2. La nécessaire harmonisation des critères d'évaluation des maisons départementales des personnes handicapées
Le caractère ambigu des critères d'éligibilité à l'AAH explique en grande partie les disparités territoriales observées dans les pratiques des MDPH. Cette iniquité de traitement des demandes appelle des mesures renforcées d'harmonisation, d'évaluation et de contrôle des procédures mises en oeuvre par les équipes pluridisciplinaires et les CDAPH.
a) Des disparités territoriales dans les modalités d'attribution de la prestation
Le rapport de la CNSA sur les conditions d'attributions de l'AAH 15 ( * ) fait état, pour 2008 :
- de taux de demande pour mille habitants variant de 3 à 16 et se situant en moyenne à 10 pour mille ;
- de taux de bénéficiaires pour 1 000 habitants âgés de 20 à 59 ans qui s'échelonnent, en 2007, selon les départements, de 11,6 à 54,8, soit un rapport de 1 à 4,7. On observe donc une légère amélioration par rapport à 2004, où le taux d'attribution minimal était cinq fois moins élevé que le taux maximal ;
- de taux d'attribution d'AAH (premières demandes et renouvellements confondus) variant de 50 % à 84 % selon les départements, alors que le taux moyen est de l'ordre de 70 %. Pour les décisions relatives aux premières demandes, le taux moyen d'accord est d'environ 50 % tandis qu'il atteint plus de 80 % pour les décisions de renouvellement ;
- enfin, des divergences de pratiques s'agissant de la durée d'octroi de la prestation, certaines MDPH considérant, notamment pour les plus jeunes, qu'une attribution de l'AAH pour une longue période peut obérer les chances d'insertion.
D'après la même étude, les facteurs objectifs d'ordre socio-économique (part des personnes âgées ou handicapées dans la population, part des personnes titulaires d'une carte d'invalidité, part des allocataires du RSA, taux d'équipement en lits et places d'établissements et services pour enfants ou adultes handicapés, etc.) expliqueraient les deux tiers des écarts constatés dans les taux d'attribution de l'AAH. Il résulte de ce constat que les divergences de pratiques y contribueraient pour au moins un tiers.
Autre élément mis en évidence par l'étude : la rencontre de la personne handicapée et l'instruction collégiale du dossier par une équipe pluridisciplinaire favoriseraient l'attribution de l'AAH. Pour l'AAH, cette pluridisciplinarité se traduit par la présence systématique des médecins généralistes et de manière variable d'un médecin spécialiste, d'un représentant de Pôle emploi, de Cap emploi ou des services sociaux, du référent « insertion professionnelle » de la MDPH, d'un psychologue du travail et d'un coordonnateur de l'équipe.
Si l'on regarde les données récentes, les disparités subsistent et ont même tendance à s'accentuer, en particulier pour les décisions d'attribution entrant dans le champ de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale. Entre juin 2009 et juin 2010, alors que le nombre d'allocataires relevant de l'article L. 821-2 progresse en moyenne de 8,3 % (chiffres CNAF uniquement), vingt-six départements affichent une augmentation de dépenses de 20 % à 45 %, alors même que le barème n'augmentait que de 4,45 %.
Ces disparités seraient ainsi principalement imputables aux divergences de perception du taux d'incapacité de 50 % et aux interprétations très diverses par les CDAPH de la notion de RSDAE .
Taux de bénéficiaires de l'AAH (pour 1 000 habitants de 20 à 59 ans)
Données CNAF, 2008.
b) Intensifier les actions de formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l'autonomie
L'association des directeurs des MDPH a regretté que la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ne joue pas pleinement son rôle d'animateur technique, déplorant un accompagnement très largement insuffisant 16 ( * ) . D'après l'association, le groupe de travail piloté par la caisse a certes mis en évidence et expliqué les disparités territoriales en matière d'attribution de l'AAH, mais il n'aurait pas prévu les actions à mettre en oeuvre pour les réduire.
Il convient de relativiser cette affirmation :
- d'abord la CNSA a entrepris de nombreuses actions visant à améliorer l'équité de traitement des demandes d'AAH ;
Actions mises en oeuvre par la CNSA
1. Formation des personnels des MDPH sur l'AAH et l'utilisation du guide barème ; 2. Mise en place de deux groupes de travail, auxquels ont participé au total plus de 50 MDPH, pour préparer la réforme AAH-RQTH (novembre-décembre 2008) et pour analyser les pratiques d'attribution (février-juillet 2009). Les travaux de ces deux groupes ont donné lieu à la publication de deux rapports assortis de recommandations diffusées à l'ensemble des MDPH ; 3. Organisation d'ateliers d'échanges de pratiques à destination des professionnels des MDPH (RSDAE, réforme AAH-RQTH,...) ; 4. Elaboration et diffusion, en concertation avec les administrations concernées, d'un guide pratique des MDPH ; 5. Appui juridique et technique des MDPH sous la forme de « questions-réponses » qui sont ensuite diffusées à l'ensemble des maisons et accessibles depuis l'extranet de la CNSA ; 6. Déplacement des experts de la CNSA pour rencontrer les équipes d'évaluation, ainsi que les membres des commissions exécutives et des CDAPH. Source : CNSA, audition du 18 mai 2010. |
- ensuite, la DGCS a établi, en partenariat avec la CNSA, un « plan d'action pour l'harmonisation des pratiques d'attribution de l'AAH », dès le début de l'année 2010. Le projet annuel de performances relatif au projet de loi de finances pour 2011 prévoit d'ailleurs la poursuite de son application en 2011. L'objectif affiché est de « réduire les disparités territoriales et de contenir l'évolution des bénéficiaires de l'AAH au titre de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale. »
Ce plan s'articule autour de quatre axes :
- améliorer la connaissance des disparités d'attribution départementales et les réduire, en associant la DGCS, la CNSA et la DREES ;
- améliorer le professionnalisme des équipes pluridisciplinaires (renforcement de la formalisation de l'instruction des demandes, processus permanent d'animation et de formation des équipes pluridisciplinaires par la CNSA, guide méthodologique) ;
- stabiliser le schéma de la réforme de l'AAH et construire des outils et des processus d'évaluation des capacités professionnelles ;
- améliorer la cohérence des décisions d'attribution prises par la CDAPH et les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) en vue de réduire le taux des décisions de réformation.
