CONCLUSION
A mi-chemin de la période 2009-2011 , il n'est pas trop tôt pour commencer à tirer de premiers bilans de la mise en oeuvre de la RGPP dans les préfectures, ni trop tard pour tirer un signal d'alarme.
Au sein des préfectures, la RGPP a permis de mettre l'accent sur un certains nombre de projets d'envergure (le passage au passeport biométrique, le nouveau SIV...) en leur offrant une cohérence d'ensemble . Elle a ainsi fortement contribué à la mobilisation des équipes, en donnant un sens à la réforme.
Pour autant, le pari de la RGPP paraît en passe d'être perdu . En quoi consistait donc ce pari ? Il s'agissait de réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Ces gains de productivité « gageaient » les réductions de postes annoncées, sans dégradation ni des conditions de travail pour les agents, ni de la qualité du service public rendu à l'usager.
A mi-chemin de la programmation triennale de la RGPP, il semble bien que l'espérance d'une amélioration de la productivité soit déçue. Ce constat n'est pas sans conséquence sur les effets à attendre de la troisième vague des suppressions d'emplois, en 2011, dans les préfectures . Cette mesure, si elle était rigoureusement appliquée, pourrait entamer gravement le potentiel des préfectures, avec le risque d'une détérioration sérieuse du service public.
C'est la raison pour laquelle votre rapporteure spéciale estime à tout le moins nécessaire de faire une pause dans le processus de suppression des effectifs au sein du programme 307 « Administration territoriale ».
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 13 octobre 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans les préfectures.
M. Jean Arthuis , président . - Nous allons entendre Mme Michèle André, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat », sur l'application de la RGPP dans les préfectures.
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - La RGPP s'applique à toutes les missions budgétaires depuis la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques, en particulier à la mission dont je rapporte les crédits.
Dans les préfectures, la RGPP vise trois dimensions stratégiques de l'activité de ces services déconcentrés de l'Etat : la délivrance des titres d'identité, le contrôle de légalité et la gestion des fonctions support.
Par définition, cette politique touche l'ensemble des agents des préfectures, mais elle concerne plus spécifiquement environ 18 000 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT). Dans ces métiers, elle prévoit la suppression de 2 107 ETPT entre 2009 et 2011, c'est-à-dire 11,7 % des effectifs directement concernés par les « mandats RGPP ».
Des économies budgétaires sont recherchées parallèlement à cet objectif de réduction des emplois. La suppression des 2 107 emplois représente une économie de 104 millions d'euros en dépenses de personnel et 18 millions d'économies de fonctionnement sont attendus sur trois ans. Aucun gain n'est cependant espéré dans le domaine de l'investissement. Au total, la RGPP permettrait ainsi une économie de 122 millions sur trois ans.
Son rythme de mise en oeuvre prévoit un étalement des suppressions d'ETPT sur la période 2009-2011, avec toutefois une accélération du processus entre la première étape (en 2009) et les deux étapes suivantes (en 2010 et 2011). Selon les informations communiquées par le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, 740 ETPT ont effectivement été supprimés en 2009. L'effort doit se poursuivre en 2010 et en 2011. Au total, les fonctions support devraient perdre 1 011 ETPT, l'activité de délivrance de titres 626 ETPT et le contrôle de légalité 470 ETPT.
Comment ce schéma d'ensemble s'applique-t-il concrètement dans les préfectures ? Et quel est l'impact de cette réforme pour les usagers et les personnels ?
Les résultats à ce jour sont décevants, et même préoccupants.
Si le passage au passeport biométrique a été réussi au 28 juin 2009, conformément aux engagements européens de la France, l'usager a dû attendre plus longtemps pour la délivrance de son passeport. Du fait de la saisonnalité de cette activité, l'été 2009 a représenté une période particulièrement critique avec des délais supérieurs à un mois dans certains départements. Les problèmes informatiques liés au nouveau système de délivrance des passeports biométriques ont ainsi fortement pesé sur les demandeurs souhaitant voyager à l'étranger.
Les espoirs de gains de productivité attendus de ce nouveau système de délivrance ont été déçus. Le récent rapport, présenté par la Cour des comptes à votre commission, sur le prix du passeport biométrique met en évidence un accroissement des charges de personnel portant sur chaque dossier de passeport.
