RENCONTRE AVEC WU JIANG, vice-président de l'université de Tongji et ancien directeur adjoint du bureau de la planification de la municipalité de Shanghai
- M. WU Jiang, vice-président de l'université de Tongji et ancien directeur adjoint du bureau de la planification de la municipalité de Shanghai.
et
- la délégation des membres du groupe d'amitié France-Chine du Sénat invités par l'ANP à Shanghai, composée de :
- M. Jean BESSON, Sénateur de la Drôme, Président du groupe France-Chine ;
- M. Jean-Pierre CHEVENEMENT, Sénateur du Loiret, ancien ministre d'Etat;
- M. Jean-Pierre SUEUR, Sénateur du Loiret, ancien ministre ;
- M. Jean FAURE, Sénateur de l'Isère ;
- M. Jean-Marc TODESCHINI, Sénateur de la Moselle ;
- M. Hervé MAUREY, Sénateur de l'Eure ;
Les échanges se tenaient à l'université Tongji de Shanghai, au Centre sino-français d'ingénierie et de management, le 1 er septembre 2010.
M. Jean-Pierre SUEUR : La ville de Shanghai doit-elle toujours se développer ? Est-il possible d'arrêter ce développement ? Maîtriser l'urbanisation ? Comment ?
M. WU Jiang : Pour envisager ces questions, il convient de considérer les limites de ces mêmes questions : la population et le développement ne peuvent qu'augmenter dans la municipalité de Shanghai.
Depuis 1991-92, chaque année, la population de la municipalité augmente de 300 000 habitants, alors que le taux d'accroissement naturel de la municipalité reste négatif.
Au total, il existerait 15 millions de migrants ruraux domiciliés dans les grandes villes chinoises.
Le taux d'urbanisation de la Chine était de moins de 20% en 1980. Il est aujourd'hui à plus de 46%. L'exode rural devrait encore durer une vingtaine d'année avant que le taux d'urbanisation de la Chine se stabilise à 65-70%.
Il est ainsi prévu à terme dans la municipalité de Shanghai, une population de 40 millions d'habitants, soit le double de la population actuelle.
M. Jean-Pierre SUEUR : Pensez-vous qu'il soit souhaitable d'avoir des villes de 40 millions d'habitants ? Est-ce vivable ? Ne vaudrait-il pas mieux développer des villes de taille plus modeste ?
M. WU Jiang : Le développement urbain et l'augmentation de la population constituent de véritables défis pour la municipalité de Shanghai dont le territoire s'étend sur 6 700km².
En 1990, le centre-ville s'inscrivait à l'intérieur du périphérique intérieur, couvrait une surface de 100 km² et accueillait 6 millions d'habitants sur les 13 millions que comptait la municipalité.
Aujourd'hui, la majeure partie de la population habite à l'intérieur du périphérique extérieur, dans une zone couvrant 600 km².
Aussi, l'augmentation de la population ne peut s'effectuer qu'à l'extérieur du centre-ville de Shanghai. C'est à cette fin que sont planifiées des petites villes en périphérie de l'agglomération de Shanghai.
M. Jean-Pierre SUEUR : Ces pôles secondaires contrebalancent-ils utilement et efficacement la ville -centre de Shanghai, notamment en termes d'urbanité ?
M. WU Jiang : La densité du centre-ville de Shanghai a été diminuée, permettant de limiter le taux de saturation du centre-ville.
Depuis les années 2000, la municipalité prévoit la planification de villes nouvelles (et non de villes satellites) présentant une certaine autonomie économique et faisant environ 1 million d'habitants.
Le plan idéal de la municipalité de Shanghai à l'horizon 2020 serait ainsi un centre-ville plafonnant à 10-12 millions d'habitants ; 8/9 villes nouvelles d'un million d'habitants ; enfin une cinquantaine à soixantaine de communes de 100 000 habitants. Le tout pour une municipalité accueillant 26 à 27 millions d'habitants.
Pour illustrer sa réponse, M. WU Jiang a dessiné, durant l'entretien, la municipalité idéale, selon le point de vue du bureau de la planification urbaine de la municipalité. Ce dessin représente un centre-ville symbolisé par 3 périphériques ; en périphérie de cette ville-centre, plusieurs villes nouvelles insérées dans un périphérique, comptant chacune 3 satellites, sont dispersées sur le territoire municipal.
M. Jean BESSON : D'après moi, quels que soient les aménagements réalisés, il n'y aura jamais égalité entre les centres-villes des agglomérations, à forte valeur patrimoniale et forte urbanité, et les espaces périurbains, que l'on appelle en France : la banlieue. Qu'en pensez-vous ?
M. WU Jiang : Cette remarque est peut-être quelque peu pessimiste.
En Chine, le pouvoir politique est suffisamment fort pour influer sur la répartition des ressources. Or, un système économique fort et autonome garantit l'attractivité des entreprises et de la population, même en périphérie.
Pour l'heure, toutes les villes nouvelles planifiées n'ont pas encore atteint un degré de développement optimum. Anting et Songjiang (grâce à ses 15 universités) ont atteint le million d'habitants ; ce n'est pas le cas de Lingang, mais les objectifs fixés pourraient être atteints rapidement, en raison de la bonne desserte en termes de transports et du niveau d'infrastructures publiques développées dans ces villes satellites.
M. Jean-Pierre SUEUR : Nous retiendrons le lien étroit que vous avez immédiatement effectué entre la planification des logements et celle des emplois.
Pourriez-vous nous expliquer le lien entre planification et spéculation ? La planification permet-elle d'empêcher la spéculation ?
M. WU Jiang : Jusqu'à présent, le gouvernement chinois exerce un pouvoir fort qui lui permet de contrôler la réalisation des plans établis. Alors que j'étais directeur adjoint du bureau de la planification de la municipalité de Shanghai, j'ai eu l'occasion de faire démolir des constructions situées sur un espace vert, conformément au plan d'occupation des sols en vigueur. Certes, il est difficile d'empêcher que certains spéculateurs ne s'intéressent aux villes nouvelles et spéculent quant à leur planification, mais ce qui importe pour la municipalité est de développer les industries et infrastructures de ces villes nouvelles, afin de renforcer leur attractivité. Cette attractivité présente un impact sur la demande de logements, à laquelle les promoteurs se chargent de répondre, par anticipation. Donc, on considère généralement que la spéculation ne constitue pas un problème en matière de planification urbaine.