Ainsi, ce plan suppose :
- d'informer les départements sur leurs pratiques en leur permettant de se situer par rapport aux moyennes nationales (taux d'attribution par catégorie [L. 821-1 et L. 821-2], taux d'accord lors d'une première demande ou d'un renouvellement, etc.) ;
- de former régulièrement les équipes pluridisciplinaires en leur donnant des outils adaptés, en diffusant les bonnes pratiques et en constituant un recueil de précédents pour les cas les plus litigieux ;
- d'identifier les départements dans lesquels on observe le taux le plus élevé de réformation des décisions et d'en analyser les causes ;
- de former les magistrats et les médecins des TCI aux nouvelles méthodes d'évaluation pluridisciplinaire et au guide barème.
Vos rapporteurs souhaitent que la mise en oeuvre de ce plan d'action soit poursuivie et intensifiée dans tous les départements et qu'un indicateur de suivi figure dans le projet annuel de performances annexé chaque année au projet de loi de finances.
c) Mettre en place les conditions d'un meilleur contrôle de l'Etat sur les décisions d'attribution de l'AAH
Le renforcement du pilotage des MDPH et l'affirmation du rôle prépondérant de l'Etat dans les décisions d'attribution de l'AAH supposent que soient réunies plusieurs conditions :
- d'abord, le maintien du statut de groupement d'intérêt public (GIP) des MDPH est le gage de la préservation de la présence de l'Etat et du souci de garantir une certaine équité dans le traitement des demandes. Une intégration dans les services du conseil général aurait automatiquement dépossédé l'Etat de toute capacité d'intervention sur les décisions prises par les CDAPH en cas de dysfonctionnements ;
- de plus, une meilleure représentation de l'Etat au sein des CDAPH lors de l'examen des demandes d'AAH serait de nature à garantir l'impartialité des décisions prises. Son poids dans la CDAPH pourrait être renforcé par la présence du directeur de l'agence régionale de santé ou son représentant comme le prévoit l'article 1 er de la proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap 17 ( * ) . On a, en effet, pu observer la tendance de certains départements à attribuer assez facilement l'AAH à des personnes qui relèvent en réalité du RSA, ce qui entraîne un transfert de charge du conseil général vers l'Etat. Vos rapporteurs proposent d'introduire la possibilité pour les représentants de l'Etat à la CDAPH de demander le réexamen d'un dossier qu'ils considéreraient comme problématique. Pour être opérante, cette possibilité suppose bien sûr que les représentants de l'Etat soient systématiquement présents aux réunions de la CDAPH et que les dossiers d'AAH y soient tous effectivement présentés, ce qui n'est que très rarement le cas ;
- par ailleurs, on observe que les manquements de l'Etat en matière de publication des mesures réglementaires relatives aux conditions de mise en oeuvre de dispositions législatives sujettes à des interprétations divergentes est facteur d'iniquité dans le traitement des demandes. L'absence de définition réglementaire de la RSDAE le montre bien. La publication d'un texte réglementaire (décret ou circulaire) précisant les critères et modalités d'attribution de l'AAH ne pourra que contribuer à lever les ambiguïtés et à faire converger les pratiques ;
- enfin, il convient de trouver les moyens de donner plus de poids à la CNSA, son pouvoir d'intervention au niveau des MDPH étant contraint par le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales 18 ( * ) . Si l'on devait abandonner la logique actuelle d'évaluation quantitative de l'incapacité pour passer à une appréciation plus qualitative de la capacité de travailler , la mise en place d'un contrôle renforcé de l'Etat au travers d'une procédure d'évaluation systématique des pratiques et des décisions d'attribution de l'AAH prises par les CDAPH serait d'autant plus nécessaire pour garantir l'équité de traitement des personnes handicapées sur l'ensemble du territoire. L'Etat pourrait ainsi confier le pilotage de ce dispositif à la CNSA.
En tout état de cause, la correction des disparités observées ne pourra être obtenue de manière rapide, la part des renouvellements représentant, en moyenne, près des deux tiers des demandes adressées aux MDPH. Or il est peu fréquent que l'attribution de la prestation soit remise en cause lors de son renouvellement.
* 15 Rapport du groupe de travail « Attribution de l'AAH », juillet 2009.
* 16 Audition du 4 mai 2010.
* 17 Proposition de loi n° 191 (2009-2010) de M. Paul BLANC et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 22 décembre 2009. En cours d'examen devant le Sénat.
* 18 Aux termes de l'article L. 146-4 du code de l'action sociale et des familles, le département assure la tutelle administrative et financière des MDPH.