10) LE DÉFI DE LA SÉCURITÉ
- Ville et catastrophes
- Ville et insécurité ; clivages : criminalité et hyper protection
- Ville et terrorisme
- Prévention, répression, protection des libertés
Une ville bien organisée, bien gérée, est une ville sûre . Car les habitants peuvent y trouver de bonnes conditions sanitaires, des logements de qualité et des infrastructures qui les préservent des catastrophes naturelles. Mais une ville mal gérée , sans plan d'urbanisme, sans réglementation limitant les constructions dans des zones à risque, sans plan de protection des populations en cas d'accident industriel, est une ville dangereuse.
L'insécurité urbaine recouvre plusieurs notions d'origine, d'intensité ou de temporalité différentes, qui peuvent s'analyser autour de trois aspects principaux : les catastrophes naturelles ou industrielles, la criminalité et la violence urbaine, le terrorisme.
Tout d'abord, le développement mondial de l'urbanisation contribue à poser dans des termes nouveaux la question des conséquences des catastrophes d'origine naturelle ou industrielle sur le fonctionnement des villes, conurbations, mégapoles ou métapoles de plusieurs millions ou dizaines de millions d'habitants. En effet, selon les travaux de l'ONU, on constaterait une corrélation entre la progression de l'urbanisation et le nombre de catastrophes .
ÉVOLUTION DE LA POPULATION ET MONDIALE ET NOMBRE DE CATASTROPHES NATURELLES OU TECHNOLOGIQUES
Source : UN Habitat
Comme le souligne un rapport de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge 94 ( * ) : « À mesure que le pendule du développement humain se déplace des campagnes vers les villes, l'urbanisation rapide et la croissance démographique se conjuguent pour créer de nouveaux problèmes, quasi insurmontables , et nous obligent à sortir de notre périmètre confortable pour affronter un monde étrange, urbain mais autre.
Face aux catastrophes naturelles, des villes bien gérées peuvent être parmi les endroits les plus sûrs au monde. Elles peuvent aussi remplir au mieux les conditions souhaitées pour élever des enfants, les scolariser, se faire soigner et trouver un emploi. Selon les statistiques, les citadins ont une espérance de vie plus longue que les ruraux . Les villes peuvent être aussi les endroits les plus dangereux au monde pour ceux qui vivent dans un environnement où les autorités sont peu présentes et où les ressources manquen t, tout comme la volonté d'assurer les services sociaux de base, la sécurité alimentaire, la police, l'alimentation en eau courante, l'évacuation des eaux usées et le respect des normes de construction.
Cette fracture des risques en milieu urbain est un défi majeur pour l'humanité du XXIe siècle : il faut en effet éviter que le mouvement qui entraîne les populations des campagnes vers les villes, que l'on observe à l'échelle mondiale, n'entraîne une augmentation de la morbidité et de la mortalité en recréant les dangers du XIXe siècle pour la santé publique, aggravés par les risques liés aux changements climatiques et la menace de pandémie ».
CARTE MONDIALE DES CATASTROPHES NATURELLES
Source : Munich Re
De toutes les catastrophes naturelles prévisibles, celles liées aux changements climatiques sont les plus menaçantes . Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a décrit ces menaces probables : vagues de chaleur augmentant les effets des ilots de chaleurs urbains, augmentation des précipitations générant des inondations violentes ou prolongées avec le risque de glissements de terrains sur les pentes entourant les villes et où généralement se construisent les quartiers les plus défavorisés, augmentation également des périodes de sécheresse conduisant à des pénuries alimentaires et à des émeutes de la faim, augmentation du nombre et de l'intensité des cyclones tropicaux terriblement destructeurs pour les habitats précaires, montée du niveau de la mer menaçant de disparition d'immenses zones urbanisées dans les deltas ou sur les côtes.
