C. UNE VOLONTÉ DE SE CONCENTRER SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN, POUR LÉGITIME QU'ELLE SOIT, AURA, À SUBVENTION CONSTANTE, UN EFFET D'ÉVICTION SUR LES AUTRES SECTEURS

Au regard des précédentes programmations, les objectifs en matière d'éducation et de santé figurant dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD sont de nature à infléchir sensiblement la répartition des crédits de subvention.

La volonté de concentrer l'effort budgétaire de l'Etat sur le développement humain est aisément compréhensible au regard des objectifs généraux de l'aide au développement.

La santé constitue un enjeu majeur dans le processus de développement. C'est pour cette raison que trois des huit objectifs du développement pour le millénaire (OMD), validés en 2000 à l'issue de la Déclaration du Millénaire approuvée par 189 chefs d'État et de gouvernement, sont consacrés à l'amélioration de la santé.

La mortalité maternelle touche entre 350 000 et 500 000 femmes chaque année. Le nombre des enfants qui disparaissent avant leur cinquième anniversaire a, certes, diminué de près de 30 % depuis 2000 (contre une cible d'une diminution de deux tiers d'ici 2015), mais plus de 9 millions d'enfants sont encore concernés. Les trois grandes pandémies, le sida, le paludisme et la tuberculose déciment plusieurs millions de personnes chaque année. En dépit de la croissance démographique, ces chiffres n'évoluent plus : des progrès ont donc été réalisés, mais à un rythme trop lent.

Il est presque inutile de rappeler combien l'éducation est également un facteur essentiel du développement des libertés et du progrès économique. Là encore des progrès ont été enregistrés. Entre 2000 et 2010, le nombre d'enfants non scolarisés est passé de 105 millions à 72 millions. Mais environ 69 millions d'enfants en âge scolaire ne sont pas scolarisés. Près de la moitié d'entre eux (31 millions) habitent l'Afrique subsaharienne et plus d'un quart (18 millions) l'Asie du Sud.

Pour atteindre la scolarisation primaire universelle d'ici à 2015, il faudrait d'après les estimations de l'UNICEF recruter 3,2 millions d'enseignants, soit un financement supplémentaire d'environ 9,1 milliards de dollars par an et construire 6,2 millions de salles de classe supplémentaires.

Ce choix de ces deux secteurs est également compréhensible au regard du déséquilibre constaté dans ces secteurs entre les canaux bilatéraux et multilatéraux de l'aide française.

Dans le domaine de la santé, les contributions multilatérales en santé ont été multipliées par près de 10 entre 2000 et 2007, les engagements bilatéraux n'ont été multipliés que par 1,5 sur la même période, et leur part dans l'aide totale en santé est passée de 69,6 % en 2000 à 26,5 % en 2007.

De nombreux rapports sur l'évolution de la coopération française en santé soulignent tous la nécessité d'augmenter l'aide bilatérale afin qu'elle retrouve un seuil de crédibilité.

Il est vrai que les autres pays donateurs, y compris ceux qui sont très influents au niveau multilatéral, ont un ratio beaucoup plus équilibré entre leur aide multilatérale et bilatérale, et cherchent à optimiser ces deux instruments. Dans cette perspective, l'aide bilatérale peut contribuer, par une meilleure connaissance des politiques menées au niveau des pays et des résultats obtenus, à définir les positions des Etats au sein des instances de gouvernance multilatérale et à faire valoir les besoins et priorités des pays du Sud. L'aide bilatérale permet en particulier de développer des complémentarités avec l'aide multilatérale en renforçant les capacités des pays à mobiliser et mettre en oeuvre les financements globaux.

Ces arguments en faveur d'un réinvestissement dans le domaine de la santé méritent d'être entendus. Il reste que ce secteur bénéficie avec le fonds SIDA (360 millions par ans), le GAVI, UNITAID, de contributions de montants très importants en provenance du budget de la coopération.

De ce point de vue un document stratégique sectoriel qui identifie les besoins et la façon dont la France pourrait articuler ses contributions multilatérales et bilatérales permettrait d'éclairer les choix budgétaires. Ce document est attendu depuis de nombreuses années. En son absence, les choix effectués donnent l'impression que des crédits bilatéraux viennent abonder des crédits multilatéraux déjà très importants.

Dans le domaine de l'éducation, depuis 2002, la France a également beaucoup oeuvré, dans le cadre de l'initiative « fast track » pour l'accroissement et l'harmonisation de l'aide internationale en faveur de l'éducation. Le fonds fiduciaire de l'initiative, géré par la Banque mondiale, est aujourd'hui la première source de financement des programmes de l'éducation des pays les moins avancés, notamment d'Afrique francophone.

Néanmoins, la réduction actuelle de notre aide bilatérale ne permet plus à l'AFD de contribuer au financement du fonds fiduciaire, ni de contribuer directement de manière significative au financement des programmes d'éducation des pays.

Il n'en demeure pas moins que, dans un contexte budgétaire de stagnation à un niveau historiquement bas des subventions, la priorité accordée à ces deux secteurs est de nature à évincer de l'ensemble du financement par subventions tous les autres secteurs.

En 2010, la répartition des 63 millions d'euros de subventions attribuées à des projets dans les 14 pays pauvres prioritaires a été effectuée de façon homogène.

L'augmentation d'environ 30 millions des crédits consacrés à l'éducation et de 15 millions à la santé devrait, à budget constant, se traduire dès 2011 par une réduction drastique des crédits de subventions consacrés à l'eau et à l'assainissement, aux infrastructures et développement urbain, à l'environnement et au secteur productif.

Ces secteurs représentaient 54 % des subventions en 2010. D'après les informations communiquées à vos rapporteurs, ils ne représenteraient plus que 15 % des subventions accordées aux pays prioritaires.

Certains de ces secteurs peuvent certes dégager une certaine rentabilité qui les rend éligibles à des prêts. Toutefois, même dans ces secteurs, la bonne finalisation des projets nécessite des éléments de subventions pour financer des études ou de l'aide technique. La possibilité d'associer à des prêts des subventions est aujourd'hui considérée comme un avantage comparatif de l'AFD par rapport aux autres bailleurs de fonds.

On peut également s'interroger sur la pertinence d'un choix de surconcentration sur les secteurs du développement humain au regard des avantages comparatifs de l'expertise française.

Il n'est pas sûr que cela soit dans le domaine de la santé et de l'éducation que la coopération française dispose des meilleurs atouts par rapport à d'autres bailleurs de fonds multilatéraux ou bilatéraux. A l'inverse, les compétences françaises dans les domaines de l'eau, de l'agriculture ou de l'aménagement du territoire sont reconnues.

Ces domaines sont tout aussi stratégiques pour le développement.

Pour prendre l'exemple de l'eau, il est de notoriété publique que le raccordement à des circuits d'eau potable a des effets majeurs sur le développement, en provoquant une nouvelle répartition des tâches journalières et la quasi-disparition des maladies hydriques.

Il en va de même des infrastructures dont la présidence française du G20 a fait sa priorité dans le domaine de l'aide au développement. Un récent rapport de la Banque mondiale rappelait qu'on estime que l'insuffisance d'infrastructures en Afrique fait perdre 2 % de taux de croissance par an à l'Afrique et qu'elle réduit en moyenne de 40 % la productivité des économies.

Devant l'éventail assez large des priorités, une répartition plus souple des subventions nous semblerait plus adaptée.

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