Audition de M. Alain SIARY,
médecin généraliste
(mercredi 9 juin 2010)
M. François Autain , président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Alain Siary, médecin généraliste qui intervient également dans le domaine du développement professionnel continu.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Alain Siary prête serment.
M. François Autain , président - Je vous remercie.
Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. François Autain , président - Je vous remercie.
Vous avez la parole.
M. Alain Siary - Je suis médecin généraliste en banlieue et membre de la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG), société savante qui promeut la recherche en médecine générale et travaille sur les rapports entre médecine générale et sciences humaines. Elle est également habilitée à organiser des formations médicales dans le cadre de la formation conventionnelle. Je suis moi-même formateur et j'interviens dans ces formations médicales.
Je m'intéresse beaucoup à la question des conflits d'intérêts entre les leaders d'opinion et l'industrie pharmaceutique.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est fortement émue du changement de définition de la notion de pandémie entre mai et juin 2009 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La nouvelle définition supprimait les critères de morbidité et de mortalité dus à un nouveau virus, ce qui a permis à l'OMS de déclarer la pandémie le 11 juin 2009, entraînant l'exécution des contrats dormants signés entre 2005 et 2008 entre les Etats et les laboratoires dans le cadre de la préparation d'une pandémie de grippe aviaire. Le fait que ces contrats ont été automatiquement appliqués a donc permis aux fabricants de molécules et de vaccins de réaliser un important chiffre d'affaires. Ceci a déjà été largement souligné.
Les experts de l'OMS sont regroupés dans deux groupes, le SAGE, groupe stratégique consultatif d'experts sur la vaccination, et le groupe de travail scientifique européen sur la grippe (ESWI). On sait que ces deux organisations sont intégralement financées par l'industrie pharmaceutique. Le British medical journal (BMJ), dans son numéro du 4 juin dernier, a montré le rôle important que jouent auprès de ces associations les fabricants de vaccins et d'inhibiteurs de la neuraminidase.
D'après le livre « Les médicamenteurs » , le SAGE est parrainé à hauteur de 400 000 euros annuels par dix laboratoires.
M. François Autain , président - Qu'entendez-vous par « parrainé » ?
M. Alain Siary - Il est financé par ces dix laboratoires.
M. Michel Guerry - Sur quel chiffre d'affaires portent ces 400 000 euros ?
M. Alain Siary - Je ne connais pas la part que ces fonds privés représentent au sein de son budget total. Les comptes sont assez opaques et il faut savoir que les financements publics ne sont pas toujours très importants, et que ces associations se font beaucoup financer par l'industrie.
Ce n'est d'ailleurs pas propre aux associations...
M. François Autain , président - Le SAGE n'est pas une association !
M. Alain Siary - C'est un organisme.
La plupart des sociétés savantes de médecins sont aussi financées par l'industrie pharmaceutique et non par les cotisations de leurs adhérents.
La SFTG est probablement l'une des seules qui ne perçoit aucun financement de l'industrie. C'est le garant de notre indépendance. On verra que l'indépendance est très partielle quand on est financé par l'industrie.
On sait que les experts de ces organismes ont dramatisé cette épidémie après avoir auguré d'une pandémie de grippe aviaire. C'est le cas d'un expert hollandais très connu, le professeur Albert Osterhaus, qui a joué un rôle majeur dans la pandémie de grippe aviaire. Cela a été repris intégralement en France et vulgarisé dans des livres destinés au grand public. Dire qu'une pandémie gravissime, comparable à la grippe de 1918, est presque inéluctable conditionne les médecins et le public face à l'apparition d'une pandémie.
M. François Autain , président - Vous avez, dès le 7 septembre 2009, mis en ligne sur Internet un texte sur la pandémie particulièrement prémonitoire où vous décrivez exactement ce qui va se passer. Il y a là de votre part une clairvoyance que la plupart des experts et des politiques n'ont malheureusement pas eue, à quelques exceptions près.
Il est important de le signaler car c'est une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité que l'on vous auditionne.
M. Alain Siary - A la demande de l'AFSSAPS et de l'Institut de veille sanitaire (InVS), les sociétés savantes de médecins généralistes ont organisé des réunions sur la grippe A (H1N1)v avec des experts. Je suis intervenu comme expert dans l'une de ces réunions où je disais que l'on avait les preuves que cette grippe n'était pas dramatique. Une participante s'est rendue à une autre réunion organisée par des hospitalo-universitaires à Paris. Le discours a été tout autre. Elle nous a envoyé un mail disant qu'on lui avait dit que les choses allaient être dramatiques, qu'il faudrait vacciner massivement et qu'il y aurait de nombreux morts.
