Audition de Mme Marie-Dominique FURET,
chargée de mission auprès du directeur général de la santé
au ministère de la santé et des sports,
auteur d'un rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise venant à l'appui des décisions en santé publique
(mercredi 5 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons Mme Marie-Dominique Furet, chargée de mission auprès du directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports, auteur d'un rapport sur l'indépendance et la valorisation de l'expertise venant à l'appui des décisions en santé publique.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Marie-Dominique Furet prête serment.

M. François Autain, président - Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.

Mme Marie-Dominique Furet - Au préalable, je crois qu'il est d'usage d'indiquer ses liens d'intérêts. Il y a plus de dix ans, j'ai travaillé dans l'industrie pharmaceutique. J'avais en outre pour témoin à mon mariage, il y a sept ans, Philippe Beaufour, qui n'est plus dans l'industrie pharmaceutique.

Je ferai d'abord quelques observations sur le contexte dans lequel l'expert rend son avis. L'autorité publique a une obligation en fonction de la gravité du risque. Si le risque est grave, l'autorité publique a une obligation de résultat. Si le risque est moyen, l'autorité compétente a une obligation de moyens.

En matière de vaccination, l'autorité publique peut rendre la vaccination obligatoire si le risque est grave ; dans le cas d'un risque moins grave comme la rougeole, l'autorité publique doit mettre en oeuvre un dispositif qui permet de répondre à une obligation de moyens en incitant les citoyens à se faire vacciner et en informant le plus possible les professionnels médicaux.

Peut-être y a-t-il eu une contradiction dans la pandémie grippale entre l'annonce du nombre de morts et la mise en oeuvre de ce qui était plutôt une obligation de moyens qui a peut-être incité certains - au vu des blogs ou de la presse - à se détourner de la vaccination.

Il existe par ailleurs un devoir de transparence depuis Tchernobyl, une exigence de la société de déclarer les liens que les experts peuvent avoir. Selon les blogs et la presse, le fait que les experts, dans le cadre de la pandémie grippale, n'aient pas déclaré leurs liens, a contribué à une certaine méfiance de la part du citoyen. L'exigence de transparence est une exigence de société qui n'est pas simplement juridique, comme celle qui s'exerce dans le cadre de l'expertise.

Enfin, quand on parle d'indépendance de l'expert, on doit aborder la question de son objectivité. On peut craindre soit une dépendance, soit une influence que pourrait avoir l'expert quand il rend son avis, donc une certaine subjectivité.

On parle de dépendance lorsque l'expert est atteint dans sa situation personnelle. Les déclarations qu'il va faire ou les avis qu'il va émettre peuvent avoir des conséquences graves sur sa situation personnelle : il pourrait être privé d'une étude, une entreprise pourrait être privée d'un marché. Il a des actions dans une entreprise, dans une firme. Il peut aussi se retrouver - c'est là la question des lanceurs d'alerte ou des avis dissidents - au banc de la communauté scientifique à laquelle il appartient.

Tout cela peut générer une crainte et faire que l'expert n'est pas aussi libre dans l'avis qu'il va rendre.

Dépendance mais aussi influence. L'influence concerne un peu tout ce qui relève de la relation amicale, de la relation familiale, de la relation professionnelle, le « lobbying soft » parce que l'on veut faire adopter des normes, l'appartenance à un monde culturel : par exemple, une personne de la famille de l'expert travaillerait dans le domaine du nucléaire et l'on fait une expertise sur ce thème - ou dans l'industrie pharmaceutique et l'évaluation a lieu sur des produits pharmaceutiques.

Je vais à présent passer à mon rapport. Le plus simple est que je vous donne lecture de la note qui, en février 2008, avait été adressée au directeur de cabinet de madame la ministre de la santé pour proposer les options de mise en oeuvre de ce rapport.

