VIII. ACCROÎTRE LA SECURITE DU TRAFIC MARITIME EN MEDITERRANEE
L'accroissement constaté et les perspectives de développement du trafic maritime dans l'espace méditerranéen appellent l'attention.
Dans cette mer aux passages relativement étroits (détroits de Messine, Bosphore, Dardanelles, Bouches de Bonifacio) et dangereux à la navigation, la progression du trafic se double de deux types de risques :
- l'un méditerranéen, surtout constaté dans la partie orientale du bassin qui est la croissance de l'âge de certains bateaux en Méditerranée orientale (caboteurs, pétroliers, navires à passagers),
- l'autre général, qui est la course au gigantisme (porte conteneurs, paquebots, pétroliers) au-delà des 400 m de longueur, ce qui diminue les capacités de manoeuvre des navires et les oblige à être équipés de cuves à hydrocarbures surdimensionnées pour leur propre propulsion (+ de 20 000 m 3 , soit la cargaison de l'Erika).
Les progrès des systèmes d'information sur le positionnement des navires seront un des facteurs d'une sécurisation de ce trafic.
Mais d'autres améliorations sont possibles.
1. La ratification de la convention de 2006 de l'OIT sur le travail en mer
La France n'a pas encore ratifié ce texte qui est porteur de progrès de sécurité maritime. En particulier :
- en ce qu'il implique que les équipages doivent être suffisamment nombreux et qualifiés pour faire face à toutes les situations en mer,
- et en ce qu'il prévoit que l'équipage doit pratiquer une langue connue.
La ratification de cette convention permettrait d'accroître le champ de contrôle des inspections portuaires françaises (dont on rappellera qu'elles peuvent être déclenchées sur la simple plainte d'un marin).
2. La généralisation des systèmes de sécurité passive (FOR'S)
Ces systèmes préimplantés sur les navires permettent, en cas de naufrage, d'accélérer l'accès aux cuves des équipes chargées du pompage.
Il en résulte un gain de sécurité, d'argent et surtout de temps (au minimum de l'ordre de 30 % du délai d'intervention), ce qui limite fortement la durée des fuites.
Une première action de sensibilisation du sous-comité compétent de l'OMI a été effectuée. C'est le préalable au dépôt d'une soumission dont la France pourrait prendre l'initiative.
IX. ACCORDER UNE ATTENTION PARTICULIERE A CERTAINS SUJETS DE RECHERCHE
1. Systématiser les recherches sur l'effet des polluants sur les milieux marins
La présence des polluants dans les milieux marins est relativement bien documentée (tout au moins sur le littoral) comme le sont les effets de certains d'entre eux sur la chaîne alimentaire.
Mais l'essentiel de la recherche sur les effets des polluants porte sur les eaux continentales.
Or, les milieux marins sont différents.
Par la dilution des polluants, la plus grande capacité de migration de certaines espèces, les conséquences de la salinité, les variations des effets des interfaces air-mer, et la présence de populations bactériennes spécifiques, font que l'évolution des polluants dans ce milieu et leur agression des biotopes ne sont pas identiques à celles constatées dans les eaux continentales.
Il serait souhaitable de systématiser les recherches dans ce domaine, ce qui est possible grâce à des méthodes expérimentales 63 ( * ) qui permettent de mesurer l'action des contaminants dont on peut faire varier la concentration et, ceci en fonction de conditions de salinité et de température qu'il est également possible de modifier.
2. Amplifier les recherches sur les polluants émergents
Il s'agit, pour l'essentiel, des pollutions issues de la consommation humaine et animale de produits pharmaceutiques.
Pour la seule consommation humaine, on rappellera que la consommation a doublé entre 1970 et 2002 et qu'elle est probablement appelée à s'accroître en fonction du vieillissement de la population.
Le rapport de septembre 2008 de l'Académie de pharmacie établit que beaucoup de molécules ont des effets écotoxiques, définis et chroniques :
- le paracétamol a des effets reprotoxiques,
- l'ibuprofène a des effets hépato et reprotoxiques.