Il est étonnant que, dans ces formations pour médecins généralistes, deux discours aussi antagoniques soient tenus. J'avais l'impression que ces experts dramatisaient le problème, ce qui m'a quelque peu agacé.
Mon collègue, le docteur Philippe Foucras, ayant sûrement beaucoup parlé des inhibiteurs de la neuraminidase, je n'y reviendrai pas. On sait qu'ils avaient été massivement stockés, notamment le Tamiflu, en vue d'une éventuelle pandémie H5N1, sans que l'efficacité de ces produits en termes de réduction des complications liées à la grippe ou de mortalité ne soit prouvée. Le seul essai randomisé montrait une réduction de 24 heures de la durée de la grippe ; en fait, le professeur Antoine Flahault recommandait de donner le Tamiflu pour ralentir l'épidémie de grippe. C'était son objectif.
Il a ensuite été prescrit dans les formes graves ; tout à la fin, il a été recommandé, sans preuve scientifique, devant tout syndrome grippal, y compris dans le cas de maladies qui n'étaient pas dues à la grippe. Il était recommandé de le prescrire d'emblée dès l'apparition de n'importe quelle fièvre associé à de la toux ou à un rhume, en laissant entendre que cela avait en quelque sorte une valeur médicolégale : si une personne atteinte de la grippe avait eu une complication et que nous n'avions pas prescrit du Tamiflu dans les 48 premières heures, nous risquions une procédure judiciaire ! On nous a fait peur, on a voulu nous affoler et cela a donné lieu à une protestation massive de toutes les sociétés savantes de médecins contre cette recommandation fondée sur aucune preuve.
M. François Autain , président - Rassurez-moi : il y a eu aucune poursuite ?
M. Alain Siary - Non. Il ne s'est rien passé et cela n'a heureusement pas été prescrit massivement.
On sait que l'article L. 4113-13 du code de la santé publique oblige depuis 2007 à déclarer les conflits d'intérêts. Or, 15 des 17 membres du Comité de lutte contre la grippe affichent des conflits d'intérêts qui ne seront dévoilés qu'en janvier 2010 !
M. François Autain , président - Il n'est pas dans mes habitudes de défendre les experts mais cette déclaration a eu lieu en novembre 2009...
M. Alain Siary - C'était déjà un peu tard quand même.
Je crois que cette obligation avait été créée bien avant l'épidémie de grippe A (H1N1)v !
Le professeur Bruno Lina, virologue, conseiller de la ministre, travaille pour de nombreux laboratoires. Le problème vient de ce qu'il déclare toujours qu'il est indépendant des laboratoires pour lesquels il travaille. Il affirme qu'il sait ce qu'il dit et pourquoi il le dit. Je pense qu'il est honnête et sincère en le disant, mais il faut toujours raisonner de façon factuelle, en se fondant sur des études.
Une étude a été publiée en 2003 sur le rapport entre l'origine des financements et les conclusions des essais randomisés.
Cette étude a recherché la recommandation d'un médicament comme « traitement de choix », à travers 370 essais randomisés. 16 % des essais indépendants présentaient ce médicament comme intéressant, contre 31 % lorsqu'il s'agissait de financements mixtes et 51 % lorsqu'ils étaient financés par l'industrie. Les essais financés par l'industrie recommandent en moyenne cinq fois plus souvent le produit étudié comme traitement de choix que les essais indépendants.
En mars dernier, le British Medical Journal a produit une étude sur la Rosiglitazone, médicament contre le diabète, qui a donné lieu à de nombreuses publications le mettant en cause dans la mesure où il favorise l'augmentation du risque d'infarctus chez des patients à fort risque cardiovasculaire.
L'objectif de cette étude est d'explorer le lien éventuel entre l'existence de conflits d'intérêts des auteurs et leur attitude vis-à-vis du risque d'infarctus chez les diabétiques traités par ce produit. 202 articles ont été utilisés et le British Medical Journal a comparé les auteurs ayant un avis favorable sur le médicament à ceux qui y sont défavorables.
Dans les essais financés par les fabricants d'antidiabétiques, on trouvait trois fois plus d'auteurs favorables à ce médicament que dans ceux qui n'étaient pas financés par des fabricants d'antidiabétiques.
Quand on recentrait l'étude sur les fabricants du Rosiglitazone, le rapport passait à plus de 1 à quatre.
Là encore, on voit bien que le fait d'avoir des conflits d'intérêts implique un avis beaucoup plus favorable vis-à-vis d'un produit que lorsqu'on est neutre et qu'on n'a pas de lien d'intérêts avec un laboratoire.
