B. LA PORTÉE DES CRITIQUES FORMULÉES
Dans l'attente des conclusions des travaux du comité d'examen du Règlement sanitaire international, le rapport de la commission des questions sociales et de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), présenté le 7 juin 2010, a procédé à une première analyse exhaustive des critiques formulées à l'encontre de l'OMS.
Les observations de l'APCE ont porté sur :
- une focalisation excessive sur le risque de pandémie grippale, ayant conduit à l'engagement de moyens disproportionnés ;
le manque de transparence de l'OMS, dans un contexte d'influence des laboratoires ;
- la définition de la pandémie.
1. Une dramatisation ayant conduit à l'engagement de moyens disproportionnés ?
a) L'engagement de moyens « de grande ampleur » : une critique à relativiser
Dans le résumé de son rapport, l'APCE formule un constat sans concessions sur la gestion de la pandémie après la déclaration opérée par l'OMS, en dénonçant un « gaspillage des fonds publics » et « des peurs injustifiées » :
« La façon dont la grippe pandémique H1N1 a été gérée non seulement par l'OMS mais aussi par les autorités de santé compétentes, tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau national, est alarmante. Certaines répercussions des décisions prises et des conseils prodigués sont particulièrement problématiques, dans la mesure où ils ont entraîné une distorsion des priorités au sein des services de santé publique à travers l'Europe, un gaspillage de fonds publics importants ainsi que des peurs injustifiées sur les risques de santé encourus par la population européenne en général » 66 ( * ) .
De fait, l'évolution modérée de la grippe est en décalage avec « les mesures de grande ampleur prises aux niveaux européen et national dans certains pays » 67 ( * ) .
Cependant, le regard de l'APCE peut être considéré comme un peu sévère : si des moyens « de grande ampleur » ont effectivement été engagés dans certains pays, il faut tenir compte des incertitudes qui pesaient, à son début, sur la gravité de la pandémie 68 ( * ) . Comme le présent rapport le rappelle par ailleurs, les Etats ont eu d'autant moins de latitude pour « réduire la voilure » que les décisions d'achats de vaccins ont dû être prises dans un contexte plus favorable à l'offre des entreprises qu'à la demande des Etats.
Parmi les moyens auxquels il a été recouru, le choix de la vaccination traduisait ainsi la mise en oeuvre des recommandations de l'OMS. Dans son plan mondial 2009 de préparation et d'action en cas de grippe pandémique, l'OMS prévoit, pour les pays touchés, des mesures de mise en oeuvre des plans d'achat de vaccins et l'accélération des « préparatifs en vue des campagnes de vaccination de masse » en « phases 5-6 » 69 ( * ) . La déclaration par l'OMS du passage à la phase 6, condition prévue pour l'application des contrats dormants, a pu renforcer la position des laboratoires dans leurs négociations avec les gouvernements, qui étaient d'ailleurs déjà largement engagées dans la plupart des pays.
En ce qui concerne ces négociations, l'APCE analyse les contrats, notamment les clauses de responsabilité et les prix. Soulignant la responsabilité sociale dont doivent faire preuve les entreprises pharmaceutiques, afin « qu'[elles] ne tirent aucun profit déraisonnable des situations de crise » 70 ( * ) , elle dénonce les pressions exercées sur les Etats pour la conclusion d'accords dans des délais très brefs.
b) Une focalisation excessive sur le risque de pandémie grippale
En revanche, il est plus difficile de justifier la focalisation excessive sur le risque de pandémie grippale, dramatisé par de constantes et contestables références à la grippe espagnole.
Si les communiqués officiels de l'OMS sur la grippe A (H1N1)v ont évité les références à la grippe espagnole 71 ( * ) , celle-ci revient constamment dans la communication de l'OMS sur le risque, plus généralement, de pandémie grippale dans le contexte de la grippe A (H1N1)v.
Ainsi, sur le site de l'OMS consulté à la date du 12 juillet 2010, parmi les « dix choses qu'il faut savoir de la grippe » 72 ( * ) , l'accent est mis sur le caractère, certes « rare » mais « récurrent » , des pandémies grippales, la grippe espagnole de 1918 constituant une référence constante, dont il est rappelé qu'elle « a fait entre 40 et 50 millions de morts dans le monde selon les estimations ». Il s'agit d'une des pandémies « les plus meurtrières de l'histoire de l'humanité » .
Ce même document, dans une version datée du 14 octobre 2005 (mais qui ne se présente pas comme se limitant à la grippe aviaire), affirme toujours, en juillet 2010, qu' « une nouvelle pandémie est peut-être imminente » , que « tous les pays seront touchés » , que « la maladie sera généralisée » et que « les fournitures médicales seront insuffisantes » . Enfin, « le nombre de décès sera considérable » , l'OMS donnant une estimation « prudente » « de 2 à 7,4 millions de décès » .
La référence à la grippe espagnole comme élément de dramatisation est également contestable au plan médical. Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Ulrich Keil 73 ( * ) a observé que la grippe espagnole avait frappé des populations pauvres, mal nourries et affaiblies par la guerre et que, dans les pays occidentaux, les conditions sociales et sanitaires actuelles ne sont plus celles qui ont favorisé la pandémie grippale de 1918, à une époque où de surcroît l'antibiothérapie n'existait pas. Sans ces éléments de contexte, une comparaison avec la grippe espagnole peut affaiblir le discours scientifique de l'OMS sur la grippe.
* 66 Op. cit. , p. 1 (résumé du rapport).
* 67 Op. cit. , p. 9.
* 68 M. Keiji Fukuda, conseiller spécial auprès de la directrice générale pour la grippe pandémique, a d'ailleurs répondu en ce sens au rapporteur Paul Flynn : « il s'est déclaré convaincu qu'il était préférable d'assister à une pandémie modérée avec une offre abondante de vaccins qu'à une pandémie grave avec des stocks de vaccins insuffisants et estimait que les mesures prises au titre du virus H1N1 étaient justifiées » (op. cit., p. 11).
* 69 Parmi les « mesures d'ordre pharmaceutique », l'OMS prévoit en phases 5-6 pour les pays touchés de « distribuer les antiviraux et autres fournitures médicales conformément aux plans nationaux », de « mettre en oeuvre les plans d'achat de vaccins » et de « prévoir la distribution des vaccins et accélérer les préparatifs en vue des campagnes de vaccination de masse » (plan mondial de l'OMS 2009, op. cit. , p. 33).
* 70 Op. cit. , p. 17.
* 71 Source : http://www.who.int/csr/disease/swineflu/statement/fr/index.html .
* 72 Source : http://www.who.int/csr/disease/influenza/pandemic10things/fr/index.html .
* 73 Audition du 19 mai 2010.