Le nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) rencontre également des problèmes. Fondé sur un partenariat avec les professionnels de l'automobile, il vise à simplifier les démarches administratives de l'usager lors de la délivrance des cartes grises. Cependant, les propriétaires de véhicule sont très loin de passer toujours par un professionnel de l'automobile pour l'immatriculation : c'est le cas pour 90 % des véhicules neufs, mais seulement 20 % des véhicules d'occasion. Le réflexe d'un particulier achetant un véhicule d'occasion à un autre particulier demeurera encore longtemps de se tourner vers la préfecture. Le passage au SIV a fortement augmenté le délai de traitement des demandes, principalement du fait de difficultés informatiques : on serait passé de 25-30 minutes, à 40 minutes par dossier. Enfin, un coût supplémentaire de transaction est apparu, car la plupart des professionnels font payer leurs prestations d'immatriculation. On peut donc s'interroger sur cette logique consistant à faire financer, par l'usager et au profit d'acteurs privés, d'incertains gains de productivité dans la sphère publique. Devant la préfecture des Alpes-Maritimes, il m'a même été donné d'observer un professionnel qui « rabattait » des usagers découragés par les temps d'attente au guichet et qui leur proposait ses services, plus rapides mais payants !
En matière de contrôle de légalité, la nouvelle stratégie s'appuie sur une concentration des moyens en préfecture. Le sous-préfet conserve un rôle de conseil auprès des élus locaux, mais la RGPP lui fait perdre des cadres A et son activité de conseil va pâtir du fait que l'expertise sera désormais concentrée à l'échelon de la préfecture.
La RGPP s'accompagne d'un recentrage du contrôle sur les actes les plus sensibles et à fort enjeu, tels que l'urbanisme, l'environnement, la commande publique ou les actes budgétaires. Ce recentrage pose la question du « rétrécissement » du périmètre du contrôle de légalité. La diminution du champ prioritaire de ce contrôle ne doit pas se traduire par de l'insécurité juridique, elle-même à l'origine d'un coût social élevé. Juste après la tempête Xynthia, nous avons constaté une certaine fébrilité dans les services, pour s'assurer que les permis de construire délivrés étaient conformes à la loi...
L'impact de la RGPP sur les fonctions support paraît relativement modeste à ce jour. Les préfectures se sont engagées sur la voie de la mutualisation, mais dans un nombre de secteurs relativement restreint. Plus du tiers porte sur les standards téléphoniques, 31,6 % concernent la gestion des ressources humaines, et 10,5 % touchent la fonction achat. La distance rend plus difficile la mise en commun des moyens et il faut articuler les mutualisations régionales entre les préfectures avec des mutualisations interministérielles. Enfin, l'inquiétude des préfectures des départements face à l'affirmation grandissante du rôle pivot des préfectures de région n'est pas sans conséquence sur le nombre limité de mutualisation, que ce frein soit explicité ou pas.
Un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration met en lumière les gains très limités de ces mutualisations. Il chiffre notamment à 65 ETPT les économies en emplois réalisées, soit une moyenne de 2,03 ETPT par mutualisation. Ces faibles gains ne permettront pas de couvrir les suppressions d'emplois prévues, pas plus que l'externalisation de certaines tâches n'y remédiera de manière satisfaisante. Ainsi, par exemple, l'externalisation de l'entretien des bâtiments préfectoraux se traduit bien souvent par une perte de qualité dans le service rendu, à un coût qui par ailleurs ne diminue pas.
A ces difficultés de mise en oeuvre des principaux axes de la RGPP dans les préfectures s'ajoute un environnement informatique défaillant. Le progiciel de gestion intégré CHORUS connaît ainsi une mise en route très difficile, qui pénalise les préfectures dans leur recherche d'efficacité et de gain de productivité. En concentrant une part importante des actes budgétaires à la préfecture de région, CHORUS contribue à déresponsabiliser les agents en préfecture, qui perdent les outils nécessaires à une bonne vision de leur gestion.
