B. LA ZONE EURO EN QUÊTE DE GOUVERNANCE

Malgré un endettement public et un déficit public inférieur à ceux constatés aux Etats-Unis et au Japon, la zone euro demeure sujette à une inquiétude marquée de la part des marchés financiers qui ne vise pas tant la valeur de la monnaie que la dette des Etats membres. De fait, afin de répondre à cette défiance, l'Union européenne s'est dotée, depuis mai 2010, de nouveaux instruments destinés à mettre en place une véritable gouvernance de la zone euro, dépassant le simple stade de l'assistance financière, sans pour autant totalement gagner en visibilité tant à l'égard des marchés que des opinions publiques.

1. Les fondements d'une gouvernance économique
a) La coordination des politiques budgétaires

Le Conseil européen a défini en septembre dernier les contours du « semestre européen » qui vise à mettre en place une coordination harmonisée des politiques économiques, en amont des procédures budgétaires nationales. Le « semestre européen » doit permettre d'infléchir les orientations budgétaires qui s'avèreraient manifestement inadaptées. A cet effet, les Etats doivent en conséquence transmettre leurs programmes de stabilité, détaillant leurs trajectoires budgétaires et leurs programmes de réforme avant la fin du mois d'avril. La Commission européenne présente ses propositions d'avis, voire de recommandation, sur chaque programme national dès la fin du mois de mai, le Conseil européen adoptant avis et recommandations à la fin du mois suivant.

La Commission a, par ailleurs, estimé nécessaire, en janvier 2011, un fort ajustement budgétaire sur les dépenses publiques (à l'exception de celles afférentes à l'éducation et à la recherche) au sein des Etats de la zone euro. La Commission estime également que les Etats membres pourraient opérer une hausse de la fiscalité indirecte et un élargissement des assiettes fiscales.

Par ailleurs, la réforme du pacte de stabilité et de croissance sur lequel le Conseil européen du 24 mars 2011 a trouvé un accord politique, prévoit un renforcement de ses volets préventif et correctif et accorde une attention plus importante à l'endettement public. De fait, la procédure pour déficit public serait lancée non plus seulement lorsque le déficit public dépasse le seuil de 3 % du PIB, mais également si la dette commence à s'écarter d'une trajectoire soutenable. Le seuil de 60 % du PIB retenu dans la rédaction initiale du PIB n'apparaît plus pertinent face à l'explosion de l'endettement public de part et d'autre de la zone euro. L'appréciation de la situation budgétaire des Etats membres doit désormais tenir compte de « facteurs pertinents » prévus par les textes. Le Conseil demeure seul compétent pour enclencher la procédure de sanction. Celle-ci sera plus rapide et s'imposera dès le constat d'un déficit excessif ou d'une réduction insuffisante de la dette, sauf si une majorité du Conseil s'y oppose (principe de la majorité qualifiée inversée). La réforme du pacte pourrait entrer en application courant 2015.

b) Vers une meilleure coordination économique

La réforme du pacte de stabilité et de croissance décidée en juin 2010 introduit également un suivi des équilibres macroéconomiques. L'Union européenne préconise, à cet égard, la mise en place d'une série d'indicateurs destinés à évaluer chaque année les déséquilibres et les faiblesses macroéconomiques. Cette estimation serait effectuée en fonction d'indicateurs : déficit commercial, situation de la balance des paiements, évolution des prix et notamment ceux de l'immobilier, etc. Si les chiffres des pays concernés s'écartent de la moyenne de l'Union européenne, la Commission serait en mesure de demander des éléments d'explications aux autorités des États membres. Avec ce mécanisme, l'Irlande comme l'Espagne auraient pu être interrogées sur la bulle immobilière en gestation dans leurs pays, où les prix ont été multipliés par 4 ou 5 sur une courte période.

