N° 410

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 avril 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) à la suite d'une mission d' information (2) effectuée en Guyane , en Martinique et en Guadeloupe du 17 février au 4 mars 2011,

Par MM. Christian COINTAT et Bernard FRIMAT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. Yves Détraigne , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung, François Zocchetto.

(2) Cette mission est composée de : MM. Christian Cointat et Bernard Frimat.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La perspective de l'examen d'un texte instituant les deux collectivités uniques de Guyane et de Martinique, dans la continuité des consultations du 24 janvier 2010, finalement déposé sur le bureau du Sénat le 26 janvier 2011 1 ( * ) , a conduit la commission des lois à envoyer vos deux rapporteurs en mission en Guyane et en Martinique, pour entendre les élus locaux, les représentants des partis politiques et ceux de la société civile. Compte tenu des questionnements institutionnels qui s'y posent aussi, la mission a été étendue à la Guadeloupe.

Vos rapporteurs tiennent particulièrement à remercier nos collègues sénateurs de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe, pour leur accueil et leur disponibilité 2 ( * ) .

Ils souhaitent aussi remercier MM. Daniel Ferey, préfet de Guyane, et Ange Mancini 3 ( * ) , préfet de Martinique, ainsi que leurs services, pour l'aide qu'ils ont apportée à l'organisation et au bon déroulement de leur mission. Ils regrettent de ne pas avoir eu le même accueil en Guadeloupe.

Le premier enseignement que vos rapporteurs retirent de leur mission, qui s'est déroulée du 17 février au 4 mars 2011, sur quinze jours 4 ( * ) , est qu'il n'est pas possible d'envisager globalement, comme on le fait trop souvent, par facilité, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Ce sont trois réalités profondément différentes, qu'on ne peut traiter de la même manière.

Ainsi, alors que la Martinique concentre sur 1 100 kilomètres carrés une population de 400 000 habitants, la Guyane compte 220 000 habitants sur une superficie de 84 000 kilomètres carrés, près d'un sixième de la superficie de la France métropolitaine, occupés à 95 % par la dense forêt amazonienne. Pour sa part, la Guadeloupe comprend également 400 000 habitants, mais répartis sur une géographie archipélagique éclatée de 1 400 kilomètres carrés.

La situation radicalement singulière de la Guyane a particulièrement frappé vos rapporteurs. Ils ont même pu appréhender physiquement, par eux-mêmes, la réalité géographique de la Guyane, notamment lors de leur trajet entre Cayenne et Maripasoula, en survolant dans un petit avion monomoteur l'immense forêt amazonienne. La réalité humaine, si diverse, est tout aussi étonnante. Selon l'INSEE, la Guyane devrait passer de 220 000 habitants aujourd'hui à 580 000 habitants à l'horizon 2040, soit presque un triplement de la population en trente ans 5 ( * ) , en particulier dans les communes de l'ouest guyanais, sur le fleuve Maroni, une véritable « explosion » démographique, prévue nulle part ailleurs en France. A ce jour, la croissance démographique annuelle est de l'ordre de 3,5 %. Ajoutée au poids de l'immigration illégale, estimée à 30 % de la population totale, cette donnée fondamentale explique l'essentiel des enjeux actuels de la Guyane.

C'est dans ce contexte humain et géographique si particulier, propre à chacun des départements d'outre-mer de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, qu'il faut envisager la pertinence de l'évolution institutionnelle. Vos rapporteurs estiment que leur mission a été très utile pour comprendre les enjeux et les attentes, qui dépassent de loin la seule question du devenir institutionnel.

Vos rapporteurs invitent à ne pas placer dans la collectivité unique, nouvelle organisation institutionnelle choisie par la Guyane et la Martinique, de trop grandes attentes, des espoirs pour lesquels elle n'a pas été conçue, sous peine de graves désillusions. De nombreux élus ont d'ailleurs déploré que le projet de loi ne comporte aucune disposition d'accompagnement financier qui aurait permis d'aider au démarrage et de réussir le pari de la collectivité unique. Si celle-ci constitue une opportunité pour nos compatriotes guyanais et martiniquais, en matière de développement économique comme de cohésion sociale, elle ne saurait être prise pour une solution miracle.