La vaccination antigrippale est soumise à une pharmacovigilance. En France, celle-ci n'est pas très satisfaisante puisqu'elle est fondée, en ce qui concerne les effets iatrogènes, sur la déclaration des médecins. On se rend compte qu'il existe fort peu de déclarations. Il est toujours intéressant de comparer ce qui a été déclaré et ce qui a été réellement constaté. L'exemple du vaccin BCG intradermique est révélateur.
L'enquête de pharmacovigilance, menée en France, entre 2005 et 2008 sur ce vaccin, relève de fréquents abcès chez les nourrissons à la suite de la vaccination, compris entre 0,4 à 0,8 cas pour 1 000 vaccinations.
Le suivi pendant un an d'une cohorte de 2 600 enfants de moins de 7 ans vaccinés en 2007 a révélé que l'incidence des abcès était de 25 cas pour 1 000 vaccinations. Il ne s'agissait évidemment pas des mêmes personnes suivies mais cela donne un ordre de grandeur.
Plus de 95 % des effets secondaires dus à un vaccin comme le BCG, et il en va probablement de même pour le reste, ne sont pas déclarés.
M. François Autain , président - Pensez-vous que ce soit la même chose pour le vaccin contre la grippe ?
M. Alain Siary - Je ne sais pas mais on est en droit de se poser la question.
Je pars de ce qui existe déjà pour montrer que l'on est en droit de douter de la pharmacovigilance sur les vaccins antigrippaux.
J'essaie de la même manière de partir de ce qui s'est passé avec d'autres vaccinations pour montrer en quoi les conflits d'intérêts sont majeurs.
C'est pourquoi j'ai pris comme exemple la dernière campagne proposée avant la campagne de vaccination antigrippale, la campagne de vaccination contre le cancer du col de l'utérus (vaccin anti HPV). Là encore, ce sont les mêmes firmes qui sont en cause - GSK et Sanofi-Pasteur-Aventis - qui fabriquent des vaccins antigrippaux. Je voulais montrer comment l'opinion avait été manipulée par leurs leaders d'opinion et par ces laboratoires pour faire en sorte que ce vaccin soit généralisé.
Pour la grippe, ils n'ont pas procédé différemment. Le cancer invasif du col de l'utérus représente 1 000 décès par an, une incidence de 3 000 par an. On a donc mis au point des vaccins. On a les résultats de la réduction des anomalies cellulaires chez la femme âgée de 16 à 26 ans. Lorsqu'il s'agit de femmes qui n'ont jamais eu ces virus, on trouve un chiffre de 98 %, toujours annoncé pour prôner ce vaccin. Malheureusement, lorsqu'on considère toutes les anomalies, quel que soit le type de HPV, on n'obtient plus qu'une réduction des anomalies dérisoire de 17 %.
Aucun essai de ce type n'a été effectué pour le vaccin contre la grippe A (H1N1)v, pas plus que pour les autres vaccins antigrippaux. On ne sait donc rien de sérieux sur leur efficacité.
Malgré cela, ce vaccin est préconisé, pour toutes les jeunes filles de 14 ans ou les femmes âgées de 15 à 23 ans n'ayant pas eu de rapports sexuels, ou dans l'année suivant le premier rapport. Le coût d'une vaccination s'élève à 406 euros, sans compter la consultation. 1,9 million de femmes sont concernées. Cette vaccination est remboursée à 65 % par la sécurité sociale pour un bénéfice des plus incertains, tout cela au dépend de la santé publique, qui aurait voulu qu'on généralise plutôt le dépistage par frottis du cancer du col de l'utérus.
Une campagne de publicité massive de Sanofi a tenté de culpabiliser les mères. Le plan « cancer » recommande désormais la pratique systématique de ce vaccin chez les adolescentes.
Il en a été de même pour ce qui est de la grippe : on n'a jamais apporté la preuve de l'intérêt de la vaccination contre le virus saisonnier. Tous les ans, on nous annonce 5 000 à 7 000 décès. Or, quelques études ont montré que, sur ces décès qui survenaient l'hiver chez les personnes âgées, seules 10 à 30 % maximum des personnes présentant un syndrome grippal avaient réellement la grippe. En fait, il s'agit d'environ 500 décès.
En avril, 312 décès dus à la grippe A (H1N1)v ont été déclarés, dont 50 chez les personnes qui n'avaient aucun facteur de risques et 1 334 formes graves d'après l'Institut de veille sanitaire (InVS).
Ce n'est donc pas du tout ce qui avait été annoncé au départ ; on a développé une stratégie de la peur et culpabilisé les médecins qui ne donneraient pas de Tamiflu ou qui n'enverraient pas leurs patients se faire vacciner.