Ceux que la Mer menace 95 ( * )
Selon un rapport de l'OCDE publié en 2007, d'ici à 2070, la population exposée aux inondations côtières pourrait être multipliée par plus de trois, passant de 40 millions à 150 millions de personnes, en raison de l'effet combiné de l'augmentation démographique et de l'urbanisation, du changement climatique (montée du niveau de la mer et intensification des tempêtes) et de l'affaissement des sols . L'impact financier de ces inondations pourrait alors atteindre 24 000 milliards d'euros, soit 9 % du PIB mondial. En 2070, plus de la moitié des personnes dites « à risque » seraient concentrées dans dix grandes villes : Calcutta, avec 14 millions de personnes exposées, suivie de près par Bombay, Dhaka, Guangzhou, Ho Chi Minh Ville, Shanghai, Bangkok, Rangoon, Miami et Hai Phong.
LES PRINCIPALES ZONES URBAINES CONCERNÉES
PAR LA MONTÉE DU NIVEAU DE LA MER
Une architecture novatrice pour faire face aux défis climatiques Avec le réchauffement de la planète nous assistons à une fonte des pôles qui entraîne une montée généralisée du niveau des océans. Par conséquent, si rien n'est fait, les grandes villes côtières risquent de se retrouver sous les eaux dans les années futures. Pour limiter cette probabilité, les Pays-Bas, qui sont particulièrement concernés par ce problème avec 35 % de leur surface sous le niveau de la mer dont les villes d'Amsterdam, Rotterdam, La Haye et d'Utrecht, ont mené pendant longtemps « une stratégie de combat offensif contre l'eau » 95 ( * ) en bâtissant des barrages et des digues toujours plus hautes pour répondre à la pression foncière et rendre possible la construction d'habitations dans des zones inondables. Faisant le constat que ces actions ne pouvaient être une solution efficace pour résoudre le manque de logements sur le long terme, les autorités ont décidé de mener « une politique beaucoup plus intégratrice où l'eau fait partie du plan de développement » 96 ( * ) . Par conséquent, la ville d'Amsterdam a réfléchi à un plan d'urbanisme inventif pour continuer à se développer. C'est ainsi qu'est né le projet Ijburg en 1995 qui consiste par remblais successifs à « agrandir » le territoire de la ville en créant une île artificielle sur le lac d'Ijmeer qui accueillera, d'ici 2014, 18 000 logements et 45 000 habitants. Depuis, des projets architecturaux toujours plus innovants ont vu le jour. Ainsi, toujours sur le lac d'Ijmeer, il a été construit des « maisons flottantes » de forme cubique reliées à la terre ferme et raccordées au gaz, à l'électricité et à l'eau par des appontements. Au sud de Rotterdam, à Dordrecht, ville proche d'un estuaire dans lequel la mer s'engouffre à marée haute, on réfléchit à la conception de maisons amphibies « capables de résister à une élévation du niveau de la mer de plus de 4 mètres » 97 ( * ) : comme quoi, l'imagination des architectes peut être une réponse aux défis climatiques. |
A côté des catastrophes climatiques, les risques sanitaires constituent une autre menace, en particulier pour les villes insalubres, mais aussi pour les villes des pays développés du fait de la progression des mouvements de personnes dans le monde.
De nouvelles pandémies peuvent se manifester et prendre un essor incontrôlé dans les concentrations urbaines en raison du franchissement de la barrière qui sépare les espèces animales de l'homme . Ce fut le cas pour le virus du VIH qui est apparu en République Démocratique du Congo ; ce fut également le cas pour les virus H5N1 de la « grippe aviaire » qui a d'abord atteint les oiseaux sauvages puis l'homme. La dengue, qui est une fièvre hémorragique parfois fatale, est un autre exemple des menaces sanitaires qui pèse sur les grandes villes des pays du Sud.