On reproche souvent, en effet, au débat institutionnel de masquer les enjeux économiques et sociaux. Ces enjeux se sont pourtant exprimés avec force lors de la crise sociale qui a secoué les départements d'outre-mer au début de l'année 2009. Les consultations de janvier 2010 ont permis aux électeurs guyanais et martiniquais d'exprimer leur volonté de rester pleinement dans le droit commun de la République.

La question institutionnelle ne doit pas être encore hypertrophiée. Il s'agit simplement, aujourd'hui, de concevoir le cadre institutionnel le plus adapté au service du développement économique et social, mais aussi le plus conforme aux voeux des populations concernées. La préparation et la mise en place de la collectivité unique, pour essentielles qu'elles soient, ne doivent pas occulter le reste du débat public local.

L'évolution institutionnelle n'est qu'un moyen d'avancer, en aucun cas une fin en soi, une réponse à tous les problèmes.

La départementalisation, à partir de 1946, a permis à nos compatriotes de rejoindre en bonne partie les conditions sociales de l'hexagone en matière de revenus, de santé, de logement, d'éducation, de consommation, et, alors qu'ils se trouvent dans un environnement régional nettement plus défavorisé, de faire partie des régions du monde où le niveau de vie est élevé. Certes, il reste beaucoup à faire pour assurer pleinement la cohésion sociale comme la pleine égalité sociale avec la métropole. Pour autant, tant l'éloignement de la métropole que les conditions de leur peuplement ont façonné des territoires avec la conscience authentique d'une identité particulière au sein de la communauté nationale. Dans ce contexte, la collectivité unique est d'abord la reconnaissance du libre choix institutionnel offert à nos concitoyens.

La forêt amazonienne en Guyane

Le rocher du Diamant en Martinique et l'île de Sainte-Lucie à l'horizon

I. LES SERVICES DE L'ÉTAT CONFRONTÉS À DES DÉFIS DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANTS

Conformément à l'habitude prise au cours de leurs diverses missions outre-mer, vos rapporteurs ont souhaité rencontrer les responsables des services de l'État dont les missions relèvent du champ de compétence de votre commission. Ces rencontres leur ont permis de prendre la mesure des défis à relever et des difficultés à surmonter.

A. DES MISSIONS DE PLUS EN PLUS DIFFICILES POUR LES FORCES DE L'ORDRE FACE À LA MONTÉE DE LA VIOLENCE

Dans les trois départements, vos rapporteurs ont entendu, sous forme de tables-rondes, la direction départementale de la sécurité publique, le commandement de la gendarmerie nationale et la direction départementale de la police aux frontières. En Guyane, compte tenu de l'appui des forces armées aux opérations Harpie de lutte contre l'orpaillage clandestin, vos rapporteurs ont également souhaité entendre le commandant supérieur des forces armées.

1. La montée rapide de la violence

Dans les trois départements, les violences volontaires aux personnes sont en progression. Les représentants de la police comme de la gendarmerie ont fait connaître à vos rapporteurs que leurs moyens d'action se révélaient souvent insuffisants pour y faire face. A titre d'exemple, en Guadeloupe, les unités territoriales de gendarmerie sont sous-dimensionnées, c'est la présence permanente de gendarmes mobiles qui permet, alors que ce n'est pas leur vocation, de remplir les missions quotidiennes.

Les violences et la drogue représentent 95 % des affaires pénales en Martinique, avec une augmentation de 22 % du nombre de saisines du parquet de 2007 à 2010. Les drogues consommées, en provenance des îles voisines notamment de Sainte-Lucie 6 ( * ) , sont principalement le crack, le cannabis et la cocaïne, ce qui accentue les comportements violents du fait de la dépendance physique et psychique, mais également du besoin de trouver de l'argent. La drogue donne lieu à des trafics de stupéfiants en bande organisée.