Mais, en matière d'écotoxicité environnementale, les médicaments les plus menaçants semblent être :
- les antibiotiques qui dégradent les bactéries des STEP nécessaires au traitement biologique secondaire des nitrates et des phosphates,
- les anti-cancéreux qui, suivant leur nature (antihormonaux, cytotoxiques), peuvent être à la fois mutagènes, cancérigènes et reprotoxiques,
- et les perturbateurs endocriniens (et notamment les contraceptifs) qui ont des effets reprotoxiques. L'effet de ces perturbateurs endocriniens est particulièrement préoccupant car il a été constaté en laboratoire que plusieurs d'entre eux - sous la dose critique - peuvent avoir une action croisée délétère.
Le mode de migration vers l'environnement de ces produits sont les eaux usées qui sont rejetées dans les fleuves et terminent à la mer.
Le Projet AMPERES (2006-2009) soutenu par l'ANR a constaté une première étape de la recherche sur la façon dont les stations d'épuration filtrent des pollutions.
Ces premiers résultats montrent que les taux de filtration des STEP sont très variables suivant les molécules.
Il apparaît donc nécessaire de persévérer dans ce champ de recherche, ainsi que de développer des projets sur des métabolites de dégradation en milieu marin de ces molécules, sachant que certains de ces métabolites peuvent être plus écotoxiques que la molécule d'origine.
3. S'interroger sur les risques de polymérisation de la mer
Il s'agit d'un problème commun à tous les océans : une partie des 300 millions de tonnes de matières plastiques produites annuellement finit dans la mer.
Cette pollution a des inconvénients esthétiques, mais également des conséquences directes sur la macrofaune qui ingère ces objets (oiseaux marins, tortues, pinnipèdes, cétacés).
Mais elle s'attaque également à la chaîne planctonique (phyto et zooplancton). A ce titre, les microobjets en plastique (? 300 u) :
- sont le vecteur de migration des espèces invasives sur lequel elles se fixent,
- fixent certains types de polluants (notamment, les polluants organiques persistants) qui se transmettent au phytoplancton qui se fixent sur eux, puis au zooplancton et à l'ensemble de la chaîne alimentaire.
Indépendamment des mesures prises pour limiter l'usage et assurer le recyclage des objets plastiques, il serait utile de lancer sous l'égide de l'ANR (et, le cas échéant, dans le cadre du futur 8ème programme cadre de recherche-développement de l'Union européenne) des projets spécifiques de recherche dans ce domaine.
Et même d'amplifier la coopération de recherche dans ce domaine à l'échelle méditerranéenne.
4. Lancer un programme de recherches d'ensemble sur les lagunes méditerranéennes
On dénombre 626 lagunes en Méditerranée.
Outre leur vulnérabilité aux apports telluriques, imputable au très faible brassage des eaux dans des profondeurs faibles :
- ce sont des systèmes dont la production primaire est très élevée. Celle-ci est de l'ordre des grandes remontées naturelles de phytoplancton, deux fois et demi plus forte que celles des côtes et près de quatre fois plus forte que celle de la pleine mer ;
- elles abritent relativement à leur très faible surface (0,6 %) un grand nombre d'espèces (15 % des macroinvertébrés, 55 % de la macroflore et 43 % des poissons) ;
- elles constituent pour certaines espèces des zones précieuses de frai.
Les situations écologiques de ces lagunes sont très diverses.
Dans certains cas, comme celles du delta du Nil, elles sont le réceptacle des pollutions de l'amont et leurs biotopes sont très atteints.
Dans d'autres, leurs milieux naturels ont bénéficié de l'implantation de réseaux de STEP mais elles sont victimes de poussées de toxines phytoplanctoniques qui menacent à la fois l'ensemble du biotope et certains usages, comme la conchyliculture.
Or, certaines de ces montées de phytotoxines sont émergentes et ont été introduites par déballastage ou implantation de naissains.
Dans les deux cas, il paraît important de mettre en place un programme de recherche concernant l'ensemble du bassin sur l'effet de polluants dans ces milieux fragiles et porteurs de biodiversité.
* 63 Les mésocosmes sont des caissons expérimentaux permettant d'étudier in situ tel ou tel maillon de la chaîne d'un biotope.