Mexico : une mégapole ingérable ? En connaissant une multiplication par 62 du nombre de ses habitants en à peine un siècle, la capital du Mexique, peuplée d'environ 22 millions d'individus, a sans cesse été obligée de repousser ses frontières : la ville qui occupait un territoire de 27 km² au début des années 1900 s'étale à présent sur 1 600 km². Malheureusement, cette urbanisation à marche forcée et incontrôlée, a participé à faire de Mexico « l'archétype de la monstruopole » 98 ( * ) . Il faut dire que plusieurs éléments contribuent dans les années 80 à la mauvaise image de la ville : elle « abrite le plus grand bidonville du monde, Nezahualcoyotl, tient la première place des villes les plus polluées, fait état de catastrophes industrielles et naturelles (séisme meurtrier de 1985), et s'inscrit dans le palmarès des villes corrompues » 99 ( * ) . Aujourd'hui, la ville doit faire face à de nouveaux défis si elle ne veut pas imploser. Tout d'abord, Mexico est confrontée à un manque d'eau : la population toujours plus importante oblige en effet les autorités à « puiser dans les faibles ressources de la ville et à aller chercher toujours plus loin les ressources nécessaires » 100 ( * ) , d'autant que la mauvaise isolation des réservoirs d'hydrocarbures et les nombreuses décharges à ciel ouvert ont énormément pollué les sols. A cela s'ajoute la pollution de l'air imputée en grande partie aux 4 millions d'automobiles : en 2008, il a été calculé que 1,5 % des gaz à effet de serre émis dans le monde étaient produits par l'agglomération de Mexico 101 ( * ) . Enfin, l'étalement non maîtrisé de la ville a donné naissance à un ensemble urbain à cheval sur trois niveaux administratifs : le District fédéral , Etat qui regroupe les 16 arrondissements de la ville, la Zone métropolitaine de la ville de Mexico qui comporte 27 communes située pour la plupart dans l'Etat de Mexico et la Vallée de Mexico, vaste bassin endoréique constitué de trois Etats, le District fédéral, Mexico et Hidalgo. Cette situation est problématique car l'empilement des strates administratives ne permet pas de prendre des décisions politiques à l'échelle de la métropole alors que cela serait nécessaire au regard des problèmes rencontrés. |
Comme l'a souligné l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « En termes de gestion des risques, les populations humaines sont maintenant forcées de vivre d'une manière qui donne à la maladie de fantastiques moyens de se développer ; ensuite, les voyages, le commerce et tout le réseau reliant les centres urbains ouvrent à ces maladies la voie royale de la mondialisation ».
Ces menaces sont renforcées par les conditions de vie souvent précaires des populations déshéritées des grands centres urbains. L'absence de gestion des déchets et de traitement de l'eau destinée à l'alimentation humaine, la malnutrition et les pénuries alimentaires, favorisent le développement des infections diarrhéiques comme le choléra, respiratoires et le paludisme. Ces maladies, qui sont à l'origine du décès de la moitié des enfants dans les régions du Sud, se surajoutent aux effets de l'insécurité alimentaire comme le diabète ou l'obésité.
Parallèlement aux catastrophes climatiques ou sanitaires, les mégapoles sont plus que toute autre concentration humaine soumises aux risques des catastrophes industrielles . L'histoire se souvient des grands accidents industriels du XXème siècle : Minamata au Japon (1953), Seveso en Italie (1976) Three Mile Island aux USA (1979), Bhopal en Inde (1984), Tchernobyl en Ukraine (1986), Deep Water dans le golfe du Mexique (2010), Fukushima au Japon (2011). Malgré les précautions prises par l'industrie, les conditions d'extraction de plus en plus difficiles des énergies fossiles pour alimenter les moyens de transport individuels et le recours au nucléaire conduisent à des probabilités de plus en plus fortes d'accidents industriels majeurs.
La criminalité et la violence ont de tout temps été associées à la ville. L'imaginaire collectif des possédants a toujours craint les quartiers populaires et les revendications des foules affamées. La progression des inégalités dans les villes contemporaines renforce ce sentiment qui est partagé dans le monde entier : les inégalités extrêmes et l'instabilité politique favorisent la montée de la violence dans les villes du monde de demain. Le rapport 2010 de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix Rouge fournit des informations précises sur les causes de cette criminalité et sur son évolution prévisible dans le futur.
