2. Une recherche défavorisée par les critères d'évaluation retenus
a) La toute-puissance du « facteur d'impact »...
Le nombre d'articles publiés dans des revues à fort « facteur d'impact » est devenu le critère de la productivité et de la qualité scientifique.
Le facteur d'impact est un indicateur créé dans les années 60 afin de mesurer la « consommation » des résultats scientifiques. Il propose d'analyser les articles scientifiques en prenant en compte les citations.
Il représente, pour une année donnée, le rapport entre le nombre de citations sur le nombre d'articles publiés par un journal, sur une période de référence de deux ans.
Comme rappellent Nicole Pinhas et Claude Kordon dans un article sur « Du bon usage du facteur d'impact », cet indicateur reflète l'usage des périodiques mais n'est pas conçu pour mesurer ni la qualité d'un article, ni l'impact scientifique des auteurs d'un article particulier.
En effet, le facteur d'impact se rapporte à un périodique et non à un article. Or, les articles d'une revue à fort facteur d'impact ne sont pas tous cités de manière identique. Des études statistiques ont montré que seul un petit nombre d'entre eux est souvent cité. Il n'y a donc pas vraiment de corrélation entre la fréquence de citation d'un article et le facteur d'impact du périodique dans lequel il est publié.
En outre, les facteurs d'impact de périodiques de disciplines différentes ne sont pas comparables.
Enfin, alors que le facteur d'impact visait à mesurer la réputation d'une revue, il est de plus en plus utilisé pour mesurer la productivité des chercheurs.
A cet égard, votre rapporteur rappelle les conclusions du rapport de l'Académie des Sciences de 2009 sur l'évaluation individuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs :
« Les indicateurs bibliométriques peuvent se révéler très utiles lorsqu'ils sont bien utilisés, replacés dans le contexte de la discipline, et intégrés à l'évaluation qualitative. Les indicateurs bibliométriques ne peuvent pas être utilisés isolément pour effectuer un classement.
En outre, il faut donner plus d'importance aux citations des articles qu'au facteur d'impact des journaux où ils sont publiés (sauf pour le cas des jeunes chercheurs).
La qualité scientifique d'un chercheur peut être évaluée sur de nombreux autres critères que ceux fondés sur la bibliométrie, en particulier la capacité à organiser, coordonner, diriger des recherches, la rédaction de livres, la rédaction d'ouvrages de vulgarisation, le nombre de langues dans lesquelles ils sont traduits, les invitations en tant que conférencier en séances plénières, la direction de programmes internationaux ou la présidence d'une union scientifique internationale, la participation à des comités ou agences internationales, les postes de rédacteur en chef de revues internationales, l'attribution de contrats importants, la reconnaissance par des prix ou distinctions nationales ou internationales, les élections à des académies françaises ou étrangères et d'autres distinctions telles qu'une nomination à l'IUF, l'organisation d'écoles d'été, de symposiums et de congrès internationaux de haut niveau, etc..
Il convient en outre de prendre en compte les charges d'intérêt collectif, plus particulièrement celles impliquant des responsabilités importantes ».
b) ... au détriment d'une recherche privilégiant son impact en matière de santé publique
Il ne s'agit pas de relancer un énième débat sur la nécessité ou non d'orienter la recherche. Votre rapporteur est conscient que les grandes découvertes ne sont pas issues d'une commande politique, mais sont nées de l'inventivité de chercheurs.
Pourtant, et particulièrement dans le domaine de la recherche médicale, il serait naïf d'assimiler excellence à pertinence. Certaines recherches brillantes n'aboutiront pas à une application concrète justifiant a posteriori l'argent qui a été investi alors qu'une recherche plus terre à terre peut avoir un impact considérable dans la définition et le renforcement de l'efficacité des politiques de prévention par exemple.
Par conséquent, s'il est hors de question de soumettre la recherche à un carcan rigide, les autorités politiques doivent néanmoins s'assurer que les chercheurs « ne travaillent pas seulement sur, mais également pour ».
Ainsi, la recherche en santé publique reste en France particulièrement sous-dimensionnée, alors même que l'augmentation croissante des dépenses de santé rend notre système de protection sociale insoutenable financièrement à long terme.
Il apparaît donc urgent d'encourager le financement de projets de recherche visant à déterminer le coût de la prévention par rapport à une politique de santé privilégiant l'aspect curatif, ou encore visant à évaluer scientifiquement les résultats d'expérimentations menées en matière de prévention afin de sélectionner les plus efficaces et, en cas de succès, les étendre à une population plus large.
La création de l'Institut de santé publique constitue une avancée conceptuelle importante puisqu'elle reconnaît l'importance de la recherche dans ce secteur. Néanmoins, il serait souhaitable que le budget de cet institut soit à la hauteur des défis à relever.
Un effort non négligeable a certes été réalisé au profit des cohortes, longtemps parents pauvres de la recherche française. Ainsi, dans le cadre du projet de financement de très grandes infrastructures de recherche lancé en 2008, il a été décidé de soutenir 6 cohortes pendant 3 ans pour un montant total de 19,5 millions d'euros. Néanmoins, ce financement permet seulement de couvrir les coûts de mise en oeuvre des cohortes. En outre, selon les informations obtenues par votre rapporteur, la subvention du Ministère de la recherche pour la deuxième année se fait attendre (4 millions d'euros) alors même qu'elle est indispensable pour éviter toute discontinuité dans des projets aujourd'hui très engagés.
Dans le cadre du grand emprunt national de 2010, le revenu issu d'un capital de 200 millions d'euros permettra de financer sur la durée (10 ans) 5 à 10 grandes cohortes:
- les cohortes existantes afin d'assurer leur pérennité et élargir leur champ d'investigation ;
- de nouvelles cohortes pour couvrir des champs de santé publique encore peu étudiés.
Les appels à projets sont clos et les projets sélectionnés devraient être connus à la fin de l'année 2010.
Votre rapporteur rappelle qu'il est indispensable d'assurer le financement à long terme de « grosses » cohortes pour obtenir des renseignements exploitables par les chercheurs et significatifs.