IV. L'ACTUALITÉ GÉOPOLITIQUE
A. L'IRAN ET LE MOYEN-ORIENT
La commission politique a souhaité au cours de cette session aborder la délicate question du conflit israélo-palestinien, en la mettant en perspective avec les difficultés rencontrées par la communauté internationale pour trouver une solution au problème nucléaire iranien.
Cette mise en perspective n'implique pas pour autant de lier les deux questions. Le règlement du conflit israélo-palestinien ne peut être conditionné à la résolution de la crise avec Téhéran. Les tensions entre les autorités palestiniennes et israéliennes cesseront, aux yeux de la commission, si, avant tout, le blocus de Gaza est levé et la colonisation comme les violences de part et d'autres cessent.
La commission souligne ainsi que le bouclage de Gaza se fait également au détriment des Israéliens, un peu plus isolés sur la scène internationale. Une coopération avec les Nations unies doit être mise en oeuvre en vue de faire entrer dans Gaza les matériaux nécessaires à la reconstruction d'habitations, d'écoles et d'infrastructures sanitaires. Une telle ouverture peut être conciliée avec le maintien de normes de sécurité destinées à protéger la sécurité des Israéliens.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité, à l'occasion de ce débat, présenter un document d'information sur la situation en Iran, appelant l'Union européenne à prendre la juste mesure des perspectives nucléaires iraniennes :
« Concernant l'Iran, je dirai simplement, puisqu'il faut aller vite, que c'est une grande puissance historique, qu'elle est et demeurera une grande puissance régionale. Il ne faut pas oublier que son peuple est fier et nationaliste. Il faut se souvenir qu'il n'est pas arabe mais musulman, essentiellement chiite.
Aujourd'hui, je crains que ce processus nucléaire ne s'emballe. Et, très vite, je pose les questions essentielles.
Où en sont-ils, les Iraniens ? Malgré les réponses que nous donne l'AIEA, bien des questions et des doutes demeurent. Tout cela suscite beaucoup de craintes légitimes. J'insisterai sur un point : il faut que nous fassions preuve de prudence. Dans l'immédiat, on n'est vraiment sûr de rien. Il subsiste encore beaucoup de questions, beaucoup de bluff, de propagande, de prétextes suscités, et je redoute un processus à l'irakienne dans lequel on pourrait très vite se trouver engagé.
Au niveau politique, je rappelle, en quelques mots, que nous sommes en présence d'un régime théocratique et islamique, avec une double légitimité : d'un côté, le Guide suprême, Khamenei, qui a succédé à Khomeiny en 1989. C'est vraiment lui le maître. Il a été élu Chef de l'Etat à vie. Il est maître de tout sur les plans politique, judiciaire et exécutif et s'appuie sur les Pasdarans, qui sont la force du régime et qui, transversalement, sont partout maîtres de la situation, y compris dans le domaine nucléaire. De l'autre, Ahmadinejad, Président de la République depuis 2005 et réélu en 2009. Il est le Président de la République élu au suffrage universel. Il jouit d'une légitimité populaire, mais il est essentiellement un chef de gouvernement. Au lendemain des élections, le Président Ahmadinejad, contesté, aurait, aux dires des opposants, commis un « hold up » électoral et ne représenterait, en réalité, que 15 % de l'électorat iranien. En dépit de cette situation, le régime islamiste, extrémiste, militaire et minoritaire, a résisté au mouvement populaire. Ce mouvement a tiré sa force de sa spontanéité, du soutien apporté par la jeunesse, les intellectuels, mais il n'était ni organisé ni structuré ; il n'avait ni chef ni programme. Bref, ce mouvement s'est arrêté parce que la force et la peur se sont imposées, encore hier, aux nouveaux manifestants, un an après.
Quoi qu'il en soit, ce régime est fissuré. Sur le plan intérieur, il est incontestablement faible. C'est pourquoi, sur le plan de la stratégie, il faut que nous fassions preuve de prudence. Les opposants estiment qu'il s'effondrera de lui-même, de l'intérieur, et que, probablement, toute action extérieure ne pourrait que le conforter, voire le sauver.
Alors, aujourd'hui, sur le plan nucléaire, puisque c'est le point essentiel, où en sont-ils, que veulent-ils, quels sont leurs droits ? Partout, au Moyen-Orient, règne la politique des deux poids et deux mesures : nous disons « oui » à la bombe israélienne, indienne ou pakistanaise, et non à la bombe iranienne. Où se situe pour eux la limite entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire ?
L'Iran revendique le droit à la dissuasion tout en clamant sa volonté de dénucléariser. En avril dernier, au moment où se tenait une conférence, à Washington, il en organisait une sur son territoire portant sur le même thème : « l'énergie nucléaire pour tous, le nucléaire pour personne ».
Où en sont-ils réellement ? La course à l'armement nucléaire a démarré avec le Shah en 1950. L'enrichissement, commencé en 1974, a failli s'interrompre en 1979, mais la provocation a relancé le processus. Considéré comme l'un des acteurs de l'axe du mal, à partir de 2000, l'Iran s'est lancé dans le processus d'enrichissement. Où en est l'Iran en 2010 ? Possède-t-il la charge nucléaire minimum à implosion de la première génération ? La réponse est oui. Est-il entré dans la phase suivante de l'uranium hautement enrichi ouvrant réellement l'accès à la maîtrise de l'arme nucléaire et aux premiers essais de validation ? Pas tout à fait, mais l'échéance est proche : quelques années, voire quelques mois. L'Iran en sera-t-il prochainement à la vectorisation de la charge, c'est-à-dire à l'intégration de la bombe sur un missile balistique ? Non. D'ici 2015, peut-être, mais uniquement sur une bombe, pas sur un arsenal.
Quels seraient les risques de la maîtrise de l'arme nucléaire par l'Iran ? Il en résulterait incontestablement une prolifération. Le danger serait réel pour Israël, mais pas seulement, compte tenu de l'exiguïté de son territoire. Ces questions doivent être posées, puisque pour d'autres pays qui détiennent la bombe, on ne les pose pas.
Quelle est politiquement la meilleure action, ou réaction ?
Des sanctions ? Nous en sommes à la cinquième série de sanctions, mais pas encore à la plus sévère, qui serait la suppression du ravitaillement en pétrole et autres produits indispensables. Nous le savons, les populations en souffriraient autant que le régime politique. Les frappes ? Chacun pense que l'on aurait la sagesse de s'arrêter à temps, mais la menace est réelle et nous savons tous que la sagesse a ses limites. Le Moyen-Orient s'en trouverait embrasé.
L'accord Turquie-Brésil eût été une bonne démarche. Après tout, il n'était que la mise en oeuvre d'une proposition de l'AIEA en 2009. Les deux partenaires de l'enrichissement auraient été la Russie et la France. Il est dommage que cette proposition ait avorté. Pour la Turquie, l'objectif était de préserver à la fois l'Iran et la situation.
En conclusion, ce sujet provoque beaucoup de craintes, suscite de nombreuses questions et insuffisamment de prudence dans le propos. Le risque est grand de tomber dans le piège tendu par les Iraniens, qui cherchent la provocation - dans la religion chiite, il y a place pour les martyrs. Ils en ont déjà. Mais Israël est également entré dans le jeu. À terme, la seule réponse est un accord de paix global au Moyen-Orient, y compris avec le Liban et la Syrie, accompagné de la dénucléarisation de la région.
Le texte adopté par l'Assemblée préconise plusieurs recommandations en vue de mettre fin à cette double crise. La réconciliation des factions palestiniennes, Hamas et Fatah apparaît comme un préalable. La communauté internationale doit, en l'absence de progrès bilatéraux dans le dossier israélo-palestinien, proposer une nouvelle alternative. De façon plus large, l'Assemblée reconnaît en outre le rôle majeur que peuvent jouer la Syrie ou la Ligue arabe dans ces dossiers .