2. Une prise en compte insuffisante des différences territoriales
a) La reconnaissance unanime de la nécessité de raisonner en fonction des spécificités de chaque territoire
« Ce qui compte avant tout, c'est de prendre en compte les spécificités des territoires. Dès lors, peut-il y avoir une réponse unique ? Je crois plutôt qu'elle variera avec les territoires, avec leur taille et la part qu'y prennent les agglomérations : mieux vaut diversifier les réponses » . Ainsi s'exprimait M. Claudy Lebreton, président de l'ADF, devant la mission lors de son audition le 9 février 2011.
La nécessité d'aborder l'« exercice RGPP » en s'attachant à la spécificité des territoires semble, de prime abord, une évidence et un souci partagé par tous .
Du côté du Gouvernement , cette nécessité est également clairement reconnue. Ainsi, par exemple, lors de son audition par la mission le 9 février 2011, M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales, a souligné, lui aussi, que « la réponse sur le territoire national ne peut être uniforme. La problématique des territoires ruraux n'est pas celle des zones urbaines. La modularité est au coeur de la réforme ». Il a, à cette occasion, précisé que « la réorganisation des services varie selon la taille du département, avec une direction départementale du territoire, une direction départementale de la protection de la population et une direction départementale de la cohésion sociale, ces deux dernières pouvant être fusionnées. Je n'ai pas entendu parler de difficultés, d'élus frustrés de ne plus trouver d'interlocuteur... ».
Pourtant, au discours théorique s'oppose une pratique perçue souvent très différemment sur le terrain.
b) Les zones rurales et les zones urbaines requièrent une approche différenciée
Parmi les différences majeures à prendre en compte dans la définition des politiques menées au titre de la RGPP, la distinction entre les territoires ruraux et les zones urbaines apparaît comme une priorité à votre mission. Dans le cas contraire, le risque est fort que la RGPP n'accentue encore un peu plus les écarts de développement et les injustices territoriales.
Devant votre mission, M. Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) , a ainsi fait part de ses craintes face à la politique conduite dans le cadre de la RGPP. Tout en affirmant que « l'idée de réformer les politiques publiques n'est pas en soi mauvaise. Rationaliser, simplifier, économiser pour mieux servir sont autant d'objectifs louables », il a toutefois tenu à souligner que « la méthode, qui détermine l'environnement psychologique, compte pour beaucoup. Elle peut conduire à l'échec. C'est ce que l'on a vu se passer avec la RGPP ».
Il a indiqué que « les élus ruraux l'ont vécue [la RGPP] comme un mouvement de reflux de l'Etat, qui les laisse démunis face à la marée de normes qu'ils voient, dans le même temps, monter » . Selon lui, il en résulte « un sentiment d'abandon très palpable ».
Il a également insisté sur le fait que « les maires de communes rurales ont de plus en plus de mal à assumer leur mandat , et cela déborde largement le seul domaine de l'ingénierie publique ».
Dans le contexte de la RGPP, l'une des principales difficultés à laquelle sont aujourd'hui confrontés ces maires réside très souvent dans l'absence d'interlocuteurs clairement identifiés .
M. Vanik Berberian a apporté à la mission un témoignage éclairant sur cet enjeu : « Ecoles, gendarmerie, voirie : dans tous les domaines, on a de plus en plus de mal à trouver un interlocuteur compétent, voire un interlocuteur tout court . Lorsque j'interroge le sous-préfet sur un dossier, il me répond qu'il lui faudra du temps pour me répondre, tant s'est alourdie la charge de travail. Je suis maire depuis 1989. A cette époque, je voyais les gendarmes régulièrement : ils venaient à la mairie faire des photocopies. Aujourd'hui, je ne les vois plus, et ce n'est pas seulement parce qu'ils ont leur propre photocopieuse : ils ont été réorganisés en comités de brigade ».
Au final, alors que les collectivités en zone urbaine bénéficient d'une plus grande proximité avec les centres de décision administratifs, les collectivités en zone rurale souffrent d'un éloignement de l'Etat qui s'est accéléré sous l'empire de la RGPP. M. Vanik Berberian précise ainsi : « les secrétaires de mairie vous le diraient mieux que moi : ils sont à la peine. Ce sont eux qui sont en première ligne pour débrouiller les problèmes ».