C. MALGRÉ DE NOMBREUX TRAVAUX, LES JEUNES ET LEURS QUARTIERS SONT MAL CONNUS DES DÉCIDEURS ET DE LA POPULATION FRANÇAISE EN GÉNÉRAL
1. Une image médiatique pénalisante
Relégués et craints depuis plusieurs décennies, les quartiers sont très pénalisés par l'image médiatique liée aux drames de l'insécurité.
Les quartiers sensibles ont peu d'équipements ou de commerces ayant une vocation large. Ils ne sont pas attractifs et, de fait, en dehors des résidents, peu de personnes s'y rendent. Cette situation crée une forme d'enfermement, de repli sur soi, bien involontaire de la part des habitants. Ainsi tout nouveau visiteur du quartier est reconnu, identifié.
Les violences urbaines et l'image qui en découle achèvent de décourager les personnes extérieures de s'y rendre. Les quartiers sont associés à un sentiment d'insécurité.
Cette image négative persiste malgré la transformation urbaine. Elle est régulièrement alimentée par des violences très médiatisées. Les habitants vivent cette image comme une forme de stigmatisation et d'injustice . En réaction, ils intériorisent ce stéréotype du « jeune de banlieue » qui entraîne une image de soi dévalorisée.
« On a du mal à dire ce qu'est un gamin de banlieue. Il y a des milliers de gamins de banlieue. Il n'y en a pas deux pareils. Ils ont autant le droit que nous d'être différents entre eux. » (Enseignant, Clichy-sous-Bois) .
Elèves du collège Van der Meersch à Roubaix (Nord)
Le sociologue Didier Lapeyronnie analyse ce pouvoir des médias et leur impact sur certains jeunes : « Chez les plus jeunes, le sentiment de la stigmatisation par la presse est exacerbé et suscite souvent des propos très agressifs. L'image est vécue beaucoup plus directement comme une mise en cause quasi personnelle et surtout profondément injuste. Elle engendre ainsi un surcroît de méfiance à leur égard. Le stéréotype du « jeune de cité » empêche toute possibilité de relation normale et s'interpose dans toutes les interactions. (...)
L'image est d'autant plus intolérable qu'elle rend la personne invisible, qu'elle efface sa réalité derrière une construction sociale et morale malveillante et surexposée. Pour ces jeunes hommes, les médias induisent directement ou indirectement les comportements qui leur sont reprochés ensuite. Ils construisent une image dont ils sont prisonniers et qui impose l'interprétation des faits. Ils sont en quelque sorte séparés de la signification de leurs conduites par l'image médiatique. Dès lors, la gravité de certains événements et leurs responsabilités leur apparaissent toutes relatives, comme si la réalité se dissolvait dans l'image. » 16 ( * )
2. L'enjeu des nouveaux habitants
Qui aujourd'hui, en ayant le choix, s'installe dans une cité de rénovation urbaine ? La « boboïsation » de certains secteurs, notamment dans la petite couronne parisienne (et dont le symbole est Montreuil, ancienne ville ouvrière de Seine-Saint-Denis), ne doit pas faire oublier la réalité de l'immense majorité des quartiers fragiles. Les populations qui partent (« réussir, c'est partir » pensent les habitants) sont trop souvent remplacées par des personnes sont la situation économique et sociale est encore plus précaire.
Le défi est grand si l'on considère que le programme national de rénovation urbaine (PNRU) a pour le moment des effets mitigés sur la mixité sociale des quartiers.
PNRU ET MIXITÉ SOCIALE
Le PNRU influe sur la composition de la population des quartiers avec trois leviers : la reconstitution de l'offre de logements sociaux démolis, la localisation du relogement et la diversification de l'habitat. Selon leur importance respective, leurs modalités de mise en oeuvre et les obstacles qu'ils rencontrent, leurs effets en termes de mixité sociale seront contrastés. Le CES de l'ANRU considère que la mixité sociale est un processus de long terme, qui ne peut se produire qu'au-delà de la durée des conventions de rénovation urbaine (5 ans). En matière de relogement, malgré l'insuffisance de données nationales, on relève des tendances convergentes : plus des deux tiers des ménages (68 %) seraient relogés dans des quartiers qui font l'objet d'un classement zone urbaine sensible (ZUS). Par ailleurs, le reste à charge 17 ( * ) augmente sensiblement pour 30 % des ménages. Enfin, le relogement dans le neuf reste rare. Si des enquêtes indiquent une satisfaction globale des ménages relogés, le CES de l'ANRU s'est interrogé sur le bénéfice à terme des trajectoires résidentielles induites. Seuls les ménages les plus aisés ou qui disposent du plus fort potentiel de mobilité résidentielle semblent bénéficier de trajectoires résidentielles ascendantes. La diversification de l'habitat apparaît encore assez faible sur l'ensemble des sites étudiés, mais varie largement d'un site à l'autre, en fonction de sa taille et du pourcentage de démolitions mais également du pourcentage de reconstitution hors site des logements sociaux. La mixité fonctionnelle est souvent présentée comme un complément voire comme une condition d'une mixité sociale « durable ». Elle repose sur le développement et la diversification des commerces, des services ou de l'activité. Si le développement d'activités économiques est peu présent dans les conventions, la question du commerce est, en revanche, présentée comme un enjeu central. Mais paradoxalement, si l'on excepte l'intervention sur les équipements publics, cette mixité fonctionnelle ne représente qu'une trop faible part des investissements. Source : La rénovation urbaine à l'épreuve des faits, rapport du Comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU (mars 2010) |
Seuls des facteurs extrêmement positifs et cumulatifs sont de nature à inverser la spirale de la fragilisation et à encourager la mixité.
* 16 « Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui », Didier Lapeyronnie (Robert Laffont, 2008).
* 17 Loyer + charges - aides au logement