Plus que la violence économique des petits délits de la rue, des trafics de stupéfiants ou des enlèvements, c'est la violence sociale des bandes urbaines et des gangs de quartiers qui est le phénomène le plus typique des formes nouvelles de développement des villes . Cette violence est le résultat de la réaction des jeunes marginalisés face à l'exclusion et à la ségrégation sociale et économique qui les parquent dans des banlieues déshéritées et oubliées par les bénéficiaires de la mondialisation. « Lorsque ces gangs imposent leur loi à des quartiers pauvres, y assurent la sécurité, rendent la justice et institutionnalisent la violence, on parle d'une criminalisation de la gouvernance ».
Selon le Small Arms Survey qui est un programme de recherche indépendant situé au sein de l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, en Suisse, la violence urbaine est devenue d'autant plus meurtrière que le nombre d'armes à feu de petit calibre en circulation dans le monde a explosé . Il y aurait actuellement au moins 650 millions d'armes à feu dans les villes qui tuent chaque année 200 000 personnes dans des pays non soumis à des conflits armés. L'expulsion entre 2000 et 2004 de Los Angeles de 20 000 jeunes appartenant à des gangs de rues, a répandu cette forme de délinquance violente dans toute l'Amérique centrale, notamment à la Jamaïque, au Mexique et en Colombie où les narco-trafiquants défient désormais ouvertement les autorités gouvernementales et l'armée.
Le développement de l'insécurité urbaine du fait des violences économiques et sociales renforce la tendance à l'isolement des couches sociales favorisées. Partout dans le monde, les logiques des politiques urbaines de sécurité se traduisent par des formes d'habitats marqués par la fermeture généralisée des quartiers .
LA DIFFUSION DES GATED COMMUNICATIES
DANS LA
MÉGAPOLE DE LOS ANGELES
Source : La production privée des espaces publics,
Renaud Le Goix,
Céline Loudier-Malgouyres, Les annales de la
recherche urbaine
Par souci de protection, les communautés se barricadent dans des ensembles fermés encouragées par une production immobilière qui fait de la sécurité un argument de vente. L'espace public se réduit alors à la fonction de circulation. Le développement de ce phénomène est universel et il va de pair avec l'extension des inégalités sociales . On le rencontre aussi bien dans les villes américaines que dans les villes du Sud, en Amérique latine ou au Proche-Orient .
Les quartiers enclos sont-ils une réponse à l'insécurité urbaine ? Depuis plusieurs décennies, les populations témoignent dans nombre de pays d'un sentiment d'insécurité toujours plus exacerbé. Qu'il soit réel ou pas, il devient alors nécessaire pour tout individu de trouver les moyens matériels qui répondent à un besoin de « sécurisation psychologique et sociale » 102 ( * ) . Alors qu'à leur origine les complexes résidentiels fermés se présentaient « comme des environnements agréables à vivre » 103 ( * ) , la dimension sécuritaire a pris le dessus aujourd'hui. Après avoir connu un fort développement dans les années 60 aux Etats-Unis, les quartiers enclos (ou gated community en anglais) connaissent un important essor depuis une vingtaine d'années dans les métropoles d'Amérique du Sud ou d'Asie. Si les quartiers enclos sont autant prisés, c'est que, dans les pays en développement, la « nouvelle » bourgeoisie a adopté des stratégies de repli pour garantir sa protection que se soit contre les incivilités, les dégradations, les agressions et les vols. Ce comportement n'a rien d'anormal quand on sait qu'à Piracicaba, ville brésilienne de 365 000 habitants située à 160 kilomètres de São Paulo, les vols avec violence ont augmenté de 50,6 % entre 2000 et 2008. Ces nouveaux quartiers, situés à la périphérie des villes, parfois à seulement quelques centaines de mètres des bidonvilles, sont tous conçus de la même façon afin que les habitants se recréent un espace sûr « qu'ils dominent, qu'ils s'approprient » 104 ( * ) : un espace public privatisé, un espace délimité par une grille, un mur ou une autre barrière physique (c'est-à-dire surveillé jour et nuit par des gardes armés), la présence d'alarmes et de systèmes de vidéosurveillance et un accès limité aux seuls résidents. La prolifération des quartiers fermés n'est pas sans poser des problèmes : « les rues se voient gagnées par le caractère oppressif d'enceintes toujours plus hautes, de caméras, de barbelés et de guérites » 105 ( * ) . Par conséquent, les villes perdent leur caractère d'unicité avec cette fragmentation spatiale accrue. C'est le modèle de la ville du partage et du brassage qui se trouve être remis en cause. |
Comme l'ont montré les travaux de la Fabrique de la Cité 106 ( * ) , aux Etats-Unis, 10 % à 30 % des nouveaux lotissements déclinent le modèle des gated communities sur le modèle des quartiers résidentiels enclos des années 30. À Budapest, 70 parcs résidentiels ont vu le jour entre 2002 et 2007. À Lisbonne, on en compte plus de 200. En Angleterre, le recensement de 2003 a permis d'identifier plus de 1 000 quartiers sécurisés. En Amérique latine, on assiste à une explosion d'espaces semi fermés.