Il est urgent de créer des commissions qui comprennent vraiment des experts indépendants - infectiologues, virologues mais aussi généralistes. Nous avons été complètement exclus de cette épidémie alors que nous sommes en première ligne, ce qui nous a vraiment agacés. Enfin, il serait bon que ces commissions comportent aussi des représentants de la société civile.
M. François Autain , président - Comme je l'ai indiqué, vous êtes signataire, sous un pseudonyme, d'un texte qui est pour moi une référence, je le répète.
M. Alain Siary - Je ne sais pas s'il s'agit de mon texte...
M. François Autain , président - Docteur CMT.
M. Alain Siary - Ce n'est pas moi, c'est une collègue mais j'avais la même opinion. Etant intervenant dans un séminaire, j'ai fait mon propre texte. Ce n'était pas tout à fait le même, mais nous étions sur la même ligne.
M. François Autain , président - Vous la connaissez cependant...
M. François Autain , président - Ce texte est remarquable. Vous étiez donc plus nombreux qu'on ne le pense à l'époque à estimer qu'il s'agissait d'un risque qui n'était pas plus important que celui de la grippe saisonnière.
Le Gouvernement français a choisi de procéder à une vaccination collective, et non dans les cabinets médicaux. Que pensez-vous de ce choix, au regard notamment des arguments avancés quant aux problèmes d'organisation pratique d'une vaccination par les médecins généralistes - convocation des patients, approvisionnement en vaccins, charge administrative, etc. ?
M. Alain Siary - Les médecins généralistes procèdent tous les ans à des millions de vaccinations contre la grippe saisonnière, sans savoir si c'est efficace mais sans que cela pose de problèmes. Les personnes à risque sont vaccinées et n'encombrent pas les cabinets médicaux. Cela m'a semblé totalement délirant !
Si on en avait eu la possibilité, on aurait vacciné les personnes à risque mais on n'aurait pas vacciné tout le monde, cette épidémie, à mon sens, d'après les connaissances issues de l'épidémie dans l'hémisphère Sud, ne nécessitait pas une vaccination massive.
La commande de 94 millions de doses, voire plus éventuellement, destinées à 47 millions de personnes nous a semblé d'emblée complètement ahurissant. Après avoir été mis de côté, on nous a proposé, quand l'épidémie était terminée, de vacciner. C'était parfaitement inutile, qui plus est avec des vaccinations multidoses, impraticables en cabinet.
Je le dis clairement : on a estimé d'emblée que cette vaccination de masse n'était pas adaptée !
M. François Autain , président - Vous affirmez que cette vaccination n'était pas praticable en cabinet compte tenu de la présentation en multidoses ; je crois savoir qu'un certain nombre de vos confrères considéraient le contraire. Selon vous, ce n'est pas possible ?
M. Alain Siary - Non. Le problème n'était pas de vouloir vacciner dans nos cabinets mais de se poser la question de savoir s'il fallait vacciner et qui vacciner ! Vacciner tout le monde n'était pas sérieux !
L'attitude de certains syndicats, notamment de la Confédération des syndicats médicaux français, n'est pour moi pas défendable. Il fallait dire que nous étions capables de vacciner les personnes à risque, en fonction des publications qui étaient parues concernant l'épidémie dans l'hémisphère Sud. On était bien informé : on avait notamment toutes les données sur les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande. On savait qu'il existait des personnes à risque - femmes enceintes, personnes atteintes d'obésité morbide, jeunes touchés par des pathologies respiratoires ou autres. Il était donc tout à fait possible d'assurer leur vaccination.
M. François Autain , président - Comment expliquez-vous que le Gouvernement ait, malgré tout, commandé 94 millions de doses et considéré qu'il fallait vacciner tout le monde pour des raisons, paraît-il, éthiques, pour reprendre le terme de la ministre ?
M. Alain Siary - Il n'y a d'explications éthiques à cela. C'est tout à fait impertinent de dire cela ! Il existait un plan de lutte contre les pandémies, « calibré » sur un risque pandémique grave de type H5N1. Comme dans les guerres, les canons sont prêts, on n'a plus qu'à tirer !
M. François Autain , président - Même si les armes ne sont plus adaptées à l'ennemi, même si l'ennemi n'est pas le même !
M. Alain Siary - C'est tout à fait cela. On s'attendait à une guerre atomique ; il s'est agi d'une guérilla mais on a cependant utilisé l'armement atomique. Je pense que c'est une erreur grave pour la santé publique.