« La question de l'indépendance des experts dans le domaine de la santé publique a été l'objet de rapports récents :

« - Rapport sur la politique du médicament de la mission d'information du Parlement en juin 2006 ;

« - Rapport sur l'expertise scientifique de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques en décembre 2006 ;

« - Rapport sur les comptes de la sécurité sociale par la Cour des Comptes en septembre 2007.

« De fait, en raison d'une approche de plus en plus extensive de la notion de lien d'intérêts, le rapport d'expertise qui a vocation à éclairer l'autorité publique afin de renforcer le caractère scientifique de sa décision peut se trouver contesté non seulement s'il est avéré que l'expert entretient un lien direct, mais aussi désormais s'il entretient un lien indirect avec l'une des parties concernées par l'objet du rapport.

« Afin de consolider la position des experts et d'éviter un désengagement de leur part, il paraît opportun de hiérarchiser les différents types de liens d'intérêts dans un souci de transparence et de rationalité. In fine, il revient à l'autorité publique le soin de retenir un expert au vu des éléments dont elle a connaissance lors de la commande de l'expertise.

« Cependant, la question de l'intégrité morale de l'expert recouvre en réalité deux questions :

« - la participation des associations à l'expertise ;

« - le renforcement du cadre de l'expertise.

« Propositions du rapport de la Direction générale de la santé (DGS)

« Sur le premier point, il serait souhaitable que les associations concernées par l'objet de l'expertise puissent interroger par écrit l'expert lors de la remise du rapport d'étape et que les réponses figurent en annexe ou sur un site web. Cette proposition d'approfondissement de la démocratie sanitaire pourrait réduire à la portion congrue la suspicion des représentants des milieux associatifs.

« Afin d'éviter une trop grande profusion de questions, ce droit pourrait être limité à des associations agréées en raison de leur représentativité dans leur domaine de compétences.

« La disposition législative introduisant ce droit dans le code de la santé pourrait figurer dans la loi de modernisation de la santé.

« Sur le second point, la DGS formule trois propositions :

« 1. Elaborer un code de déontologie des experts venant en appui des décisions en santé publique. Ce code reprendrait les principes applicables, les définitions des grandes typologies de liens d'intérêts, traiterait de la question de l'intervention des experts dans les colloques et prévoirait des sanctions spécifiques en cas de non-respect des règles de déontologie. A terme, ce code pourrait être proposé au niveau de l'Union européenne.

« L'organisation d'un séminaire avec les meilleurs spécialistes intéressés par cette initiative, avec comme objectif la rédaction d'un projet de code serait particulièrement appropriée.

« La coordination des groupes de travail lors de ce séminaire pourrait être confiée, le cas échéant, à Mme Isabelle Durand-Zaleski (PUPH, qui a coordonné l'organisation d'un colloque sur l'expertise en 2004), à Mme Anne Laude (professeur de droit, membre du collège du Haut Conseil de santé publique) ou à M. Didier Tabuteau (Conseiller d'Etat, professeur en politique de santé à l'IEP de Paris) qui ont tous travaillé sur l'expertise en santé publique.

« 2. Poursuivre avec les CNU (Conseil national des universités), la CPU (conférence des présidents d'universités), la DHOS (direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins), et le CNG (Centre national de gestion) la réflexion sur la prise en compte de l'expertise venant en appui des décisions publiques dans les carrières des professionnels, au même titre que les publications ou les brevets. C'est notamment le sens de la proposition visant à inscrire la valorisation de l'expertise dans la lettre de mission du président de l'Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche (AERES).

« 3. Mettre en oeuvre une mission de contrôle des liens d'intérêts confiée à une entité indépendante, qui pourrait être l'AERES en lien avec le service central de prévention de la corruption (voir annexe II). Cette entité serait un outil au service des responsables de comités d'experts ; elle pourrait assurer la formation des experts sur les liens d'intérêts et sur la responsabilité des experts.

