut penser le territoire en regardant vers l'extérieur, « permettre à nos grandes villes de jouer dans la cour des grands en articulant leur rôle avec celui de leurs rivales, dont certaines en Europe peuvent devenir des partenaires. C'est le projet des métropoles ». La création des métropoles doit reposer sur le principe du volontariat d'acteurs locaux « qui veulent s'unir pour mettre en oeuvre un projet commun ». Deux statuts sont offerts : - l'un pour les métropoles d'un seul tenant « qui pourront exercer, sur leur territoire, une grande partie des compétences du département et de la région sur la base d'une convention de transfert avec ces deux collectivités » 135 ( * ) ; - l'autre pour des métropoles dites multipolaires : l'enjeu est de « mutualiser des moyens et des compétences pour le développement économique et l'attractivité du territoire [...] mutualiser ce qu'elles ont de meilleur, universités, [...], laboratoires, infrastructures, services, pour peser dans la compétition européenne [...].C'est la métropole en réseau ». L'État pourra transférer aux métropoles qui le souhaiteront « l'aménagement et la gestion de certains grands équipements et de certaines grandes infrastructures 136 ( * ) ». Pour le Président de la République, la réforme territoriale relève d'une grande ambition : « remettre la France sur la voie de la croissance, de la prospérité pour qu'elle retrouve toute sa place dans le concert des Nations, quelle reste un pays libre, acteur de son propre destin... ». |
Six projets de loi devaient ensuite être présentés en Conseil des ministres :
- le projet de loi de finances 2010 incluant la réforme de la taxe professionnelle ;
- le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux ;
- le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ;
- le projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale ;
- le projet de loi organique prévoyant l'élection des membres des conseillers des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale ;
- le projet de loi définissant les compétences des collectivités territoriales.
1. La réforme de la taxe professionnelle
La réforme de la taxe professionnelle fut réalisée par la loi de finances 2010.
Elle est marquée par le taux national de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, l'absence de péréquation, une diminution de l'autonomie fiscale des collectivités et une prise en charge importante par l'État, ce qui aggrave notre déficit public. Des clauses de « revoyure » sont prévues... qui ne seront pas vraiment respectées.
La loi du 16 février 2010 a d'abord décidé de la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et des conseillers régionaux.
Texte synthétique, la loi du 16 décembre 2010 traite du conseiller territorial, de la composition de conseils communautaires, des métropoles, des pôles métropolitains, de la création de communes nouvelles, des regroupements et de la simplification de l'intercommunalité, de la définition des compétences et de la limitation des financements croisés.
Les analyses et projets du Président Sarkozy tout comme la loi du 16 décembre 2010 ont soulevé de nombreuses controverses et critiques.
Nous n'en aborderons que deux thèmes : l'un constitue une rupture, l'autre une innovation.
* 131 C'est dans ce discours du Président de la République que sera annoncée l'exonération de la taxe professionnelle pour les nouveaux investissements.
* 132 Pour convaincre de son objectivité, Nicolas Sarkozy déclare qu'il s'inspire d'une proposition de Léon Blum datant de 1926 « reprise en 1972 dans le programme du Parti Socialiste ». Son mode de scrutin ne fut pas finalement retenu. Le Parlement préféra un scrutin uninominal à deux tours. Un seuil de 12,5 % des inscrits est institué pour accéder au second tour.
* 133 « Il faut faire les choses en douceur et les lisser sur un certain nombre d'années, mais avant la fin de l'année, des marges de manoeuvre pour actualiser les valeurs locatives cadastrales seront proposées aux élus ».
* 134 « Le Gouvernement s'est par ailleurs engagé à ce qu'aucune collectivité locale ne voit ses ressources diminuer du fait de la suppression de la taxe professionnelle, ni en 2010, ni au-delà ». Suit un avertissement clair : « Mesdames et Messieurs les élus, ne pensez pas une minute que l'on pourra résoudre la question angoissante des déficits de la France en mettant de côté les collectivités territoriales ». Et de rappeler que la révision générale des politiques publiques de l'État ne saurait dispenser les collectivités territoriales de l'effort : « quel que soit le niveau où l'on se trouve, on est concerné par la compétitivité de la France ».
* 135 Statut ouvert aux aires urbaines de plus de 450 000 habitants « même si, pour ma part, je n'aime pas beaucoup que l'on soit esclave des seuils. On peut être une très grande ville et être endormie, on peut être une ville un peu moins grande et avoir énormément de dynamisme. Si des villes, [...], comme Orléans, comme Grenoble, dès lors qu'elles ont une population significative, veulent se transformer en métropole, c'est un plus pour la France. Il faudra les y encourager ».
* 136 La DATAR « qui va reprendre ce nom » coordonnera ces initiatives.