Un quartier sécurisé à Sao Paolo (Brésil) : Alphaville
Les dispositifs de sécurisation intègrent des niveaux de contrôle plus ou moins élevés : vidéo surveillance, gardiennage, accès badgés, portails électriques, plots rétractables sur la voierie, horaires de fréquentation etc. En France, 13 % des programmes immobiliers font état d'au moins un dispositif de contrôle. La tendance à la privatisation d'espaces publics est d'autant plus nette que ces zones sont de plus en plus nombreuses à intégrer des équipements sportifs et de loisirs (piscines, cours de tennis, parcs, espaces de jeux...). Ainsi, le phénomène induit également une reproduction des espaces publics à l'intérieur des zones privatives.
Les ensembles urbains sont aussi le lieu d'action privilégié du terrorisme . Une des réponses sécuritaires est celle de la fermeture, de la fragmentation de l'espace, du mur et du zonage. C'est la tendance naturelle du repli sécuritaire qui est à l'opposé de l'ouverture urbaine, de la mixité, des échanges, de la création de richesses, de la tolérance et de l'inventivité. C'est le risque auquel peut conduire l'absolu, voire l'obsession de la sécurité.
Bagdad : la fragmentation du territoire comme
réponse
Depuis ses premières années, Bagdad a connu des conflits confessionnels de par sa composition multiethnique. En 1919, elle était ainsi composée de plusieurs communautés : quartiers juif, kurde, chrétien, musulman. Avec l'arrivée de Saddam Hussein au pouvoir, en 1968 comme vice-président puis comme président de l'Irak à partir de 1979, s'est opéré une réduction drastique de la mixité, la ville connaissant une séparation confessionnelle à cause des conflits opposant les deux seules communautés encore représentées que sont les chiites et les sunnites. Ce découpage de la ville s'est fait par le biais du zonage qui a permis de délimiter des territoires clairement identifiés comme étant chiite ou sunnites (ou à majorité). Avec l'arrivée des Américains en 2003, cette politique de zonage n'a cessé de se renforcer. En effet, au nom de la prévention des conflits entre les deux communautés et de la protection des populations, d'importantes mesures sécuritaires ont été mises en place telle que la construction de murs entre les quartiers chiites et sunnites. Cela a de manière évidente « aggravé la séparation entre les habitants de Bagdad » 107 ( * ) . En 2009, gouvernement et municipalité ont annoncé le démantèlement de ces différents murs afin de mettre fin au cloisonnement de la ville. Il est néanmoins prévu, pour les remplacer, la construction d'une enceinte tout autour de la capitale, d'ici 2011, avec des points de passage équipés de systèmes de contrôle très sophistiqués afin d'« empêcher les terroristes de pénétrer dans la ville et prévenir l'afflux d'armes, d'explosifs et de voitures piégées » 108 ( * ) . Outre la présence de murs séparant les quartiers chiites et sunnites, des zones « hyper sécurisées » participent également à la fragmentation du territoire. C'est notamment le cas pour la Zone verte « complètement coupée de la réalité de la vie urbaine du reste de la ville » 109 ( * ) , où sont hébergées les forces armées américaines, les instances internationales et les ambassades. L'ensemble de ces éléments fait que Bagdad est une ville maillée de camps retranchés. Peut-être que la réouverture en novembre 2008 du pont Al-Aïmah, qui relie les quartiers d'Adhamiyah, sunnite, et Kazimiyah, chiite, sera suivie d'autres initiatives participant à l'unification du territoire. |
En définitive, le lien entre villes et insécurité est lié aux rapports entre espace public et criminalité, entre secteur public et problème social . Il s'inscrit dans le mouvement de privatisation de nombreuses politiques urbaines : transports, voirie, réseaux qui ont laissé à l'abandon de nombreux centres-villes au profit d'un mode de production privé des espaces urbains. Il est aggravé par les phénomènes de ségrégation sociale qui sont la conséquence de ces politiques urbaines et de l'aggravation des inégalités économiques. Il atteint une intensité maximale quand un ensemble urbain est atteint par une catastrophe naturelle ou industrielle.