« Le point 1 suscite un véritable consensus des Agences. Il reste à définir le périmètre du code de déontologie, spécifique à la santé et intégré dans le Code de la santé, ou code spécifique destiné aux experts qui participent à des expertises demandées par une autorité publique.

« Le point 2 peut se décliner selon quatre axes :

« 1. Politique de soutien à la publication ;

« 2. Mise à disposition de moyens pour compenser le temps passé à l'expertise ;

« 3. Contrats d'interface ;

« 4. Etude comparative sur la rémunération des experts venant en appui des décisions en santé publique.

« Le point 3 suscite un consensus plus limité mais permet de répondre à la question de la situation objective de l'expert au regard des liens d'intérêts. Cette proposition complèterait le dispositif visant à encadrer et professionnaliser le cadre de l'expertise, mais nécessite un travail de pédagogie auprès des acteurs concernés.

« (2) Diffusion du rapport de la DGS

« La remise officielle du rapport de la DGS sur l'expertise pourrait intervenir dans des délais très brefs. Une communication de la Ministre pourrait être envisagée à cette occasion.

« Il serait opportun de souligner que la ministre de la santé a un souci, partagé par l'ensemble des participants au Grenelle de l'environnement - et notamment par Mme Lepage qui a rendu un rapport sur l'expertise -, de garantir auprès de l'opinion publique l'impartialité de l'expertise et sa rigueur scientifique. L'objectif est de donner ses lettres de noblesse à l'expert venant en appui des décisions publiques car les charges sont lourdes et les lauriers peu nombreux. En ce sens, la création d'un code de déontologie de l'expertise en santé publique paraît une solution plus opportune que la création d'une Haute autorité aux pouvoirs d'investigation et de surveillance particulièrement étendus. »

M. François Autain, président - Vous avez reçu une lettre de mission en 2006 du cabinet du ministre de l'époque, M. Xavier Bertrand, et vous avez remis ce rapport deux ans après, en 2008, alors que le titulaire avait changé.

Force est de constater que ce rapport n'a eu aucune suite ! Avez-vous des informations concernant les raisons pour lesquelles ce rapport n'a pas eu de suite ? Votre hiérarchie vous a-t-elle été reconnaissante d'avoir effectué ce travail et d'avoir réalisé un rapport particulièrement intéressant ?

Mme Marie Dominique Furet - En effet, le ministre de la santé, au moment où j'ai été affecté à la mission relative à l'indépendance et à la valorisation de l'expertise, était M. Xavier Bertrand. En décembre 2007, une version intermédiaire du rapport, après consultation de l'ensemble des établissements publics dans le domaine sanitaire de la direction générale de la santé (DGS) ou de commissions indépendantes, comme le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ou la Conférence nationale de santé (CNS), ont rendu des avis sur le rapport et ont eu - y compris les représentants d'experts que nous avions entendus - la possibilité de demander des corrections qui ont toutes été intégrées.

Nous avions l'impression d'un consensus et c'est le fruit de ce consensus qui a été transmis au directeur de cabinet de la ministre, le 6 décembre 2007.

M. François Autain, président - Qui était-il à l'époque ?

Mme Marie-Dominique Furet - M. Georges-François Leclerc. C'est également lui qui était destinataire de la note de février 2008.

Nous avons attendu l'avis du cabinet avant de demander si nous pourrions diffuser le rapport. La diffusion a été accordée. Le rapport est d'ailleurs sur le site de la Documentation française et sur celui du ministère de la santé.

Quant aux suites données au rapport, je n'en ai malheureusement pas eu mais, si c'était à refaire, je pense que je proposerais la même chose. On a bien vu que le doute s'est instillé dans le cadre de la pandémie grippale du fait de l'absence de déclaration des experts, que le citoyen a pu percevoir comme un manque de transparence. Il ne faut pas confondre volonté de ne pas être transparent et situation qui laisse l'impression qu'il n'y a pas de transparence.