M. François Autain , président - Vous avez en effet prononcé le mot de « défaite ».
M. Alain Siary - On peut en effet parler de défaite de la santé publique.
M. François Autain , président - Vous le maintenez ?
M. Alain Siary - Je le maintiens. La gestion de cette épidémie de grippe A (H1N1)v est une défaite de la santé publique. M. Aquilino Morelle avait dit, dans le livre qui porte ce titre, que si l'on ne réalisait pas des transformations profondes en France, on s'exposait à de nouveaux problèmes : c'est une défaite de la santé publique, je le dis clairement !
M. François Autain , président - Je ne suis pas sûr que M. Aquilino Morelle utiliserait le même terme pour qualifier la grippe A (H1N1)v mais je ne le lui ai pas demandé...
M. Alain Siary - J'utilise ses termes mais je parle en mon nom.
M. François Autain , président - En dépit des efforts consentis pour accélérer l'autorisation et la production des vaccins antipandémiques, les vaccins contre la grippe A (H1N1)v sont arrivés trop tard pour pouvoir en escompter un quelconque « effet barrière », et même pour protéger en temps utile les individus contre l'épidémie.
Cette constatation ne doit-elle pas conduire à reconsidérer la place accordée à la stratégie vaccinale dans la réponse à une pandémie grippale ?
M. Alain Siary - Il serait intéressant de faire une étude comparative entre la Pologne - qui n'a pas vacciné - et les autres pays. On attend d'avoir les résultats pour voir s'il existe une différence significative en termes de morbi-mortalité. Je pense qu'il n'y en a pas étant donné ce qui s'est passé, mais il serait intéressant d'avoir les chiffres et de les présenter. Ce serait un niveau de preuve élevé concernant l'inutilité de cette vaccination !
M. François Autain , président - Nous nous sommes rendus en Pologne il y a une quinzaine de jours. On nous a indiqués que la grippe avait fait en Pologne 180 morts et que l'on avait recensé 2 500 cas.
Autant le nombre de 180 morts me semble cohérent avec ce que nous avons observé dans notre pays, autant 2 500 cas me semblent très inférieurs au nombre de cas que nous avons recensés.
Cela permet de s'interroger sur la fiabilité des statistiques polonaises mais il est évident que les conséquences sont très voisines de ce que l'on a observé chez nous. Le fait que l'on ait vacciné ou non n'a donc pas eu d'incidence considérable sur l'évolution de la pandémie dans les pays concernés.
M. Alain Siary - Pour ce qui est du taux d'attaque de la grippe, une étude menée au Royaume-Uni a montré des taux très variables d'une région à l'autre, un nombre important de formes asymptomatiques et des formes graves observées chez des individus qui ne présentaient pourtant pas de risques particuliers.
Plus que la question de la létalité du virus, ce sont ces formes graves parmi des patients en bonne santé qui devraient donner lieu à des études approfondies.
D'autres tests récents réalisés sur des animaux soulèvent la question de l'efficacité de la stratégie vaccinale.
Une étude de chercheurs hollandais, parue dans The Lancet à la même époque, porte ainsi sur deux lots de souris, l'un vacciné contre la grippe saisonnière, l'autre à qui on a injecté la grippe saisonnière. Les souris sont comme les hommes vis-à vis de la grippe : on n'a compté aucun décès.
La grippe aviaire H5N1 a ensuite été injectée à ces deux lots de souris. Dans le groupe qui avait eu la grippe saisonnière, il n'y a eu aucun décès ; en revanche, dans le groupe vacciné contre la grippe A (H1N1)v, on a enregistré des décès.
On avait constaté en 1918, dans un tout autre contexte, que la première attaque de grippe dite « espagnole » avait été bénigne. Les gens qui avaient attrapé la grippe lors de la première attaque n'ont jamais eu de problèmes ultérieurement. Ils ont été immunisés ! Une grippe bénigne immunise et protège contre des grippes beaucoup plus graves de façon beaucoup plus efficace et sans causer les dégâts de la vaccination.
Cela pose le problème de la stratégie vaccinale telle qu'elle est conduite actuellement face aux virus grippaux. Tout miser sur la vaccination n'est probablement pas pertinent. Ces études montrent qu'il faut être extrêmement méfiant vis-à-vis des vérités assénées. Quand on a appris qu'il y avait eu 312 décès, certains experts ont affirmé qu'ils n'auraient pas eu lieu si l'on avait réalisé la vaccination plus tôt. Il n'est pas très bon que des experts s'expriment de cette façon !
M. François Autain , président - D'autant que la vaccination, en cas de pandémie, arrive après les autres moyens dont on dispose.
Doit-on reconsidérer la place que l'on accorde à la vaccination en cas de pandémie ? Si, demain, une autre pandémie survenait, quelle procédure préconiseriez-vous ?