Ces difficultés peuvent créer au sein des services un climat de défiance à l'égard du changement. Elles contribuent à saper la confiance des équipes dans le processus de modernisation et à brouiller la bonne lecture de la trajectoire budgétaire des services, avec pour conséquence un management rendu moins cohérent.
Le pari de la RGPP paraît en passe d'être perdu dans les préfectures. En quoi consistait-il ? Il s'agissait de réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Ces gains de productivité « gageaient » les réductions de postes annoncées, sans dégradation des conditions de travail pour les agents, ni de la qualité du service public rendu à l'usager. A mi-chemin de la programmation triennale de la RGPP, il semble bien que l'espérance d'une amélioration de la productivité soit déçue.
Comme nombre de mes interlocuteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, me l'ont rapporté : « on est arrivé à l'os », « on fait tourner un moteur sans huile ». Les préfectures ont absorbé, avec toutefois une difficulté croissante, les suppressions drastiques d'effectifs en 2009 et en 2010. Mais l'année 2011 pourrait bien être l'année de trop : une pause paraît devoir s'imposer. Il y va de la mise en péril de la qualité du service public dans les préfectures.
M. Jean Arthuis , président . - Voilà des propos qui ont l'allure d'un signal d'alarme.
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Absolument !
M. Jean Arthuis , président . - Peut-être le débat budgétaire sera-t-il l'occasion de demander au ministre si les préfectures sont appelées à disparaître pour devenir des sous-préfectures régionales...
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Il faudra surtout interroger le ministre du budget. J'ai visité un certain nombre de préfectures en région et en département. La quasi-totalité des personnes rencontrées m'ont dit la difficulté de remplir un service public, déjà dégradé, avec des vacataires et un outil informatique défaillant. Pour traiter les dossiers en attente - notamment de cartes grises - certaines préfectures sont obligées de fermer leurs guichets la moitié de la journée, ou de rattraper le retard le samedi, ou bien encore de multiplier les séances de « calinothérapie » pour leur personnel. CHORUS est encore un problème. Les agents sont dévoués, ils ont un grand sens du service public mais ils s'interrogent. Une préfecture a même mis en place une cellule « Souffrance au travail ».
M. Jean Arthuis , président . - Je suis parfois exaspéré par certaines formules syndicales qui frisent la bêtise.
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Cette initiative n'émane pas de syndicalistes mais d'un Secrétaire général de préfecture...
M. François Marc . - L'outil informatique est défaillant. D'accord, mais a-t-on fait tous les efforts nécessaires pour former correctement le personnel ?
Le ministre de la fonction publique lui-même a appelé l'attention sur le retard de la France en matière de télétravail. Les préfectures ne devraient-elles pas le développer, dans la mesure où c'est un outil bien perçu, mobilisateur et qui concourt au bien-être au travail ?
M. Denis Badré . - J'avais retiré de ma visite à la préfecture du Pas-de-Calais une impression plutôt optimiste. Cela tient-il à un volontarisme particulier du préfet de ce département ? Madame André, avez-vous pu y aller et y avez-vous constaté une évolution ? Autrement dit, faut-il désespérer ?
Mme Nicole Bricq . - Michèle André a constaté le résultat de la confrontation des préfectures avec deux procédures administratives verticales - dont le Parlement est exclu -, à savoir la RGPP et la réorganisation de l'administration territoriale...
M. François Fortassin . - Ce rapport est alarmant mais comment s'en étonner ? On est passé d'une culture du service public - qui comportait quelques travers mais où dominait l'humanisme - à une culture de la performance appliquée par des gens désabusés. Les préfets passent leur temps à prendre les pouvoirs de leurs subalternes tandis qu'ils sont eux-mêmes complètement coiffés par le préfet de région, si bien qu'ils ne songent plus qu'à ne pas exercer cette fonction plus longtemps. Dès lors, qu'on ne s'étonne pas des résultats de la RGPP.
M. Jean Arthuis , président . - La vraie question, c'est notre vision des sous-préfectures. On n'y a pas répondu. Doit-on les maintenir ? Les sous-préfets viennent maintenant travailler tous les jours à la préfecture. Et quel sera demain le rôle des préfectures par rapport aux préfectures de région ? Beaucoup de services extérieurs de l'Etat sont désormais constitués au niveau régional.