Selon les magistrats rencontrés en Martinique, la délinquance juvénile est très élevée et il existe une forte pression de la criminalité 7 ( * ) . La violence est extrême et armée, avec beaucoup d'armes à feu de quatrième catégorie. Selon le procureur adjoint près le tribunal de grande instance de Fort-de-France, alors que la Martinique est le département français où il y a le moins de mineurs en proportion de la population 8 ( * ) , c'est le cinquième département en termes de violences, soit presque au niveau que la Seine-Saint-Denis.

Les violences conjugales et intrafamiliales sont aussi extrêmement fréquentes en Martinique et en Guadeloupe. Grâce à l'action des pouvoirs publics, elles sont davantage déclarées aujourd'hui, ce qui pèse sur les statistiques. Les violences en milieu scolaire sont également préoccupantes 9 ( * ) .

De l'avis unanime des personnes rencontrées par vos rapporteurs, la violence quotidienne est très présente en Martinique. Selon l'adjoint du commandant de la gendarmerie, un gendarme a sept fois plus de risque d'être blessé en opération que dans l'hexagone.

Selon les magistrats rencontrés en Guadeloupe, ce département est le deuxième département le plus violent de France. Dans le ressort de la cour d'appel de Basse-Terre, Saint-Martin souffre d'une délinquance endémique et extrêmement violente, que l'absence de frontière avec la partie néerlandaise accentue. Saint-Martin est un carrefour stratégique pour le trafic de stupéfiants, malgré l'installation sur place d'une antenne de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS).

Quelques indicateurs peuvent illustrer le niveau de la violence.

Au tribunal de grande instance de Cayenne, le tribunal correctionnel siège tous les jours et la cour d'assises a traité 65 dossiers en 2010. Selon M. François Schneider, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Cayenne, le taux des infractions violentes en Guyane est le triple de celui de la métropole, ce qui illustre le caractère endémique de la violence en Guyane. En Guadeloupe, en zone police, le nombre de vols à main armée a augmenté de 72 % en 2010, soit environ 900 faits.

Selon M. Henry Robert, premier président de la cour d'appel de Basse-Terre, les sessions d'assises en Guadeloupe sont très rapprochées. La session a été permanente en 2010.

Compte tenu de l'ampleur de la violence, en Martinique comme en Guadeloupe, beaucoup d'affaires criminelles sont « correctionnalisées », alors que ce ne serait pas le cas pour les mêmes affaires dans l'hexagone. Même des vols à main armée passent en comparution immédiate.

Selon les interlocuteurs de vos rapporteurs, tant élus que magistrats et responsables de police ou de gendarmerie, la croissance rapide de la violence se nourrit d'un contexte social aujourd'hui très dégradé, dans les Antilles mais aussi en Guyane : déstructuration des familles, désoeuvrement de la jeunesse, consommation élevée de drogue, notamment de crack, et d'alcool, faiblesse du tissu associatif, notamment en complément de l'activité judiciaire, et plus généralement de l'encadrement associatif de la société.

Enfin, à titre d'anecdote, vos rapporteurs ont été surpris d'être mis en garde, en vue de leur entretien, par le président des chambres régionales des comptes, dont les locaux sont situés au centre de Pointe-à-Pitre, contre l'insécurité qui y règne. Ceci illustre bien le climat de violence.

2. Les particularités de la Guyane
a) L'immigration illégale, facteur d'aggravation de la délinquance

Le poids et la présence de l'immigration clandestine dans la société guyanaise se retrouvent dans les actes de violence. Un grand nombre de faits de violence ne sont pas déclarés car ils touchent des immigrés clandestins. Et pourtant, les statistiques montrent un nombre de faits de violence contre les personnes déjà très élevé.

Selon le directeur départemental de la sécurité publique, si l'on ne tient pas compte des infractions à la législation sur les étrangers, les mineurs sont moins impliqués dans la délinquance que dans l'hexagone, 12 à 14 % des délits contre 18 à 20 %, mais la délinquance des mineurs connaît une forte progression, avec une violence importante.