M. Alain Siary - Je ne suis pas virologue...
M. François Autain , président - C'est pourquoi votre point de vue est intéressant !
M. Alain Siary - Les études dont j'ai parlé mettent en doute le rôle majeur de la vaccination. Il existe peut-être d'autres moyens...
C'est un travail collectif qui doit être réalisé par des virologues, des épidémiologues, des gens de terrain mais je ne puis me prononcer seul. Tout ce que je puis dire, c'est qu'étant donné la date à laquelle la vaccination est arrivée, son efficacité a été probablement des plus réduites.
M. François Autain , président - Etes-vous d'accord avec le fait que le vaccin antigrippal saisonnier n'était en aucun cas efficace contre la grippe pandémique A (H1N1)v ?
M. Alain Siary - On n'a pas de certitude absolue. Une étude « cas témoins » publiée dans le New England Journal of Medicine , faite à Mexico dans un service de pneumologie et de réanimation, sur des personnes décédées d'incidents respiratoires, comparait ces cas de décès à des témoins, c'est-à-dire des personnes ayant contracté le virus mais qui n'étaient pas décédées ; parmi les personnes décédées, personne n'avait été vacciné contre la grippe saisonnière alors que, parmi les témoins, on comptait une proportion de personnes vaccinées contre la grippe saisonnière plus importante.
Les auteurs de cette étude étaient en faveur d'une possible efficacité de la vaccination saisonnière. Les études « cas témoins » doivent toutefois être considérées avec beaucoup de recul. C'est la seule étude en faveur de l'efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière.
M. François Autain , président - Il n'y a donc pas de preuves ?
M. Alain Siary - Non. On considère qu'une étude « cas témoins » est un niveau de preuves faible ; pour que ce soit un niveau élevé, il faut plusieurs études « cas témoins » et des études de cohortes.
M. François Autain , président - Il n'y a pas non plus de preuve du cas contraire ?
M. Alain Siary - Non plus ! On n'a rien pu démontrer. On se base simplement sur les taux d'anticorps de la population, qui ne sont pas forcément représentatifs d'une immunité. Il existe deux types d'immunité, l'immunité humorale, qui se traduit par les anticorps et l'immunité cellulaire. On peut avoir un taux d'anticorps nul et cependant bénéficier d'une immunité et inversement. On peut aussi avoir des anticorps humoraux sans avoir forcément une bonne protection. La recherche d'anticorps humoraux est donc utile mais ne constitue qu'un critère intermédiaire. Ce n'est pas suffisant.
Si l'on veut vraiment apprécier l'efficacité d'un vaccin, la meilleure solution est l'étude randomisée qui est difficile à réaliser.
Au début de l'épidémie de grippe, on nous a dit que l'on n'avait pas les vaccins antigrippaux, mais une des causes de mortalité par grippe étant la complication par pneumonie à pneumocoques, on nous a conseillé d'utiliser massivement le « Pneumo 23 », vaccin antipneucoccique. C'est ce que nous avons fait pour les personnes à risque. Beaucoup étaient d'ailleurs déjà vaccinées mais on a très vite manqué de vaccins de ce type. Le peu d'études randomisées qui ont été menées montrent toutefois que l'efficacité de ce vaccin n'est pas supérieure à celle d'un placebo.
Les niveaux de preuves concernant les virus qui mutent sont extrêmement faibles ; on sait que la vaccination est conseillée en France pour les plus de 65 ans. Ce sont les personnes les plus exposées mais aussi celles que la vaccination protège le moins bien.
M. François Autain , président - Vous avez répondu sur des sites Internet aux partisans des ligues antivaccinales. Dans quelle mesure la gestion de la grippe pandémique a-t-elle renforcé l'audience de ces mouvements ?
M. Alain Siary - L'audience de ces mouvements a été renforcée en deux circonstances.
Tout d'abord, la stratégie de communication adoptée dans le cadre de la vaccination contre l'hépatite B a été catastrophique. Les ligues se sont déchaînées à propos de quelques cas suspects, mais jamais prouvés, de syndrome de sclérose en plaques.
Elles se sont également déchaînées contre la vaccination anti-HPV qui n'était pas justifiée à mon sens.
Quand on fait des faux pas, quand on ment aux gens, comme dans le cas de l'hépatite B à propos de laquelle on a prétendu que cette maladie pouvait se transmettre par des verres d'eau - je l'ai lu dans des textes rédigés par certaines directions départementales des affaires sociales (DDASS) pour le grand public - les choses vous reviennent en pleine face, comme un boomerang et ce n'est pas étonnant ! J'estime que cette campagne a renforcé les ligues antivaccinales. Ce n'est donc pas une bonne chose !