Personnellement, je n'ai eu connaissance d'aucune suite. Je ne suis plus en charge de l'expertise et on ne m'a pas confié d'autres missions. Je le regrette beaucoup.

On m'a dit que le cabinet avait plutôt pris l'option d'une charte ; c'est le secrétariat général de la DGS qui est en charge de piloter ce travail avec l'ensemble des agences.

M. Alain Milon, rapporteur - Quelles sont, selon vous, les principales faiblesses du système actuel de gestion des liens d'intérêts entre experts publics et industrie ?

Est-il possible et souhaitable d'interdire aux scientifiques ayant des liens d'intérêts directs ou indirects avec les industries de la santé d'exercer des fonctions d'expert auprès des institutions publiques ?

Mme Marie-Dominique Furet - Nous avons répondu dans le rapport à la question relative à la faiblesse du système actuel. On a parlé de professionnaliser le cadre de l'expertise et non les experts. Qu'est-ce qu'un expert ? Un expert, c'est un homme de l'art, une personne que l'on recherche pour sa connaissance de l'état de la technique, de la science et des pratiques mais cela peut être aussi, dans le domaine de la santé, un professionnel ou un patient. A l'Institut de veille sanitaire (InVS), on trouve dans les commissions des représentants des consommateurs.

Le terme d'expert recouvre une sphère extrêmement large ; l'expertise peut être très variable. Le besoin est donc différent. Actuellement, on a une mosaïque d'expertises et de déclarations d'intérêts. Il faut donc professionnaliser ce cadre en simplifiant les démarches administratives pour les experts qui le souhaitent.

Dans le rapport, j'ai distingué trois concepts : le fait de déclarer ces liens et de les lister, le fait de gérer les liens d'intérêts, de s'assurer qu'il y a eu des déclarations d'intérêts et qu'il n'y a pas d'incompatibilité au moment où l'on va étudier un dossier ; enfin, le troisième concept, qui était confondu avec la gestion, est celui du contrôle.

Quand la ressource est rare - médecine légale, radioprotection, toxicologie, téléphonie mobile, où les plus jeunes ont aujourd'hui 45 ans - les meilleurs experts sont souvent des personnes qui ont des liens avec le privé ou qui travaillent dans le privé. On ne peut se passer de ces personnes quand on est un décideur public. Lorsqu'on a une multitude d'experts, on peut avoir le choix parmi les leaders d'opinion et faire en sorte de faire travailler ceux qui ont le plus faible conflit d'intérêts mais, suivant le domaine d'expertise, le lien peut devenir un conflit.

A l'avenir, quand certains domaines vont se développer - nanotechnologies, OGM - on ne pourra se passer de ces experts si l'on veut un avis scientifique.

Ce dont on a besoin, c'est d'un outil qui permette de ne pas remettre en cause la transparence des experts. La dénonciation se fait parfois par les pairs. Un ancien directeur d'agence m'a dit qu'il estimait à neuf cas sur dix le nombre de fois où les dénonciations étaient infondées ; les directeurs d'agence, les présidents de comité d'experts, les experts eux-mêmes sont démunis pour lutter contre la rumeur.

Nous préconisions donc de pouvoir contrôler les liens d'intérêts. Cela va dans le sens de la transparence mais aussi de l'aura que peut avoir l'institution et les experts.

Il ne s'agit pas de mettre en cause l'honnêteté des experts. Autrefois, peut-être ne mettait-on pas en cause l'expert parce qu'il s'agissait d'une sommité scientifique. Aujourd'hui, l'intrusion de la démocratie sanitaire dans la réflexion publique fait que l'on est parfois démuni en termes d'analyse scientifique devant l'avis des experts sur des dossiers extrêmement techniques. Le réflexe que peuvent avoir les associations qui ne disposent pas de conseillers scientifiques est de vérifier si les experts sont indépendants.

Comment faire autrement qu'en contrôlant les liens en toute transparence, avec une possibilité pour l'expert de le savoir et de pouvoir répondre ?