Les services de police sont confrontés à une violence importante de la part des immigrés illégaux, notamment du Guyana. Les Guyaniens sont en effet surreprésentés dans la délinquance générale.

Concernant la répartition des zones entre police et gendarmerie, vos rapporteurs ont observé un accord sur l'extension de la zone de compétence de la police, actuellement limitée à la ville de Cayenne, à toute l'agglomération de Cayenne, c'est-à-dire Rémire-Montjoly et éventuellement Matoury, dans une logique de continuité territoriale entre les lieux de commission des délits et les lieux de résidence des délinquants.

Il convient enfin de mentionner, au titre des particularités guyanaises, la présence du centre spatial guyanais, à Kourou, qui bénéficie d'une vigilance particulière en matière de sécurité publique.

b) Des dérogations au droit commun

Comme dans le droit commun, les services de l'État peuvent éloigner un étranger sans attendre le délai de quarante-huit heures et donc sans le présenter devant le juge des libertés et de la détention. En revanche, l'appel de la décision d'éloignement n'est pas suspensif. Sans cette dérogation, le centre de rétention administrative de Cayenne serait très vraisemblablement engorgé.

Une autre dérogation notable, par analogie avec les interpellations en haute mer, réside dans le fait que les dispositions relatives à la garde à vue ne s'appliquent qu'à partir d'un délai de vingt heures après l'interpellation en cas d'exploitation minière illégale, sur autorisation expresse du parquet, de façon à permettre d'extraire de la forêt amazonienne les personnes interpellées et de les transférer à Cayenne 10 ( * ) .

Au titre des dérogations par rapport au droit commun, on peut aussi relever l'existence d'une zone à accès réglementé, accessible sur autorisation préfectorale, au sud d'une ligne Maripasoula-Camopi.

Enfin, deux postes de contrôle routier intérieurs, tenus par la gendarmerie nationale, contrôlent tous les véhicules. Ils sont situés l'un sur la RN 1 de Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni, dans le bourg de la commune d'Iracoubo, sur le pont qui enjambe le fleuve qui a donné son nom à la commune, et l'autre sur la RN 2 de Cayenne à Saint-Georges-de-l'Oyapock à Bélizon, sur la commune de Régina. Toutefois, sans mettre en cause le travail des gendarmes, on peut s'interroger sur la réelle efficacité de postes fixes, plus aisés à contourner dès lors qu'ils sont connus, alors qu'au demeurant ils constituent une entrave à la liberté de circulation sur le territoire.

c) Les opérations Harpie de lutte contre l'orpaillage clandestin

La richesse aurifère de la Guyane attire de nombreux orpailleurs illégaux, le plus souvent des immigrés irréguliers brésiliens ou surinamiens. Outre le pillage des ressources, l'exploitation illégale constitue une source de pollution pour la faune et les populations, essentiellement amérindiennes, qui en vivent, en raison de l'utilisation du mercure qui se disperse dans les cours d'eau et intègre la chaîne alimentaire.

C'est ainsi un enjeu majeur écologique 11 ( * ) et sanitaire. Les orpailleurs perturbent le mode de vie et portent atteinte, y compris par la violence, aux populations qui vivent dans la forêt, notamment dans les communes de Maripasoula et Camopi. Nos collègues Josselin de Rohan, Bernadette Dupont, Jacques Berthou et Jean-Etienne Antoinette, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont également pu, lors de leur mission en décembre 2010, apprécier cette réalité 12 ( * ) .

