B. VERS UN RAFFERMISSEMENT DE LA RELATION FRANCO-TURQUE ?
1. Un intérêt mutuel au renforcement des relations entre nos deux pays
Il ne paraît souhaitable ni pour la Turquie ni pour la France que le climat tendu qui règne entre nos deux pays se prolonge.
Nos interlocuteurs turcs ont d'ailleurs insisté sur ce point. Ils nous ont clairement expliqué qu'ils se permettaient de nous rapporter les griefs de la population turque à l'égard de la France parce que nos deux pays étaient liés par une amitié ancienne et qu'ils souhaitaient qu'une meilleure compréhension mutuelle permette de la restaurer. Ils nous ont indiqué qu'ils s'inquiétaient de constater que l'attitude de la France, loin d'inciter Ankara à redoubler d'efforts pour maintenir la perspective d'adhésion, avait tendance à freiner la dynamique des réformes en Turquie, puisqu'elle se traduisait par une baisse du soutien du peuple en faveur des réformes. Ils ont, par ailleurs, mis en avant les bénéfices que la France pourrait retirer de l'adhésion turque à l'Union européenne. Faisant référence à la position de Jacques Chirac, ils ont estimé que l'entrée de la Turquie était indispensable pour permettre à l'Union européenne de se transformer en puissance globale et de pouvoir faire face aux nouvelles puissance émergentes, telles que l'Inde ou la Chine. Ils ont souligné que la Turquie, située à la charnière du monde musulman et au carrefour des principales routes énergétiques, pourrait renforcer la capacité de l'Union européenne à répondre aux crises.
De son côté, la France n'a rien non plus à gagner à perdre les liens privilégiés qu'elle entretient avec la Turquie. Pour n'évoquer que les questions économiques, une rupture consommée avec la Turquie porterait préjudice aux entreprises françaises, à l'heure où le marché turc se retrouve en pleine croissance. L'accès aux grands contrats publics est un enjeu important pour les grandes entreprises françaises et il serait dommage que ces dernières soient victimes de représailles pour des erreurs politiques. Plusieurs entreprises sont aujourd'hui en lice avec d'autres concurrents pour remporter des contrats dans le domaine des transports, avec des projets à la fois dans les secteurs aéronautique, ferroviaire et routier, dans le domaine des télécommunications ou dans le domaine de l'énergie (Nabucco, participation au programme nucléaire).
2. Des sujets d'intérêt commun qui pourraient permettre à nos deux pays de se rapprocher
A la fin de l'année 2009, le Président turc, Abdullah Gül, confiait au Figaro que les relations entre la France et la Turquie « étaient profondément enracinées » et qu'il ne voyait « aucun conflit d'intérêts » entre les deux pays, mais, au contraire, des « convergences ». Nous pensons également que la France et la Turquie pourraient aujourd'hui travailler sur un certain nombre de sujets d'intérêt commun pour renouer peu à peu le fil d'une relation distendue au cours des dernières années. Deux chantiers de coopération, sur lesquels nous partageons une certaine convergence de vues, pourraient être expérimentés à court terme :
- la question de la volatilité des prix des matières premières, en particulier agricoles et énergétiques . Nos deux pays s'intéressent de près à cette question et se sont tous deux prononcés, en amont du G20, en faveur d'une meilleure régulation, d'une plus grande transparence et d'une meilleure surveillance des marchés des matières premières énergétiques et des produits agricoles. Ils sont également favorables à un renforcement de la sécurité alimentaire. La Turquie avait donc soutenu la proposition française d'inclure ce thème à l'ordre du jour du G20. Ce pays est, en effet, fortement concerné par la volatilité des prix agricoles pour deux raisons. D'une part, un actif sur quatre travaille encore dans l'agriculture, en particulier dans la production de céréales. D'autre part, la Turquie est dépendante des marchés internationaux pour l'achat de coton et le secteur de l'habillement est donc très sensible à la volatilité des prix. La Turquie souffre également d'une forte dépendance énergétique, qui concerne la quasi-totalité de sa consommation énergétique. Elle cherche donc les moyens de limiter sa facture énergétique, qui représentait le quart de ses importations en 2010. L'accord conclu dans le cadre du G20 le 23 juin devrait fournir à la France et la Turquie une base de discussion pour réfléchir aux mesures qui pourraient encore être prises pour renforcer la lutte contre la volatilité des prix des matières premières agricoles.
- la mise en place d'une nouvelle politique méditerranéenne à la lumière des évènements dans le monde arabe . Les révolutions arabes ont mis en évidence les nombreuses attentes de la rue arabe à l'égard de la Turquie et cette dernière devrait donc être appelée à jouer un rôle accru au Proche et au Moyen-Orient. De ce point de vue, elle pourrait devenir un acteur essentiel de l'Union pour la Méditerranée, que la France a lancée à l'été 2008. Cette initiative constitue un outil majeur pour la coopération entre les deux rives de la Méditerranée et les évènements récents sont venus encore en confirmer la pertinence. La nomination d'un nouveau secrétaire général à la tête de cette organisation le mois dernier, le diplomate marocain Youssouf Amrani, devrait permettre à l'Union pour la Méditerranée d'entrer dans une phase plus opérationnelle. L'engagement de la Turquie dans ce dispositif serait un formidable atout, mais ce pays a jusqu'ici émis des réserves, craignant que l'Union pour la Méditerranée ne soit destinée à la reléguer parmi les pays du sud et ne constitue une alternative à l'adhésion. Nous nous sommes efforcés, lors de notre mission, de rassurer nos interlocuteurs turcs sur le fait que leur participation à l'Union pour la Méditerranée n'entraverait en rien la poursuite des négociations d'adhésion. Nous espérons que les autorités françaises et turques pourront prochainement coopérer plus étroitement sur cette question, de manière à dessiner avec les pays de la rive sud l'avenir de la Méditerranée.
« Celui qui cherche un ami sans défaut reste sans ami »
Proverbe turc