M. Alain Milon, rapporteur - La mise en place d'une institution chargée de garantir la transparence et la déontologie de l'expertise, prévue par l'article 52 de la loi Grenelle I, répond-elle à la deuxième proposition de votre rapport ?

Comment expliquez-vous les réserves de la quasi-totalité des organismes publics consultés sur votre proposition ?

Le service central de prévention de la corruption, créé par la loi du 29 janvier 1993, s'est saisi de la question de l'indépendance de l'expertise dans son rapport 2008. Pensez-vous que son rôle doive être développé ?

Mme Marie-Dominique Furet - La loi Grenelle I répond sans répondre à la deuxième proposition du rapport.

Elle y répond en partie parce que l'on a une institution indépendante - encore qu'une autorité n'était pas vraiment nécessaire, le fonds devant guider la forme.

Elle n'y répond pas complètement si l'on se réfère à ce qui se fait à l'étranger dans d'autres domaines, comme celui des marchés financiers par exemple, où il existe une directive européenne instituant des principes déontologiques pour les commissaires aux comptes et une possibilité de contrôler leurs liens d'intérêts. Un juge, gardien des libertés, peut procéder au contrôle et a tous pouvoirs. Or, le pouvoir de contrôle ne figure pas dans la loi Grenelle I.

On trouve à la fin du rapport un tableau où nous avons établi, point par point, une synthèse validée par les autorités des positions sur les différentes propositions.

Les réserves venaient du fait que la proposition de loi du sénateur Claude Saunier avait pour but d'externaliser le recrutement des experts. Or, on trouve une mosaïque de dispositifs d'expertise ; qui mieux que les agences elles-mêmes peut procéder au recrutement et à la gestion des liens d'intérêts ? Il nous semblait donc que l'on ne pouvait pas le proposer. Il existait bien une crainte de voir les moyens externalisés ; nous avons essayé d'y répondre en suggérant qu'ils restent sous l'autorité du président des commissions d'experts ou des agences.

J'avais essayé, en 2007, de déterminer la quantité d'experts dont disposait le ministère de la santé en partant du jaune budgétaire. Nous avons réalisé que deux tiers se trouvaient dans les agences et un tiers à la DGS, soit plus de 10 000 déclarations d'intérêts, certains experts travaillant pour plusieurs agences. Il ne peut donc y avoir de contrôle systématique

Quant à confier aux services de prévention de la corruption le contrôle des liens d'intérêts, la proposition a déjà été faite dans la loi relative au droit des malades. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette autorité ne comptait pas la mission de contrôle parmi ses missions mais simplement une mission de formation sur la corruption. Ceci n'avait donc pu être maintenu dans la loi.

M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez proposé d'organiser le débat sur les conclusions de l'expert et de généraliser la norme AFNOR relative à la présentation du rapport d'expertise. Comment mettre en place ce débat quand l'expertise ne se présente pas sous la forme d'un rapport mais de délibérations successives d'un organisme ad hoc ou d'une agence ?

Mme Marie-Dominique Furet - Au moment de la préparation du rapport, nous réfléchissions à la manière d'introduire la démocratie sanitaire. Il se trouve que la réforme de l'expertise judiciaire, suite à l'affaire d'Outreau, avait été mise en oeuvre. Il était proposé que les parties puissent connaître le nom de l'expert et poser des questions, les réponses devant être annexées au rapport, de façon à éviter des contre-expertises et afin qu'aucune question ne puisse être occultée. Comment introduire le contradictoire ?

Nous trouvions qu'il s'agissait d'une bonne idée d'autant que l'InVS m'avait dit avoir cette habitude. Au début du rapport, je suis allée voir chaque directeur d'agence avec un guide d'entretien et les mêmes questions ont été posées à tout le monde sur les pratiques et les usages. On ne s'est pas contenté des chartes internes aux différentes structures mais on a regardé la pratique et interrogé les experts.