Engagées depuis 2008, les opérations Harpie visent à détruire les sites d'orpaillage illégal, avec leur matériel, dispersés dans toute la forêt amazonienne guyanaise, ainsi qu'à interpeller les orpailleurs. Elles sont un exemple réussi d'approche transversale d'une problématique et de coopération entre services, en mobilisant, sous la coordination du préfet, outre la gendarmerie nationale qui en assure le pilotage, les forces armées et, depuis 2009, la police aux frontières. Ainsi que l'a expliqué à vos rapporteurs le général Jean-Pierre Hestin, commandant des forces armées en Guyane (FAG), les opérations Harpie sont les seules opérations non militaires auxquelles participent l'armée française. Ce sont des opérations de police administrative et judiciaire destinée à lutter contre l'orpaillage clandestin.

Selon les statistiques transmises à vos rapporteurs, Harpie a permis de saisir en 2010 plus de 200 armes à feu, près de 250 véhicules, dont de nombreux quads 13 ( * ) , 288 pirogues et seulement 10,6 kilogrammes d'or. Cette faible quantité laisse penser que l'or extrait, le plus souvent alluvionnaire, est quotidiennement sorti des sites d'orpaillage. On recense également 3 288 carbets 14 ( * ) détruits et 1 413 personnes mises en cause, dont 1 226 étrangers en situation irrégulière. L'objectif est en effet de porter atteinte à l'organisation et à la logistique des orpailleurs.

La récente remontée des cours internationaux de l'or rend en outre plus attractif l'orpaillage clandestin en Guyane. Compte tenu de la rentabilité, les orpailleurs clandestins sont prêts à supporter de lourdes pertes causées par les forces françaises pour poursuivre leur activité.

Si les moyens déployés pourraient être encore renforcés 15 ( * ) , les limites des opérations Harpie résident désormais dans l'approche internationale. En effet, à ce jour, le Brésil et le Surinam, d'où sont originaires l'essentiel des orpailleurs clandestins, qui vivent en situation irrégulière et travaillent parfois dans d'effroyables conditions d'exploitation, n'ont pas une conception de l'orpaillage illégal aussi aiguë que celle des autorités françaises.

Le coût de la reconduite à la frontière d'un « garimpeiros » est extrêmement élevé pour les finances publiques, compte tenu des moyens notamment aériens mis en oeuvre, a fortiori s'ils peuvent revenir facilement sur le territoire français.

Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec le Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial est actuellement en cours d'examen par l'Assemblée nationale 16 ( * ) . L'accord vise à renforcer la coopération en matière de répression des activités d'exploitation aurifère illicites, à mieux sanctionner pénalement l'orpaillage illégal et à mieux encadrer l'activité de négoce de l'or ainsi que les activités connexes de l'orpaillage que sont la commercialisation de matériels d'exploitation et le transport sur le fleuve.

Site d'orpaillage dans la forêt amazonienne

Parallèlement aux opérations Harpie, trois barrages fluviaux fixes dans le secteur de Maripasoula 17 ( * ) , tenus conjointement par la gendarmerie mobile et l'armée, contribuent à lutter contre la circulation des orpailleurs qui se ravitaillent au Surinam. Les effectifs du neuvième régiment d'infanterie de marine stationnés au camp Lunier, à Maripasoula, où ont pu se rendre vos rapporteurs, participent à la tenue de ces barrages fluviaux et aux opérations Harpie. Il a été signalé à vos rapporteurs que les orpailleurs avaient mis en place un réseau sophistiqué de sentinelles sur le fleuve pour épier les forces françaises et pour avertir notamment en cas de départ de pirogues militaires du camp Lunier, ce qui rend plus incertain l'effet des opérations entreprises.

Vos rapporteurs tiennent à saluer le travail important - et dangereux pour les personnels militaires engagés, confrontés à des « garimpeiros » armés et violents 18 ( * ) - réalisé dans le cadre des opérations Harpie.

Un autre axe retenu par l'État, à l'initiative du préfet, dans la lutte contre l'orpaillage illégal consiste à chercher à substituer aux orpailleurs clandestins des exploitations aurifères légales tenues par des sociétés minières dûment autorisées 19 ( * ) . Cette piste est suivie par le commissaire au développement endogène de Guyane, rencontré par vos rapporteurs. A cet égard, plusieurs maires ont déploré que la Guyane et ses communes ne tirent pas davantage de bénéfices de l'or extrait de leur territoire.