M. François Autain , président - Vous avez cité les effets indésirables de certains vaccins, pour d'autres maladies que la grippe. Etes-vous d'accord avec le constat, formulé par plusieurs des personnes interrogées par la commission d'enquête, que la vaccination contre la grippe pandémique n'aurait pas eu d'effets indésirables ? Si tel est le cas, a-t-on surestimé la probabilité que de tels effets surviennent ?
M. Alain Siary - Je reste très réticent vis-à-vis de la pharmacovigilance telle qu'elle s'exerce en France. Il n'y a manifestement pas eu de syndrome de Guillain-Barré, sur lesquels on était très axé, étant donné l'antécédent de la vaccination de 1976 aux Etats-Unis. Pour ce qui est des autres effets secondaires, je reste prudent. Il est peu probable qu'il y ait eu des effets graves mais, si l'on s'en réfère à l'étude menée à propos du BCG intradermique, on se rend bien compte que, globalement, on sous-estime largement les pathologies iatrogènes.
Ce n'est pas seulement vrai pour les vaccins mais aussi pour tous les médicaments. La pathologie iatrogène fait entre 15 000 à 20 000 morts par an, bien plus que les accidents de la route !
M. François Autain , président - Vous voulez parlez de la pathologie iatrogène médicamenteuse ?
M. Alain Siary - En effet, mais les médecins n'aiment pas entendre parler de pathologie iatrogène.
M. François Autain , président - Il est vrai que cela remet en cause plus ou moins directement le médecin lui même.
M. Alain Siary - L'industrie pharmaceutique aime encore moins en parler. Bien sûr, les industriels ne sont pas fous et ne vont pas commercialiser des médicaments dangereux. En revanche, les essais randomisés sous estiment largement les effets secondaires des médicaments. C'est en phase 4 qu'on les apprécie et on a parfois de très mauvaises surprises ! Or, l'Europe a décidé de confier la pharmacovigilance aux industriels...
M. François Autain , président - Pas encore.
M. Alain Siary - C'est un risque énorme.
M. François Autain , président - Pour peu que l'Etat concerné les y autorise...
M. Alain Siary - C'est un risque majeur.
M. François Autain , président - Je suis d'accord avec vous.
Estimeriez-vous nécessaire de mener des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, qu'elle soit saisonnière ou pandémique, et d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe ?
M. Alain Siary - Il est clair que nous ne sommes pas bons sur le plan épidémiologique. Quand on veut l'être, on sait le faire. On l'a fait pour le VIH : c'est probablement la maladie infectieuse qui est, en France, la mieux répertoriée, bien mieux que les hépatites ou que toutes les autres. On s'est donné les moyens de le faire étant donné la gravité de cette maladie, ce qui n'est évidemment pas le cas de la grippe. On pourrait se donner les moyens d'en savoir plus !
Tous les ans, on annonce 7 000 morts dues à la grippe ; quand on regarde une publication sérieuse, on se rend compte que ce chiffre n'est que de 500 par an ! La grippe saisonnière tue probablement tous les ans moins de 1 000 personnes ! Ce ne sont pas les chiffres qu'on nous annonce, qui sont destinés à développer la vaccination.
M. François Autain , président - Qu'attendez-vous des travaux menés par le comité d'évaluation de l'OMS ? Quelles mesures préconiseriez-vous pour prévenir les conflits d'intérêts dans les comités d'expertise de l'OMS ?
M. Alain Siary - Comme dans tous les comités d'experts, il est très important que les gens déclarent leurs conflits d'intérêts et qu'il existe des experts qui n'aient pas de conflits d'intérêts et qui aient voix au chapitre. J'ai entendu dire que les experts sans conflits d'intérêts sont des experts sans intérêt : c'est scandaleux !
M. François Autain , président - L'intéressé m'a dit que c'était une phrase sortie de son contexte...
M. Alain Siary - Non, pas du tout ! C'était très clairement ce qu'il pensait ! Je crois que c'était M. Philippe Lamoureux...
M. François Autain , président - En effet. Nous l'avons auditionné.
M. Alain Siary - Je l'ai déjà entendu le dire lors d'émissions. Il n'y a d'ailleurs pas que lui qui le pense. On le croit également dans les instances officielles.
M. François Autain , président - Vous avez souligné dans votre exposé la nécessité de créer des commissions composées d'experts indépendants et de représentants de la société civile. Pourriez-vous détailler cette proposition quant aux personnes qui pourraient être choisies pour siéger dans ces comités, et selon quelles modalités de désignation ?
