12. Audition de FRÉDÉRIC GILLI, Directeur de la chaire « villes » à l'Institut des Sciences-Politiques de Paris
La ville de 2050 sera radicalement différente de celle de 2030
La ville à l'horizon 2030 est relativement facile à connaître : elle est déjà là compte tenu de l'inertie des phénomènes urbains. En revanche, la ville à l'horizon 2050 sera sans doute radicalement différente . Jusqu'à présent, elle a été construite avec des modèles du passé. Mais un processus de transformation est déjà à l'oeuvre en fonction de l'évolution des technologies du bâti et des modes de fonctionnement des villes.
Pour tenter de dessiner les villes de 2050, et malgré les incertitudes sur les sauts technologiques possibles , on peut tenter de cerner leur évolution en fonction de contraintes déjà identifiables comme la démographie, la localisation des logements et des emplois ou l'évolution du crédit. En revanche d'autres variables, comme le modèle géopolitique mondial, l'évolution des technologies, le coût du bâti ou l'avenir de l'agriculture sont moins bien identifiables.
L'observation de l'étalement urbain, de la démographie ou de la consommation énergétique permettent ainsi de cerner les principales questions que pose l'évolution des villes du futur autour de trois interrogations principales :
- comment va se réaliser la localisation des logements en fonction de la localisation des emplois et de l'évolution démographique de populations marquées par la dépendance ? ;
- quelle sera la répartition entre le foncier individuel et le foncier collectif ? ;
- quels seront les effets du désendettement privé et public ?
Première interrogation : comment va se réaliser l'adaptation des logements à l'évolution de populations marquées par la dépendance dans les prochaines décennies ?
Le constat est que le patrimoine immobilier fixe les populations . Une très faible part des retraités - de l'ordre de 10 à 15 % seulement - se déplace et 90 % des personnes de plus de 70 ans ne sont pas des accédants à la propriété. C'est une population, qui, en Région parisienne, est plutôt localisée en moyenne et grande couronne.
Pour faire face à la progression démographique de la population française qui atteindra en 2050 environ 70 millions d'habitants, il faudra construire environ 3,5 millions de logements sur la base d'un accroissement de la population globale de 7 millions de personnes. Où vont se construire ces nouveaux logements ? Vraisemblablement en proche couronne et peu dans le centre déjà très dense . On peut en déduire le fait que l'étalement urbain va se poursuivre consommant chaque année 55.000 hectares pour la construction annuelle de 300.000 logements, soit la consommation de 6 000 km2 de foncier d'ici à 2050 (l'équivalent d'un gros département comme la Seine et Marne).
La localisation de ces logements est à rapprocher de l'évolution de la localisation des emplois qui continuera à se faire plutôt dans la proximité des centres de ville, et dans les petites et moyennes villes (dont la population est comprise entre 2 et 10 000 habitants), plutôt que dans les très grandes agglomérations. Cette évolution de l'emploi conduira très certainement à une hiérarchisation des pôles. Le fonctionnement du territoire sera ainsi largement dépendant des éléments portant sur la mobilité, la sédentarité et la forme urbaine.
Seconde interrogation : quelle sera la répartition entre le foncier individuel et le foncier collectif ?
Sur la base des statistiques de l'INSEE de 1984 et de 2006, on sait que la surface moyenne de l'habitat individuel est passé sur cette période de 96 à 111 m2, celle de l'habitat collectif de 65 à 66 m2. Concernant le nombre de pièces, il est passé de 4,4 à 4,8 pour l'habitat individuel et de 3 à 2,9 pour l'habitat collectif. On constate ainsi une explosion de la consommation de foncier pour l'habit individuel et un décalage prononcé entre l'habitat individuel et l'habitat collectif. La taille des ménages a diminué passant de 2,9 à 2,5 habitants pour le logement individuel et de 2,4 à 2 pour le logement collectif. On constate également que la taille des logements est plus importante dans les petites villes rurales que dans les grandes villes (46 m2 contre 40 m2).
En fonction du statut d'occupant, la taille moyenne des logements par personne est passée de 29 à 35 m2 pour les accédants et de 40 à 53 m2 pour les non accédants ; dans le locatif, la taille moyenne des logements est passée de 28 à 33 m2 dans le secteur libre et de 24 à 30 m2 dans le secteur de l'habitat social.
La localisation des logements en définitive est directement liée à la capacité financière des ménages . On a vu que cette capacité des ménages américains à accéder à la propriété a implosé sous l'effet de leur endettement qui a dépassé leurs capacités contributives avec des revenus évoluant à la baisse. Cette dernière donnée est décisive pour comprendre l'évolution prévisible du bâti et de sa localisation.
Troisième interrogation : quels sont les effets du désendettement privé et public ?
Le désendettement collectif va diminuer la capacité des ménages à consommer du logement , qu'il soit individuel ou collectif. Les conséquences vont porter sur les modalités de construction des biens immobiliers, la réhabilitation l'emportant sur la construction. Le ratio investi dans le logement oscille ordinairement entre 75 et 95 % ; mais il explose en cas de crise d'endettement comme le montrent les séries historiques. On peut donc considérer que le mode de consommation des espaces va changer en fonction des conditions d'endettement des ménages et on peut prévoir un effondrement du marché du crédit et de la valeur patrimoniale des biens immobiliers entre 2020 et 2030 en fonction de l'évolution de la génération du baby-boom.
Sur la base des travaux de Jacques Friggit qui renvoient à des ratios prix de l'immobilier/ revenus, on constate que le niveau actuel de l'immobilier correspond à ceux qui existaient avant la création du système de sécurité sociale collective. Il y aurait donc à l'heure une forme de surprime sur le logement considéré comme une forme d'assurance répondant à un besoin fondamental de sécurité . L'évolution du bâti est donc en relation directe avec le type de société qui va se mettre en place d'ici à 2050, plus individualisée ou plus socialisée.
En dehors des ces tendances identifiables, d'autres variables sont moins clairement cernables.
S'agissant du modèle géopolitique , si le XXème siècle a été celui des grands continents, le XXIème siècle sera-t-il ou non le siècle des micro-nations, auquel cas la manière d'occuper l'espace sera évidemment très différent . A titre d'illustration, on peut noter que les ghettos de 2050 ont été construits dans les années 70 avec la consommation de l'espace pavillonnaire dont les occupants ne pourront sans doute assumer les charges d'entretien et de rénovation. Sans doute, on verra, parallèlement à l'évolution démographique, le rétrécissement comme dans certaines villes américaines, de certains quartiers ghettos.
Les technologies vont influencer aussi la manière de faire la ville . Déjà le GPS et la révolution numérique transforment les modes de déplacements des personnes et des marchandises. Mais dans le même temps, les exigences de mobilité dans les grandes conurbations se heurtent aux besoins budgétaires colossaux qu'exige l'entretien des réseaux de transports qui ne peuvent, à terme, pour continuer à fonctionner, que s'appuyer sur une socialisation de leur coût.
Le coût des matières premières, de l'énergie et du bâti pose la question de l'arbitrage entre l'habitat individuel et l'habitat collectif, du choix de la vie à proximité de la nature ou à la ville . En fonction de ces paramètres, le modèle de production agricole risque lui aussi d'évoluer, conduisant les villes à être des lieux de production pour l'alimentation comme elles peuvent déjà l'être pour d'autres matériaux comme les terres rares ou le papier par recyclage des déchets urbains.