B. UNE « FLEXISÉCURITÉ » PERMETTANT UNE SOCIALISATION EFFICACE DES RISQUES PROFESSIONNELS ?
La « flexisécurité » constitue une démarche consistant, du point de vue du salarié, à passer de la « sécurité de l'emploi » à la « sécurité de l'employabilité » (ou, ce qui revient au même, à la « sécurité du travail ») pour faciliter des transitions professionnelles dont la fréquence et le niveau d'exigence augmentent.
1. Un concept plastique : de la « flexisécurité » à la « mobication » ?
Reposant sur des dispositifs nationaux volontaires, la « flexisécurité » (ou « flexicurité ») est susceptible d'apporter les réponses, en termes de sécurité matérielle, que des entreprises soumises à une concurrence pesant sur leurs coûts et contraintes à une grande flexibilité sont de plus en plus difficilement à même de procurer à leurs salariés.
Cette incapacité des entreprises à protéger les emplois devient flagrante dans l'hypothèse de restructurations et de fermetures d'entreprises, pourtant nécessaires au processus de « destruction créatrice » (Schumpeter) qui se trouve au coeur de la croissance.
L'Union européenne promeut la flexisécurité , qu'elle définit comme « une stratégie intégrée visant à améliorer simultanément la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail » 308 ( * ) , inspirée du « modèle danois ».
Schématiquement, elle repose sur une libéralisation des licenciements tout en garantissant aux salariés, grâce à des prestations de chômage d'un niveau élevé et à l'accès à des formations destinées à préserver leur employabilité , une sécurité matérielle tout au long de leur vie professionnelle.
Ce modèle facilite les mobilités requises par des mutations permanentes de la structure productive, gages d'une compétitivité préservée dans un environnement marqué par une forte concurrence internationale.
D'après l'Union européenne 309 ( * ) , « la flexicurité suppose de combiner, de manière délibérée, la souplesse et la sécurisation des dispositions contractuelles , les stratégies globales d' apprentissage tout au long de la vie , les politiques actives du marché du travail efficaces et les systèmes de sécurité sociale modernes , adaptés et durables ».
Cette combinaison dessine un ensemble assez flou . De fait, « les approches en matière de flexicurité ne consistent pas à proposer un modèle unique de marché du travail, de vie active ou de stratégie politique; (...). En se fondant sur les principes communs, chaque État membre devrait mettre au point ses propres dispositions de flexicurité ».
Par ailleurs, ces combinaisons apparaissent comme mouvantes . Si l'on s'en tient au Danemark, « patrie » de la flexisécurité, il apparaît que, dans un contexte marqué par une pénurie de main d'oeuvre qualifiée assortie d'une contrainte budgétaire renforcée 310 ( * ) , « le modèle de flexicurité est (...) contraint d'évoluer . C'est dans ce sens que doit être interprétée la récente décision prise par la coalition parlementaire au pouvoir, dans le cadre du plan de redressement des finances publiques sur la période 2011-2013 présenté en mai, de raccourcir de 4 à 2 ans la durée de perception des allocations chômage à compter du 1 er juillet 2010 ».
« La décision a été prise sur la base d'un rapport de la commission sur l'emploi, publié au mois d'août 2009, qui soulignait qu'un nombre relativement important de demandeurs d'emploi revenait sur le marché du travail peu de temps avant la fin de la durée légale de perception des allocations chômage .
« La réduction de la durée de perception des allocations chômage vient s'ajouter à la baisse de 25 points de pourcentage du taux de couverture moyen des allocations chômage depuis les années 80. En d'autres termes, même si le montant des allocations chômage reste relativement généreux, le volet sécurité du modèle danois de flexicurité peut difficilement faire l'objet d'un nouvel affaiblissement sans prendre le risque de changer de nature ».
D'ailleurs, il se pourrait que, sur place, la flexisécurité ne soit plus le concept en pointe : « L'accent mis sur la formation continue constitue une autre caractéristique du modèle de flexicurité. Le renforcement de cette tendance devrait faire émerger une nouvelle version du modèle de flexicurité, la « mobication » , terme conjointement attribué à Ove Kaj Pedersen, professeur à l'Ecole de Commerce de Copenhague (CBS) et à Søren Kaj Andersen, Directeur du FAOS (Employment Relations Research Center, Université de Copenhague) et qui résulte de la contraction des mots « mobilité » et « éducation » ...
Cette dernière orientation rejoint la préoccupation, essentielle, de favoriser un développement continu du capital humain général (au sens d'un capital qui n'est pas utile qu'à l'entreprise ayant dispensé la formation qui en est à l'origine) - et donc l' employabilité - tout au long de la vie : « Dans un tel modèle, élaboré dans le but d'adapter le marché du travail aux défis à venir (division du travail au niveau international, impact des nouvelles technologies, changements démographiques...), le recours systématique au développement des compétences et à la formation continue permettrait d'accentuer la flexibilité, en orientant la main-d'oeuvre vers les branches les plus dynamiques en termes d'emploi, et de renforcer l'employabilité des citoyens danois. Les organisations syndicales sont d'autant plus ouvertes à cette nouvelle version du modèle de flexicurité que son succès dépend étroitement de la mise en oeuvre d'efforts particuliers visant à développer la flexibilité du système éducatif ».
Il ne s'agit donc plus seulement d'avoir une démarche « active » face au chômage, mais « proactive » , en mettant l'accent sur une mobilisation de la formation propre à optimiser en permanence l'employabilité des salariés présents et à venir, ce qui rejoint la prise de conscience française quant à l'urgence de développer une véritable stratégie nationale en termes de formation professionnelle, initiale et continue.
* 308 Communication de la Commission européenne intitulée « Vers des principes communs de flexicurité : des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité », juin 2007.
* 309 Communication précitée.
* 310 Réponse à un questionnaire adressé par vos rapporteurs à l'ambassade de France au Danemark.