Les indicateurs du mécanisme de surveillance macro-économique

Indicateur

Mode de calcul

Seuil à ne pas franchir

Comptes courants

Moyenne des trois dernières années en % du PIB

+/- 4 % du PIB

Position extérieure nette

En % du PIB

35 % du PIB

Parts de marchés à l'export

En valeur sur cinq ans

- 6 %

Coûts unitaires du travail

Valeur nominale sur trois ans

+ 9 % (zone euro)

+ 12 % (hors zone euro)

Taux de change effectifs réels

Evolution sur trois ans par rapport à 35 pays industrialisés

+/- 5 % (zone euro)

+/- 11 % (hors zone euro)

Endettement privé

En % du PIB

60 %

Flux de crédit au secteur privé

En % du PIB

15 %

Prix de l'immobilier

Evolution annuelle

6 %

En l'absence de justification et en cas de déséquilibre particulièrement grave, le Conseil déclarerait l'État membre concerné en « situation de déséquilibre excessif » et lui adresserait un ensemble de recommandations destinées à corriger les déséquilibres. Si ces recommandations n'étaient pas mises en oeuvre, la question serait portée devant le Conseil européen. Pour les États membres de la zone euro, des sanctions - éventuellement financières - pourraient être décidées. De telles amendes pourraient venir abonder le Fonds européen de stabilisation financière. Le mécanisme de surveillance macro-économique fait partie du paquet gouvernance qui devrait être définitivement adopté d'ici à la fin du mois de juin.

En ce qui concerne les orientations économiques de l'Union européenne, la Commission a invité en janvier 2011, dans son « examen annuel de la croissance », les États à réduire les écarts de compétitivité en relevant l'âge de départ en retraite et en prônant la modération salariale. Elle a, en outre, annoncé une poursuite de la libéralisation du marché unique et indiqué sa volonté de progresser sur l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés et de la TVA. Ce document préparait les orientations stratégiques dégagées par le Conseil européen le 23 mars dernier. Celles-ci insistent sur un assainissement budgétaire soutenu, supérieur à 0,5 % du PIB et un taux d'accroissement des dépenses publiques inférieur à la croissance. Le Conseil européen préconise une réorientation des charges fiscales pesant sur le travail doublée d'une réforme des marchés de l'emploi.

C'est dans cette lignée que les Etats membres de la zone euro, rejoints par le Danemark, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ont adopté le 11 mars dernier un « Pacte pour l'euro plus » destiné à intensifier leur coordination en fixant des objectifs communs de politique économique. Des engagements nationaux précis devraient être pris d'ici l'an prochain. Sans prescrire des mesures uniformes, le pacte cerne un certain nombre d'objectifs communs : harmonisation fiscale, encadrement normatif de l'évolution des finances publiques, hausse des taux d'activité, évolution des salaires en fonction de la productivité.

c) Le renforcement de la régulation et de la surveillance financière

La crise irlandaise a permis à la Commission de renforcer ses normes en matière de supervision bancaire, notamment en ce qui concerne ses « stress tests ». Ces examens de résistance des banques aux chocs macro-économiques, sont destinés à prévenir ce type de crise. L'Autorité européenne de supervision bancaire (EBA) est désormais en charge de la supervision de ces tests et a annoncé, le 8 avril dernier, la participation à ceux-ci de 90 banques européennes, représentant 65 % des actifs bancaires de l'Union européenne et au moins 50 % des actifs au sein de chaque pays de l'Union européenne. 24 établissements bancaires espagnols, 13 allemands, 6 grecs, 5 italiens et 4 britanniques, danois, français, néerlandais, portugais et suédois seront ainsi évalués.

Sur 91 établissements financiers testés en 2010, seuls 7 d'entre eux (5 espagnols, 1 allemand et 1 grec) avait échoué. Quelques mois plus tard, deux grandes banques irlandaises se trouvaient néanmoins au bord de la faillite. L'EBA a, à cet égard, annoncé un renforcement des critères d'évaluation. Les banques devront désormais pouvoir justifier d'un ratio minimal de 5 % de capitaux propres « durs » ( core Tier 1 , soit le type de capital considéré comme ayant la meilleure capacité d'absorption de chocs) en cas de choc économique. Comme lors des précédents tests, l'autorité européenne utilisera deux scenarios : l'un dit « de base », reprenant les principales prévisions économiques, et l'autre dit « adverse », fondé sur des hypothèses de dégradation de l'économie et des marchés financiers. Celles-ci sont notamment marquées par une plus grande sévérité par rapport aux tests précédents : une baisse de 0,5 % du PIB en 2011 est ainsi envisagée par le régulateur alors même que la Commission table sur une augmentation de 1,5 %. Il convient néanmoins de noter que l'Autorité européenne écarte toute restructuration de la dette grecque, estimant celle-ci non plausible. Le renforcement des tests passe également par une réduction de la marge de manoeuvre laissée aux banques européennes pour établir des documents financiers et la mise sur pied d'une équipe d'experts issus des superviseurs nationaux, de l'EBA et de la Banque centrale européenne qui révisera pendant un mois les données communiquées.

