2. Une nouvelle aide européenne ?
L'hypothèse d'une aide complémentaire est sans doute la plus vraisemblable face aux risques que comporte toute restructuration de la dette. L'un des objectifs de la mission d'évaluation de l'Union européenne et du FMI était d'ailleurs d'évaluer les besoins de financement d'Athènes.
In fine , sur les 90 milliards d'euros dont aurait besoin la Grèce d'ici à la mi-2014 4 ( * ) , un tiers serait financé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Le complément serait obtenu via le programme de privatisation et des opérations de titrisations, couplé au maintien de l'exposition des banques à la dette grecque, quand bien même le statut du fonds ne prévoit pas expressément la participation du secteur privé aux plans d'aide.
Celle-ci pourrait être calquée sur l'initiative de Vienne conclue en octobre 2009. Les banques détenant des filiales en Hongrie, en Lettonie et en Roumanie s'étaient engagées auprès de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne de reconstruction et de développement à maintenir leurs expositions dans ces pays 5 ( * ) . Les investisseurs devraient ainsi réinvestir en titres grecs, aux mêmes conditions et à maturité identique, les remboursements perçus au titre d'anciens bons (principe dit de rollover ). 65 milliards d'euros d'obligations souveraines grecques arriveront, en effet, à maturité d'ici 2013. Une vingtaine d'établissements européens détenant près de 70 % des titres serait ainsi concernée.
La Banque centrale européenne estime que cette solution n'est pas assimilable à un défaut et la juge, à cet égard, appropriée. Selon ses promoteurs, une telle opération empêcherait de déclencher les CDS, dont les détenteurs sont dédommagés en cas d'incident de crédits. L'agence de notation Moody's est plus réservée sur cette appréciation, émettant des doutes sur l'aspect volontaire du processus.
Le marché des CDS sur la dette grecque représente 5,207 milliards d'euros, soit un peu plus de 1 % du marché obligataire grec 6 ( * ) . Le déclenchement peut intervenir lorsque le pays est en défaut de paiement, lorsqu'il déclare un moratoire sur sa dette ou lorsqu'il procède à une restructuration de sa dette (réduction des intérêts, allongement du délai de paiement ou extension de la maturité) à la condition que cette restructuration contraigne légalement tous les porteurs de l'obligation. Ce qui exclut tout échange fondé sur le volontariat. Cependant, il convient de remarquer que la restructuration de la banque irlandaise Anglo Irish , aussi sévère que volontaire a débouché sur un déclenchement des CDS, l'aspect coercitif de cette restructuration volontaire ayant été prouvé. Par ailleurs, faute de clause d'action collective (CAC) dans la plupart des obligations grecques, il est nécessaire d'obtenir l'accord de tous les détenteurs de titres pour estimer que cette restructuration est volontaire. Il appartient au comité de détermination de l'Isda (Association réunissant les acteurs du marché des CDS) 7 ( * ) à voter le défaut. Le dédommagement s'effectue dès lors sur la base d'un taux de recouvrement sur lequel les parties concernées s'accordent. Ce taux est actuellement évalué à 45 % sur la dette grecque. Le déclenchement des CDS ne serait pas sans conséquence pour les banques européennes qui ont vendu ces instruments financiers, condamnées à dédommager les acquéreurs. Une telle mise à contribution des établissements financiers ne serait pas sans conséquence pour la zone euro.
Le non-déclenchement ne serait pas, pour autant, sans
soulever de difficultés, notamment pour les établissements
financiers victime du défaut. Une telle issue ne serait pas sans poser
de problème pour le marché des CDS et, au-delà, celui des
obligations. Les opérateurs estiment, en effet, que le marché
obligataire bénéficie de l'existence des CDS.
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A la suite du plan d'aide, les établissements financiers allemand et français ont déjà été incités à ne pas vendre leurs titres grecs. Le succès de cette opération n'a pas été flagrant. Les banques françaises ont ainsi réduit de 44 % leur exposition à la dette publique grecque au cours de l'année 2010, passant de 27 à 15 milliards de dollars. Les banques allemandes ont, pour leur part, quasiment maintenu leur exposition, passée de 23,1 à 22,6 milliards de dollars 8 ( * ) .