Dans l'ensemble, les directeurs d'agence pensaient qu'il s'agissait-là d'une possibilité. Demeure la question de la mosaïque de l'expertise. Nous sommes parvenus à la conclusion qu'en fonction du domaine d'expertise, il faudrait que des associations suffisamment pertinentes puissent être agréées. N'oublions pas que la convention d'Aarhus a permis aux associations d'ester en justice sur le fondement de la protection de la santé. L'expert devrait répondre à toutes les questions de l'association. Il convient ensuite de savoir s'il est préférable ou non de publier les réponses sur un site Internet.

Les parlementaires pourraient aussi poser des questions. L'Agence européenne du médicament (EMA), à la mise en place de laquelle j'ai participé, a, dans son conseil d'administration, des représentants du Parlement européen. Des parlementaires siègent dans des comités d'experts ou dans des conseils du fait de l'introduction de la démocratie sanitaire.

M. François Autain, président - Vous évoquez la création d'associations : il ne s'agit pas d'associations de malades qui reçoivent un agrément ? Vous pensez bien à des associations d'un autre type ?

Mme Marie-Dominique Furet - En effet, mais cela peut être dans certains cas des associations de malades. On ne voit pas comment on pourrait éviter de faire participer des représentants d'associations de patients atteints de maladies rares.

M. François Autain, président - Ce ne serait donc pas systématique mais au cas par cas ?

Mme Marie-Dominique Furet - Il faudrait un agrément. Si nous avions poursuivi les groupes de travail, sans doute aurions-nous déterminé comment envisager ces agréments. Faut-il, comme pour la Commission nationale des accidents médicaux, une liste d'associations agréées pouvant intervenir pour poser des questions ou faut-il un agrément des associations pour chaque type d'expertise ? Il faut étudier le champ de l'expertise dans sa diversité et y répondre ensuite.

M. Alain Milon, rapporteur - Faut-il diversifier les profils recrutés au titre de l'expertise ?

Faut-il inclure systématiquement des généralistes ou des cliniciens dans les comités d'experts ?

L'élaboration d'un code des nominations sur le modèle de celui qui existe au Royaume-Uni vous paraît-elle souhaitable ?

Mme Marie Dominique Furet - Je ne connais pas le code de nomination. Je n'ai pas travaillé sur le recrutement des experts mais sur la seule question du lien d'intérêts - même si les choses sont liées.

Certaines agences - l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) en particulier ou l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) - font des appels d'offres. Un comité est mis en place pour sélectionner les experts.

Ceci est lié au coeur de métier des agences. Le code de nomination dépend du type d'expertise. Tout dépend si l'on veut aller jusqu'au profil que l'on doit recruter. On ne recrutera pas les mêmes personnes à l'Institut de veille sanitaire (InVS), à l'AFSSAPS ou à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET).

Cela paraît évident mais peut-on faire un code ayant cette étendue, plus pratique pour les experts et allant dans le sens de la simplification administrative ?

S'agissant du fait d'inclure des généralistes, j'ai déjà à moitié répondu : c'est le fond qui guide la forme. Cela pose un problème de compensation du temps passé. Les praticiens des hôpitaux, les chercheurs, les enseignants-chercheurs ont besoin que l'expertise puisse être incluse dans leur carrière. Pour les généralistes, comment compenser leur manque à gagner en termes de revenus ?

Quant à la diversification des profils, là encore, le fond appelle la forme : qui mieux que les agences elles-mêmes, les bureaux de la DGS, lorsqu'il s'agit de groupes de travail, ou les comités d'experts peuvent définir les profils dont ils ont besoin ?

M. Alain Milon, rapporteur - Faut-il, comme vous le proposez, élaborer un code de déontologie de l'expertise venant à l'appui des décisions de santé publique ou généraliser et compléter les normes AFNOR, plus contraignantes ?

La déontologie permet-elle d'encadrer ce qui ne peut être standardisé, comme l'affirme l'Institut national du cancer (INCa) ?