* 1 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl10-265.html

* 2 MM. Jean-Etienne Antoinette et Georges Patient, sénateurs de Guyane, MM. Serge Larcher et Claude Lise, sénateurs de Martinique, Mme Lucette Michaux-Chevry et MM. Jacques Gillot et Daniel Marsin sénateurs de Guadeloupe.

* 3 M. Ange Mancini a depuis quitté ses fonctions pour être nommé coordinateur du renseignement.

* 4 Voir en annexe 1 le programme réalisé par la mission.

* 5 A titre de comparaison, la population stagnerait et vieillirait dans les Antilles, en particulier en Martinique. La publication de l'INSEE est consultable à l'adresse suivante :

http://www.insee.fr/fr/insee_regions/guyane/themes/premiers_resultats/proj_pop2040_gy/proj_pop2040_gy.pdf

* 6 Sur dix Sainte-Luciens interpelés par la police aux frontières, trois ou quatre sont porteurs de stupéfiants.

* 7 On recense en 2010 vingt meurtres et quinze tentatives de meurtre pour une population d'environ 400 000 habitants. En Guadeloupe, on atteint soixante homicides, pour une population équivalente à celle de la Martinique.

* 8 Le vieillissement rapide de la population est d'ailleurs une source de préoccupation.

* 9 En lien avec les agents de la protection judiciaire de la jeunesse, la gendarmerie mène des opérations de prévention et de sensibilisation en milieu scolaire, par exemple au lycée de la Trinité, avec un certain succès dans la baisse de la violence. En Guadeloupe, la gendarmerie, entièrement absorbée par la police judiciaire, n'est pas en capacité de faire de la prévention.

* 10 L'article L. 621-8 du code minier dispose ainsi : « Lorsque (...) le transfert des personnes interpellées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables, le point de départ de la garde à vue peut exceptionnellement être reporté à l'arrivée dans les locaux du siège où cette mesure doit se dérouler. Ce report ne peut excéder vingt heures. Il est autorisé par le procureur de la République ou la juridiction d'instruction. Mention des circonstances matérielles insurmontables au vu desquelles cette autorisation a été donnée est portée au procès-verbal. »

* 11 Ces activités illégales sont largement installées sur le territoire du parc amazonien de Guyane, qui a le statut de parc national, créé en 2007 sur 38 000 kilomètres carrés.

* 12 Le rapport d'information est consultable à l'adresse suivante :

http://intranet.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-271-notice.html

* 13 Moyen de transport favori des « garimpeiros » dans la forêt, les quads une fois saisis peuvent être utilisés, avec l'autorisation du parquet, par les gendarmes.

* 14 Abris ouvert traditionnel amazonien.

* 15 Les moyens conjugués des forces armées et des forces de l'ordre en matière d'aéromobilité, en particulier les hélicoptères, ne semblent pas encore suffisants et sont souvent obsolètes.

* 16 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/bresil_exploitation_or.asp

Mme Christiane Taubira, députée de Guyane, rapporteure du projet de loi à l'Assemblée nationale, déplore toutefois dans son rapport « la modestie des ambitions » de cet accord, dont en outre la mise en oeuvre lui semble incertaine par les autorités brésiliennes.

* 17 Postes de contrôle fluviaux de Twenké et Cayodé sur le Maroni et de Saut Sonnelle sur l'Inini, affluent du Maroni.

* 18 Selon M. Herman Charlotte, maire de Saül, commune au coeur de la forêt, confrontée à la présence des « garimpeiros » sur son territoire, les opérations Harpie ont eu pour effet de rendre de les rendre plus violents et plus armés. Un militaire est d'ailleurs décédé en opération en 2010.

* 19 Certains mouvements, notamment Guyane Ecologie, contestent cette politique, lui préférant une démarche d'interdiction complète de l'orpaillage en vue de la préservation de la forêt amazonienne, de sa biodiversité et des populations amérindiennes qui y vivent.

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