ALPHAVILLE Des brésiliens sous une cloche dorée Face à une insécurité grandissante à Sao Paulo et la difficulté des pouvoirs publics de résoudre le problème, un promoteur immobilier, Takaoka et Albuquerque, a l'idée au début des années 1970 d'édifier à 25 kilomètres du centre de Sao Paulo une cité qui réunirait tous les avantages de la ville dans un univers complètement sécurisé et protégé. Le lieu, baptisé « Alphaville » en l'honneur du film de Jean-Luc Godard, repose sur une sélection naturelle de ses habitants par l'argent : pour être admis au sein de ce club résidentiel, il suffit d'acheter une maison dont les prix varient entre 700 000 et 2 millions d'euros. Cette forteresse constitue le produit le plus abouti conçu par l'industrie de la sécurité privée : un oasis résidentiel entouré de hauts murs et baignant dans le luxe et le calme. Une milice privée est chargée de patrouiller jour et nuit dans la cité et l'identité de chaque visiteur est contrôlée de près. Assurant sa propre sécurité, la cité fonctionne comme une agglomération indépendante. Les 20 000 résidences et villas, jouissent d'un accès à de nombreux services à l'intérieur même des murs : un centre commercial, onze écoles, une université, des cabinets médicaux, des coiffeurs, des magasins d'alimentation, des restaurants, des cinémas, des clubs sportifs de tout genre, un golf et des banques sont réservés aux habitants. En plus de ces équipements, les promoteurs ont développé une activité tertiaire de bureaux (2300 entreprises y sont implantées), faisant que plus de 150 000 personnes entrent et sortent chaque jour de cette forteresse accessible seulement par l'automobile. Le succès est tel que les trente trois Alphaville déjà construites ne suffisent à satisfaire la demande. Les promoteurs ont dupliqué dans les années 1990-2000 leur concept dans plusieurs autres villes du Brésil (Campinas, Ribeirao Preto, Curitiba, Londrina, Salvador, Manaus, Natal, Gramado, Belo Horizonte). Alphaville fait figure d'aboutissement de la ville privatisée : les promoteurs effectuent tous les travaux (adduction d'eau, électricité, communications, aménagement, jardins, éclairage public, pavage des rues, etc.), assurent l'entretien, maîtrisent sa gestion, garantissent la sécurité de l'ensemble et contrôlent les orientations sur le développement futur de la cité. |
Comme l'a montré la thèse de Charlotte Boisleau sur les violences, les sécurités et les territoires 110 ( * ) : « La ville « générique » veut se débarrasser des comportements anomiques ou les rendre invisibles. Mais, les violences s'adaptent aux formes spécifiques des territoires urbains et la forme de la ville détermine leur substance ; c'est pourquoi, les violences devraient être interprétées comme des réactions engendrées par l'organisation sociétale. L'avènement de l'urbanisme sécuritaire, loin de réduire les violences urbaines, les territorialisent. À la géographie de la sécurité correspond une géographie de la violence . Les sociétés, en passant de la gouvernementalité à la gouvernance de la sécurité, sont passées de la fragmentation à la ségrégation croissante des territoires urbains ».
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* *
On voit donc que la réponse aux questions liées à l'insécurité passe bien sûr par des effectifs de police en des moyens appropriés. Elle passe aussi par des politiques de prévention.
