II. UN OBJECTIF D'EMPLOYABILITÉ RÉELLEMENT POURSUIVI ?

Pour sécuriser les salariés, il ne s'agit plus de garantir leur emploi, mais de placer ces derniers en situation d'assumer financièrement et professionnellement les conséquences d'une mobilité, qu'elle soit imposée par un licenciement, ou choisie par le salarié, notamment pour préserver son employabilité.

On peut en effet considérer, sous un certain angle, que « la mobilité est une forme d'assurance pour les salariés contre les variations cycliques et les évolutions sectorielles de l'activité » 298 ( * ) .

A. LE CONSTAT PRÉALABLE D'UNE FORMATION CONTINUE N'OPTIMISANT PAS L'EMPLOYABILITÉ DES FRANÇAIS

Sans approfondir ici le sujet de la formation professionnelle initiale, on relèvera qu'en la matière, pour reprendre les termes de la Cour des comptes, « [des] politiques souvent conservatrices (...) ne permettent pas toujours de tirer les conséquences de l'évolution de la demande sociale et économique en fermant les filières dont les débouchés ne sont plus assurés au bénéfice de l'ouverture de nouvelles formations dans des secteurs mieux adaptés aux demandes et aux besoins » 299 ( * ) .

Il ne semble pas que la formation continue vienne, le cas échéant, apporter les compléments nécessaires à la formation initiale et, d'une façon générale, préserver, restaurer ou améliorer de façon satisfaisante l'employabilité des personnes, notamment celles qui sont les plus exposées au risque de perte d'emploi ou de chômage prolongé.

1. Une formation insuffisamment orientée vers l'amélioration du « capital humain général »

Les droit à formation laissés à l'initiative partielle (DIF 300 ( * ) ) ou complète (CIF 301 ( * ) ) des salariés, apparaissent encore insuffisamment dimensionnés 302 ( * ) . Par ailleurs, les obligations de formation pesant sur l'entreprise sont essentiellement financières,  le « plan de formation » n'étant pas obligatoire.

En réalité, l'introduction dans le droit positif d'une obligation de l'employeur quant à l'employabilité de ses salariés ne résulte que d'un arrêt de 2007 303 ( * ) . Cette jurisprudence fait peser sur les entreprises une obligation de maintien de l'employabilité de leurs salariés, que le seul versement des cotisations obligatoires ne saurait toujours satisfaire. Mais faute d'instruments adéquats pour organiser et imposer ce soutien direct, il serait probablement vain d'attendre, de ce seul arrêt, une attention nouvelle et généralisée portée par les employeurs à l'employabilité de leurs salariés.

L' employabilité peut être comprise comme la conséquence de l'accumulation de capital humain , dès lors que ce dernier est acquis à la faveur de formations adaptées (et ainsi souvent générales), attachées aux salariés et transférables d'une entreprise à l'autre.

CAPITAL HUMAIN, FORMATION GÉNÉRALE ET FORMATION SPÉCIFIQUE

La théorie du capital humain a été développée au cours des années soixante. Le capital humain peut se définir comme l'ensemble des capacités qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. Il constitue un investissement personnel dont le rendement s'évalue idéalement par la différence entre la somme des dépenses initiales de formation et du coût d'opportunité (le salaire auquel il est renoncé), et les revenus futurs actualisés.

La théorie du capital humain distingue deux types de formation :


• la formation générale , acquise dans le système éducatif ; sa transférabilité et son attachement au travailleur explique qu'elle soit généralement financée par ce dernier car il peut la faire valoir sur l'ensemble du marché du travail, alors que la firme n'est pas encouragée à supporter ces coûts ;


• la formation spécifique , acquise au sein d'une unité de production ou de service, élève la productivité du travailleur au sein de l'entreprise mais pas ou peu en dehors de celle-ci . Dans ce cas, le financement est assuré à la fois par la firme et le travailleur.

Le rapport du Conseil d'analyse économique sur « Les mobilités des salariés » 304 ( * ) constate que la formation continue dispensée auprès des salariés débouche trop systématiquement sur une augmentation du « capital humain spécifique » (ainsi emmagasiné à l'occasion de formations spécifiques) et insuffisamment sur l'accumulation de « capital humain général » (qui résulte de formations générales).

Les formations étant, globalement, plutôt mobilisées par des « insiders » (soit, dans le secteur privé, les personnes bénéficiant d'un CDI 305 ( * ) ), on aboutit à des compétences hautement spécifiques concentrées sur des emplois de longue durée .

D'après le rapport précité, cette configuration « est propice à un faible taux de rotation sur le marché de l'emploi (puisque les travailleurs possédant des compétences spécifiques n'ont aucune incitation à quitter leur emploi et perdre leurs compétences) ; cela rend les coûts de mutation extrêmement élevés (puisque les travailleurs ayant surinvesti dans leurs compétences spécifiques et sous-investi dans leurs compétences générales nécessitent de très lourdes nouvelles formations).

« Toutes choses égales par ailleurs, les employeurs ont tendance à préférer des employés possédant des compétences spécifiques et à faible mobilité tant qu'ils demeurent productifs , car ces travailleurs sont attachés à l'entreprise et ont peu d'opportunités à l'extérieur de celle-ci ».


* 298 « Les mobilités des salariés », rapport de Mathilde Lemoine et Etienne Wasmer, Conseil d'analyse économique, La documentation Française, juin 2010.

* 299 Rapport public thématique « La formation professionnelle tout au long de la vie », septembre 2008.

* 300 Droit individuel à la formation.

* 301 Congé individuel de formation.

* 302 Dans le rapport précité, la Cour des comptes indique, concernant le CIF, qu'« en raison d'un coût élevé (21 000 euros en moyenne par bénéficiaire) et de la durée importante des formations, le public concerné reste(...) limité à un peu plus de 40 000 personnes par an » et qu'« avec 500 000 bénéficiaires attendus en 2008, [le DIF] ne saurait encore à lui seul compenser les inégalités d'accès qui caractérisent le système français de formation professionnelle », même s'il s'agit d'un « dispositif récent dont la montée en charge n'est pas encore totalement achevée ».

* 303 Chambre sociale de la Cour de cassation du 23 octobre 2007, n° 06-40-950.

* 304 Rapport de Mathilde Lemoine et Etienne Wasmer, La documentation Française, juin 2010.

* 305 La qualité d'intérimaire ou le bénéfice d'un emploi aidé diminue la probabilité d'accès à la formation au cours d'une période d'emploi de 8,3 points par rapport au bénéfice d'un CDI ; les salariés en CDD voient encore leur probabilité diminuer de 3,45 points par rapport au CDI. (INSEE, 2009). L'étude des formations dispensées dans le cadre du droit individuel à la formation (DIF) ou du congé individuel de formation (CIF) ne donne pas de meilleurs résultats.

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