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Le préfet du Pas-de-Calais est comme tous les autres, qui font le maximum. De même, j'ai trouvé chez tous les secrétaires généraux la volonté d'organiser leurs services de guichet - dont ils disent qu'ils ne veulent plus - et d'employer au mieux leur personnel en leur donnant les formations adéquates. Pour les cartes grises ou le contrôle de légalité, il n'y a pas de problème de formation. Le problème réside plutôt dans un matériel qui n'est pas facile à manipuler, un outil informatique défaillant et rebelle qui efface tout dès la première erreur, qui bogue sans arrêt, qui oblige à saisir des séries de 13 à 14 chiffres sans séparation : j'ai vu une personne travailler avec une loupe sur son écran d'ordinateur ! La situation s'est améliorée depuis, mais cela avait contribué à allonger les files d'attente. Si bien qu'on a vu arriver les réseaux de garagistes proposant de payer - jusqu'à 150 euros - pour aller plus vite. Il faut être attentif à ne pas laisser passer la délivrance des titres de circulation dans des circuits incontrôlables.
Le personnel des préfectures est donc motivé et il a apprécié que le Parlement s'occupe de son sort. Il est vrai que ce ministère est difficile à gérer, car il comprend « l'alouette de l'administration préfectorale et le cheval du sécuritaire ». Les préfets, eux, ont fait le maximum pour leur personnel de guichet - fonctionnaires de catégorie C - et ils ont fait appel à des vacataires pour absorber le trop plein de demandes.
La question du télétravail n'a jamais été évoquée dans aucune de mes visites.
Oui, monsieur Fortassin, on veut maintenant de la performance. Mais les agents sont performants et j'ai vu des syndicats motivés, même lorsqu'ils voient fondre les effectifs. Lorsque cinquante personnes attendent devant un guichet, la pression est forte sur le personnel.
M. Jean Arthuis , président . - Les préfets disposent-ils d'un indicateur qui mesure le délai entre une demande et sa satisfaction ?
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Ils ont ces mesures mais, lorsque les guichets sont saturés, le travail « d'arrière-guichet » ne se fait plus.
La réorganisation administrative se fait par regroupement dans deux ou trois nouvelles directions selon les départements : celle de la population, celle des territoires et celle de la cohésion sociale. Certaines deviennent très importantes. On constate une grande inquiétude chez les agents de la direction de la cohésion sociale, qui regroupe le logement social, l'ex-direction départementale de l'action sociale et de la solidarité (DDASS) mais sans les médecins, la jeunesse et les sports ainsi que les droits des femmes. Il y a eu des mouvements immobiliers, mais on a du mal à rassembler les gros services.
Certaines sous-préfectures donnent encore l'illusion d'opérer un contrôle, mais leurs dossiers sont transférés au niveau préfectoral. J'ai constaté le pouvoir que sont en train de prendre les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR). C'est là qu'on va absorber les salariés performants. Par ailleurs, on trouve dans les directions des « technocrates » qui oublient l'existence des élus.
Sans vouloir noircir le tableau, je me vois donc obligée de dire au ministre qu'une pause s'impose avant de passer à la troisième tranche de suppressions de postes sur ces missions là.
M. Jean Arthuis , président . - Certes, mais nous devons aussi respecter l'impératif de réduction de la dépense publique et de retour à l'équilibre des comptes publics.
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - La RGPP ne doit pas contribuer à la dégénérescence du service public.
M. Jean Arthuis , président . - Peut-être pourrait-on revoir le titre de votre rapport ?
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Ma proposition était : « La RGPP dans les préfectures ou la mise en péril de la qualité du service public ».
M. Jean Arthuis , président . - Il ne faudrait pas que cela donne argument à ceux qui ne veulent rien changer. Dans certains départements, cela marche bien. Par ailleurs, je n'ai pas l'impression que l'administration centrale se dégarnisse beaucoup. Il faudrait un meilleur équilibre entre son sort et celui du terrain, où les services sont « arrivés à l'os ».
Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - J'évoque précisément cette question dans mon rapport.
A l'issue de ce débat, la commission des finances donne acte à Mme Michèle André, rapporteure spéciale, de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.