M. Alain Siary - Quand il s'agit de problèmes concernant la santé publique ou l'environnement, il est bon d'avoir recours à des représentants des associations - comme « Sciences citoyennes » ou autres - et que les personnes qui y parlent ne soient pas forcément des médecins. Ils doivent dire ce qu'ils pensent en tant que représentants de la société civile. C'est le problème de l'expertise en général, ce n'est pas propre à la santé. Il faut des experts impliqués mais aussi des experts indépendants et des gens qui représentent les citoyens, qui ont une formation, qui sont dans des associations représentatives. On ne peut prendre seul des décisions concernant la santé publique et l'ensemble des citoyens sans que ceux-ci y participent également. La démocratie intervient également dans la pratique et la gestion de la santé publique !
M. François Autain , président - Parmi les représentants de la société civile, incluriez-vous des représentants des associations de patients - dont certaines ont des liens financiers avec l'industrie pharmaceutique ?
M. Alain Siary - Les associations de patients posent problème dans la mesure où elles ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. On aimerait davantage inclure des associations de citoyens indépendants.
M. François Autain , président - Pouvez vous citer des exemples ?
M. Alain Siary - Il y a « Sciences citoyennes ». Je n'ai plus les noms en tête mais il existe plusieurs organisations ; certaines travaillent avec les lanceurs d'alerte et ont soutenu le chercheur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui avait montré, en accord avec toute la communauté médicale, que le sel est un facteur de risque cardio-vasculaire... Il avait été poursuivi par les industriels du sel. Il a d'ailleurs gagné ; toute la communauté scientifique et médicale était derrière lui. Ce sont des données très connues. Je n'ai pas compris pourquoi les industriels du sel lui ont fait un procès. Leur expert est le même depuis trente ans : ce n'était pas très sérieux !
Ces associations existent et ont leur mot à dire dans des commissions qui les incluraient.
M. François Autain , président - « Que choisir » ou « 60 millions de consommateurs » vous paraissent-elles pouvoir remplir ce rôle ?
M. Alain Siary - « Que choisir santé » fait un travail intéressant et travaille avec le FORMINDEP (collectif « pour une formation et une information médicales indépendantes au service des seuls professionnels de santé et des patients).
On parle des associations représentant la société civile mais prenons les sociétés savantes, qui représentent les généralistes. J'ai fait un travail sur cette épidémie de grippe A (H1N1)v : lecture, publications... Je suis intervenu comme expert dans des formations : on ne nous a jamais demandé notre avis alors que nous avons une compétence dans l'expertise ! J'interviens dans des dizaines de séminaires sur des sujets touchant à la médecine générale. J'ai une formation à la lecture critique et à la lecture des essais.
M. François Autain , président - ... Et vos stages sont rémunérés par l'assurance maladie.
M. Alain Siary - C'est totalement indépendant de l'industrie pharmaceutique. Ce sont des formations auxquelles les médecins sont tenus de participer. Nous avons une compétence dans le cadre de l'expertise qui touche la médecine générale : jamais on n'a entendu de médecins généralistes, experts en ce domaine ! Je plaide pour que la médecine générale, en tant que telle, ait des experts qui puissent intervenir sur des problèmes de santé publique.
M. Michel Guerry - Pensez-vous que l'OMS revienne en arrière à propos de sa définition de la pandémie ?
M. Alain Siary - L'OMS est actuellement en pleine tempête.
Aucun expert de l'OMS n'est venu devant la commission d'enquête du Sénat ?
M. François Autain , président - Si, M. Bruno Lina, qui est membre du SAGE, mais aucun autre n'est venu. Nous y sommes allés. Je crois qu'il est très difficile d'obtenir l'audition, en France, d'experts qui travaillent à l'OMS.
La commission d'enquête de l'Assemblée nationale rencontre les mêmes difficultés.
M. Alain Siary - Cela fait des années que l'on signale les dérives de l'OMS, sous l'influence de l'industrie pharmaceutique. Cela avait déjà été constaté avant l'épidémie de H1N1, notamment en ce qui concernait l'hypertension artérielle.
Etant donné ce qui se passe actuellement, on est en droit d'espérer que l'OMS va réviser un certain nombre de choses et être beaucoup plus rigoureuse au sujet des conflits d'intérêts des experts. C'est ce que l'on peut espérer !
M. Michel Guerry - A partir du moment où un pays participe au financement de l'OMS, on devrait pouvoir entendre sa direction, ses experts, etc. Si tel n'est pas le cas, on devrait arrêter de les payer ! C'est vraiment scandaleux !
M. François Autain , président - C'est le bon sens !
Il me reste à vous remercier. Nous tirerons certainement beaucoup de profit de vos réponses lors de l'élaboration du rapport.