Disposez-vous d'exemples de mise en oeuvre par les agences britanniques des règles du code de pratique adopté au Royaume-Uni en décembre 2007 ?

Une politique de transparence du type de la « Sunshine policy » américaine peut-elle être suffisante pour répondre au problème des conflits d'intérêts ?

Mme Marie-Dominique Furet - S'agissant de votre question sur la déontologie, elle revient à me demander la différence entre un code et une charte. Une charte ne comporte pas de sanction et revient à définir simplement des principes communs ; elle n'est pas opposable.

Il ne suffit pas de prendre un texte réglementaire et d'y placer une charte : encore faut-il un fondement législatif afin que l'on puisse avancer. A-t-on besoin de sanctions spéciales ? Peut-être le fait qu'il y ait rarement eu de sanctions pénales mises en oeuvre est-il un début de réponse. Le système a besoin d'une plus grande souplesse et de sanctions plus légères, plus dissuasives et plus faciles à prendre en compte.

S'agissant de la norme AFNOR, l'AFFSA et l'AFSSET la mettent déjà en oeuvre. Des représentants de ces deux agences ont participé à l'élaboration de cette norme mais, quand l'AFSSET a demandé que l'on généralise cette norme, on s'est heurté à plusieurs problèmes. L'AFSSA a fait valoir que la norme AFNOR ne pouvait répondre à certaines procédures d'urgence et qu'elle comportait certaines lacunes. Ainsi, elle ne prévoit pas de procédure de saisine et le commissionneur et le commissionné ne sont sûrs d'évoluer dans la même sphère de travail.

Selon mon expérience, les experts estiment qu'il s'agit d'un guide de bonnes pratiques mais il existe un certain nombre de lacunes par rapport au besoin de la sphère publique. La norme AFNOR utilise le terme de « client », celle-ci ayant été faite au départ pour et avec l'industrie.

Enfin, s'agissant du « Sunshine Act », c'est le fait de publier les liens d'intérêts qui est dissuasif. Cette pratique existe déjà. Je n'ai pas vu un seul des rapports publics qui ne posaient la question. Chaque fois que cela se vérifie, on n'a pas 100 % des déclarations d'intérêts.

En outre, certains experts et responsables d'agence auraient souhaité être davantage guidés ou que les démarches soient plus simples. M. Didier Tabuteau m'avait indiqué que les deux seules réactions efficientes du « Sunshine Act » touchaient la presse et les entreprises concurrentes.

Les associations le feront peut-être aujourd'hui davantage grâce à Internet. Deux éléments peuvent selon moi participer au « Sunshine Act ». Le premier réside dans la publication des liens d'intérêts sur Internet ou dans les rapports - encore que l'on reste dans cette culture du bénévolat et que si un lien n'est pas déclaré, personne ne le sait.

Bien souvent, ce n'est pas dans une mauvaise intention que les experts ne déclarent pas un lien mais plutôt parce qu'ils n'ont pas réalisé qu'il pouvait s'agir d'un conflit.

On rejoint là la question de la formation des experts à la responsabilité et à la définition du lien d'intérêts. Là encore, c'est vraiment une question de transparence.

En second lieu, lorsqu'on a affaire à une AMM européenne, comme pour les médicaments de haute technologie ou innovants, qui peuvent être distribués dans l'ensemble des Etats membres, pour des questions de brevet ou de concurrence, une négociation s'engage sur la publication du rapport d'évaluation - même s'il s'agit d'une certaine façon d'un accès à l'information. L'industriel doit largement justifier sa demande de retirer certains éléments du projet de rapport public d'évaluation. On n'a donc pas accès à tout. C'est en cela qu'il peut être intéressant que des associations agrées puissent poser des questions.

M. Alain Milon, rapporteur - Le réseau des experts européens en santé que préconise votre cinquième proposition n'existe-t-il pas de fait au travers des instances d'expertise européenne en matière de santé publique ?