Elle passe par d'autres choix urbains. La conjonction de forteresses urbaines hyper sécurisées et de ghettos de pauvres ne crée pas les conditions favorables à une vraie politique de sécurité. Elle a d'évidents contre-effets.
Il serait inexact d'écrire que l'insécurité est automatiquement liée aux problèmes sociaux vécus par une part importante de la population urbaine. En revanche, il est clair que la ségrégation induit l'insécurité.
Ne nous méprenons pas : il y a des actes de délinquance, de violence, de criminalité qui ne sont pas liés au contexte urbain. Importer la criminalité à la ville c'est -on l'a vu dès l'avant-propos de ce rapport- retomber dans les idées fausses et les stéréotypes.
Mais il est clair que -sans qu'il y ait de rapport de causalité absolue- la ségrégation, les difficultés liées à des quartiers qui concentrent des habitants qui vivent dans une grand pauvreté et une grande précarité ne sont pas sans rapport avec l'insécurité. Et qu'oeuvrer pour la mixité sociale et fonctionnelle, la qualité de l'habitat et du cadre de vie, c'est aussi -même si cela ne règle pas tout et s'il y a d'autres causes à la délinquance et à la criminalité- oeuvrer pour une ville plus sûre.
* 94 Rapport 2010 de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge
* Sources : « Ceux que la mer menace » : Climate Research, vol. 12, n°s 2-3, Inter-Research, Oldendorf/Luhe, Allemagne, 1999 ; université de Dacca ; World Resources Institute (WRI), Washington DC ; Groupement intergouvernemental pour l'étude du climat (GIEC), Genève ; Michael Oppenheimer, Polar Ice Sheets, Melting and Sea Level Change, université de Princetown ; Organisation météorologique mondiale (OMM), Genève ; base de données cartographique du Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP) et son centre associé GRID-Arendal (Norvège). La modélisation pour le delta du Nil a été réalisée par Otto Simonett (PNUE/GRID, Arendal) au début des années 1990. Les autres cartes et les graphiques sont tirés du journal Environment and Poverty Times, n° 3, publié par le PNUE/GRID, à l'occasion de la Conférence mondiale sur la prévention des catastrophes naturelles de Kobé (Japon) (janvier 2005), et ont été adaptés pour Le Monde diplomatique
* 95 Voir le texte sur la Randstad, « La Randstad : quel rapport à l'eau pour les villes post-carbones ? », dans le Tome II
* 96 Ibid.
* 97 D. Sabo, « Iles artificielles et maisons amphibies », in Place publique, http://www.place-publique.fr/spip.php?article5546
* 98 Voir le texte sur « Mexico : archétype de la monstruopole ? » dans le Tome II
* 99 Ibid.
* 100 Ibid.
* 101 « Mexico sonne l'heure écolo », in Courrier international , mis en ligne le 26 janvier 2009
* 102 Thuillier G., 2006, « Les quartiers enclos à Buenos Aires : la ville privatisé ? », Geocarrefour, vol.81/2. Voir Buenos Aires, « Buenos Aires : de la ville fragmentée à la ville privatisée ? Le rôle des quartiers enclos » dans le Tome II
* 103 Voir « Les transformations urbaines en Inde : Delhi et l'émergence de nouvelles formes urbaines » dans le Tome II
* 104 Voir « Buenos Aires : de la ville fragmentée à la ville privatisée ? Le rôle des quartiers enclos » dans le Tome II
* 105 Voir « Piracicaba, the city as a growth machine » dans le Tome II
* 106 La Fabrique de la Cité, L'essor des gated communities, phénomène planétaire 8 Avril 2011
* 107 Voir le texte sur Bagdad « Bagdad : l'urbanisme en situation de conflit » dans le Tome II
* 108 Ibid.
* 109 Ibid.
* 110 Charlotte Boisteau, Violences, sécurités et territoires, transformations urbaines à Bogota et Barcelone, thèse de doctorant au Laboratoire de Sociologie urbaine (LASUR) de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne