I. DÉBAT D'ACTUALITÉ SUR LA SITUATION AU KIRGHIZSTAN
Les émeutes du 7 avril dernier ont conduit à la démission du président kirghize Kourmankek Bakiev, issu de la « révolution des tulipes » de mars 2005. Ce départ n'a, cependant, pas permis au Kirghizstan de recouvrer une forme de stabilité, des violences interethniques avec la minorité ouzbek éclatant dans le pays au début du mois de juin. 2 000 personnes sont décédées à l'occasion de ces événements, la communauté internationale estimant à 400 000 le nombre de victimes directes ou indirectes de ces affrontements dans un pays comptant 5 millions d'habitants. L'état d'urgence est alors décrété dans deux provinces du pays, le terme de guerre civile étant même avancé. L'arrêt des violences serait, selon certaines sources, accompagné de violations manifestes des droits de l'Homme.
L'intervention de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à la demande des présidents des groupes politiques, se déroule à la veille de l'organisation d'un référendum, prévu le 27 juin, et destiné à adopter une nouvelle Constitution.
Les débats dans l'hémicycle ont rappelé le poids de l'héritage de l'Union soviétique. Les frontières tracées dans la vallée de la Ferghana à l'époque de Staline obéissent à une logique arbitraire, laissant le champ à la formation d'enclaves. Une intervention occidentale apparaît urgente tant la proximité de l'Afghanistan n'est pas sans susciter quelque inquiétude quant à une radicalisation des musulmans de la vallée et à une escalade du trafic de drogue. L'OSCE, les Etats-Unis et la Russie ont déjà apporté une aide humanitaire. Une intervention directe, multinationale et non unilatérale, placée sous le mandat de l'OSCE et des Nations unies, apparaît ainsi, aux yeux des intervenants, nécessaire.
Le concours du Conseil de l'Europe peut, quant à lui, revêtir deux formes. Il convient ainsi d'assurer un suivi politique de la situation au travers de la présence de la Commission de Venise, à l'occasion du référendum du 27 juin, ou de l'observation des élections législatives d'octobre prochain. Il est parallèlement nécessaire d'enquêter sur la crise humanitaire et les conditions intenables dans lesquelles vivent 100 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays.
Les commissions compétentes de l'Assemblée parlementaire ont été saisies dans cette optique.
J. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN AZERBAÏDJAN
Près de dix ans après son adhésion au Conseil de l'Europe, l'Azerbaïdjan suscite encore quelques interrogations quant au fonctionnement démocratique de ses institutions. Si des progrès considérables avaient pu être observés à l'issue du scrutin présidentiel de 2008, la commission pour le respect des obligations et des engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, continue à s'interroger sur l'équilibre des pouvoirs. Les élections législatives prévues en novembre 2010 apparaissent à cet égard comme un excellent test. Le contrôle parlementaire vis-à-vis de l'exécutif reste, en effet, à consolider dans un régime politique caractérisé par la prééminence du président de la République.
La Commission de Venise a récemment indiqué qu'en dépit des amendements qui lui ont été apportés, le code électoral demeure complexe, notamment en matière d'enregistrement des candidats et de financement des campagnes. La Cour européenne des droits de l'Homme a, par ailleurs, récemment conclu, dans son arrêt Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, que les commissions électorales pouvaient violer le droit à se porter candidat. Le Parlement européen a, quant à lui, dénoncé, le 17 décembre 2009, la détérioration de la liberté des médias dans le pays. La libération de plusieurs journalistes à la Noël 2009 ne doit pas, en effet, occulter le décès en prison de leur confrère, Novruzali Mammadov, quelques mois auparavant.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a rappelé, dans son intervention, combien la situation était contradictoire avec les engagements souscrits par l'Azerbaïdjan et le Conseil de l'Europe :
« Je salue la qualité du rapport de nos deux collègues qui souligne clairement les préoccupations que nous partageons quant à la situation en Azerbaïdjan et à sa crédibilité démocratique. A ce titre, chacun doit prendre ici toute la mesure de l'inquiétude pointée par nos collègues qui, à la veille du 10 e anniversaire de l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe, ont raison de souligner toutes les interrogations qui demeurent dans la perspective d'élections législatives importantes pour son avenir démocratique.
J'ajoute que de telles préoccupations sont d'autant plus légitimes et fondées lorsque l'on connaît le sort réservé aux médias et aux journalistes qui sont souvent victimes d'intimidations et de menaces, ainsi que la Cour européenne des droits de l'Homme en a fait de nombreuses fois la remarque.
Chacun pourrait à mon sens témoigner du climat permanent de suspicion - la plupart du temps infondé - qui règne au sommet du pouvoir azéri et qui semble en totale contradiction avec ce que notre Assemblée attend d'un pays soumis au respect des obligations et des engagements contractés lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, voici près de dix ans.
En ce qui me concerne, je ne peux donc que partager pleinement les conclusions de ce rapport et j'invite à mon tour les autorités à poursuivre leurs efforts pour faire respecter la démocratie.
J'ai pu vérifier personnellement combien la situation est difficile, lors d'un récent séjour avec cinq collègues députés français dans le Haut Karabagh. En l'occurrence, nous avons appris par la voix du ministère des affaires étrangères que la République d'Azerbaïdjan, venait de mettre sur liste noire notre délégation du groupe composée, outre de votre serviteur, de M. Rochebloine et de M me Grosskost et du président du groupe d'amitié de France-République de Turquie à l'Assemblée nationale française. Nous n'avions pourtant d'autre ambition que de rencontrer nos homologues parlementaires de l'Artsagh, le Président Bako Sahakian, des agences non-gouvernementales ainsi que les organisations sociales et humanitaires implantées dans la région. Cette sanction pour le moins surprenante de la part d'un pays qui aspire à affirmer sa place au sein des nations démocratiques rappelle celle qui avait frappé cinq parlementaires de la Douma russe, également déclarés personae non gratae après une visite en république du Haut-Karabagh visant à surveiller les élections.
Ces péripéties diplomatiques prêteraient à sourire si elles ne renvoyaient pas à une réalité autrement plus inquiétante. L'Azerbaïdjan évolue dans un climat propice à toutes les inquiétudes. Malgré l'armistice signée avec l'Arménie en 1994 pour mettre fin à une guerre qui a fait 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés depuis 1988, l'instabilité et l'incertitude règnent dans la région au gré des menaces régulières d'invasions que Bakou profère à l'encontre de la République du Haut-Karabagh.
Dans ce contexte, je crois indispensable de partager les préoccupations des rapporteurs qui s'interrogent plus que jamais sur la crédibilité démocratique de l'Azerbaïdjan et qui appellent les autorités de Bakou à respecter les normes européennes en matière de libertés individuelles et de droits de l'Homme. »
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a souhaité insister sur l'absence de transparence autour de l'organisation des élections dans le pays et les restrictions à la liberté de la presse :
« Notre débat sur l'Azerbaïdjan est passionnant à plus d'un titre.
En premier lieu, il intervient près de dix ans après l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe, en janvier 2001. Une décennie donne le recul suffisant pour dresser un premier bilan des progrès réalisés, ou des insuffisances constatées, et ainsi mesurer les apports de notre Organisation dans ce pays.
Ensuite, l'Azerbaïdjan est en conflit avec un autre Etat membre du Conseil de l'Europe, l'Arménie, au sujet du Haut-Karabakh. Force est de constater que la résolution de ce conflit gelé n'a absolument pas progressé.
Enfin, l'examen du fonctionnement des institutions démocratiques intervient dans un contexte marqué par un rafraîchissement des relations de l'Azerbaïdjan avec la Turquie, qui a entamé un rapprochement mesuré avec l'Arménie.
Ainsi donc, dix ans après, quel bilan peut-on tirer de l'adhésion de l'Azerbaïdjan au Conseil de l'Europe ?
Je dois dire que la lecture du rapport très complet de nos collègues, MM. Herkel et Debono Grech, m'a laissé admiratif. Ceux-ci manient en effet parfaitement le langage diplomatique. Mais derrière la forme, particulièrement policée, la sévérité du fond ressort de leur texte. Certes, l'Azerbaïdjan a réalisé des progrès en dix ans, mais ceux-ci demeurent très insuffisants, en particulier sur deux aspects essentiels : la sincérité des élections et la liberté d'expression.
Je suis bien conscient que l'Azerbaïdjan, en tant qu'Etat souverain, est un pays encore jeune, qui n'a pas 20 ans d'existence. Il a été confronté aux difficultés de la transition consécutives à la sortie de l'URSS, même s'il n'est pas la plus mal lotie des anciennes républiques soviétiques d'un point de vue économique. Ses importantes ressources pétrolières, dont son économie est d'ailleurs excessivement dépendante, lui permettent d'atteindre des taux de croissance élevés et de voir le niveau de vie de sa population augmenter.
Il paraît également évident que le conflit du Haut-Karabakh n'est guère propice à la réalisation des réformes nécessitées par l'approfondissement de la démocratie dans le pays. Pour autant, il ne saurait constituer un prétexte à l'immobilisme ni une justification aux méthodes expéditives des forces de sécurité.
Or, le rapport nous montre que l'Azerbaïdjan est loin d'avoir intégré les valeurs du Conseil de l'Europe. Aucune des élections ayant eu lieu dans le pays n'a satisfait pleinement aux exigences démocratiques. La place dans les institutions du président, qui a succédé à son père en 2003, lequel était déjà en place au temps de l'URSS, est prépondérante, de telle sorte que l'équilibre des pouvoirs n'est pas assuré.
Surtout, et c'est ce qui me semble le plus grave, les co-rapporteurs soulignent, je cite, « le manque de concurrence et de véritable pluralisme politique », qui a forcément des implications sur la sincérité des élections.
Cette importante lacune explique également, je cite encore, les « arrestations, intimidations, harcèlements et menaces physiques de journalistes ». Le Conseil de l'Europe ne peut accepter que, dans ses États membres, ceux qui osent critiquer le gouvernement soient réduits au silence.
La stabilité de l'Azerbaïdjan dans le Caucase, région éprouvée s'il en est, est assurément un atout. Le pays doit en tirer parti pour accélérer la conduite des réformes et devenir une véritable démocratie. Le Conseil de l'Europe a le droit, et le devoir, de lui demander une amélioration rapide et importante des valeurs démocratiques. »
La résolution adoptée par l'Assemblée insiste sur la nécessité, pour l'Azerbaïdjan, de favoriser une inscription libre et équitable des candidats et la mise en oeuvre concomitante de procédures de recours. La liberté de réunion et la liberté des médias doivent parallèlement être pleinement respectées en vue de permettre aux campagnes électorales de pouvoir se dérouler convenablement. L'amélioration du dialogue entre le pouvoir en place et l'opposition doit également être recherchée en vue de parvenir à un apaisement du climat politique.
Concernant la liberté de la presse, l'Assemblée demande la libération du journaliste Enyulla Fatullayev afin de respecter l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 22 avril dernier. Elle demande parallèlement une dépénalisation de la diffamation en vue de permettre aux journalistes de mener leur activité professionnelle.