Que pensez-vous de la quasi-obligation du recours au financement privé pour la participation des experts aux colloques ?

La multiplication des contraintes de nature déontologique et administrative est-elle, comme le suggère l'InVS dans sa réaction à l'une de vos propositions, de nature à décourager les experts ?

Enfin, pour la bonne information de nos collègues, l'AFSSA et l'AFSSET ont fusionné au 1 er juillet de cette année en une seule agence, dirigée par M. Marc Mortureux.

Mme Marie-Dominique Furet - Quand on travaille sur les questions européennes, on a le sentiment que le réseau d'experts européens existe ; il permet de développer aussi bien les pratiques que les échanges. L'Agence européenne du médicament dispose d'un pool d'experts parmi lesquels elle peut choisir. Ce pool est désigné par les Etats membres. On est là dans ce qu'on appelle la « comitologie » au sens européen du terme.

Par ailleurs, les autorités communautaires peuvent procéder à des appels d'offres et recruter de façon indépendante des experts en fonction de leur CV (curriculum vitae) . Les règles de la fonction publique européenne font que les déclarations publiques d'intérêts sont obligatoires.

Je ne suis pas certaine que, vu du niveau national, on ait ce sentiment. On se retrouve avec deux étages. C'est pourquoi je pensais qu'il fallait porter le code au niveau européen, comme on l'avait fait pour les certificateurs de bateaux et de navires ou les commissaires aux comptes. Si nous nous retrouvons, dans le domaine de la santé, dans un système où nous contrôlons les déclarations d'intérêts de nos experts, on aura certes un certain prestige en termes de fiabilité de la décision publique et un rayonnement important mais nos entreprises ne seront-elles pas pénalisées par rapport à celles des autres Etats ? Il ne faut donc pas perdre de vue qu'on évolue dans la sphère européenne. Tous les experts n'auront pas le sentiment que ce réseau existe. Le développement d'une déontologie harmonisée peut seul y contribuer.

Quant à la participation des experts au colloque - question récurrente s'il en est - à l'occasion d'une réunion avec l'ensemble des agences et les représentants d'experts pour établir une trame de code de déontologie, Mme Isabelle Durand-Zaleski a rapporté que lorsqu'elle intervenait dans des colloques à l'étranger, les liens d'intérêts passaient sur un écran pendant que l'intervenant prenait la parole. C'est effectivement utile pour la transparence.

Pour autant, les experts ont-ils la possibilité de financer leur participation à ces colloques autrement qu'en acceptant des invitations de l'industrie ? La question va au-delà de la réflexion contenue dans mon rapport.

L'InVS remarque qu'un trop grand nombre de démarches administratives peut décourager les experts. L'ensemble des experts que j'ai rencontrés m'ont fait cette remarque. Lorsqu'ils sont experts pour quatre instances différentes, on leur demande à chaque fois le même type de déclaration, les agences s'étant toutes inspirées les unes des autres pour établir leur formulaire de déclaration.

Une entité de contrôle qui serait aussi une instance de consultation en cas de doute et qui participerait à la formation des experts ferait forcément évoluer les choses ; à mon sens, il faut que les agences conservent le recrutement des experts et la gestion des liens d'intérêts.

Enfin, s'agissant de l'AFSSA et de l'AFSSET, au moment du rapport, les deux directeurs m'avaient donné chacun une réponse.

Je vais vous laisser un certain nombre de documents, dont la note que je vous ai lue, la note de transmission de mon rapport, en 2006, au directeur de cabinet de Mme la ministre de la santé, ma lettre de mission, l'analyse qui m'avait été demandée sur le projet de charte de la direction générale de la santé (DGS) et des agences ainsi que la présentation faite lors de la première réunion sur la déontologie de l'expertise au comité d'animation du système d'agences, qui indique les nouvelles orientations du cabinet.

M. François Autain, président - Merci.

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