b) Un « préfet éducatif » comme artisan des « contrats de stratégie éducative régionale » (CSER)
Votre mission propose de tirer profit des expériences de concertation nouées à l'occasion de l'élaboration des schémas prévisionnels des formations et des CPRDF en développant des contrats régionaux de stratégie éducative à visée plus large. Elle est persuadée que pour rénover en profondeur le système éducatif et relever le défi de la réussite de tous les élèves, il faut sortir d'une vision cloisonnée de la répartition des compétences et des missions pour passer à un régime de compétences partagées . Pour cela, il convient d'adopter enfin une vision panoptique de la politique éducative et agir simultanément sur les trois leviers que sont l'urbanisme et l'aménagement du territoire, la famille et l'école proprement dite . Le « contrat de stratégie éducative régionale » viserait précisément à définir une programmation pluriannuelle cohérente des actions et des investissements de l'État et des collectivités territoriales dans le domaine éducatif au sens le plus large, ce qui peut faire intervenir certains éléments de la politique familiale, de santé publique, de la ville, de sécurité et des transports.
A titre d'exemple, votre mission estime qu'une telle démarche permettra enfin de penser le continuum de la petite enfance qui ne cesse de soulever des débats politiques passionnés. Comme le soulignait M. Laurent Cros, délégué général de l'association « Agir pour l'école », « le maillage complexe du passage de la crèche à la maternelle puis à l'élémentaire n'est pas en mesure aujourd'hui de mobiliser les adultes d'un territoire autour d'une cause commune 98 ( * ) ». Une démarche contractuelle associant l'ensemble des acteurs devrait permettre d'élaborer des réponses adaptées à chaque territoire, notamment en ce qui concerne l'accueil des enfants à partir de deux ans.
Le domaine du repérage et du traitement précoces des problèmes de santé des jeunes élèves constitue un autre exemple illustrant la nécessité de mieux coordonner les responsabilités au plan local. Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication l'avait relevé à l'occasion de sa mission précitée au Canada en 2010. En effet, le taux de décrochage étant plus marqué pour les élèves souffrant de problèmes de santé (courants dans le domaine de l'ouïe et de la vue) ou vivant dans un environnement social défavorisé, des partenariats se sont développés entre ministère de l'éducation et ministère de la santé, en coordination avec les collectivités territoriales, afin de conduire des actions pertinentes.
L'échelle régionale paraît la plus judicieuse, compte tenu du renforcement de l'autorité des préfets de région et des recteurs, et du travail déjà accompli notamment pour l'élaboration des CPRDF. En outre, il est nécessaire de distinguer le niveau de réflexion et de planification stratégique du niveau d'exécution. Le premier doit concerner une zone suffisamment large pour permettre des arbitrages significatifs et définir un périmètre de cohérence utile, tandis que le second doit, au contraire, se rapprocher au plus près du destinataire final. Le bon niveau d'exécution , surtout après le développement des regroupements et des mises en réseaux d'établissement que votre mission appelle de ses voeux, serait sans doute le bassin de formation , ce qui impliquera un travail de déclinaison des objectifs et des actions du contrat de stratégie éducative par bassin.
Le « contrat de stratégie éducative régionale » (CSER) serait constitué d'un ensemble de documents conventionnels engageant l'État via son représentant dans la région et l'autorité académique, ainsi que l'ensemble des collectivités de la région, via le président du conseil régional, les présidents de conseils généraux et les présidents des associations départementales de maires. Dans la mesure où la responsabilité de l'État demeure prépondérante et où il ne paraît pas légitime de privilégier une collectivité en la désignant comme chef de file, votre mission propose de confier l'organisation de l'élaboration du document stratégique et le suivi de son application à un représentant de l'État . Pour autant, ni le préfet de région, ni le recteur ne doive se faire reconnaître une autorité particulière l'un sur l'autre. C'est pourquoi la mission propose de confier ces missions à un tiers : le « préfet éducatif ».
Nommé spécialement dans chaque région par le Premier ministre, le préfet éducatif aurait pour tâche de faciliter la coordination de l'action éducative de l'État dans toutes ses dimensions et de conduire la concertation avec les collectivités territoriales, afin d'assurer la circulation réciproque d'informations et de favoriser la mise en cohérence des projets de chacun au service des objectifs partagés définis dans le contrat de stratégie éducative. Dans les régions les plus importantes, couvrant par exemple deux ou trois académies comme l'Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur, il pourrait être assisté d'adjoints. Les préfets délégués à l'égalité des chances, nommés actuellement dans les départements des Bouches-du-Rhône, de l'Essonne, du Nord, du Rhône, de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, lui seraient directement rattachés comme adjoints.
Concrètement, chaque signataire potentiel du nouveau CSER, soit le préfet de région, le recteur, le président du conseil régional, les présidents de conseils généraux et des associations départementales de maires, recenseraient indépendamment l'ensemble des actions concourant à sa politique éducative, préciseraient les investissements réalisés et prévisionnels et proposeraient des axes prioritaires d'intervention pour l'avenir. Ces documents préparatoires seraient tous transmis au préfet éducatif. Recteurs et préfets transmettraient en particulier tous les documents contractuels signés avec des établissements scolaires ou avec des collectivités dans le cadre de la politique de la ville.
Le préfet éducatif ferait la synthèse de l'ensemble des documents préparatoires et identifierait à la fois les consonances et les interférences, les points d'accord et de tensions, les orientations convergentes et contradictoires. Sur la base de ce diagnostic, il proposerait un projet de CSER proposant des cibles régionales de réussite éducative, les leviers d'action et les moyens disponibles, ainsi qu'une méthodologie d'exécution. L'ensemble serait soumis par le préfet éducatif, pour concertation, à toutes parties prenantes jusqu'à l'élaboration du contrat final. Devant l'ampleur et la complexité de la tâche, la mission considère qu'au moins dix-huit mois seraient nécessaires à partir de la nomination des préfets éducatifs pour la mener à bien.
La tâche du préfet éducatif ne s'arrêterait pas à l'élaboration du CSER mais se poursuivrait durant toute la durée du contrat, pendant laquelle il devra en suivre la déclinaison par bassin de formation et les opérations concrètes de mise en oeuvre. Il devrait également apporter son expertise à toute partie, qu'il s'agisse d'un service de l'État ou d'une collectivité, qui le solliciterait pour développer localement son action éducative dans le respect des engagements rassemblés dans le CSER. Les schémas prévisionnels des formations et les programmes prévisionnels d'investissement des régions et des départements devraient être élaborés notamment en cohérence avec le CSER, à moins que ces anciens instruments de planification ne soient tout simplement absorbés par le nouveau contrat. En outre, le préfet éducatif rendrait compte régulièrement de l'évolution de la situation à l'ensemble des signataires, qui seraient en contrepartie tenus de lui transmettre tous les documents utiles à l'exercice de sa mission. Enfin, il aurait la charge de mener l'évaluation des résultats obtenus au terme du contrat, ce qui servirait de base à l'élaboration du prochain.
La conjonction d'un cadre contractuel régional et d'une coordination sous la responsabilité de préfets éducatifs devrait permettre de concilier l'exigence de cohérence et de mobilisation judicieuse de moyens humains et financiers contraints avec l'impératif de différenciation des politiques éducatives selon les besoins et les spécificités des territoires.
* 98 Audition du 1 er mars 2011.