L'accord de Bâle III signé par les pays membres du G 20, qui devrait être appliqué au sein de l'Union européenne via la directive CRD 4 actuellement en cours de préparation, prévoit, en outre, à l'horizon 2019 un relèvement des ratios de solvabilité des établissements bancaires. Il prévoit un ratio d'endettement pour éviter un endettement excessif en plus des exigences de fonds propres et un durcissement des normes de liquidité. Selon la Fédération bancaire européenne, l'accord pourrait cependant conduire à des problèmes de financement pour l'économie réelle. Le Comité européen des contrôleurs bancaires, prédécesseur de l'Autorité européenne de supervision bancaire, avait déjà estimé ces risques, les évaluant à environ 15 % du PIB de l'Union européenne pour le ratio de financement à long terme et à environ 8 % du PIB de l'Union pour le ratio de liquidité à court terme.

Nonobstant ces réserves, la directive dite CRD 4 devrait également introduire des règles exigeant de toutes les banques qu'elles disposent en permanence de la liquidité indispensable. Cette liquidité devrait être contrôlée par les superviseurs nationaux. La Commission travaille également à l'élaboration d'une directive sur la gestion des crises bancaires, destinée notamment à mettre en place un réseau harmonisé de fonds de résolution nationaux. La mise en place d'un système de garantie des dépôts par le biais d'une taxe sur les transactions financières participe également de cet effort de renforcement du contrôle des établissements financiers par l'Union européenne.

La future directive CRD 4, comme les tests bancaires, viennent, par ailleurs, concrétiser la modification du cadre de surveillance européenne. Le Comité européen de risque systémique, dont le secrétariat est placé auprès de la Banque centrale européenne est ainsi chargé d'identifier les dangers pour l'ensemble du système financier et d'émettre, en conséquence, alertes et recommandations. Trois Autorités de surveillance européennes (ASE) sont parallèlement mises en place : l'Autorité bancaire européenne, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l'Autorité européenne des valeurs mobilières. Leur mandat consiste principalement en l'élaboration d'un ensemble de règles harmonisées.

Ce renforcement des normes d'encadrement de l'activité bancaire demeure néanmoins d'autant plus indispensable que, dans son dernier « Rapport sur la stabilité financière dans le monde », le Fonds monétaire international relève que si les banques européennes ont cherché à élever tant la qualité que la quantité de leurs fonds propres, leurs progrès en la matière demeurent inégaux. Ces faibles niveaux de fonds propres rendent ainsi certaines banques allemandes et des caisses d'épargne italiennes, portugaises et espagnoles vulnérables à de nouveaux chocs. De fait, selon le FMI, l'Europe ne peut éviter une restructuration des banques non viables et, le cas échant, une recapitalisation de certains établissements financiers, soit une participation directe de l'Etat au risque de grever les déficits publics. Les aides publiques au secteur bancaire ont ainsi creusé le déficit de l'Allemagne de 0,4 % en 2010 et alourdi sa dette d'environ 9,5 % du PIB. Au Portugal, l'impact s'élève à 1 % sur le déficit et 2,1 % sur la dette. Au total, les aides d'Etat accordées aux banques par les Etats membres pendant la crise financière se sont élevées à environ 13 % du PIB de l'Union européenne.

Impact des aides publiques pour les Etats de la zone euro 2007-2010

Pays

Solde
(en millions d'euros) (1)

Irlande

- 35 722

Allemagne

- 16 559

Pays-Bas

- 3 440

Portugal

- 2 214

Autriche

- 1 435

Luxembourg

- 36

Slovénie

+ 28

Chypre

+ 30

Italie

+ 128

Belgique

+ 199

Suède

+ 349

Grèce

+ 405

Danemark

+ 724

Espagne

+ 1 455

France

+ 2 399

(1) Solde = (Rémunération des garanties + intérêts perçus + dividendes)
- (versements d'intérêts + transferts de capital + autres)

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