Exposition des banques à la Grèce par pays d'origine (en milliards de dollars)
France |
Allemagne |
Etats-Unis |
Royaume-Uni |
Portugal |
Autres |
|
Décembre 2009 |
78,8 |
45 |
16,6 |
15,3 |
9,8 |
51,5 |
Décembre 2010 |
56,7 |
34 |
7,3 |
14 |
10,3 |
23,5 |
L'Allemagne est à cet égard, assez réservée sur l'efficacité de cette option, craignant que seules les banques grecques maintiennent de facto leur exposition. Berlin serait plus favorable à ce que l'aide européenne soit liée à un échange volontaire d'obligations anciennes contre de nouveaux instruments d'une durée plus longue de sept ans. Les autres pays, faisant partie du club des pays les mieux notés : Autriche, Finlande, Luxembourg, Pays-Bas rejoints par la Slovaquie et l'Irlande sont également favorables à ce type de rééchelonnement. L'agence de notation Standard & Poor's a d'ores et déjà indiqué qu'une telle opération, qui équivaut à un rééchelonnement, conduirait à classer la dette publique grecque dans la catégorie « défaut ». La Banque centrale européenne a d'ores et déjà manifesté son opposition à une telle solution, la France également.
La position relativement intransigeante du gouvernement allemand s'explique, notamment, par l'opposition à toute nouvelle aide à la Grèce au sein même de la coalition gouvernementale, en particulier de la part des libéraux du FDP. Les banques locales paraissent, par ailleurs, assez réservées sur un éventuel rollover . Seuls les établissements soutenus par la BCE ou sauvés par l'Etat allemand (HRE, West LB ou Commerzbank ) pourraient réinvestir dans des obligations grecques. Les établissements financiers grecs sont eux plus favorables à cet allongement.
Quelle que soit la solution retenue pour l'implication du secteur privé, ce nouveau plan d'aide devra recueillir l'adhésion de tous les États membres et dépasser de la sorte les réticences d'un certain nombre d'entre eux, qu'il s'agisse notamment de la Finlande ou de la Slovaquie 9 ( * ) . L'adoption éventuelle d'un nouveau paquet pourrait intervenir d'ici l'automne prochain.
Par delà, il convient de s'interroger sur la possibilité pour l'Union européenne d'acquérir la totalité de la dette grecque. Aux 110 milliards déjà accordés pourraient en effet s'ajouter au moins 30 milliards supplémentaires d'ici 2014, sommes auxquels il convient d'agréger les obligations acquises par la Banque centrale européenne. Au total, l'Union européenne possèdera à terme plus deux tiers de la valeur totale de celle-ci. L'acquisition du reste permettait, notamment, une restructuration en douceur sans impliquer le secteur privé.
* 4 Standard & Poor's estime que les besoins de refinancement de la dette grecque s'élèvent à 95 milliards d'euros d'ici 2013, auxquels s'ajouteront 58 milliards d'obligations en 2014 arrivant à maturité .
* 5 Une solution identique avait été mise en oeuvre pour l'Uruguay en 2003 .
* 6 Si les CDS ressemblent à des contrats d'assurance - l'assuré verse une prime au vendeur de protection, qui en cas d'évènement de crédit (défaut, restructuration) doit le dédommager - il n'existe pas d'obligation pour « l'assuré » de détenir des obligations sur lesquelles il possède pourtant une assurance (pratique dite des naked CDS - CDS nus).
* 7 Le comité de détermination de l'Isda chargé de l'Europe est composé des banques suivantes : Bank of America, Merryl Lynch, Barclays, Citybank, Crédit suisse, Deutsche Bank, Goldman sachs, JPMorgan Chase Bank, Morgan Stanley, Société générale et UBS. Participent également les fonds d'investissement suivants : BlackRock, BlueMountain, Citadel Investment Group, DE Shaw Group et Rabobank International .
* 8 Le Crédit agricole, impliqué en Grèce via sa filiale Emporiki , s'est prononcée en faveur de ce rollover , à condition que tous les acteurs privés détenant ces titres soient impliqués dans l'opération et pas uniquement les banques .
* 9 La Slovaquie a été le seul État membre de la zone euro à refuser de participer au premier prêt à la Grèce.